some baby mama (2)
Je pique la fourchette une énième fois dans les petits pois de mon assiette dont je n'ai encore rien avalé. Le regard perdu à l'intérieur, comme si j'y fixais au fond quelque chose d'invisible.
Mon attitude agace Yoahn, je l'ai déjà entendu souffler deux fois depuis le début du dîner. Le connaissant, je parie qu'il n'ose pas me demander ce qui cloche et préfère attendre que je crache le morceau toute seule. Malheureusement pour lui, c'est un trop gros morceau pas si facile à expulser.
— Liv !, Finit-il par m'interpeller.
Je lève les yeux vers lui, sans pour autant cesser de jouer avec mon couvert, le visage neutre.
— Tu te décides enfin à parler ? Ou tu préfères continuer dans cette ambiance jusqu'à ce que mort s'en suive ? Ça fait plusieurs jours que tu boudes. Je peux savoir pourquoi ?
— je ne boude pas.
— si, tu boudes.
— non.
— si.
Je soupire, agacée.
— Qu'est-ce qu'il y a ?, il demande.
Le silence s'étire sur d'interminables secondes, le temps pour moi de réfléchir à la façon la plus douce de lui apprendre la nouvelle.
— Je suis enceinte.
Okay, pas très soft pour le coup mais bon, au moins je l'ai dit, c'est le plus important.
Mon compagnon manque de s'étouffer avec le bout de viande qu'il était entrain de mâcher. Son visage se décompose aussitôt en une mine horrifiée.
« Positif ».
Ce mot parfaitement lisible, écrit en rouge sur la feuille que j'ai sortie de l'enveloppe que le docteur m'a remise.
C'était bien mon nom, mon âge et mon statut sérologique. Il n'y a pas de confusion possible, c'est bien moi qui suis enceinte.
— Je... tu... t'es sûre ?
— oui !
— depuis combien de temps le sais-tu ?
— ... Trois jours.
— et pourquoi ce n'est que maintenant que tu me l'annonces ?
— j'sais pas... Je réfléchissais.
— tu déconnes ? À quoi ?
— bah à comment te le dire !
Yoahn reste toujours aussi abasourdi, il dépose la fourchette et le couteau qu'il tenait en mains sur la table puis respire un bon coup.
— Il est de moi ?
Attendez, quoi !?
— T'es sérieux !?, m'indigné-je.
Il bafouille quelque chose dans sa barbe en esquissant des gestes d'excuses.
— C'est pas ce que je voulais dire, désolé, c'est la panique...
Je roule des yeux et me lève.
— Attends, chérie, excuse-moi...
Je ne l'écoute pas et avance en direction de la chambre.
Bon, je fais la meuf choquée maintenant mais j'avoue que je me suis moi-même posé cette question. Sur le moment, j'ai un peu douté par rapport au fait que Yoahn soit l'auteur de ma grossesse, mais je me suis vite ressaisie. Stéphane n'y est pour rien, c'est sûr.
Yoahn me retrouve dans la pièce à coucher, assise sur le lit, cherchant des choses à faire sur mon téléphone.
Il vient prendre place à côté de moi et passe un bras autour de mes épaules d'une manière rassurante. Je ne me débat pas, je suis peut-être tendue mais me laisse tranquillement faire car après tout, j'ai véritablement besoin de ce réconfort. De son réconfort.
— On va trouver une solution, lâche-t-il dans un souffle.
Je relève la tête vers lui, confuse.
— Qu'est-ce que tu veux dire par... "Solution" ?
— ne panique pas... Je connais quelqu'un qui peut nous aider.
Mes idées se font de plus en plus méfiantes.
— Ok, mais nous aider à quoi ? Yoahn ?
— eh bien... À trouver un hôpital sûr.
Je fronce les sourcils et plisse les yeux de manière interloquée.
— Explique toi.
Mon compagnon tourne sa tête en soupirant puis revient ancrer ses iris dans les miens.
— Olivia. Tu sais très bien... qu'on ne peut pas le garder.
Aussitôt, je me dégage de son étreinte et recule machinalement.
Nous restons un moment à nous fixer, se toisant mutuellement. Puis, je me décide enfin à briser le silence.
— Il est hors de question que je me fasse avorter. C'est bien clair ?
— tu ne peux pas dire ça, tu sais très bien que nous n'avons pas les moyens, ni financiers, ni mentaux pour avoir un enfant maintenant.
— parle pour toi, moi je suis parfaitement capable de m'occuper d'un gosse. Et c'est ce que je vais faire, parce que je vais le garder, ce bébé.
— merde, Liv ! Tu sais toi-même que c'est totalement faux ! T'as juste envie d'être en désaccord avec moi, comme d'habitude.
— comme d'habitude ? Mais là il ne s'agit pas d'une situation habituelle, Yoahn ! Il s'agit d'un être vivant ! Un être issu du fruit de notre amour, qui vit déjà en moi et que je n'ai pas l'intention d'éliminer ou d'abandonner d'une quelconque façon.
Il se pince le nez entre les yeux en fermant ceux-ci, comme pour dire que ça devient insupportable pour lui. Puis se ressaisit et s'appuie sur ses poings pour se pencher vers moi avant de reprendre d'un ton plus calme.
— Je te comprends parfaitement bébé, c'est normal que tu t'y sentes attachée et moi aussi, crois-moi je ne suis pas un monstre. Mais restons dans l'évidence et la logique des choses. Nous sommes tous les deux étudiants en alternance. Déjà qu'on a du mal à payer toutes les factures à temps chaque mois, mais en plus on manque considérablement de temps pour que tu t'entêtes à nous rajouter une charge.
— Pour que JE ?! Tu t'entends parler ? Je, monsieur, comme tu le dis si bien, n'ai pas baisé toute seule et je ne suis pas celle qui a envoyé balader la capote en pensant pouvoir me retirer à temps alors non, Je ne rajoute pas de charge, c'est nous deux qui en sommes responsables et on va assumer.
— et c'est justement ce que tu refuses de faire.
— excuse-moi ?
— tu refuses de te conduire en responsable et tu raisonnes comme si tu vivais dans un monde de Bisounours, bon sang ! Le problème est déjà là et il faut trouver une solution qui soit le mieux pour tous.
— tuer mon bébé est loin d'être le mieux pour lui et moi.
— argh ! Cesse tes enfantillages, tu veux ? Réfléchis un peu comme la fille mature que tu es ! Un enfant ça ne s'élève pas qu'avec de l'amour et de l'eau fraîche ! Ça nécessite beaucoup de temps et d'argent ! Et ça, ni toi ni moi n'en avons, Olivia ! Tu comprends ça ?
— je n'en ai que foutre. Je le garde, un point c'est tout.
Yoahn ferme les yeux en les serrant le plus fort possible et se tirant les cheveux.
Je suis terrifiée par cette grossesse, j'ai moi-même pensé à l'avortement dès l'instant où j'ai su que j'étais enceinte. Je ne suis pas du tout prête à accueillir un enfant, il a raison. Mais ma mère ne l'était pas non plus lorsqu'elle m'a eue et pourtant je suis là, moi. Alors pourquoi ne laisserai-je pas moi aussi à ce petit bout de personne la chance de grandir en moi et de voir le monde un jour ?
— Très bien, alors tu te débrouilleras toute seule, lâche-t-il froidement.
Ces mots m'atteignent en plein cœur comme des dizaines de poignards. Je reste sidérée et ne dis plus un mot, tellement ce que je suis censée comprendre derrière cette phrase est atroce et douloureux.
Des larmes viennent remplir mes grands yeux attristés puis se déversent à flot le long de mes joues jusqu'à mon menton tremblotant. Un sanglot s'échappe du fond de ma gorge tandis que le garçon en face de moi me regarde sans ciller, de la plus insensible des manières.
Alors je quitte la pièce, puis l'appartement, y laissant seul Yoahn et vais – non sans hésiter – toquer à une porte qui ne m'est que trop familière...
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