Chapitre 22

Paralysée de terreur, Marinette resta un le regard rivé sur l'homme qui se tenait à présent debout dans l'encadrement de la porte. La panique la figeait aussi sûrement que si elle avait été soudain traversée par une violente décharge électrique, l'empêchant aussi bien d'agir que de réfléchir. Elle tétanisait ses muscles, court-circuitait ses neurones, courrait le long de sa peau en une horrible onde de frayeur.

Marinette se sentait au bord du malaise.

Elle n'avait même pas encore eu le temps de se faire au choc de la découverte de l'identité de Chat Noir qu'elle devait déjà affronter une nouvelle épreuve.

Cet homme venait de les surprendre Chat Noir et elle en pleine détransformation.

Au moment où ils étaient les plus vulnérables.

Au moment où plus rien ne protégeait leurs identités.

Au pire moment possible.

Au milieu de son affolement, Marinette tentait désespérément d'analyser les faits. De penser, de réfléchir, de chercher comment endiguer les désastreuses conséquences qu'entrainerait certainement cette situation catastrophique.

Les choses auraient cependant pu être bien pires, tenta-t-elle de se consoler dans un élan d'optimisme artificiel auquel elle ne croyait guère. Dans leur malheur, Adrien et elle avaient au moins eu la chance de ne pas avoir été surpris par le super-vilain. Marinette ignorait qui pouvait bien être cet homme blond qui avait surgit dans la pièce. Il était clairement trop âgé pour être un élève, mais très certainement trop jeune aussi pour être un professeur. Un stagiaire peut-être ? Un nouveau surveillant ? Peu importe.

Il les avait suivis, il les avait vus.

C'était tout ce que Marinette avait besoin de savoir.




La jeune fille sentait une migraine aussi violente que fulgurante pulser entre ses tempes. La part lucide de son cerveau tentait désespérément de prendre les commandes. De lutter contre la tempête qui se déchaînait sous son crâne.

La situation était catastrophique, mais elle avait encore une chance de limiter les dégâts.

Tournée comme elle l'était vers l'entrée de la pièce, Marinette offrait à l'inconnu une vue parfaite sur son visage. En revanche, pour Adrien, c'était une toute autre histoire. Le jeune homme se trouvait pour le moment allongé sous sa coéquipière, qui faisait parfaitement office d'écran entre lui et le nouveau venu. Dans une telle position, impossible pour quiconque resterait dans l'encadrement de la porte d'apercevoir les traits du héros.

Marinette n'hésita pas un instant.

Sa propre identité était clairement compromise, mais elle pouvait encore préserver le secret de son partenaire.

Marinette baissa les yeux vers Adrien, tentant de lui faire comprendre par un bref échange de regard qu'il devait impérativement rester immobile. Puis, serrant les poings pour dissimuler le violent tremblement de ses mains, elle se mit debout. Lentement, prudemment, prenant mille précautions pour que son corps continue de faire obstacle entre Adrien et l'inconnu.

Toujours à l'entrée de la salle, Félix regarda Marinette se placer défensivement Adrien. Se mettre d'elle-même en première ligne, dans le but évident de préserver le secret de son coéquipier.

Un sourire approbateur se dessina sur les lèvres de l'ancien héros.

Cette fille avait définitivement du cran.

« Ecoutez », lui lança Marinette d'une voix blanche, tout en avançant d'un pas vers lui. « Qui que vous soyez et quoi que vous ayez vu ici, je vais vous demander de sortir et de faire comme si rien ne s'était passé. C'est important. Très important. Il en va de votre sécurité et de... »

La jeune fille s'interrompit soudain en sentant une main se poser doucement sur son épaule.

Adrien s'était levé sans qu'elle ne le réalise et se tenait à présent debout à ses côtés.

« C'est bon, Marinette », intervint-il en lui adressant un sourire réconfortant. « Tu n'as pas à t'inquiéter pour moi, il sait déjà que je suis Chat Noir », poursuivit-il en désignant l'autre garçon d'un geste du menton. « C'est mon frère. »

Marinette laissa échapper un hoquet de surprise.

« T-ton frère ? », balbutia-t-elle, stupéfaite.

« Félix », se présenta nonchalamment le jeune homme. « Content de te revoir, gamine », ajouta-t-il, une lueur malicieuse étincelant au fond de ses prunelles. « Ça faisait longtemps. »

Marinette le fixa sans réussir à articuler le moindre mot, les yeux ronds comme des soucoupes.

En cet instant précis, elle n'aurait pas été plus sidérée si la foudre était tombée sur elle.

« Gamine ».

Impossible.

C'était absolument impossible.

Mais cette voix familière, ce visage, et surtout ces quelques paroles qui ne laissaient guère de place au doute...

« Chat Noir ? », s'exclama-t-elle d'une voix suraiguë. « L-L'autre Chat Noir ? Celui d'avant Adrien ? »

« Précisément », approuva Félix avec l'un de ces sourires ironiques qu'elle ne lui connaissait que trop bien.

Péniblement sortie de son état de stupeur par une Tikki affamée, Marinette tendit machinalement un cookie à son kwami. De son côté, son coéquipier ne perdit guère de temps lui non plus pour sortir un morceau de camembert à l'attention de Plagg.

Alors que son kwami se jetait goulûment sur le fromage, Adrien se tourna vers son frère.

« Mais qu'est-ce que tu fais là ? », lui demanda-t-il en haussant un sourcil intrigué.

« J'étais inquiet », répliqua Félix avec le plus grand flegme. « Quand j'ai appris qu'il y avait une attaque et que Ladybug et Chat Noir ne se montraient pas, je me suis dit qu'il y avait peut-être un problème. Je savais qu'à cette heure il y avait de grandes chances que vous soyez à votre lycée, du coup j'ai décidé de venir voir moi-même ce qu'il se passait. Et me voilà », conclut-il avec un haussement d'épaule.

« 'Vous' ? », releva Marinette, les pupilles dilatées de surprise. « Tu... Tu veux dire que tu es venu ici en sachant que tu nous trouverais... tous les deux ? »

Sous le regard stupéfait d'Adrien, Félix approuva d'un bref signe de tête.

Le jeune héros en croyait à peine ses oreilles.

« Donc tu... tu SAVAIS ? », balbutia-t-il d'une voix un peu plus aigüe qu'il ne l'aurait souhaité. « Tu savais que Marinette était Ladybug ? »

« Depuis le jour où je l'ai aperçue chez nous », confirma son aîné avec un petit sourire sardonique. « La ressemblance entre vous et vos alter-egos est tellement évidente, j'ai du mal à croire que vous ne vous en soyez pas rendus compte avant », assena-t-il impitoyablement, tandis que Marinette et Adrien avaient tous deux la bonne grâce de rougir. « Sincèrement, vous n'imaginez pas à quel point c'était embarrassant de voir à quel point vous étiez aveugles. »

« Félix... », gémit Adrien en se passant honteusement la main sur le visage.

Le héros sentait la peau de ses joues et de ses oreilles se réchauffer sensiblement, signe indéniable qu'il continuait de s'empourprer sous le regard goguenard de son frère. Si ce dernier poursuivait son discours, nul doute qu'Adrien se consumerait de gêne avant d'avoir le temps de s'éclipser sous l'apparence de Chat Noir.

Mais au grand soulagement de l'adolescent, Félix sembla prendre son embarras en pitié et décida d'interrompre là sa tirade. Adrien se sentit envahit par une gigantesque bouffée de reconnaissance quand son frère haussa les épaules en signe de reddition, non sans rougir une dernière fois quand son aîné lui jeta un regard incisif lui signifiant qu'il aurait pu lui faire payer bien plus chèrement ces heures passées à supporter ses discours enflammés sur sa partenaire.

Toujours debout aux côtés d'Adrien, Marinette fixait obstinément la poignée de la porte. Tout plutôt que d'apercevoir le sourire narquois de Félix ou de croiser le regard honteux d'Adrien.

La jeune fille se sentait curieusement détachée de son corps, comme si ce trop-plein d'informations avait fini par chasser son esprit en-dehors de sa propre boîte crânienne.

Adrien.

Son frère, Félix.

Chat Noir.

L'autre Chat Noir.

C'était trop, beaucoup trop d'informations à digérer d'un coup.

Le cerveau de Marinette l'avait exclue de ses propres pensées un ultime souci de sauvegarde, lui faisant expérimenter une étrange sensation de dissociation. Ce n'était certainement que provisoire, bien sûr. Juste le temps d'assimiler ces extraordinaires informations. Juste le temps de se faire à cette nouvelle réalité.

Au milieu de cette compartimentation insolite que subissait Marinette, une part d'elle-même restait étonnamment lucide, analysant les faits avec un sang-froid surprenant.

A présent qu'elle se trouvait face à la vérité, la jeune fille devait admettre que son ancien partenaire n'avait pas tort en ce qui concernait Adrien. Elle aurait dû comprendre. Elle aurait dû savoir. Ces deux garçons si chers à son cœur étaient bien trop semblables pour que l'évidence puisse être niée ne serait-ce qu'une fraction de seconde de plus.

Les mêmes yeux, la même voix, la même silhouette.

La même gentillesse.

La même compassion.

Le même courage.

Chat Noir, Adrien.

Un seul et même garçon.

Soudain, un cri perçant déchira les airs, faisant sursauter violemment les trois jeunes gens. Après sa perturbante impression de dissociation, Marinette expérimenta un retour dans son propre corps si brutal qu'elle en aurait eu le vertige si son cerveau ne s'était pas aussitôt cristallisé sur ce hurlement.

C'était plus qu'un cri.

C'était un rappel à la réalité aussi rude qu'une douche froide.

Un super-vilain rodait dehors et peu importaient toutes les préoccupations que pouvait avoir Marinette.

Elle était Ladybug, avec ou sans le masque.

Elle ne pouvait rester les bras croisés.

« Je vais voir ce qu'il se passe ! », s'exclama-t-elle en bondissant hors de la pièce.

« Marinette, attend ! », s'écria Adrien, tendant en vain la main vers elle. « Tu ne... »

Mais sa partenaire avait déjà disparu.

Les deux frères échangèrent un regard résigné, haussèrent les épaules avec une parfaite harmonie, puis s'élancèrent à la poursuite de la jeune fille.




Marinette courrait dans les couloirs à toutes jambes à la recherche du vilain.

Son cœur battait à tout rompre sous les effets combinés des décharges d'adrénaline qui déferlaient dans ses veines et des multiples émotions qui se déchaînaient au creux de sa poitrine. Jamais Marinette n'avait ressenti un tel sentiment d'urgence au cours d'un combat. Jamais elle n'avait éprouvé des sentiments d'une telle intensité et d'une telle complexité.

Le choc de la découverte de la double identité d'Adrien.

L'abandon de son propre secret pour sauver son coéquipier.

Les retrouvailles inattendues avec son ancien partenaire.

La peur de perdre Chat Noir dans ce terrible combat.

L'angoisse face à ce vilain des plus redoutables.

La volonté de remporter cette bataille malgré tout.

La stupeur, la joie, la crainte, la détermination, le soulagement, l'espoir...

Tellement, tellement d'émotions que Marinette ne savait plus quoi penser. Il semblait à la jeune fille que ses sentiments s'exacerbaient de seconde en seconde, s'enchevêtraient les uns aux autres pour former une masse grouillante et bouillonnante qui ne faisait rien d'autre que lui mettre les nerfs à vif.

Marinette avait l'impression que son crâne allait exploser.

Alors, pour éviter de se laisser dévorer par ces émotions incontrôlables, elle tentait désespérément de canaliser ses pensées sur un seul et unique objectif : le super-vilain. Elle devait impérativement se concentrer sur sa mission et réussir à neutraliser son adversaire.

Elle aurait tout le temps de réfléchir plus tard.




Les cris menèrent Marinette à la bibliothèque, où le vilain était manifestement à la recherche de nouvelles victimes à terroriser. La jeune fille pila à l'entrée de la pièce et entrouvrit doucement la porte pour jeter un discret coup d'œil à l'intérieur.

Ladybug avec ou sans le masque, certes. Mais son absence de pouvoirs l'obligeait à faire preuve d'un surcroît de prudence.

Hors de question de foncer tête baissée dans la bataille.

Marinette ne mit qu'un instant à repérer son ennemi. Ce dernier progressait dans la pièce d'un pas martial, envoûtant tour à tour tous les élèves qui avaient le malheur de se trouver sur sa route. Un nouveau coup d'œil apprit à Marinette que cinq pauvres adolescents se trouvaient déjà sous l'emprise du vilain, mais que trois autres lui avaient échappé.

Du moins, pour le moment.

Car l'homme paraissait déterminé à transformer chaque personne présente dans l'établissement en un élève anormalement studieux et s'approchait à présent de ses futures victimes, marqueur au clair.

Profitant du fait que l'attention du vilain soit focalisée sur ses proies, Marinette se glissa à l'intérieur de la bibliothèque et se faufila entre les rayons. Elle ne pouvait pour l'instant rien faire pour les élèves que son ennemi avait déjà ensorcelés, mais rien ne l'empêchait de faire diversion pour permettre aux autres de s'enfuir et d'aller se mettre à l'abri dans un endroit plus sûr.

La jeune fille s'empara d'un livre et, avec une adresse que lui aurait envié un joueur de base-ball, le lança droit sur le dos du vilain. Le projectile atteint son objectif dans un bruit sec, interrompant brusquement l'homme dans sa progression.

« Qu'est-ce que... », s'exclama-t-il en se retournant vivement.

S'éloignant des trois adolescents qui se tenaient recroquevillés dans un coin de la pièce, il se dirigea d'un pas vif vers l'endroit où se dissimulait Marinette.

« Sortez d'ici ! », hurla-t-elle à l'attention de ses camarades d'école, tout en se mettant à courir entre les rayonnages pour se cacher derrière une nouvelle rangée de livres.

A sa grande satisfaction, les trois élèves réagirent aussitôt. Profitant de la diversion que leur offrait Marinette, ils bondirent en avant, traversèrent la pièce en courant à toute vitesse et franchirent les portes de la salle.

Marinette laissa échapper un soupir de soulagement en les voyant disparaître.

Non seulement la jeune fille détestait voir d'innocentes personnes impliquées dans un combat qui ne regardait que le Papillon, Chat Noir et elle, mais de plus, elle ignorait la réelle nature des pouvoirs de son adversaire du jour.

Peut-être se contentait-il de faire de ses victimes des élèves certes dociles, mais inoffensifs.

Peut-être pouvait-il également les contrôler pour en faire une véritable armée.

Trois personnes de moins sous l'emprise du vilain, c'était toujours ça de prit.

Mais hélas pour elle, Marinette n'avait guère le temps de se réjouir de cette maigre victoire. Il lui restait désormais un autre problème à résoudre, plus épineux encore. Elle se trouvait toujours dans la bibliothèque, privée de pouvoirs et seule avec un vilain qui lui barrait la route de l'unique porte de sortie. Ce n'était pas peu dire qu'elle se trouvait dans une situation désespérée.

Durant ce bref instant de réflexion, Marinette n'avait cessé de se déplacer. Bougeant d'allée en allée, de rayon en rayon afin d'échapper à son adversaire. Ce dernier la recherchait toujours et lui coupait pour l'instant toute retraite.

Luttant contre la terrible sensation de désespoir qui menaçait de s'emparer d'elle, la jeune fille réfléchissait à toute vitesse tout en poursuivant ses déplacements. Son problème pouvait se résumer en trois points : son kwami avait encore besoin d'un peu de temps avant de retrouver ses forces, jamais elle ne réussirait à passer devant son adversaire sans ses pouvoirs, et chaque instant qui passait la rapprochait du moment où le vilain finirait par la trouver.

S'extirper de cette situation allait être pour le moins difficile.




Dissimulé derrière la porte de la bibliothèque, Adrien surveillait l'intérieur de la pièce avec une angoisse grandissante.

De là où il se trouvait, il avait une vue parfaite sur le vilain, debout au centre de la bibliothèque.

Et une vision toute aussi excellente sur la fine silhouette de Marinette, recroquevillée derrière une étagère.

Mâchoires crispées de rage, Adrien serra les poings avec tant de force que ses ongles s'enfoncèrent dans la paume de ses mains. Il se sentait horriblement, désespérément impuissant. Son cœur lui hurlait de se ruer dans la pièce pour se porter au secours de sa coéquipière et seul son instinct de conservation le préservait de commettre une pareille folie – son instinct de conservation, et la poigne ferme de Félix sur son épaule.

Jamais Adrien n'avait eu aussi peur pour Marinette. Pour Ladybug. Pour elle.

Une part de lui-même en voulait à sa partenaire de lui faire une telle frayeur en se plaçant dans une position aussi périlleuse, une autre clamait son admiration sans borne pour le courage extraordinaire dont faisait preuve cette fille.

Adrien serra les dents un peu plus fort en voyant le vilain avancer d'un pas en direction de Marinette.

Le jeune homme se savait profondément amoureux de sa coéquipière et la découverte de son identité n'avait fait que renforcer ses certitudes. A présent qu'il avait prit conscience que Marinette et Ladybug n'étaient qu'une seule et même personne, il était d'autant plus déterminé à la protéger.

Derrière le masque se cachaient les deux filles les plus importantes de son existence.

Marinette.

Ladybug.

Et il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour que jamais rien ne leur arrive.

« Laisse-moi faire », murmura-t-il à l'attention de Félix, qui se tenait toujours debout à ses côtés. « J'ai un plan. »

Le visage fermé de son frère lui indiqua aussitôt qu'il était tout sauf d'accord avec l'idée de le laisser partir sans ses pouvoirs. Mais au grand soulagement d'Adrien, il n'éleva pas d'objection et relâcha lentement sa prise autour de son épaule.

Ne perdant pas une seconde, Adrien se faufila dans la bibliothèque avec la souplesse et la discrétion de l'animal auquel son alter-ego devait son nom. Profitant du fait que le vilain lui tournait le dos, il longea le mur sur deux mètres à peine pour s'approcher d'un chariot chargé de livres. Un chariot qui serait plus que parfait pour le plan qu'il avait en tête.

Sans quitter un instant son ennemi des yeux, Adrien donna une violente impulsion au petit meuble roulant et se hâta de sortir de nouveau de la salle.

Le chariot traversa la pièce à la vitesse de l'éclair, pour s'écraser avec fracas contre le mur opposé à la porte d'entrée.

Attirant ainsi immédiatement l'attention du vilain.

Ce bruit tonitruant était la diversion que Marinette attendait pour agir. Bondissant aussi brusquement que si elle avait été propulsée par des ressorts, la jeune fille s'élança hors de sa cachette et se rua en direction de la sortie.

Concentrée comme elle l'était sur sa fuite, ce fut tout juste si elle entendit le hurlement de rage du vilain par-dessus les battements affolés de son cœur.

Mais le moment n'était pas venu de s'inquiéter des états d'âme de son adversaire.

Marinette courrait, courrait, ignorant les bruits sourds des équerres qui se plantaient dans le sol derrière chacun de ses pas.

Elle passa l'encadrement de la porte avec la même sensation euphorique de victoire que devait sûrement éprouver tout athlète franchissant en vainqueur la ligne d'arrivée d'une course, pour tomber littéralement dans les bras d'Adrien.

En dépit de l'urgence de la situation, Marinette sentit son cœur rater un battement quand le jeune homme la saisit vivement par le coude.

« Vite ! », la pressa-t-il, lui donnant à peine le temps de reprendre son souffle avant de l'entraîner dans une autre course.

Précédés par Félix, les deux adolescents remontèrent le couloir à toutes jambes et bifurquèrent à la première intersection pour tenter de semer le super-vilain. Ils coururent pendant encore quelques mètres avant de tourner de nouveau, traversèrent une salle vide, un autre couloir, et déboulèrent soudain dans la cour de l'école.

Les trois jeunes gens effectuèrent encore quelques foulées avant de ralentir le pas, puis de s'arrêter enfin.

Le souffle court, Marinette leva le regard vers ses deux camarades d'infortune et sentit un frisson d'angoisse lui traverser l'échine. Le visage d'Adrien était d'une pâleur de craie et les yeux gris de Félix avaient pris des couleurs de ciel d'orage.

« S'enfermer dans la même pièce qu'un vilain », siffla son ancien partenaire entre ses dents, alors qu'il dévisageait Marinette avec une colère teintée d'inquiétude. « De toutes les idées stupides que tu aurais pu avoir... »

« Tout va bien ? », le coupa brusquement Adrien, posant une main soucieuse sur l'épaule de la jeune fille. « Tu n'es pas blessée ? »

« N-Non. C'est bon », haleta Marinette. « Mais je ne pouvais pas rester sans rien faire. Si jamais le vilain avait blessé quelqu'un... », poursuivit-elle en jetant un regard d'excuse aux deux frères.

Les doigts toujours familièrement posés sur l'épaule de sa coéquipière, Adrien hocha silencieusement la tête en signe d'approbation. En dépit du danger ambiant, cet assentiment tacite donna à la jeune fille la sensation qu'une chaleur réconfortante se diffusait doucement dans sa poitrine.

Rougissant légèrement, elle échangea un bref sourire avec Adrien.

« Bon », reprit le jeune homme, les joues plus roses que d'ordinaire. « Il faudrait qu'on... »

Un nouveau cri retentit soudain, coupant brutalement la phrase que l'adolescent s'apprêtait à prononcer.

« Marinette ! »

La jeune fille tourna vivement la tête pour apercevoir aussitôt Alya, qui se tenait de l'autre côté de la cour en compagnie de Nino. Mains crispées autour de son téléphone et le visage anormalement pâle, son amie paraissait plus inquiète qu'elle ne l'avait jamais été durant une attaque.

« Tu vas bien ! », s'exclama la jeune blogueuse d'une voix soulagée. « J'ai eu tellement peur que... »

Mais avant qu'Alya n'ait pu esquisser un geste pour rejoindre sa meilleure amie, le vilain apparut à son tour.

Marinette ignorait quel trajet son ennemi avait pu emprunter exactement, mais il surgit depuis les hauteurs, fendant les cieux tel un oiseau de mauvais augure pour atterrir théâtralement au centre de la cour.

Une bouffée d'angoisse gonfla au creux de la poitrine de Marinette, étreignant son cœur comme une main glacée.

Avec le vilain qui lui barrait la route, il était hors de question pour elle de rejoindre Alya pour tenter de la convaincre d'aller se mettre à l'abri une bonne fois pour toute. Elle n'avait pas d'autre choix que de battre en retraite ou d'affronter immédiatement son ennemi.

Mais si elle reculait, il était fort à parier que ce vilain prendrait Alya et Nino pour cible.

Marinette jeta un regard affolé au petit sac qu'elle portait toujours en bandoulière. Dans un élan de désespoir, elle aurait pu songer à se transformer devant le vilain et ses camarades de classe, mais il restait encore quelques précieuses secondes avant que les deux kwamis n'aient complètement retrouvé leurs forces.

Elle ne pouvait reculer. Elle ne pouvait se battre.

Elle était coincée.

Marinette jeta un regard désespéré à Adrien, lisant dans ses yeux la même horreur qui se reflétait certainement dans les siens.

Nul doute que son coéquipier était parvenu à l'exacte même conclusion qu'elle.

« Filez d'ici », leur ordonna Félix d'un ton péremptoire, les arrachant soudain à leurs réflexions. « Je vais gagner du temps. »

« C'est de la folie ! », répliqua Adrien, livide d'horreur. « Tout à l'heure on a à peine réussi à lui tenir tête, et on était deux. »

« On était deux avec des pouvoirs », renchérit Marinette, le visage aussi pâle que celui de son coéquipier. « Tu ne réussiras jamais à le battre ! »

« Je ne parle pas de le battre, mais de le ralentir suffisamment longtemps pour vous permettre de vous transformer », rétorqua aussitôt Félix.

Alors que les adolescents s'apprêtaient à protester, l'ancien Chat Noir s'approcha d'un balai jusque-là abandonné contre un mur, s'en empara et en délogea la brosse d'un vigoureux coup de pied. Faisant tournoyer ce bâton improvisé entre ses doigts, il se tourna vers Adrien et Marinette.

« Et je ne suis pas n'importe qui », reprit-il avec un sourire suffisant. « Je n'ai peut-être plus de pouvoirs, mais je sais me battre. Alors écoutez-moi et laissez-moi faire », gronda-t-il sourdement, son ton soudain extrêmement sérieux.

Adrien resta un instant immobile, les yeux rivés au siens. Puis, sans dire un mot, il hocha brièvement la tête, saisit Marinette par la main et l'entraîna avec lui dans les entrailles du bâtiment.

Félix les suivit un instant du regard. L'expression assurée qu'il avait jusque-là réussit à maintenir sur ses traits se décomposa brièvement, laissant des traces d'inquiétudes transparaître derrière la carapace de confiance en soi qu'il avait réussi à afficher.

« Faites vite », murmura-t-il en leur jetant un dernier coup d'œil.

Puis, raffermissant sa prise sur son bâton, Félix se tourna vers le vilain et avança vers lui d'un pas résolu. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top