Olivia

Tandis que mon cœur semblait être l'hôte d'un concert de batterie, n'en revenant pas que j'ais enfin posé la fameuse question, mon captif cherchait toujours ses mots.

— euh, je... Hem, c'est...

— eh, les tourtereaux, s'écria Mavis. Venez par ici, un peu.

Yoahn s'empressa de suivre la recommandation de sa sœur, fuyant ainsi mon affront. Je me pinçai les lèvres, frustrée.
Nous rejoignimes la sorte de cercle que nos amis avaient formé dans le salon. C'était un peu à l'étroit chez Andie, mais on y avait tous une place quand même. Stéphane prit la parole:

— Je propose... Qu'on joue au jeu de la bouteille. Je suis un peu embarrassé de vous le faire remarquer, mais Armand et moi nous sentons un peu ennuyés pendant que vous êtes tous occupés à picoler en amoureux dans vos coins. Alors, on s'est dit qu'il valait mieux qu'on engage une activité collective.

— et vous vous êtes mis d'accord pour ne rien trouver de mieux que ce jeu pour collégiens ?

— Yoahn, s'indigna Mavis. Arrête de faire ton rabat-joie, tu veux ?

Je vis les éclairs dans les yeux de Steph lorsqu'il dévisagea Yoahn. Mais il reprit très rapidement son souffle.

— pour ceux qui ne connaissent pas les règles du jeu, le principe est simple : quelqu'un va tourner la bouteille vide de bière au centre, là, continua-t-il en désignant l'objet en question. L'arrière de la bouteille désigne le maître ou la maîtresse, et l'avant désigne... Bah j'sais pas, celui ou celle qui va subir. Le maître a le droit de demander n'importe quoi à sa victime, et celle-ci est dans l'obligation de répondre à toutes ses questions, peu importe la difficulté que cela représentera. À défaut de cela, un gage lui sera infligé. Tu veux passer ton tour, gage. Tu veux quitter le jeu, gage. C'est clair pour tous ?

On hocha tous la tête.

— J'ai une question, quand même, lança Trévor.

— ouais ?

— qui est chargé de faire tourner la bouteille ?

— je vais le faire pour le premier tour. Ensuite ça sera aux victimes l'honneur. Après avoir répondu à une question... ou pas, vous devrez le faire.

— bon, trêve de bavardage, commençons, s'impatienta Armand.

Stéphane ne se fit pas prier pour donner le tourni à la bouteille de Heineken au centre de la ronde que nous formions. À la fin de sa course, celle-ci pointa Mavis de son bout circulaire, et désigna Andie comme maîtresse.

— eh, Mavis.

— oui ?

— avec combien de gars t'as déjà couché ?

— un.

Tous, nous mettions à retenir des sourires sous-entendeurs. Certains moins bien que d'autres. Mavis refit tourner la précieuse bouteille. Et cette fois, le duo conflictuel était constitué de Yoahn et Cédric.

— Tu l'as déjà trompée, n'est-ce pas ?

— non, répondit très lentement le copain de ma meilleure amie, ça sentait le louche.

Andie le fixa en plissant les yeux, menaçante. Ce qui nous fit tous rire. Et le jeu continua dans la même bonne humeur.

— combien de branlettes à ton artillerie ?

— zéro.

— mytho.

— bon... J'sais pas... Des centaines ? Ou plus ? Mec, vas-y, j'sais pas...

*
— t'as déjà pété en classe et fait genre t'étais dégoûté comme tout le monde parce que personne ne savait qui c'était ?

— oui.

— dégueu !

*
— est-ce que t'as déjà simulé lors d'un rapport sexuel ?

— non.

*
— avec Mavis, vous utilisez la capote, elle prend la pilule, ou c'est Dieu qui s'en charge ?

— nan, nan, nan, fit Trévor, hilare. J'répondrais pas à ça, donne moi un gage.

Je réussis à lire le soulagement sur les traits de Mavis. En même temps c'est normal, rares sont les filles qui se sentiraient à l'aise si on balançait leur moyen de contraception comme ça.

— Okay... réfléchît Andie. Je vais te demander de nous offrir une belle choré de twerk.

— quoi, sérieusement !

— et qu'ça saute, mon mignon.

Trévor franchît finalement le pas, et se mit à remuer son popotin dans tous les sens. Je pleurais de rire, tellement le spectacle était drôle.

— Allez, à ton tour Liv, prononça Mavis comme si elle se préparait à mettre en œuvre un plan machiavélique. Dis-nous enfin ce qui se passe entre mon cher frère et toi.

— ça fait longtemps qu'on meurt d'envie de savoir, allez.

— ils ne sortent pas ensemble ?

— justement, on ne sait pas. Liv refuse toujours d'en parler.

— et lui aussi.

— je... Euh..., tâtonnai-je. Yoahn et moi... euh, En fait... On est juste...

— en couple. Olivia c'est ma petite copine, énonça Yoahn, aussi serein qu'une araignée dans sa propre toile. C'est encore tout récent et... Vous la connaissez, elle est timide alors elle voulait qu'on garde ça d'abord pour nous.

Mon cœur fit un énorme bond dans ma poitrine. Je ne savais même pas comment réagir à cela.

— Eh ben, c'est pas trop tôt.

— on n'allait quand même pas vous manger, si vous nous disiez...

Andie, qui remarqua mon air décontenancé, fit vite de demander:

— Alors Liv, t'as quelque chose à ajouter ?

Je secouai la tête.

— Non, il dit la vérité.

Je lui souris, et il me rendit la pareille.

— Attendez, mais il se pose quand-même un problème, s'insurgea ma copine. Ce n'est pas Liv qui a répondu.

— c'est vrai ça, ça veut dire que tu me dois un gage, s'excita Mavis à l'idée de m'en faire baver.

Elle me fixa quelques secondes, puis dévia son regard sur son frère avant de continuer :

— Ça me tenterait bien de voir comment vous vous y prenez au lit.

Je manquai de m'étouffer avec ma propre salive, choquée par cette assertion.

— Mais non, j'rigole... On n'est pas dans une maison close ici, reprit-elle dans un fou rire qu'elle contamina à tout le monde sauf à moi. Allez, un petit smack mignon et on passe.

Je m'avançai vers Yoahn, déposai un bisou sur ses lèvres et revins m'asseoir aussi vite que je m'étais levée.

Le jeu continua de plus belle. Puis arriva le tour d'Armand et Yoahn, celui où il lui demanda:

— dis mec, y a Léa, et y a Liv. Laquelle gère le mieux au pieu ?

Et voilà ! Voilà pourquoi c'est toujours gênant de raconter ses déboires amoureux à ses amis.

— Je passe mon tour, décida Yoahn, heureusement pour moi.

— espèce de gros lâche, se moqua son pote.

Mon copain se contenta de hausser les épaules.

— Tu ne t'en sortiras pas comme ça. Et puisque tu me dois un gage, je vais te demander de rouler une pelle à Liv pendant trente secondes non-stop.

— wooh, wooh, s'esclaffèrent mes amis, tous excités, sauf Stéphane dont les traits du visage avaient commencé à se décomposer.

Yoahn ne se fit pas attendre, et se jeta sur moi comme s'il attendait le signal pour le faire depuis plusieurs heures.
Je me raidis, embarrassée que cela se fasse devant tous nos amis. Mais Yoahn semblait n'en avoir rien à faire. Il insistait, il persistait, et sa langue finît par se frayer un chemin jusqu'à la mienne. Elle vint à sa rencontre, fit sa connaissance, la côtoya, la caressa. Il posa une main sur ma hanche, ce qui me fit simultanément frissonner. Étrangement, j'arrivai à me détendre. Je lui rendis son étreinte, agrippai son cou d'une main, le collai encore plus à moi. Je sentis ses muscles se contracter sur ma peau lorsque mon autre main se posa sur son torse. Je n'arrêtais plus de l'embrasser, et lui non plus ne semblait pas prêt de s'en fatiguer. Je suffoquai.

— Chaud, s'exclama Armand.

— hep hep hep, formula Andie, ce qui nous fit vite se détacher l'un de l'autre. Y a encore des enfants parmi nous, donc... Si vous avez besoin d'une chambre c'est tout droit au bout du couloir, personne viendra vous déranger.

Les autres rigolèrent. Et Yoahn retourna s'asseoir comme si de rien n'était.

— Et le jeu continue !

Non. Le jeu ne continuerait pas. Il s'était arrêté au moment même où ce garçon avait posé ses lèvres sur moi. Je ne pouvais plus réagir, ni même réfléchir normalement. Non, parce que mon état était tout sauf celui d'une personne normale, là. J'essayais de concentrer mon énergie ailleurs, de penser à autre chose, mais je n'y arrivais plus. Tout ne me ramenait qu'à ses lèvres, sa langue, ses mains... Et ses yeux à l'intérieur desquels brûlait désormais la flamme incandescente du désir.

Deux heures ? Trois ? Impossible de savoir le temps qui s'est réellement écoulé avant que tout le monde commence à se fatiguer et que Yoahn propose de me raccompagner.
Et ni une ni deux, nous voilà dans son appartement, les pensées en délire et les sens en feu...