𝟏𝟏 : Fear

Felix
Je baissai un énième regard écœuré sur les ecchymoses qui parsemaient mon corps. Taeyong et sa bande ne m'avaient pas loupé.

Je pouvais encore ressentir une douleur cuisante, bien plus exacerbée que de coutume, issue de leur violence envers ma personne. Je ne me souvenais presque de rien, hormis que j'avais rapidement sombré dans l'inconscience, et que je m'étais retrouvé à l'hôpital dans la soirée avec d'horribles élancements traversant mon corps.

Toutefois, cela n'avait pas vraiment été une surprise pour moi, ce genre d'incident m'étant déjà arrivé.

Dès que je m'étais réveillé, je n'avais eu qu'une seule envie : quitter cette chambre immaculée. Alors, pour convaincre le médecin de me laisser partir, je lui avais garanti que tout allait pour le mieux, que j'avais des parents attentionnés qui allaient prendre le relais.

Pur mensonge.

Je vivais seul chez moi depuis plusieurs années déjà, car mon père était archéologue et devait ainsi constamment voyager. De ce fait, il n'était jamais à la maison, la laissant au soin de son unique enfant.

À l'époque, j'étais gardé par une baby-sitter, mais à mes quatorze ans, mon père m'avait jugé assez grand pour me débrouiller sans aide. Alors désormais, chez moi, je me sentais immensément seul. Les instants où je pouvais bénéficier d'un peu de compagnie étaient rares. C'était essentiellement à l'école, en présence de mes uniques amis, Taehyung et Minghao.

Je ne revoyais mon parent qu'à Noël, seulement pour une journée. À mon anniversaire, je recevais un simple paquet de la part du facteur.

Il s'agissait d'un banal colis en carton, comportant l'adresse de notre maison et un timbre mentionnant le pays duquel il provenait. Ledit paquet contenait à chaque fois une denrée soi-disant rare et précieuse, un objet superflu et futile, absolument pas indispensable.

L'année dernière, j'avais reçu une sorte de vase difforme et vétuste, recouvert d'une épaisse couche de poussière grisâtre. De surcroît, aucun papier ne l'avait enrobé, aucun ruban ne l'avait décoré. Non, mon père n'avait probablement pas eu le temps d'emballer le cadeau d'anniversaire de son unique fils, ni même d'envoyer une simple carte de vœux.

Ce vase, je l'avais immédiatement jeté à la décharge avec une mine dépitée, profondément déçu.

Dans mon enfance, j'avais parfois passé des jours entiers à scruter le téléphone fixe, en attente d'un appel de la part de mon paternel.

J'avais été animé par une promesse qu'il n'avait jamais été en mesure de tenir.

Je haïssais les promesses.

Il n'avait jamais pris la peine de m'envoyer le moindre message. Même s'enquérir de ma santé était trop pour lui.

Apparemment, je n'en valais pas la peine.

Maintenant, j'en étais sûr : il ne m'aimait pas.

Avec le temps, j'avais inconsciemment commencé à le détester.

Cette vague de rancœur s'était d'abord changée en une animosité silencieuse. Elle n'avait depuis jamais cessé de croître dans les méandres perdus de mon âme, s'étant rapidement transformée en animosité vindicative.

Je savais qu'elle n'attendait que le moment où elle pourrait s'exprimer dans toute sa splendeur pour déferler hors de moi telle une bombe.

« Patience, souffla la petite voix dans les abysses de ma conscience. Ton heure viendra bien assez tôt. La vengeance est un plat qui se mange froid. »

Aussi froid que le cœur de glace de mon père.

Je m'étais souvent demandé si j'étais malade, mais la réponse était négative. Cette voix était la mienne, simple représentante de mes pensées obscures qui prenaient le dessus sur ma fragile raison. Elle ne cessait de me rabaisser, attisant ainsi mon désespoir venimeux.

L'aiguille de l'horloge, dans son tic-tac régulier, atteignit huit heures. Je fermai alors la porte à clé et sortis de chez moi.

Un paysage coloré s'étendait devant mes yeux. Les arbres arboraient des couleurs rouge et or, et perdaient progressivement leurs feuilles qui s'envolaient dans le vent froid de la fin de l'été.

L'automne était sans conteste ma saison favorite, car elle et moi, nous nous ressemblions.

Elle était symbole d'un message morne.

Sous ses allures féeriques et idylliques, parues de ravissantes couleurs ocrées, se dissimulait une souffrance indicible.

Les feuilles des arbres étaient époustouflantes, mais il suffisait de s'en rapprocher pour constater qu'elles se mourraient : elles étaient sèches, fragiles, ternes.

Tout le monde s'émerveillait devant son apparence, mais personne ne voyait ce qui se dissimulait dans ses plus sombres profondeurs.

La bise soufflait doucement dans ma chevelure et je frissonnai. Aussitôt, je resserrai mon manteau contre moi pour me procurer un semblant de chaleur.

Je ne cessais de jeter des regards anxieux autour moi. Je craignais que Taeyong et sa bande ne reviennent pour achever ce qu'ils avaient entrepris de me faire subir.

Tout en avançant, j'observais tous ces gens dans la rue qui s'amusaient, riaient, couraient pour ne pas être en retard au travail... Ils avaient l'air tellement affables, tellement heureux. Pourtant, ils étaient la cause de tout mon malheur.

Ce monde a peur de la différence. Les gens rejettent et jugent tout ce qui ne s'apparente pas à leurs normes draconiennes.

Quand j'avais été âgé de quatorze ans, alors que je n'avais encore été qu'un petit garçon candide et puéril, j'avais osé marcher sans autre dans la rue.

Mais cela avait été sans compter ma peau meurtrie exhibée à la vue de tous.

J'avais alors croisé des regards inquisiteurs dégoulinant de pitié.

Je détestais être vu comme tel. Pourtant, je ne pouvais donner tort à personne ; j'étais indéniablement un être frêle et vulnérable.

Après ça, lorsque le quartier entier avait appris pour ma sexualité, tout s'était aggravé. Partout où j'allais, je n'avais vu plus que mépris et dégoût.

Tout ça à cause de Taeyong, qui s'était amusé à dévoiler ce que j'étais à mes voisins.

La haine que je vouais à son égard était plus que véhémente. Elle avait presque atteint son paroxysme, je sentais qu'elle était sur le point de guider mes actes.

Pour une raison que j'ignorais, mon harceleur n'avait pas encore informé l'école de ma sexualité, mais je savais que ça n'allait pas tarder. Il avait probablement trouvé une façon plus diabolique encore de me faucher, de m'annihiler de l'intérieur, de me faire exterminer par toute cette malveillance.

Ce que j'étais me répugnait. Pourquoi ne pouvais-je pas être comme les autres ?

« Tu inspires l'aversion. »

Je fermai les paupières, laissant échapper une larme. Elle contenait toute ma haine que j'avais réprimée avec ardeur, tout mon malheur.

Elle coula le long de ma pommette, emporta avec elle un peu de fond de teint, et s'écrasa au sol, éclaboussant ainsi l'asphalte.

Je me noyais dans mon chagrin.

Soudain, j'entendis des pas derrière moi, et sentis ces effluves nauséabonds qui me rebutaient tant.

Mes lèvres s'étirèrent en un sourire triste.

Lorsqu'un poing atterrit brutalement sur mon visage, je ne bronchai pas.

— Alors, tarlouze ? Comment tu vas depuis la dernière fois ? Mal j'espère !

Je ne répondis pas, gardant mes paupières fermement closes. Parfois, se terrer parmi les ténèbres valait mieux que de se confronter à la réalité.

— Regarde-moi, putain !

Je refusai. Il m'avait tout pris : ma santé, ma dignité, mon bonheur. Il était hors de question qu'il me vole également ma volonté.

Je perdais la notion du temps. La bande me criblait de coups et je commençais à me vider de mon sang.

« Tuez-moi... »

La petite voix s'était tue, approuvant pour une fois avec ma raison.

Je voulais mourir, quitter ce monde de tourments, oublier ma souffrance, ne plus jamais revoir ces êtres abjects qu'étaient les humains. Le plus outrageant dans toute cette histoire était sans doute que j'en étais moi-même un.

Le coup de pied qui heurta ma clavicule fit dissiper mes pensées. Pourquoi cela devait-il être aussi douloureux ?

— C'était juste pour te donner un avant-goût de ce qui t'attend vraiment, connard.

Je les entendis s'éloigner, mais ils allaient revenir, j'en étais certain.

Je me relevai avec difficulté et me mis à courir. Peu importe où, peu importe si je me perdais, peu importe si j'arrivais en retard à l'école, je voulais fuir, fuir loin de cet enfer.

« Mauvaise idée, chuchota la petite voix. Tu leur donnes exactement ce qu'ils veulent. »

Je ne l'écoutais pas. Je déguerpissais à un rythme effréné, et lorsque j'ouïs soudainement que l'on me poursuivait, accélérai ma cadence avec ferveur. Les larmes s'échappaient sans retenu de mes prunelles, humectant mon manteau imbibé de sang. Mon souffle, dû à l'effort que j'employais, devint saccadé.

Les regards que je croisais sur mon chemin étaient hargneux, répugnés, parfois même simplement indifférents.

Ce monde était empli d'une animosité sans scrupule.

J'étais faible, aussi Taeyong me rattrapa facilement, et finis par me plaquer contre un mur, faisant tressaillir ma colonne vertébrale.

— Elle a tenté de s'enfuir, la pédale ? cracha-t-il violemment. Tu vas voir ce qu'on fait aux tafioles de ton genre...

Et son genou percuta durement mes côtes.

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