Chapitre 19


Plusieurs semaines s'écoulèrent et plus le temps passait, plus Félix sentait que sa patience allait être mise à rude épreuve.

Depuis le début, le jeune homme s'était promit de rester en dehors des histoires de cœur de son frère. Certes, il acceptait d'offrir une oreille attentive à Adrien quand ce dernier ressentait le besoin de se confier sur ce qu'il éprouvait pour Ladybug, mais en dehors de ça, il était fermement décidé à ne pas se mêler de la vie amoureuse de son cadet.

Ce n'était ni ses affaires, ni son domaine de prédilection.

Loin de là.

Très, très, très loin de là.

Les imbroglios sentimentaux n'avaient jamais été le fort de Félix. Le jeune homme était intimement convaincu que moins il en saurait sur les amours d'Adrien – ou sur ceux de quiconque -, mieux il se porterait. Si ça n'avait tenu qu'à lui, il n'aurait même jamais su combien son frère tenait à sa coéquipière.

Et encore moins à quel point ladite partenaire aimait elle aussi Adrien.

Mais le destin ayant manifestement décidé de contrarier la tranquillité d'esprit de Félix, l'ancien héros avait eu de nouvelles occasions d'observer les camarades de classe de son frère. Rien n'avait été prémédité, vraiment. Le jeune homme faisait au contraire de son mieux pour éviter de croiser ces personnes susceptibles de mettre en danger son secret et celui de son cadet. Mais Alya Césaire et Marinette Dupain-Cheng faisant désormais partie du cercle social d'Adrien, Félix avait fatalement fini par les apercevoir de nouveau.

Et il ne lui avait fallut que quelques instants pour réaliser que son ancienne coéquipière éprouvait elle aussi de tendres sentiments pour Adrien.

C'était douloureusement évident, même pour lui.

A se demander comment Adrien faisait pour ne rien voir.

La connaissance des différents secrets des deux héros de Paris offrait à Félix un poste d'observateur que certains qualifieraient volontiers de « privilégié », mais qu'il considérait personnellement comme un véritable supplice. Il tentait désespérément d'ignorer ces informations importunes sur les identités de Ladybug et de Chat Noir. D'oublier cet absurde imbroglio sentimental dans lequel ils étaient tous deux empêtrés et dont il était désormais le spectateur aussi involontaire qu'impuissant.

Rien n'aurait fait plus plaisir à Félix de revenir à cette époque d'ignorance bienheureuse où la seule chose présente à son esprit était la sécurité d'Adrien.

Mais c'était plus fort que lui.

Chaque fois qu'il voyait son frère, chaque fois qu'il entendait parler de Ladybug, il ne pouvait s'empêcher de songer à ce non-sens dont il aurait voulu ne jamais avoir connaissance. De ces réflexions ne ressortait qu'une frustration aussi profonde que légitime.

La situation était absurde. Ridicule, même.

Félix ne savait pas ce qui était le pire.

Qu'Adrien soit fou amoureux de sa coéquipière sans réaliser ce que derrière son masque se cachait en réalité sa camarade de classe.

Que Ladybug – non, Marinette – éprouve des sentiments non pas pour Chat Noir, mais pour Adrien.

Que l'un comme l'autre reste désespérément aveugle concernant leurs identités secrètes, et ce en dépit de l'affection évidente qui existait entre eux.

Ces observations donnaient à Félix l'envie de se taper la tête contre les murs. Encore, encore et encore. Avec un peu de chance, s'il se cognait le crâne suffisamment fort, peut-être ces souvenirs et ces pensées exaspérantes finiraient-ils par se décrocher d'eux-mêmes de son cerveau pour s'abîmer dans un merveilleux oubli.

Mais pour aussi tentante que soit cette solution, Félix savait qu'elle n'était en rien réaliste.

Le jeune homme était terriblement pragmatique. Il avait conscience quoi qu'il lui en coûte – à lui et à sa santé mentale -, la seule option qui s'offrait à lui était de faire preuve de patience. Hors de question pour lui de se mêler directement de cette histoire en confrontant directement son frère et son ancienne coéquipière. Leur parler de leurs sentiments respectifs, leur donner ne serait-ce qu'un indice sur la situation burlesque dans laquelle ils étaient enlisés, c'était courir le risque de s'exposer à une conversation aussi pénible qu'embarrassante.

Pour l'instant, Adrien était manifestement trop ébloui par l'héroïne pour remarquer la fille derrière le masque et Ladybug faisait preuve du même aveuglement envers Chat Noir.

Ne restait plus à Félix qu'espérer que les choses évoluent.

Et vite.





Félix avait certes de plus en plus de mal à supporter les discours passionnés d'Adrien au sujet de sa coéquipière, mais il n'était manifestement pas le seul dont la patience commençait à arriver à bout. Il arrivait désormais souvent que Plagg traverse le mur qui séparait les chambres des deux frères pour venir trouver refuge auprès de son ancien partenaire.

« Est-ce que tu ne veux pas parler à Adrien ? », lança le kwami en apparaissant soudain devant Félix. « S'il te plait ? »

Levant les yeux du livre qu'il était en train de lire jusque-là, le jeune homme haussa un sourcil intrigué.

« Qu'est-ce qu'il a fait cette fois ? », soupira-t-il en se passant une main lasse sur le visage.

« Il est en train de choisir son nouveau fond d'écran », geignit théâtralement Plagg en se perchant sur le sommet d'une étagère. « D'essayer de choisir un nouveau fond d'écran. Un qui représente Ladybug, bien sûr, et il n'arrive pas à se décider », précisa-t-il avec un grognement exaspéré. « Tu ne pourrais pas lui dire de prendre le premier qui vient et d'arrêter de me montrer tous ceux entre lesquels il hésite ? S'il te plait ? », conclut-il avec espoir.

Félix secoua aussitôt la tête en signe de dénégation.

Il aimait Adrien de tout son cœur, mais tenter de lui faire entendre raison au sujet de sa coéquipière tenait clairement de l'impossible. Autant essayer de convaincre Gabriel Agreste de l'intérêt de se montrer chaleureux envers son prochain ou de demander à Chloé Bourgeois d'effectuer une bonne action parfaitement anonyme et désintéressée.

Non, clairement, Félix préférait rester en dehors de tout ça. Hors de question de subir une énième tirade sur les extraordinaires vertus de Ladybug de la part de son frère.

Alors que Plagg continuait à se plaindre sans discontinuité de la cruauté de son existence, Félix se mit à songer à ces informations dont il avait lui-même connaissance et dont personne d'autre ne semblait se douter.

« Dis-moi, tu connais l'identité de Ladybug ? », lança-t-il à brûle-pourpoint.

« Oh tu sais, pour moi les filles sont toutes les mêmes », répliqua Plagg avec une indifférence royale, ignorant le regard incisif que lui jeta son ancien partenaire. « Je ne comprends pas pourquoi Adrien s'embête autant », poursuivit-t-il d'une voix extatique. « Parle-moi plutôt de camembert, LÀ c'est intéressant. LÀ il y a de vraies différences. »

« Je ne suis pas sûr de vouloir savoir », grogna sourdement Félix en levant les yeux au ciel.

Il devait déjà subir les élans lyriques d'Adrien au sujet de Ladybug, il n'avait pas besoin que Plagg lui fasse à son tour part de sa passion douteuse pour le fromage.

« La texture, l'odeur... », continuait rêveusement Plagg. « Un camembert qu'on a laissé reposer n'a rien à voir avec un frais. Les meilleurs, ce sont ceux que tu laisses macérer pendant une heure en plein soleil pendant l'été », reprit-il avec un soupir énamouré. « Leur arôme est tout simplement divin. »

« Je dirais plutôt qu'il tient de l'arme bactériologique », répliqua Félix avec une grimace écœurée.

« Tu n'as aucun goût », rétorqua Plagg en laissant échapper un petit reniflement outré.

« Si tu le dis », marmonna Félix, avant de rouvrir son livre et de se replonger ostensiblement dans sa lecture.





Les jours s'écoulèrent sans que la situation de l'ancien Chat Noir ne s'arrange. Bien qu'il considère désormais Plagg comme son compagnon d'infortune pour tout ce qui touchait à la vie sentimentale d'Adrien, jamais Félix n'avait pour autant confié au kwami ce qu'il avait découvert sur Ladybug. Bien sûr, il n'avait pas manqué de remarquer que son minuscule camarade avait fort opportunément éludé sa question quant à l'identité de l'héroïne, mais ce n'était guère suffisant.

Peut-être Plagg avait-il lui aussi compris.

Peut-être que non.

Dans le doute, Félix préférait s'abstenir de tout commentaire risquant de trahir le secret de la jeune fille. Plagg pouvait tout à fait parler à Adrien et si découverte d'identité il devait y avoir un jour, Félix ne tenait guère à être celui qui en serait à l'origine. Il préférait rester en retrait. Ne se mêler de rien, attendre que les deux héros de Paris daignent enfin cesser de le tourmenter avec leur aveuglement chronique.

Ce serait mieux pour tout le monde.





Si Félix avait le soutien tacite de Plagg, le minuscule kwami noir n'était cependant pas le seul être à qui il pouvait se confier. Bridgette ignorait certes tout de ses récentes découvertes sur Ladybug, mais il savait pouvoir compter sur elle si le besoin s'en faisait sentir.

A défaut d'être parfaitement compatissante – Félix soupçonnait Bridgette de trouver la situation bien trop drôle pour réellement le plaindre, la jeune femme était toujours prête à écouter son meilleur ami et à lui dispenser les meilleurs conseils auxquels elle pouvait songer. Jamais elle ne le rembarrait, jamais elle ne se lamentait que leurs discutions s'éternisent parfois sur le sujet de son frère.

Mieux encore, elle semblait sentir instinctivement quand Félix avait besoin de discuter, quand sa patience arrivait à bout ou à quels moments elle pouvait encore se permettre de le taquiner sans qu'il en prenne ombrage.

Parler d'Adrien était rapidement devenu une chose commune entre les deux anciens héros.

Que ce soit pour faire part de ses craintes quant aux risques que courraient son cadet, pour ronchonner quand ce dernier ne cessait de discourir sur Ladybug ou tout simplement pour discuter de ses progrès, Félix était heureux de pouvoir se confier à Bridgette. Cette dernière n'hésitait par ailleurs jamais à aborder d'elle-même le sujet, demandant des nouvelles d'Adrien quand son meilleur ami ne lui en donnait pas pendant trop longtemps.

Par un bel après-midi, alors que les deux anciens partenaires bavardaient de chose et d'autre, Bridgette orienta une fois de plus la discussion vers l'actuel héros de Paris.

L : Au fait, est-ce que les choses vont mieux avec ton frère ?

L : Au sujet de Ladybug ?

Félix leva machinalement les yeux au ciel.

Au hasard d'une promenade, il était tombé la matin même sur la classe d'Adrien en pleine sortie scolaire. La simple vue de Marinette Dupain-Cheng lui avait rappelé une fois de plus ô combien son frère et la partenaire de ce dernier étaient aveugles, et ô combien il avait hâte qu'ils se décident enfin à ouvrir les yeux.

C : Je n'irai pas jusqu'à dire ça.

C : Tu vois quand on se dit que les choses ne peuvent pas être pire ?

L : ...

L : A ce point ?

C : A ce point.

L : Je te dirais bien que je compatis.

L : Mais je suis trop occupée à rire.

C : Je ne te remercie pas.

L : De rien.

L : Comment est-ce que ça peut être pire ?

L : Je pensais que ton frère était déjà à son maximum ?

Le jeune homme hésita un instant.

Bridgette ignorait tout de ce qu'il avait appris sur Ladybug et jusque-là, Félix avait mis un point d'honneur à ne transmettre cette information à personne. Ce secret n'était pas le sien et risquait de mettre en danger non seulement l'héroïne de Paris, mais aussi son frère.

Si cette conversation précise s'était déroulée avec n'importe qui d'autre, Félix se serait encore tu par crainte de compromettre la sécurité des deux héros.

Mais là, la situation était particulière. Félix avait une confiance absolue en Bridgette et cette dernière avait d'ores et déjà deviné qu'Adrien se cachait derrière le masque de Chat Noir. Le jeune homme savait avec la plus profonde des certitudes que jamais son amie ne le trahirait, pas plus qu'elle ne mettrait volontairement en danger Chat Noir ou Ladybug.

S'il y avait une seule personne au monde à qui il pouvait se confier, c'était bien elle.

Alors, ne perdant pas un instant de plus, Félix tapa une brève phrase.

C : Ils se connaissent.

La réponse de son amie fusa en à peine une fraction de seconde.

L : PARDON ?

L : Ils se sont dit leurs identités secrètes ?

L : Et tu ne m'as rien raconté ?

Retenant un petit rire en imaginant l'expression indignée qui devait certainement avoir prit place sur le visage de Bridgette en cet instant même, Félix se hâta de lui apporter plus de précision.

C : Non.

C : Ils se connaissent avec et SANS le masque.

C : Mais ils ne s'en sont pas rendus compte.

C : Ils n'ont pas la moindre idée qu'ils se fréquentent aussi quand ils ne sont pas Ladybug et Chat Noir.

L : Tu plaisantes ?

L : Non.

L : Ne répond pas.

L : Je sais que tu ne plaisantes pas, tu ne sais pas ce que ce mot veut dire.

L : Mais quand même...

L : Sérieusement ?

C : Sérieusement.

C : Ils n'ont rien réalisé.

C : Je ne sais pas comment c'est possible.

L : Et toi qui t'es rendu compte de tout...

C : Oui.

C : Tu n'imagines pas mon calvaire.

C : Des imbroglios avec leurs identités secrètes, un micmac amoureux...

C : Tu adorerais ça.

L : Oh oui.

L : J'aimerai tellement être là pour voir ça.

C : Et pour me voir souffrir, je suppose ?

L : ...

L : Non ?

C : Tu as hésité.

L : J'avoue.

L : Tu es extraordinairement drôle dans ce genre de situation.

C : Je suis plutôt extraordinairement contrarié.

L : Justement.

L : C'est ça qui est drôle.

Félix secoua légèrement la tête, oscillant entre amusement et exaspération. Bridgette était toujours la première à voir le côté comique d'une situation. Voir la seule.

Renonçant à faire remarquer à sa coéquipière que « drôle » n'aurait pas nécessairement été le mot qu'il aurait employé pour décrire les choses, il reprit le fil de la conversation.

C : Sincèrement, je pense qu'ils vont finir par me rendre dingue.

C : J'étais plus heureux quand je ne savais rien.

L : Tu sais, tu peux venir me voir si tu veux.

L : En Italie.

L : Si ça devient trop pénible.

L : Et que tu sens que tu commences à avoir besoin de vacances.

L : Je t'offre l'asile héroïque.

C : Ne me tente pas.





Les deux amis bavardèrent encore quelques instants, puis Félix salua son ancienne partenaire et mit un terme à la discussion. Il laissa négligemment retomber son téléphone sur le canapé sur lequel il était assis et jeta un regard par la fenêtre. L'après-midi était à peine entamé et le soleil était encore haut dans le ciel d'un bleu limpide. Le temps était absolument superbe. Seuls quelques nuages s'attardaient ça et là, décorant les cieux telles de délicates touches de peintures.

Félix tourna les yeux vers son bureau. Les projets sur lesquels il avait à travailler étaient terminés, ses révisions à jour et ses prochains examens n'auraient pas lieu avant plus de deux semaines. Le moment était parfait pour profiter d'une petite balade dans les rues de Paris.

Sa décision prise, le jeune homme s'empara de nouveau de son téléphone pour le glisser dans sa poche, puis se leva d'un geste fluide. Alors qu'il commençait à s'éloigner vers la porte de sa chambre, il entendit soudain un cri étouffé retentir au loin.

Un akuma.

Bien sûr.

Retenant un grognement de contrariété, Félix revint précipitamment sur ses pas. Il se saisit d'une télécommande jusque-là posée sur un meuble voisin et pressa fermement l'un des boutons pour allumer sa télévision. Il arrivait désormais à réfréner son envie de se ruer sur les lieux d'un champ de bataille, mais hors de question pour lui de ne pas suivre l'évolution des combats pour autant.

Il fallait qu'il sache si Adrien allait bien. Il en avait besoin.

Scrutant l'écran avec autant d'intensité que s'il voulait le transpercer du regard, Félix se mit à zapper de chaîne en chaîne dans l'espoir d'apercevoir son frère. Il ne lui fallut que quelques secondes pour tomber sur une émission spéciale décrivant les activités du vilain qui errait actuellement dans la capitale. Ce dernier était manifestement apparu depuis déjà quelques temps, du moins depuis suffisamment longtemps pour que les deux héros de Paris aient déjà eu le temps de se rendre sur place.

Soudain, alors que Félix cherchait en vain une trace d'Adrien dans les vidéos qui défilaient sous ses yeux, une présentatrice affolée apparut à l'écran.

« ... super-vilain continue actuellement de faire des ravages et pour l'instant, nous ne voyons toujours aucune trace de Ladybug ou de Chat Noir. » 

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