Chapitre 8

Sous le choc de la nouvelle, Ladybug vacilla. Elle posa un pied en arrière, puis un autre, tanguant comme si les quelques mots de son coéquipier avaient fait se dérober le sol sous elle.

« Q-Quoi ? M-Mais... Ce n'est pas possible », balbutia-t-elle, les pupilles de ses immenses yeux bleus dilatés de surprise. « Il ne peut pas y avoir de Ladybug sans Chat Noir. »

« Effectivement », approuva le jeune homme.

Il laissa passer un instant de silence pour laisser à sa coéquipière le temps de s'imprégner de son annonce, avant de reprendre doucement le fil de son discours.

« Il ne peut pas y avoir de Ladybug sans Chat Noir, et c'est pour ça que tu auras un nouveau partenaire », poursuivit-il avec un sourire qui se voulait rassurant. « Ton vrai partenaire. Celui avec lequel tu étais sensée travailler depuis le début. Moi, je n'étais là que pour assurer l'intérim », précisa-t-il devant le regard perplexe que lui lança la jeune fille. « J'aurai dû prendre ma retraite en même temps que la première Ladybug, mais celui qui devait me remplacer ne pouvait pas reprendre tout de suite mon rôle. Mais là, c'est enfin bon. Ton véritable coéquipier va pouvoir prendre la relève et tu t'en sortiras beaucoup mieux avec lui qu'avec moi. »

« On fait une bonne équipe », rétorqua farouchement Ladybug, menton relevé en avant en un geste de défi.

Au vu de la lividité de son visage, visible en dépit de son masque, la jeune fille était toujours sous le choc de l'annonce de Chat Noir. Mais il en fallait manifestement plus que ça pour mettre à mal son sens inflexible de la loyauté.

« Et bien, tu en feras une encore meilleure avec mon remplaçant », répliqua Chat Noir avec un petit sourire. « Je te l'assure », affirma-t-il devant l'expression dubitative de sa coéquipière. « Maître Fu ne se trompe pas pour ce genre de choses. »

Ladybug secoua légèrement la tête, comme si ce simple geste allait remettre mécaniquement en place ses pensées chamboulées par la déclaration de son partenaire. Visiblement, elle peinait encore à assimiler l'idée que leur duo s'apprêtait à se séparer.

Mais une lueur déterminée apparut rapidement dans ses immenses yeux bleus, prouvant à Chat Noir qu'elle était déjà en train de commencer à aller de l'avant. De se mettre à imaginer un avenir sans lui à ses côtés, de réfléchir à tout ce qu'impliquerait son absence et l'arrivée d'un nouveau venu. Malgré lui, le jeune homme ne put s'empêcher de ressentir une pointe de fierté devant la réaction de sa coéquipière.

Cette fille savait s'adapter.

Et surtout, l'attitude de Ladybug rassurait Chat Noir. Car héros en intérim ou pas, le jeune homme ne s'en était pas moins attaché à sa partenaire. Il avait beau savoir que le Grand Gardien prendrait toujours les meilleures décisions possibles pour l'héroïne de Paris, il pouvait s'empêcher de s'inquiéter pour elle et pour ce qu'elle allait devenir sans lui à ses côtés.

Ladybug saurait s'en sortir sans lui, Chat Noir en avait désormais certitude.

Et c'est tout ce qui importait à ses yeux.

« C-C'est juste... C'est tellement soudain... », souffla finalement Ladybug d'une voix à peine audible, ramenant brusquement son partenaire à la réalité. « Enfin, je savais que tu voulais arrêter, mais... Mais pas forcément maintenant », conclut-elle en levant la main en un geste d'impuissance.

« Je ne l'ai appris qu'il y a quelques jours », lui confia Chat Noir. « Mais j'étais régulièrement en contact avec Maître Fu à ce sujet, j'aurai sûrement dû te le dire », concéda-t-il en lui jetant un regard d'excuse.

Un moment de silence s'installa entre les deux héros, chacun repensant à ce qu'il venait de se passer. En dépit du masque qui dissimulait ses traits, Chat Noir vit mille expressions traverser le visage de Ladybug à mesure que cette dernière réfléchissait aux derniers évènements. Stupéfaction, inquiétude, détermination.

Et tout à coup, à sa grande horreur, les yeux de la jeune fille se baignèrent de larmes.

« Donc... On ne se reverra plus ? », lança-t-elle d'une voix tremblante. « Plus jamais ? »

Un brusque élan de panique s'empara de Chat Noir.

Pas de larmes, non. Non, non, non. Il n'était pas doué pour gérer ça. D'ordinaire, c'étaient ses coéquipières qui s'occupaient de réconforter les victimes du Papillon et autres parisiens en perdition. Lui n'était bon qu'à empirer la situation, à effrayer les gens un peu plus ou à recevoir au mieux une indifférence polie devant ses piètres tentatives d'encouragement.

Pire encore, la détresse évidente de Ladybug ravivait en Chat Noir les émotions qu'il avait jusque-là réussi à maintenir à l'écart. Elle s'attaquait à lui sans vergogne, s'enroulait autour de son torse tel un reptile pour mieux comprimer ses poumons, résonnait dans son cœur comme un écho. La gorge nouée, Chat Noir déglutit péniblement, avec pour seul résultat la sensation d'une pierre qui tomberait lourdement au fond de son estomac.

Chat Noir prit une profonde inspiration pour chasser ce brusque afflux de sensations importunes.

Une fois qu'il sentit revenir son calme, il posa les yeux sur sa coéquipière. Ladybug tentait clairement de faire bonne figure, mais son regard brillant et ses poings serrés trahissaient son désarroi.

Un léger soupir s'échappa des lèvres de Chat Noir.

Le jeune homme avait certes gardé contact avec sa précédente coéquipière, mais n'avait initialement pas prévu de le faire avec l'actuelle. Il était en train d'aller de l'avant, vers une nouvelle vie où cette Ladybug n'avait plus sa place.

Et surtout, il devait impérativement disparaître de l'existence de cette adolescente qui allait devoir continuer à protéger Paris sans son aide. Cette fille était vive et intelligente. Elle était à présent une héroïne accomplie et avait prouvé à maintes reprises qu'elle se passait désormais parfaitement de ses conseils. Chat Noir ne pouvait pas se permettre de courir le risque qu'elle s'attache à leur ancien duo, au risque de mettre en péril celui qu'elle allait devoir construire avec son successeur.

Le plus raisonnable serait que leurs chemins se séparent définitivement, Chat Noir en avait parfaitement conscience. Ladybug ne serait que plus forte comme ça, et lui serait enfin totalement libéré de son ancienne vie.

Mais une part de lui-même ne pouvait se résoudre à abandonner complètement cette fille aux cotés de laquelle il s'était battu depuis presque un an.

Le héros sentit un sourire ironique tordre son visage. Il n'était pas du genre à s'attacher facilement, mais rien de tel que le feu du combat pour forger des liens indéfectibles.

La décision du jeune homme fut prise en une fraction de seconde.

Passant son bras derrière son dos, il chercha son bâton à tâtons avant de le sortir d'un geste fluide. Il l'ouvrit pour accéder au système de communication qui y était intégré, tapa sur quelques touches et referma vivement l'appareil.

Presque aussitôt, un léger bip s'éleva depuis le yo-yo de Ladybug. La jeune fille jeta un coup d'œil interrogateur à Chat Noir, qui hocha brièvement la tête pour l'encourager à consulter le message qu'il venait de lui envoyer. L'héroïne s'exécuta aussitôt et ouvrit son yo-yo, pour y découvrir un lien vers une application et l'identifiant d'un utilisateur.

« Ce nom de contact, c'est le mien », lui expliqua Chat Noir. « Je me suis inscrit sous de fausses coordonnées alors ça ne te permettra pas de savoir qui je suis. Mais quand tu en auras toi aussi fini avec toutes ces histoires de héros, et UNIQUEMENT quand ça sera le cas, je t'autorise à essayer de me contacter. »

Alors que Ladybug levait vers lui un regard emplit d'incrédulité, Chat Noir se fendit d'un sourire malicieux.

« Ce n'est pas un adieu, mais un au revoir », précisa le jeune homme en raccrochant son bâton dans son dos. « Mais que les choses soient bien claires », reprit-il ensuite. « J'en ai fini avec tout ce qui est super-héros et compagnie. Ce qui veut dire que je ne lirai aucun de tes messages tant que je saurais que tu es encore en activité. Ça », poursuivit-il en tapotant légèrement l'écran de sa coéquipière, « c'est pour après. Pour si jamais tu as envie de me retrouver une fois que tu ne seras plus Ladybug. Mais pour ce qui est de ta vie d'héroïne, il faudra que tu te débrouilles sans moi. »

Manifestement trop touchée par le geste de son partenaire pour réussir à articuler le moindre mot, Ladybug hocha fébrilement la tête. Puis, sans le moindre signe avant-coureur, elle se jeta dans les bras de Chat Noir. Déséquilibré, le jeune homme manqua de tomber à terre, n'évitant la chute que grâce à la force avec laquelle sa coéquipière le serrait contre son cœur.

Mains passées autour de lui, la jeune fille l'étreignait avec autant de force que si elle craignait qu'une puissance invisible ne l'arrache brutalement du sol.

« Merci, Chat Noir », articula-t-elle péniblement, le visage dissimulé contre le torse de son coéquipier. « Pour tout ce que tu as fait. Merci. »

Luttant contre son instinct qui lui hurlait de se dégager d'elle et de fuir ces démonstrations physiques qui le mettaient toujours mal à l'aise, Chat Noir prit une profonde inspiration.

« Ne t'inquiète pas, gamine, tu vas très bien t'en sortir », répliqua-t-il enfin, tout en tendant la main vers elle pour lui donner une petite tape affectueuse sur le sommet du crâne.

« Je ne suis pas une gamine », rétorqua Ladybug d'une voix émue.

Et pour la première fois depuis de longues et douloureuses minutes, Chat Noir se sentit soudain merveilleusement léger.

Tout irait bien.





Lorsqu'il regagna enfin son domicile, Félix se laissa tomber lourdement sur son lit. Le jeune homme se sentait vidé émotionnellement. Il avait l'impression que son cerveau avait été haché méticuleusement avant d'être remit dans sa boite crânienne, que la pesanteur avait triplé d'intensité pour clouer son corps à terre, et que son être tout entier avait à présent besoin d'autant de repos que s'il venait de combattre des heures durant sans même une seconde de pause.

Si cette sensation n'était pas totalement inconnue à Félix, elle lui était néanmoins suffisamment déplaisante pour qu'il n'ait guère envie de réitérer l'expérience. Etouffant un grognement contrarié, le jeune homme se passa lentement les mains sur le visage.

Bientôt, tout cela serait fini.





A peine une heure plus tard, Nathalie frappait délicatement à la porte de la chambre de Félix, avant d'annoncer à ce dernier qu'un visiteur l'attendait dans l'entrée de la maison. N'ayant pas le moindre doute quant à l'identité de celui venu le voir, le jeune homme se leva sans même prendre la peine de poser la moindre question à son interlocutrice.

« Très bien, j'arrive », lança-t-il en emboîtant le pas à l'assistante de son père.

Alors qu'il progressait dans l'un des immenses couloirs de sa vaste demeure, Félix ne put s'empêcher de laisser échapper un soupir de soulagement. L'impression d'épuisement mental qu'il avait ressenti au moment de quitter sa coéquipière s'était désormais dissipée, laissant place à un calme presque surprenant. Félix se tenait à présent à un tournant de son existence et pourtant, jamais il ne s'était senti aussi serein.

Il était prêt.

Il avait déjà fait ses adieux à Plagg, à Ladybug, à son ancienne vie.

Ne lui restait plus qu'à rendre son miraculous.





Quelques marches d'escalier plus tard, Félix se retrouvait face à Maître Fu.

« Bonjour, Félix », le salua le vieil homme avec un large sourire. « Je pense que tu m'attendais ? »

« Oui », approuva son interlocuteur. « Venez, suivez-moi », lui lança-t-il avec un bref geste de la main.

Félix guida le Grand Gardien jusqu'à la bibliothèque familiale, là où ils seraient tous deux assurés de ne pas être dérangés. A cette heure de la journée, Adrien était à l'un de ces nombreux cours particuliers auxquels leur père avait tenu à l'inscrire, tandis que leur illustre géniteur se trouvait encore à son travail. Personne ne devrait venir les interrompre.

Sans dire un mot, Félix leva sa main devant son visage. Il agita négligemment ses doigts dans les airs, faisant jouer les rayons de soleil de cette belle fin d'après-midi sur sa bague. Le métal argenté étincelait sous ses yeux, capturant la moindre lueur et la faisant glisser sur les formes rondes du joyau avec autant de fluidité que s'il s'était agit de lumière liquide.

« Bien », lança brusquement Félix en se tournant vers son visiteur. « Le moment est venu. »

« Oui », approuva sentencieusement Maître Fu.

Lentement, presque révérencieusement, Félix ôta cet anneau qui n'avait jamais quitté son doigt ces dernières années et le tendit au Grand Gardien. Mais à sa grande surprise, le vieil homme n'esquissa pas le moindre geste pour s'emparer du précieux bijou.

« A vrai dire », lui annonça Maître Fu, « j'aurai une dernière requête à te faire. »

Passé un bref instant de surprise, Félix sentit une sourde colère gronder en lui. Après tous ces sacrifices, après ces interminables mois d'attente, le Grand Gardien osait lui en demander encore plus ?

« Quoi encore ? », répliqua-t-il, main toujours tendue vers le vieil homme.

« Et bien, j'aimerai que ce soit toi qui remette cette bague au futur Chat Noir », lui expliqua posément son visiteur. « Si tu le veux bien. »

« Je ne vois pas en quoi ça me regarde », répliqua Félix d'un ton sec. « C'est à vous de faire ce genre de choses, non ? Pour autant que je sache, c'est vous qui vous êtes débrouillé pour donner ses boucles d'oreilles à la Ladybug actuelle. Et à l'ancienne aussi j'imagine. Pourquoi les choses seraient différentes cette fois-ci ? »

« Tu connais celui qui doit prendre ta relève », rétorqua Maître Fu en lui jetant un coup d'oeil perçant.

Félix sentit aussitôt un désagréable frisson lui traverser l'échine.

Jusqu'à ce point de la conversation, il n'avait ressenti rien d'autre qu'une merveilleuse impression de calme – bien que teintée d'un léger agacement. Mais l'attitude étrange du Grand Gardien lui paraissait de très mauvais augure. Et ce d'autant plus qu'au vu de l'expression contrite du vieil homme, ce dernier s'attendait clairement à que l'annonce de son successeur ne lui plaise guère.

« Qui est-ce ? », s'entendit-il dire d'une voix qui résonna curieusement à ses oreilles.

La réponse de Maître Fu fut immédiate.

« Adrien. »





Pétrifié de surprise autant que d'horreur, Félix resta un instant incapable de prononcer le moindre de mot.

Adrien.

Il ne connaissait qu'une seule et unique personne répondant à ce prénom. Adrien Agreste. Son jeune frère. Le dernier être au monde qu'il souhaitait voir se mettre en danger.

« C'est une blague ? », articula-t-il avec incrédulité.

« J'ai bien peur que non », répliqua le Grand Gardien en lui jetant un regard d'excuse. « Ton frère est le futur héros de Paris. »

Félix n'était pas un jeune homme aux colères explosives. Loin d'avoir des allures de tempêtes, ses mouvements d'humeur étaient des rages glaciales, de celles qui semblent chasser toute chaleur à des mètres à la ronde. Affronter le courroux de Félix, c'était faire face à un blizzard implacable qu'aucun geste ni aucune parole ne pouvait dégeler aisément.

Se redressant de toute sa hauteur, le jeune homme braqua sur le Grand Gardien un regard aussi dur et froid que des pierres.

« Hors de question », gronda-t-il en refermant instinctivement son poing autour de son miraculous. « Trouvez quelqu'un d'autre. »

« Les choses sont loin d'être aussi simples », soupira Maître Fu. « Les miraculous sont des artefacts d'une puissance extraordinaire et rares sont ceux à qui on peut les confier sans aucune crainte. »

« Alors oubliez ce que je vous ai dit à propos de rendre mon miraculous, je reste Chat Noir », assena le jeune homme en resserrant si fort sa main autour du précieux bijou que les jointures de ses doigts en blanchirent. « Mais laissez Adrien en dehors de ça ! »

Maître Fu jeta à Félix un regard compatissant qui fit aussitôt grincer des dents au jeune homme. Il avait toujours eu horreur d'inspirer de la pitié à qui que ce soit, et ce peu importe les circonstances.

« Félix...», reprit enfin le Grand Gardien. « Tu es un bon Chat Noir. Un très bon, même. Mais Adrien sera un grand Chat Noir. Il est fait pour ça, je te l'assure. J'ai vu de nombreux héros porter ce miraculous et personne n'a jamais eu son potentiel. »

« Il a à peine seize ans. Seize. Ans. », martela Félix avec une exaspération évidente. « Vous ne pouvez pas lui demander ça. »

« Tu n'étais pas beaucoup plus âgé le jour où tu as reçu ton miraculous », objecta Maitre Fu. « Sans compter le fait que ta coéquipière actuelle était plus jeune encore, et tu ne peux pas nier qu'elle s'en sort remarquablement bien. »

Pour toute réponse, le jeune héros laissa échapper un grognement irrité.

« Félix... Je comprends ton sentiment », poursuivit le Grand Gardien d'une voix qui se voulait apaisante. « C'est très noble de ta part de vouloir garder Adrien à l'abri du danger, mais tu ne pourras pas le protéger pour toujours. »

« Il y a une différence entre protéger quelqu'un et lui faire risquer volontairement sa vie », gronda Félix, tout repassant possessivement son miraculous à son doigt. « Je suis particulièrement bien placé pour savoir à quoi il s'exposerait en récupérant cette bague. Les combats, le danger, la peur que le Papillon ne finisse par s'en prendre à tous ceux auquel il tient... Je ne veux pas de ça pour mon frère. »

« Tu voudrais faire quoi ? », lança Maître Fu en haussant un sourcil circonspect. « L'enfermer dans sa chambre et l'empêcher d'exploiter son potentiel ? »

« ça me paraîtrait moins absurde », répliqua Félix d'une voix polaire.

« Et ça ne te rappellerai pas quelqu'un ? »

Félix pâlit brusquement, aussi choqué que si le Grand Gardien l'avait giflé.

Si.

Si, ça ne lui rappelait que trop bien quelqu'un.

Son père.

« Adrien est fait pour être un héros », reprit Maître Fu d'une voix douce. « Et il sera le plus grand Chat Noir qui ait jamais existé. Tu peux parfaitement l'ignorer si tu le souhaites. Tu peux aller à l'encontre de ce à quoi il est destiné et tenter de le préserver de tout, comme tente de le faire votre père », ajouta-t-il en ignorant royalement le coup d'œil assassin que lui jeta Félix. « Mais tu peux choisir de l'aider. De lui apprendre tout ce que tu sais pour qu'il soit parfaitement préparé au rôle qu'il aura désormais à jouer. »

Préférant ne pas répondre, Félix laissa passer un instant de silence. Une sourde migraine commençait à pulser sous son crâne, donnant à toute tentative de réflexion des allures de défi incommensurable. Il avait l'impression d'avoir le cerveau au bord de l'explosion et le cœur sur le point d'éclater.

Adrien. Chat Noir. C'était trop, beaucoup trop.

Levant instinctivement ses doigts de part et d'autre de son visage pour se masser les tempes, Félix prit une profonde inspiration.

Puis une autre, et encore une autre, cherchant à chasser cette douleur qui lui donnait l'impression que sa boîte crânienne allait se fendre en deux.

« Pourquoi me dire tout ça ? », reprit-il finalement, tout laissant retomber ses bras le long de son corps. « Pourquoi me demander de lui donner la bague ? D'habitude, vous êtes le premier à faire des mystères à propos de tout. »

« C'est vrai », approuva Maître Fu. « Mais il s'agit d'une situation particulière et j'aime autant anticiper l'inévitable. Je ne ferai pas insulte à ton intelligence en prétendant qu'il y a ne serait-ce qu'une chance pour que tu ne devines pas le nouveau rôle d'Adrien en moins de trois semaines. »

Ignorant le soupir exaspéré que Félix ne tenta même pas de retenir, le Grand Gardien se redressa légèrement.

« Alors », poursuivit-il en plongeant ses yeux dans ceux du jeune homme. « Est-ce que nous sommes d'accord ? »

Félix lui jeta un regard noir. Puis, machinalement, il passa un doigt derrière son col pour desserrer sa cravate, comme s'il s'attendait à ce que chaque mot qu'il allait désormais prononcer ne lui arrache la gorge.

« Nous sommes d'accord. »





Lorsque Félix regagna enfin sa chambre, il se dirigea droit vers sa salle de bain. Penché sur son lavabo, il se passa de l'eau froide sur le visage durant de longues minutes, tout en prenant de profondes inspirations pour se forcer à conserver son calme.

Quand il se redressa enfin, ce fut pour apercevoir son reflet dans la glace. Son visage était livide, ses traits tirés, ses yeux encore écarquillés d'horreur. Si Plagg lui avait déjà trouvé une tête à faire peur, celle-ci battait sans nul doute tous les records.

« Et bien, on dirait que je vais finalement être dans les parages pendant encore un petit moment », ricana son kwami en voletant près de lui. « On va être voisins de chambre. »

« Plagg, tais-toi », répliqua Félix d'un ton acide. « Je ne suis pas d'humeur. »

« Oh, ça va », ronchonna le petit être en laissant échapper un reniflement contrarié. « J'essayai juste de détendre un peu la situation. »

« Tu sauras que tu n'es pas très doué pour ça », rétorqua Félix sans même prendre la peine de lever les yeux vers Plagg.

« C'est plutôt toi qui n'est pas très réceptif », s'offusqua son kwami.

« Plagg. Silence. »





Il fallut encore deux bonnes heures à Félix pour reprendre ses esprits et pour trouver le courage d'aller voir Adrien. Malgré ces interminables minutes passées à ressasser les récents évènements, il ignorait encore comment aborder le sujet crucial de son miraculous au moment où il entrait dans la chambre de son frère.

Et si Félix espérait avoir encore quelques minutes de répit, ses espoirs furent bien vite déçus.

Peut-être n'était-il finalement pas aussi doué pour dissimuler ses émotions qu'il ne le pensait. Peut-être qu'Adrien le connaissait si bien qu'il arrivait à deviner instinctivement ses changements d'humeur. Mais toujours est-il que son frère n'eut besoin que d'une poignée de secondes pour deviner qu'il se passait quelque chose d'anormal.

« Tout va bien ? », lui demanda Adrien en le voyant arriver.

Il fallut à Félix tout le sang-froid du monde pour réussir à retenir le rire nerveux qui ne demandait qu'à jaillir de sa gorge.

Non, tout n'allait pas bien. Il s'apprêtait à précipiter celui auquel il tenait le plus au monde dans une mer de danger, un océan de périls, et pire encore peut-être.

« Félix ? », insista Adrien, avant de s'approcher de lui en le dévisageant d'un air inquiet.

« Il faut qu'on parle », articula péniblement le jeune homme. « J'ai des choses à te dire et je... »

Félix s'interrompit brusquement, ignorant comment continuer. L'annonce qu'il s'apprêtait à faire à son frère aurait demandé d'y mettre les formes, mais le tact et la délicatesse n'avaient jamais été son fort.

De plus en plus inquiet, Adrien se pencha vers lui et posa une main soucieuse sur son épaule.

« Félix, qu'est-ce qu'il se passe ? », murmura-t-il d'une voix à peine audible.

Renonçant à continuer à perdre plus de temps, Félix prit profonde inspiration et plongea son regard dans les yeux verts de son jeune frère.

« Je suis Chat Noir. »

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