Chapitre 15
Marinette s'écroula sur son lit en poussant un profond soupir.
Ces trois dernières semaines avaient été particulièrement éprouvantes pour la jeune fille, la laissant vidée de toute son énergie. Son corps lui paraissait aussi lourd que s'il avait été fait de plomb et la clouait contre ce matelas où elle avait envie d'hiberner pour les mois à venir.
« Est-ce que ça va ? », s'inquiéta Tikki en voyant son amie rester étendue à plat ventre, tête enfouie dans son oreiller.
« ...gna va », marmonna la jeune fille en levant un pouce en l'air. « Chui fatignée. »
Alors que Tikki lui donnait une petite tape compatissante sur le sommet du crâne, Marinette soupira de nouveau.
Quand la jeune fille avait appris le départ de celui qui était désormais son ancien coéquipier, elle avait tout de suite redouté que l'arrivée de son remplaçant ne déclenche une réaction féroce chez le Papillon. Après tout, ce dernier avait déjà fait preuve d'une agressivité impressionnante lors des débuts de l'actuelle Ladybug en titre, et Marinette n'avait vu aucune raison pour qu'il ne récidive pas lors d'un changement de Chat Noir.
Rapidement, elle avait constaté que ses craintes étaient tout à fait fondées.
En découvrant qu'un héros inexpérimenté avait pris la place de celui qui avait protégé Paris durant des années, le Papillon s'était montré particulièrement virulent. Il avait akumatisé victime sur victime, transformant quotidiennement les rues de la capitale en un champ de bataille dans l'espoir de profiter d'une faiblesse de ce nouveau Chat Noir.
Pour Ladybug, la situation aurait difficilement pu être plus périlleuse.
Combattre un super-vilain était déjà un défi en soi.
En neutraliser un par jour, voire même deux ou trois les fois où le Papillon était d'humeur prodigue, cela relevait presque de l'impossible.
Surtout quand les attaques se succédaient à un rythme infernal pendant presque trois longues semaines.
Cet acharnement dont faisait preuve le Papillon exténuait Ladybug et Chat Noir, les forçant à puiser dans leurs plus profondes ressources pour réussir à continuer à contrer ses assauts. Marinette n'avait pas le souvenir d'avoir déjà été aussi éreintée. Ses pouvoirs avaient beau améliorer grandement ses aptitudes physiques et ses capacités de récupération, ils n'en avaient pas moins leurs limites. La jeune fille peinait de plus en plus à retrouver ses forces, d'autant plus que son rythme scolaire et ses nombreux devoirs ne lui laissaient guère le loisir de se reposer pleinement.
Les premiers jours, elle avait eu l'impression de n'être plus qu'une courbature géante tant ses muscles la lançaient.
Puis au fil des combats et des nuits blanches passées à rattraper les cours qu'elle s'était vue obligée de quitter pour aller se battre, la fatigue que Marinette accumulait avait fini par devenir presque insupportable. La jeune fille avait la sensation de passer ses journées dans une sorte de brouillard cotonneux, avec le cerveau embrumé et les muscles gourds. Elle se réveillait le matin avec le désir de se rendormir aussitôt, et traversait ses journées avec l'impression – et l'envie – de pouvoir s'écrouler de sommeil à tout instant.
Cependant, cette vague d'attaques avait au moins eu le mérite de servir d'entrainement intensif au duo nouvellement formé.
Ainsi contraints de se battre quotidiennement l'un aux côtés de l'autre, Chat Noir et Ladybug avaient progressé à une vitesse impressionnante. Ils avaient posé de solides bases concernant leur travail d'équipe, acquérant de nouveaux automatismes et rodant un peu plus leurs techniques de combat à chaque nouvel affrontement.
De jour en jour, de bataille en bataille, Ladybug et Chat Noir devenaient à chaque fois plus forts.
Et pas seulement.
Car pour aussi remarquable que soit la belle coordination dont ils faisaient désormais preuve, il y avait plus important encore. Les flammes du combat avaient forgé entre les deux héros une relation de confiance qui ne faisait que s'approfondir à chaque instant.
Dans ces affrontements où Chat Noir et Ladybug mettaient sans cesse leur vie en jeu, ce dernier point était on ne peut plus crucial. Leur meilleur atout n'était autre que leur partenaire et avoir foi l'un en l'autre était indispensable pour la réussite de leur mission. Ils devaient pouvoir se faire confiance les yeux fermés, compter l'un sur l'autre quelles que soient les circonstances, se vouer une assistance mutuelle au plus fort du combat.
Que le Papillon en ait conscience ou non, ses attaques incessantes ne faisaient qu'aider ses deux ennemis à resserrer leurs liens.
Cette dernière réflexion laissa Marinette songeuse.
Elle s'était faite au caractère fantaisiste de son coéquipier bien plus rapidement – et bien plus facilement -qu'elle ne l'aurait cru. Certes, elle ne cessait d'être surprise par la propension qu'avait Chat Noir à plaisanter même dans les instants les plus périlleux. Ce garçon faisait preuve d'un curieux mélange d'impertinence et de bravoure, qui la déroutait autant qu'il la fascinait.
Mais plus important que tout, elle sentait instinctivement qu'elle pouvait se fier à lui.
Non.
Elle savait qu'elle pouvait se fier à lui.
Pour aussi brève qu'ait été leur collaboration, Chat Noir avait fait preuve à maintes reprises de son courage, de son abnégation et de son sens de la loyauté. Bien que Ladybug et lui ne se connaissent que depuis une vingtaine de jours à peine, la jeune fille avait la sensation de se battre à ses côtés depuis toujours. Ils se complétaient parfaitement, semblaient lire dans les pensées l'un de l'autre quand il s'agissait de coordonner leurs actions, se vouaient une confiance aveugle dans les moments les plus dangereux.
Avant même qu'elle ne le réalise, Marinette avait cessé de voir Chat Noir comme un nouveau venu pour le considérer pleinement comme son coéquipier. Comme son ami, même.
Peut-être était-ce le fait que ce garçon semblait avoir son âge qui lui permettait d'être à l'aise avec lui. Peut-être était-ce sa personnalité chaleureuse. Son courage, sa gentillesse, qui le rendaient supportable en dépit de ses éternelles pitreries.
Ce Chat Noir était désormais son partenaire, et rien ne changerait jamais ça.
« Je pense que je vais dormir pendant tout le week-end », gémit Marinette en sortant enfin la tête de son oreiller et en se laissant rouler sur le côté pour se tourner vers Tikki.
Assise sur sa table de chevet, sa minuscule amie lui jeta un regard chargé de compassion.
« Ne t'inquiète pas, le Papillon va finir par se calmer », l'encouragea le kwami d'une voix réconfortante. « Souviens-toi de ce qui s'est passé quand tu as eu tes boucles d'oreille », poursuivit-elle alors que Marinette haussait un sourcil dubitatif. « Le Papillon a intensifié ses attaques pendant presque un mois, puis tout est redevenu normal. Il n'y a pas de raisons que ça se passe différemment aujourd'hui. »
« Oui, mais à l'époque j'étais presque en vacances », rétorqua la jeune fille en levant les yeux au ciel. « Je pouvais dormir. Là j'ai la rentrée, les devoirs... Il me faudrait des journées de quarante heures pour pouvoir tout faire ! »
« Ça me parait difficile », répliqua Tikki avec un sourire amusé.
« M'en fiche », marmonna Marinette en se lovant de plus belle contre son matelas et en resserrant ses bras autour de son oreiller. « Je vais rentrer en symbiose avec ma couette et dormir pendant deux jours. Non, dix. Réveille-moi la semaine prochaine », conclut-elle en fermant ostensiblement les paupières.
Tikki laissa échapper un petit rire devant l'expression bornée de la jeune fille.
« Et tu passerais une semaine sans parler à Adrien ? », la taquina-t-elle d'une voix malicieuse.
Marinette se redressa vivement.
Adrien.
A la simple mention de ce nom, un brusque regain d'énergie envahit aussitôt la jeune fille. Ses yeux jusque-là voilés de fatigue se mirent à étinceler joyeusement, tandis qu'un immense sourire se dessinait sur ses lèvres.
Le simple fait de songer à Adrien électrisait Marinette aussi sûrement que si un mélange d'adrénaline et de caféine avait été injecté directement dans ses veines. Le tout couplé à d'autres substances aussi euphorisantes que stimulantes.
C'était plus fort qu'elle.
Chaque fois que les pensées de l'adolescente se tournaient vers son camarade de classe, son corps et son esprit glissaient hors de son contrôle. Ses joues se marbraient de rouge, son cœur s'emballait jusqu'à battre comme un tambour entre ses côtes, une douce chaleur envahissait sa poitrine, et tout son bon sens s'évanouissait en une fraction de seconde.L'animosité qu'elle avait ressentie pour Adrien s'était évaporée depuis bien longtemps, disparaissant en même temps que le malentendu que le jeune homme avait dissipé avec sa sincérité et sa bienveillance. Dès l'instant où il s'était confié à elle, dès le moment où il lui avait offert son parapluie, Marinette était tombée sous le charme.
Le temps n'avait guère atténué le coup de foudre de la jeune fille.
Au contraire.
Elle était définitivement, désespérément amoureuse de ce garçon qui l'avait charmée avec son sourire timide et sa gentillesse. Jamais Marinette n'avait ressenti quoi que ce soit de semblable auparavant. L'affection que lui inspirait Adrien avait crû de jour en jour, atteignant vite une intensité presque effrayante. Mais elle n'en avait cure.
Loin de lutter contre ces sentiments qui frôlaient désormais l'obsession, Marinette les embrassait de tout son cœur, de toute son âme.
Elle n'aurait pas pu trouver plus digne objet de son affection, elle en était sûre – même si, pour être parfaitement honnête avec elle-même, un autre adolescent blond aurait peut-être pu prétendre lui aussi au titre si son camarade de classe n'avait pas fait irruption dans sa vie.
Secouant vivement la tête pour chasser cette pensée importune, Marinette redirigea rapidement ses pensées vers Adrien. Ce dernier avait beau être aussi riche et célèbre que pouvait l'être Chloé, il n'y avait pas une once de méchanceté en lui. C'était le garçon le plus adorable qui soit, capable de faire preuve de patience et de bienveillance même avec la peste qui servait de fille au maire de Paris.
Il était tout ce dont elle aurait jamais pu rêver et plus encore.
Il était extraordinaire.
« Oh, d'ailleurs, à propos d'Adrien ! », s'exclama Marinette en bondissant hors de son lit, toute velléité de sommeil tout à coup disparue. « J'ai failli oublier ! »
Sans perdre une seconde de plus, la jeune fille dévala les marches qui séparaient sa mezzanine du reste de sa chambre et se rua sur son sac. Sous le regard perplexe de Tikki, elle en sortit successivement une trousse, un livre d'histoire, deux cahiers et un carnet de croquis, avant d'en extraire enfin un magazine.
« Tadaaaaam ! », s'exclama-t-elle triomphalement en tendant l'ouvrage à bout de bras.
« Qu'est-ce que c'est ? », l'interrogea Tikki, se demandant avec curiosité ce qui pouvait bien provoquer ainsi l'allégresse de son amie.
« Un magazine de mode », répliqua Marinette en se laissant tomber sur sa chaise de bureau.
D'un geste vif, elle déchira l'emballage plastique qui protégeait encore l'objet de sa convoitise et se mit à tourner furieusement les pages.
« Ils ont fait un article spécialement consacré à la dernière collection de Gabriel Agreste », précisa-t-elle, les yeux brillant d'enthousiasme. « Ce qui veut dire qu'il y aura sûrement des photos d'Adrien ! »
A peine une seconde plus tard, un cri de ravissement s'échappait des lèvres de la jeune fille.
« J'avais raison ! », s'exclama-t-elle victorieusement. « Regarde ! », poursuivit-elle en désignant toute une série de photographies sur lesquelles un adolescent blond prenait nonchalamment la pose.
Sans même attendre de la réponse de son kwami, Marinette se perdit dans la contemplation de ces images qui s'étalaient devant elle, poussant un nouveau soupir d'extase à chaque fois qu'elle tournait une page. Cette campagne publicitaire était un véritable délice pour ses yeux et elle ne se lassait pas d'admirer son camarade de classe.
Adrien avec une chemise.
Adrien portant un chapeau.
Adrien éclatant de rire.
Adrien dont le visage s'éclairait de l'un de ces sourires solaires qui donnaient à Marinette l'impression que ces genoux se changeaient en gelée.
Adrien, Adrien, encore Adrien. Partout des portraits d'Adrien, vêtu d'habits imaginés par le styliste préféré de Marinette.
La jeune fille était aux anges.
« Il est tellement merveilleux... », murmura-t-elle, un sourire béat aux lèvres.
Elle passa encore de longues minutes à admirer le magazine, scrutant les photos de son camarade de classe comme si elle cherchait à ce que ces dernières s'impriment sur sa rétine. Puis, au bout d'un moment, elle se redressa vivement et se tourna vers son tiroir. Elle l'ouvrit, y fouilla brièvement, et en sortit une paire de ciseaux.
« Qu'est-ce que tu fais ? », lui demanda Tikki alors que Marinette commençait à découper précautionneusement l'une des photos ornant la page centrale du magazine.
« Et bien, je trouve que ce portrait d'Adrien est absolument parfait », répliqua la jeune fille en tirant la langue en signe de concentration. « Il ne peut être que parfait, de toute façon », poursuivit-elle avec un soupir admiratif. « Du coup, je vais l'accrocher à mon mur. J'ai acheté deux exemplaires exprès pour ça », précisa-t-elle en désignant un second ouvrage qui dépassait de son sac.
« Mais tu as déjà mis une photo de lui la semaine dernière », lui fit remarquer Tikki. « Ça ne va pas faire trop ?
« Il n'y a jamais trop de photos d'Adrien », répliqua Marinette d'une voix rêveuse, avant de se remettre à son œuvre avec application.
Félix s'écroula sur son lit en poussant un profond soupir.
Ces trois dernières semaines avaient été particulièrement éprouvantes pour le jeune homme, le laissant plus fébrile qu'il ne l'avait jamais été. Félix doutait qu'il s'habituerait un jour à ce qu'Adrien soit Chat Noir. Il résistait désormais à se ruer sur les lieux d'une bataille lorsqu'un vilain faisait son apparition, mais il n'en continuait pas moins d'être dévoré d'angoisse tant que la nouvelle d'une victoire des héros de Paris n'arrivait pas jusqu'à lui.
Voir son frère se battre lui mettait les nerfs à fleur de peau, au point que son irritabilité se mettait même à percer sous son impassibilité coutumière. Lui qui était d'ordinaire toujours parfaitement maître de lui se mettait à avoir des sueurs froides dès l'annonce d'une attaque et à perdre patience avec quiconque avait le malheur de le contrarier tant qu'il n'avait pas de nouvelles d'Adrien.
Regard rivé au plafond, Félix desserra machinalement la cravate qui lui enserrait le cou. Il ne cesserait jamais de s'inquiéter pour son frère.
Ce dernier était doué, pourtant.
C'était l'évidence même.
Que cela lui plaise ou non, Maître Fu avait eu raison d'affirmer qu'Adrien était du bois dont on faisait les héros. Il était vif, intelligent, et se battait comme s'il n'avait fait que ça de toute sa vie. Utiliser ses pouvoirs lui semblait être aussi naturel pour lui que de respirer et il irradiait d'une telle confiance en lui que nul n'aurait songé à remettre en doute sa légitimité.
Bien qu'il connaisse Adrien mieux que quiconque qui, Félix ne cessait d'être surpris de voir avec quelle facilité son frère avait embrassé son rôle. Avec quelle habileté il combattait. Avec quelle aisance il jonglait entre affronter un ennemi et rassurer une victime.
Il était né pour être un héros, c'était on ne peut plus clair.
Et Félix n'était pas le seul à faire une pareille constatation. Tout Paris chantait désormais les louanges de ce nouveau Chat Noir, dont la popularité avait allègrement dépassé celle de son prédécesseur en une vingtaine de jours à peine.
L'aîné des Agreste ne prenait guère ombrage de cette préférence évidente dont faisait preuve les habitants de la capitale. Il ne s'était jamais battu pour obtenir une quelconque reconnaissance et l'opinion que la foule avait de lui ne lui importait que peu.
Tout ce qui comptait à ses yeux, c'était qu'Adrien s'en sorte sans dommages.
C'était tout ce qui importait, et rien d'autre.
Un doux tintement arracha soudain Félix à ses réflexions. Le jeune homme tendit la main vers sa table de chevet, cherchant son téléphone à tâtons, avant de s'emparer de l'appareil et de le lever devant ses yeux. Devant lui s'affichaient quelques simples mots.
L : Salut.
L : Est-ce que ça va ?
Félix ne put retenir une grimace.
Son ancienne coéquipière s'inquiétait de plus en plus fréquemment de son état d'esprit, signe indubitable qu'il échouait à lui dissimuler son trouble. Il hésita un instant à l'ignorer, puis, décidant finalement qu'une absence de réponse ne ferait probablement que rendre sa propre attitude plus étrange, il tapa rapidement sur son écran.
C : Bonsoir.
C : ça va, merci.
C : Et toi ?
L : ça va aussi.
Pendant de longues minutes, aucune nouvelle ligne n'apparut sous les yeux de Félix. Perplexe, le jeune homme fronça les sourcils. Rester ainsi silencieuse n'était guère dans les manières de sa partenaire.
C : Tu es sûre que tout va bien ?
Au bout de plusieurs secondes, une série de réponses s'afficha sur son écran. Lentement, très lentement même, comme si sa coéquipière hésitait à les lui envoyer.
L : Oui.
L : Il y a quelque chose dont j'aimerai te parler.
L : Un truc auquel je pense depuis déjà pas mal de temps.
L : Je me demandais.
L : Ce nouveau Chat Noir...
L : C'est ton frère ?
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