Insaisissable
Quinze ans plus tard...
— Papa, maman ? Comment vous vous êtes connus ?
Mon regard passe lentement de Molly à son père. C'est étrange qu'elle pose cette question, elle n'a jamais semblé se soucier de notre couple avant. Déjà même étant petite, elle n'aimait pas particulièrement nous voir nous enlacer. Et maintenant que c'est une adolescente, elle s'y intéresse encore moins.
— Alors ?, insiste-t-elle.
— em... enchéris-je, j'ai rencontré ton père lorsque je suis entrée à l'université.
— et directement je suis tombé sous son charme, me coupe le concerné, visiblement très ravi.
— oui, c'est ça, approuvé-je en souriant, un brin gênée.
Ma fille a l'air perplexe. Comme si cette histoire lui tenait soudainement à cœur. Comme si elle cherchait à comprendre quelque chose.
— Mais dis-moi ma chérie, pourquoi cette curiosité soudaine ?
Elle me regarde un instant puis hausse fébrilement les épaules avant de brandir son sac à dos.
— Hum, juste pour savoir.
Elle s'approche rapidement et nous embrasse tous les deux sur la joue avant de nous tourner le dos.
— À ce soir, lâche-t-elle en sortant de la maison.
Une fois que je la sais définitivement partie, je lorgne mon mon mari par dessus la tasse de café que je porte à ma bouche.
— Quoi ?, réagit-il.
— tu lui as parlé de quelque chose ?
— mais non! Comment peux-tu croire une chose pareille ?
— comment tu expliques ce qui vient de se passer, alors ?
— qu'est-ce qui t'arrive, enfin ? Ce n'est qu'une simple question! Une question normale que pratiquement tous les enfants posent un jour à leurs parents. Arrête de voir des drames partout, tu veux ?
— je suis seulement prudente.
— et bien laisse-moi te dire que tu l'es trop ! J'ai comme l'impression que tu ne vis que pour ce secret. Tu es tellement obnubilée par tes fantômes du passé que tu as peur de les voir ressurgir au moindre petit bout de phrase.
Mon cœur et ma gorge se serrent instantanément.
— Okay. Excuse-moi de vouloir le bien de mon enfant.
— non, non, non... Ce n'est pas pour celui de Molly que tu es aussi parano, c'est pour ton propre bien. Enfin, c'est ce que tu crois. Mais sache que tout cela ne fait que te bouffer une énorme partie de ton bonheur. Laisse un peu le passé derrière toi, tu veux ?
— plus facile à dire qu'à faire, grommelé-je avant de quitter la table.
Mon homme ne me suit pas.
Je vais jusqu'à la chambre et m'enferme à l'intérieur.
Un peu comme à chaque fois qu'on se remet ce sujet sous le nez, je vais fouiller dans mon classeur regorgeant de documents de toute sorte et y tire un carnet qui demeure jusqu'à lors, mon plus grand secret: le cahier de dessins de Yoahn.
Et comme à chaque fois, c'est un coup de fouet en pleine figure de le tenir entre mes mains.
Il me manque toujours autant. C'est incroyable.
Je feuillette les pages du bouquin sans vraiment regarder les dessins qui y sont présents. De toute façon je les connais tous par cœur.
Je commence à me perdre dans ma nostalgie lorsque j'entends les verrous de la porte claquer.
Je sursaute, puis range précipitamment toute la paperasse avant de me lever pour aller ouvrir à mon mari.
Les traits de son visage sont fermés et je sens que quelque chose de pas bon se prépare.
— Tu t'es encore enfermée, grogne-t-il.
— je voulais être seule, je réponds doucement en baissant les yeux.
— on en a déjà discuté, Liv. Tu n'as pas le droit de faire ça.
— et moi je t'ai déjà dit que je n'ai plus vingt ans ! Je peux très bien rester seule sans avoir envie de me couper les veines. Toi aussi, oublie un peu le passé !
L'homme souffle bruyamment avant de reprendre son calme.
— Je n'ai pas dit le contraire ma chérie. Seulement, comprends moi, j'ai toujours autant peur de te perdre, peu importe le nombre d'années qui se sont écoulées depuis.
Je me calme à mon tour.
— Je sais, soufflé-je. Ça n'arrivera pas. Laissons tout ça derrière nous une bonne fois pour toute, tu veux ?
— moi je veux bien. Mais toi on ne dirait pas.
Je le dévisage.
— Pourquoi tu dis ça ?
Il me contourne et va s'asseoir sur le lit.
— Je sais Liv, que tu penses toujours à lui... Ce Yoahn.
Mon cœur se met à tambouriner dans ma poitrine à l'instant où il prononce ce prénom que je redoute tant.
— C'est...
— c'est juste pas la peine d'essayer de mentir, me coupe-t-il. Je suis au courant de tout ce que tu caches. Tout de même, tu ne penses pas que je puisse être aussi dupe !
J'abandonne tout de suite l'idée de nier ou de justifier quoi que ce soit. Et puis, il a totalement raison. Je ne parviens toujours pas à passer sur le fait que Yoahn ait disparu comme ça, sans laisser aucune trace ni aucun indice, comme un fugitif de haut rang. Je ne comprends toujours pas ce qui s'est passé à cette époque de ma vie. Je n'arrive toujours pas à savoir à quel moment les choses ont dégénéré.
Ce n'est pas cette vie que j'aurais dû avoir.
Ce n'est pas comme ça que l'histoire était censée se terminer.
Mais pourquoi c'est ainsi ?
Et pourquoi suis-je obligée de l'accepter ?
Je fixe Stéphane dans les yeux.
— Tu as raison.
— mais pourquoi ? Qu'est-ce que je ne te donne pas ? Pourquoi je ne suis jamais assez bien pour mériter entièrement ton amour ? Dis-moi Olivia, pourquoi tu m'as toujours fait autant souffrir ? J'ai tout fait pour toi. Je t'ai aimée alors que tout le monde, y compris toi, te savait au fond du gouffre. Je me suis occupé de Molly sans jamais prendre en compte le fait que je ne suis pas son vrai père. J'ai tout fait pour te rendre heureuse et j'ai réussi. J'ai réussi à te redonner l'envie de te battre pour ton bonheur, pour ta fille, ta famille... Pour ta vie. Et toi, tu me sors ça comme ça, sans aucun scrupule, que tu penses toujours à ton amourette de jeunesse ? Même quinze ans après qu'il ait fui ses responsabilités et t'ait abandonnée comme un vulgaire mouchoir après avoir su que tu attendais un enfant de lui... Après tout ce que j'ai fait pour toi, Liv ? J'hallucine !
À ce moment même, alors que je devrais me sentir mal pour l'homme qui clame m'avoir tant aimée et être désolée de ma soi-disant ingratitude, une horrible pensée traverse mon esprit comme un éclair dans un grand ciel nocturne.
J'avance d'un pas en continuant de fixer mon compagnon, le défiant du regard comme si je m'attendais à ce qu'il craque sous l'influence de mes pupilles.
— Dis-moi Stéphane... Jusqu'où est-ce que tu serais prêt à aller, pour réussir à m'avoir ?
Nos regards s'accrochent l'un à l'autre. Et alors, ce que je lis à cet instant précis dans les yeux de celui avec qui j'ai partagé les quatorze dernières années de ma vie, me terrifie à un point inimaginable. Je me pétrifie surplace alors que je crois deviner la réponse au travers de son silence.
Je ne connais pas cet homme.
Réveillez-moi, je suis en plein cauchemar...
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