Prologue
« Parmi les cinq sens, la vue, l'ouïe et l'odorat connaissent moins d'interdits que le toucher et le goût » -Léonard de Vinci
Il y a cinq ans, une de mes amies a développé le virus. Ce virus n'est pas un parasite ou un micro-organisme que nous ingérons. Il est plutôt une partie de notre ADN, un gène nocif pour nous. Nous le créons naturellement durant nos neuf premiers mois sur terre, pendant notre conception.
Ce virus a toujours existé, surtout à l'ancienne époque, lorsque nous étions conçus dans le ventre de notre mère. Aujourd'hui, avec le compartiment, nous pouvons mieux contrôler les catastrophes qui survenaient sur les petits nourrissons : les morts subites, les bébés prématurés, les effets néfastes des consommations de la mère, les maladies héréditaires, etc.
Le compartiment est un processus de fécondation extérieure. Ressemblant aux pratiques « in vitro » de l'ancienne époque, ce processus se démarque par sa maniabilité révolutionnaire. Grâce à ce procédé, les médecins peuvent désormais arranger l'ADN du futur poupon à leur guise. Cela permet de réduire les probabilités de maladies mortelles à néant. De plus, ils en profitent pour façonner nos personnalités en bons petits citoyens. Ils peuvent choisir ce que nous aimerons, nos qualités, ce qui nous passionnerons, nos habiletés, prédire nos futurs métiers, nos futurs partenaires, etc.
Dès les modifications terminées, les médecins nous déposent dans une boîte régulatrice pour nous maintenir en simulation artificielle d'un corps maternel. Cette boîte nous donne les nutriments nécessaires pour bien se développer. Durant cette étape de notre vie, nous sommes maintenus à un niveau thermique facilement comparable à celui de l'intérieur d'un ventre.
Aujourd'hui, nous sommes habitués d'entendre les récits de naissances abracadabrantes de l'ère précédente. Ce n'était pas le cas la première fois qu'on nous les a racontés. La stupeur et l'incompréhension se lisaient sur nos visages de bambins. Cette question tournait en boucle dans nos têtes. Comment pouvaient-ils tolérer que leurs enfants grandissent en eux? Inconcevable pour nos réflexions si peu avancées. L'idée qu'un être vivant puisse être expulsé par un engin strictement réservé à l'expulsion de nos déchets corporels dégoûtent l'ensemble de la population. Tous serons en accord que le procédé du compartiment est plus hygiénique et sain.
Lorsque nous avons finis de nous développer, les médecins partent à la recherche de deux personnes qui se sont unis devant les autorités pour leur confier l'éducation d'un bébé. Le moment où nous sortons enfin de la boîte régulatrice pour être dans les bras de nos futurs parents est appelé « le moment natal ».
Au moment de notre « naissance », des scientifiques nous injectent le même concentré que nous devons ingérer une fois tous les jours. L'antidote. Pour nous protéger de nos propres gènes.
Ces scientifiques ont également donné l'ordre à toutes les écoles primaires de projeter un cours, toutes les semaines, durant nos trois premières années d'apprentissage scolaire. Pour nous informer sur les symptômes du virus ainsi que sur ses répercussions. C'est pourquoi je sais et je peux vous dire qu'il y a cinq phases durant la dégénération. Chacune pire que la précédente. Enfin, c'est ce qu'ils disent.
Autrefois, ce virus n'était pas vu comme dangereux. Il était connu et utilisé par tous, un outil très important au bon fonctionnement de notre corps et de nos tâches à accomplir. Les T.S.P. (tableaux simulateurs de professeur) nous ont même raconté et décrit toutes les conséquences que ce virus avait amené à l'ancienne société, peu évoluée. Il y avait un fort taux d'obésité, des personnes qui s'ôtaient la vie et même qui en tuaient d'autres pour la simple et bonne raison qu'ils les aimaient. J'ai toujours eu l'impression qu'ils ne nous disaient pas tout et que certaines choses étaient tirées par les cheveux.
Lorsqu'ils nous racontaient ces soi-disant récits réels, j'ai toujours eu l'impression que ce virus n'était pas nécessairement à l'origine immédiate de ces folies. Ça ne peut pas être ça. J'avais cette impression qu'il manquait quelque chose. Que les éléments ne collaient pas. J'avais raison.
La première et la deuxième phase ont été ni vues ni connues, du point de vue des gens autours de nous. Sauf pour moi, bien entendu. Par contre, quand la troisième phase a envahi mon amie, nous avons tout de suite su ce qui lui arrivait. Elle avait grossi en un clin d'œil. Elle qui autrefois attirait les regards par sa beauté, n'était maintenant regardée qu'avec pitié. Plus personne n'osait poser leurs iris sur elle. Effrayés, ils détournaient le regard lorsqu'ils la croisaient dans la rue, à l'école ou même dans l'autobus. D'après une théorie complètement loufoque, une personne atteinte du virus pourrait en contaminer d'autres simplement par le regard. Contrairement au reste de mon village, je n'y ai jamais cru. Je suis une personne très terre-à-terre, ce qui veut donc dire que je dois voir par mes yeux pour y croire. C'est extrêmement rare de côtoyer un semblable ayant développé le virus, donc, aucun contaminé, à ce que je sache, n'a jamais pu confirmer cette théorie. Je n'y crois pas. Peut-être aussi que je ne veux pas y croire. De toute façon, je serais contaminée depuis longtemps. Je l'aurais remarqué si c'était le cas. J'espère.
Avant qu'ils ne se rendent compte de son comportement dénaturé, elle se promenait toujours avec quelque chose à manger, nous disant à tous à quel point c'était bon. Que les « saveurs » de la nourriture dansaient de joie sur sa langue. Qu'elle ne pouvait s'empêcher de s'imaginer qu'il y en avait tellement à découvrir, que chaque aliment était un plaisir différent mais délicieux. Elle me les décrivait du mieux qu'elle le pouvait. Comme l'acidité d'une pomme verte, l'âcreté d'un citron, le goût sucré d'une fraise ou bien le piquant d'un piment. Je la voyais savourer ces instants. La voir s'extasier de ses découvertes me poussait à l'envier. C'était mal. De la culpabilité m'envahissait presque automatiquement chaque fois que j'avais ces pensées. Je m'en voulais.
Mes parents la regardaient horrifiés par son comportement. Bien vite, ils m'interdirent de la revoir, ils avaient peur qu'elle soit contagieuse. Moi, je la trouvais fascinante. Sa folie m'enthousiasmait. J'aurais dû être apeurée par mon comportement. À leurs yeux, j'aurais dû couper les ponts avec elle. Je n'y aspirais pas. J'aimais m'embarquer dans ses aventures interdites. J'avais la peur qui me broyait les tripes, mais l'adrénaline m'aidait à l'oublier.
La quatrième phase, je la découvrais à travers les récits incohérents de mon amie, quand je me faufilais en douce au beau milieu de la nuit. Nous nous rejoignions dans le pré derrière la gare, là où personne ne nous trouverait. Elle avait beau être « malade », c'était mon amie et je ne pouvais m'empêcher de l'écouter déblatérer n'importe quoi. Elle aimait que l'on se rejoigne dans ce terrain, car tout « sentait bon ». Elle pouvait mieux me décrire les odeurs qui lui passaient sous les narines. Comme celle du gazon fraîchement coupé qui avait un parfum agréable et rafraîchissant, ou bien celle de l'air humidifié juste avant une tempête. Nous observions les étoiles, nous demandant si d'autres comme elle étaient en liberté. Était-ce possible d'arriver à cacher ce gros secret très longtemps? Hélas, non. Nous en profitions pour s'imaginer des scénarios de rencontre avec d'autres contaminés, ou encore, pour faire des plans d'avenir. Nous échapper, vivre loin de ces lois étouffantes.
Elle avait l'habitude de jeter sa tête vers l'arrière pour mieux exposer ses narines aux brises d'odeurs bercées par le vent. Je l'entendais inhaler de grandes bouffées pour se rassasier de la fraîcheur de la nature. Parfois, je me surprenais à m'imaginer être à sa place. Pouvoir découvrir des arômes que personne d'autre ne pouvait sentir, ou même déguster des saveurs que personne ne pouvait goûter. Dont personne ne pouvait imaginer l'existence et l'extase que cela amenait à mon amie. Vous allez me dire que cela ressemblait à de la folie, mais pour moi ça sonnait plus comme de la liberté.
Au premier coup d'œil, mon amie n'avait pas l'air « malade », mais plutôt plus heureuse que jamais. Comme si ce virus n'était rien d'autre qu'une simple vitalité dérobée. Une vitalité profondément enfouie à l'intérieur de nous, qui ne cherche qu'à sortir et nous faire vivre des palpitations nocives. À nous rassasier de folie et de petits bonheurs quotidiens délicieux.
Quand ils ont débarqué, cris et sang ont coulé à flots. Je me souviens de leurs habits blancs, leurs bottes caoutchouteuses cognant sur l'asphalte, leurs mines neutres ne laissant pas même un sourire diabolique s'échapper. Ils ont embarqué mon amie au beau milieu de la nuit, nous laissant béats sur nos balcons. Certains étaient en pleurs, sûrement dû au jeune âge de Tessa. Tandis que d'autres admiraient le spectacle, appréciant qu'ils les débarrassent enfin de la crapule du village. Moi, j'étais stoïque. Mes parents disaient que c'était pour le bien de nous tous, ce qui faisait monter la lave de rage qui bouillonnait en moi tel un volcan sur le point d'exploser. Ils ne cachaient même pas leurs rictus de mépris envers mon amie. Ils n'attendaient même pas que j'eusse le dos tourné pour lâcher des regards d'approbation aux gardes. Je les détestais pour cette mascarade. Je les haïssais pour leurs murmures d'insultes envers Tessa. À ce moment, je n'aurais pas été étonnée d'apprendre qu'ils avaient vendu la mèche aux autorités à propos d'une contaminée dans le village. Qu'ils avaient trahi une des leurs.
Des bribes de souvenirs me reviennent encore aujourd'hui. Ces messieurs en habits blancs avaient défoncé la porte d'entrée de chez Tessa. Le vacarme avait dû réveiller les parents de celle-ci, car alarmés, ils avaient vite accouru. Je ne sais pas ce qu'il s'était passé à l'intérieur, mais quand ils l'avaient traînée dehors, elle était inconsciente. Un filet de sang s'échappait de la commissure de ses lèvres. Son œil était mauve et sa cheville tordue. Sa mère, affaissée sur son père, pleurait à chaudes larmes. Les soldats l'avaient ensuite embarquée dans un gros camion blanc et avaient décampé dans le même grabuge que lorsqu'ils étaient arrivés. Ses pauvres parents avaient été anéantis. Le lendemain, leur maison était vide. Je ne les ai plus jamais revus. Ils ne s'en sont peut-être jamais remis. Leur petite fille chérie. La plus populaire de l'école. L'élève modèle. La boule d'énergie de notre quartier. Notre voisine. Mon amie.
Cette nuit-là, je n'avais pas pu me rendormir. Toutes les folies que nous avions faites revenaient sans cesse me hanter. Comme s'ils me passaient le message que tout était de ma faute, que j'aurais pu les empêcher de l'emmener. Que j'aurais dû mettre notre plan à exécution. S'enfuir ensemble. Loin de tout. J'aurais pu lui sauver la vie. Tessa avait raison et je ne l'avais pas écoutée. J'étais une peureuse sans la moindre once de bravoure. Une brave petite citoyenne. Un regret immense m'avait envahie. Par la suite, des années avaient passées sans nouvelle d'elle. Sans savoir ce qui lui était arrivé, si elle était toujours vivante, si elle allait bien, ni même où elle était.
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Hello! J'espère que ce début vous a donné l'eau à la bouche pour la suite! ☺️🌟

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