Sombres pensées

Il est bientôt 4h00. Le réveil va sonner dans quelques heures. Mais, moi, je ne serai plus là. Car ce laps de temps me semble déjà interminable. Mes yeux me brûlent. Ma peau aussi. Je n'ose même pas regarder mon poignet. Je sens comme de la lave qui s'écoule en moi. Je tremble.

Je me tourne et me retourne sous la couette. J'aurais aimé pouvoir dormir. Mais j'en suis incapable. Mon cœur bat la chamade. Il est terrifié mais déterminé. J'ai la gorge nouée, une boule immense au ventre. J'ai des nausées et des vertiges. Mais je reste là, affalée sur mon oreiller, recroquevillée et en transe. J'ai très chaud, et très froid en même temps. J'ai très peur aussi. J'ai toujours cette lame à la main. Je suis pourtant habituée à la sentir tout contre ma chair. Mais je ne suis jamais confiante à l'idée de la reposer sur mon bras.

Je suis engourdie. Mon cerveau est brumeux, je n'arrive plus à réfléchir. Mes jambes sont toutes flageolantes lorsque j'essaie de m'agenouiller sur mon lit. Je tâtonne maladroitement dans le noir jusqu'à trouver ma lampe. Je l'allume. Elle m'éblouit quelques instants les yeux. Je cligne avant de soupirer. J'essaie de me calmer. C'est difficile d'être posé lorsque l'on va souffrir.

Je respire le plus lentement possible. Doucement, mon souffle saccadé s'apaise un peu. J'ai toujours très peur. Mais je suis convaincue que c'est la seule chose à faire. Je déglutis. Mes lèvres tremblotent moins soudainement. La détermination m'envahit. Je sais ce que je dois accomplir. C'est bien ma seule utilité dans ce monde.

Je réussis à m'asseoir sur mes draps défaits. Puis c'est la tristesse qui prend place. Pourquoi ? Toutes les interrogations qui submergent soudain mes pensées sont envahis par ce mot. Pourquoi est-ce que tout va mal ? Pourquoi est-ce que c'est si dur ? Pourquoi ne puis-je pas vivre une vie heureuse ? Les larmes me montent brutalement aux yeux. Je ferme les paupières pour les chasser mais elles finissent par les transpercer. Elles coulent sur ma joue, muettes et caressantes. Elles coulent sur mes lèvres, puis ma langues. Elles sont salées et amères.

Je ressens toute la douleur de mes souvenirs, de mes regrets, de ma douleur. Mes plaies se rouvrent. Aussi bien dans ma poitrine que sur mon bras. J'ai pris le couteau sans m'en rendre vraiment compte. Je le repose. Une unique petite déchirure sanguinolente est sur mon poignet. Le reste n'est que cicatrices et croûtes laides et pourpres. Je sèche rapidement mes larmes.

Et, déjà, une sourde colère m'envahit. Je brûle. D'amertume. De haine. J'en veux soudainement au monde entier. Aux autres. Et à moi. Surtout à moi. Je me déteste. J'ai envie de me faire du mal. J'halète, lentement. Je rattrape le couteau. Deux plaies coulent désormais.

Et puis, c'est le vide. Le vide intégral. Je ne ressens plus rien.

Mon bras saigne. Mon cœur saigne. Je ne pense plus à rien. C'est agréable. De ne plus réfléchir, de se laisser aller. C'est tellement plus facile que de se battre. Et puis, à quoi bon vivre ? Juste pour survivre ? Dans ce cas, s'il faut être si fort pour vivre, je préfère mourir.

On pourra me dire lâche, on pourra me dire que je baisse les bras au moindre obstacle, que je suis faible. On aura probablement raison. Et je m'en fous. Oui, je ne suis pas assez forte pour continuer. Et, oui, je suis trop faible pour arrêter. J'ai toujours essayer d'être puissante. Je me suis endurcie, j'ai appris à affronter ce monde en montrant les dents. Qu'est-ce que ça a changé ? La vie t'en demande toujours plus. Elle est avide, jamais satisfaite. C'est toujours insuffisant...

Je n'en ai plus le courage maintenant, je n'en peux plus. Je n'en peux plus de vouloir mourir tous les soirs, de pleurer, et de rire. De rire de ma propre douleur. Et d'utiliser ce même rire le matin comme si tout allait bien. Je ne pleure plus. Plus devant les gens. Les gens ne se rendent pas compte d'à quel point tu essaies d'être fort lorsque tu retiens tes larmes. Il pense juste que tu as une vie si facile que tu ne sais que rire. Mais dès que tu dévoiles un peu trop tes faiblesses, ils repèrent ta fragilité.

Les gens sont des vautours, qui tournent autour de leurs proies. Et, à la moindre imperfection, ils fondent, affamés et enragés sur nos petits cœurs brisés. C'est ainsi que sont faits les gens, c'est ainsi qu'est faite la vie, c'est ainsi qu'est régit le monde.

Je contemple mon bras. Je suis mitigée. Je suis à la fois fière d'en avoir le courage, horrifiée d'en être arrivée là, apeurée à l'idée qu'on le voit, grisée par cette satisfaction perverse que me procure ces moments et furieuse contre moi-même de l'avoir fait. Le suicide et la mutilation sont deux choses distinctes. On peut se mutiler sans cherche à mourir et chercher à mourir par d'autres moyens.

J'ai tenté de me tuer bien avant de me faire du mal. Se suicider, c'est vouloir tout arrêter, se mutiler, c'est chercher un échappatoire, un moyen de continuer encore quelques instants. Il y a une grande nuance entre partir malgré la difficulté et rester en dépit de la douleur. Lequel est le plus lâche ? Lequel est le plus noble ? Je l'ignore. Je sais juste qu'on ne peut juger les gens : il faut énormément de force pour se faire du mal volontairement, quand on se blesse déjà intérieurement soi-même. Il faut du courage, et de la lâcheté à la fois. Lâche de fuir, brave de sacrifier.

C'est étrange comme il est facile d'être heureux auprès des gens qu'on aime. Comme on peut tout oublier lorsqu'on est heureux. Et soudain replonger dès que c'est fini. C'est horrible de vivre avec soi-même. D'être au quotidien avec ses pensées. Et son inconfiance en soi.

Est-ce qu'on va me juger ? Est-ce que ça vaut le coup ? Est-ce que c'est mal ? Pourquoi ça fait si mal et si bien en même temps ? Pourquoi je réagis comme ça ? Est-ce qu'on voit que j'ai pleuré ? Pourquoi je n'ai pas le droit d'être parfaite comme eux ? Et pourquoi dois-je compenser en faisant semblant ? Qu'est-ce que ça ferait si je me levais et que je cassais tout ? Est-ce que ça me soulagerait ? Est-ce que ma vie irait mieux ?

Complexer, c'est stupide. Nous sommes tous différents, il faudrait s'accepter soi-même. Mais je n'y arrive pas. Je me déteste. Profondément. Je voue une véritable haine à qui je suis. C'est un peu dérangeant mais c'est comme ça. Et je suis constamment jalouse. Jalouse des autres qui sont à l'aise avec leurs corps, qui sont bien dans leurs baskets, dans leur peau, dans leur tête, qui sont beaux et bien habillés, qui sont heureux et bien entourés, qui sont forts et bien gâtés. Je regarde sans cesse ces autres. Et, plus je les regarde, plus je complexe. Et, plus je complexe, plus je les regarde.

Mes pensées ont encore dérivé loin, très loin. Je replie mes draps sur moi. Je cache mon couteau à côté de mon lit. Je n'ai plus la force. Mais demain peut-être. Oui. Demain, j'y arriverai. Je me le jure. Et pourtant, cette promesse résonne faux dans ma tête, tandis que la nuit se poursuit, comme s'il ne s'était jamais rien passé...


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