Chapitre 13
Alors que Ladybug restait paralysée d'horreur, les yeux rivés à la masse de sel qui avait autrefois été son yo-yo, le vilain éclata d'un rire triomphal.
« Rends-toi, Ladybug ! », s'exclama-t-il avec une joie mauvaise. « Sans ton arme, tu ne peux pas te battre ! »
Alarmé par la dangereuse tournure des évènements, Chat Noir s'approcha de sa coéquipière et posa une main inquiète sur son épaule.
« Je déteste l'admettre, mais il n'a pas tout à fait tort », lui souffla-t-il d'une voix soucieuse. « Il faut que tu restes en retrait, c'est plus prudent. Je vais me charger de le distraire et – »
« Non, ça ira », le coupa la jeune fille en fusillant leur ennemi du regard.
Alors que Chat Noir amorçait un léger mouvement de recul, craignant d'avoir froissé sa partenaire, Ladybug releva la tête vers lui. Son expression s'adoucit et lui adressa un sourire chaleureux pour atténuer la rudesse de ses précédents propos.
« Je te remercie beaucoup de t'inquiéter de ma sécurité, Chat Noir », lui confia-t-elle avec une sincère reconnaissance. « Mais je ne reculerai pas et je ne te laisserai pas non plus te battre tout seul. On est une équipe. Je ne te laisserai pas tomber. »
« Ce... Ce n'est pas ce que je voulais dire », balbutia le jeune homme en s'empourprant légèrement sous son masque. « Je n'aurai jamais sous-entendu que tu étais du genre à abandonner tes coéquipiers. »
« Je sais », le rassura Ladybug en lui donnant une petite tape affectueuse sur le bras. « Et toi », poursuivit-elle en tendant un doigt accusateur en direction de son ennemi, « sache qu'il te faudra faire mieux que me désarmer si tu veux m'arrêter. J'ai fait le serment de protéger Paris et je tiendrai parole, avec ou sans yo-yo ! », s'exclama-t-elle en relevant fièrement le menton, main posée sur le cœur. « Tant que je serai en état de me battre, je continuerai à m'opposer au Papillon et à tous les vilains qu'il enverra ! Toi y compris ! »
Le discours improvisé de Ladybug laissa Chat Noir muet de stupeur.
Non.
D'émerveillement, plutôt.
Le jeune homme était sous le charme, envouté par un quelconque sort que sa partenaire semblait tisser avec ses mots. Les paroles de la jeune fille le touchaient jusqu'au plus profond de son âme, trouvaient une résonnance dans les moindres recoins de son cœur.
Alors qu'il tentait désespérément de combattre cet étrange sortilège pour garder un semblant de maîtrise de son esprit, Chat Noir sentit une douce onde de chaleur parcourir son corps. Son souffle lui semblait soudain trop court, sa poitrine lui paraissait tout à coup trop petite pour contenir les puissantes pulsations qui affolaient son rythme cardiaque.
Le sang-froid dont faisait Ladybug était clairement impressionnant. Pourtant, à la façon dont elle tentait désespérément de maîtriser le tremblement de ses doigts, à la manière dont elle contractait inconsciemment les mâchoires, Chat Noir devinait sans peine que sa partenaire était bien loin d'être aussi sereine qu'elle tentait de le montrer. La perte de son principal moyen d'attaque et de défense était pour elle un véritable coup dur, qui l'affectait manifestement bien plus qu'on aurait pu le deviner en la voyant tenir ainsi tête à son adversaire.
Mais malgré ses doutes, malgré sa peur, elle refusait de reculer.
Son ennemi l'avait acculée dans une position plus que périlleuse, la plaçant dans une situation de faiblesse qu'elle avait certainement rarement connu. Et pourtant, elle restait déterminée à poursuivre sa mission envers et contre tout, faisant preuve d'une volonté extraordinaire et d'une maîtrise d'elle-même plus grande encore.
Cette éblouissante manifestation de courage émerveillait Chat Noir. Le bouleversait jusqu'au plus profond de son être. Faisait naître en lui des émotions qui allaient au-delà du simple respect et d'une innocente camaraderie.
Chat Noir avait toujours ressenti énormément d'admiration pour cette jeune fille qui portait la sécurité de la capitale sur ses épaules. Mais à présent, ce qui n'avait été jusque-là qu'un simple petit coup de cœur se transformait en véritable coup de foudre.
L'intensité de ses propres sentiments secoua Chat Noir autant que s'il avait été frappé par l'une de ces puissantes décharges d'électricité tombant des cieux. Ladybug était loin d'être invincible, pourtant. Mais sa détermination, son dévouement et sa force de caractère éblouissaient le héros.
Cette fille était extraordinaire. Elle le laissait étourdi, émerveillé. Amoureux fou, même, réalisa-t-il dans un instant d'étrange clarté.
Et, accessoirement, complètement déconnecté de la réalité du moment.
Mais heureusement pour Chat Noir, cette prise de conscience aux allures de rêve éveillé ne fut guère exploitée par son ennemi. Ce dernier se focalisait entièrement sur sa coéquipière, crachant sur elle des paroles haineuses qu'elle ignorait avec un mépris royal.
Cependant, si elle ne prêtait guère d'importance aux provocations du vilain, Ladybug ne comptait pas pour autant rester indifférente à sa présence. Déterminée à ne pas laisser le combat s'enliser dans une joute verbale inutile, elle se redressa de toute sa taille, ses yeux bleu azur étincelant d'une résolution sans faille.
« Chat Noir », lança-t-elle d'une voix claire, ramenant brusquement son partenaire à l'instant présent. « On y va ! »
Chat Noir sentit se dessiner un immense sourire sur son visage.
Il était plus que prêt à suivre Ladybug. Dans ce combat, et même jusqu'au bout du monde si elle le lui demandait. Cette fille était à présent le centre de son univers. Son univers entier, même.
Cœur, vie, âme, tout ce que Chat Noir avait à lui offrir lui appartenait désormais.
Le regard pétillant d'une joie péniblement contenue, le jeune héros avança d'un pas vers Ladybug et s'inclina respectueusement devant elle.
« A tes ordres, ma Lady. »
Le cœur au bord des lèvres, Félix observait la scène avec angoisse.
Depuis la ruelle où il avait trouvé refuge, il pouvait à peine apercevoir son frère et son ancienne coéquipière, mais les quelques bribes de conversation qu'il arrivait à surprendre n'auguraient rien de bon. Une héroïne désarmée, un jeune homme n'ayant aucune expérience du combat, et le tout agrémenté d'un vilain particulièrement agressif. La recette était idéale pour un désastre.
Mâchoires serrées de rage, Félix recula d'un pas en voyant Ladybug et Chat Noir se jeter de nouveau dans la bataille, pour mieux se dissimuler à l'ombre de l'immeuble de sel à côté duquel se tenait.
Il n'aurait jamais dû venir.
C'était dangereux. Pour lui autant que pour son frère.
En tant qu'ancien héros, Félix ne savait que trop bien combien la présence d'innocents citadins sur le champ de bataille pouvait compliquer rapidement une situation déjà difficile. Mais désormais, il n'avait lui-même guère plus de pouvoirs qu'une personne quelconque. Il ne serait qu'une gêne pour Adrien, au mieux. Et au pire, son frère pourrait se retrouver en danger à cause de son inconscience.
Il n'aurait jamais dû venir.
Mais dès que la nouvelle d'une attaque s'était propagée jusqu'à lui, il avait saisi le premier prétexte venu pour s'éclipser et se ruer sur les lieux de l'affrontement. Ça avait été plus fort que lui. Un instinct plus puissant que tout le bon sens dont il était pourtant si fier, un besoin irrépressible de venir voir de ses propres yeux si Adrien allait bien.
Félix savait qu'il se serait consumé d'angoisse s'il avait dû se contenter d'attendre de ses nouvelles quelque part à l'autre bout de Paris. Mais manifestement, le fait d'être au milieu de l'action rendait les choses bien pires encore.
Savoir que son frère allait devoir combattre était une chose.
Voir son frère au cœur du champ de bataille en était une autre.
Les bruits de coups. Les éclats de voix. Cette odeur iodée omniprésente, qui ne faisait que s'accentuer à mesure que le super-vilain intensifiait ses attaques. Tout cela ne faisait que rendre l'affrontement plus réel, et le danger que courrait Adrien plus palpable encore. L'inquiétude nouait le ventre de Félix au point que le jeune homme en avait la nausée, tandis que la peur qu'il n'arrive quelque chose de dramatique à son frère faisait descendre des filets de sueur froide entre ses omoplates.
Réalisant soudain que ses mains tremblaient, Félix serra rageusement les poings, enfonçant ses ongles dans ses paumes dans une piètre tentative de regagner son calme. Son cœur lui hurlait de se jeter à son tour dans la bataille, de venir en aide à celui auquel il tenait plus que sa propre vie. Mais luttant de toutes ses forces contre cet instinct désastreux, son esprit lui rappelait impitoyablement que le temps où il était un héros était révolu et que sans sa bague, il ne serait rien d'autre qu'un handicap pour les deux protecteurs de Paris.
Impossible pour Félix d'aider son frère ou cette fille à laquelle il avait fini par s'attacher malgré lui.
Il devait rester ici, en simple spectateur, avec l'impression d'être prisonnier d'un long et horrible cauchemar et la sensation atroce qu'on lui arrachait le coeur de la poitrine chaque fois qu'Adrien se retrouvait dans la ligne de mire de son ennemi.
Il ne pouvait rien faire.
Absolument rien.
Cette attente insupportable le tuait à petit feu. Dans la vie, Félix détestait beaucoup de chose. Les gens, les effusions en tous genres, le bruit des essuie-glaces contre une vitre sèche, la manière dont son père prétendait régir la vie de ses deux fils... Mais par-dessus tout, il haïssait se sentir impuissant.
Et en cet instant précis, il se sentait terriblement, horriblement impuissant.
Secouant la tête, le jeune homme se passa une main tremblante sur le visage.
Venir ici avait été une grave erreur.
Alors qu'il se rongeait les sangs en priant pour que son frère et Ladybug réussissent à se sortir de ce périlleux combat sans dommages, Félix aperçut soudain une silouhette de l'autre côté de la rue. Une adolescente qui tentait de s'approcher discrètement des deux héros et de leur adversaire, téléphone levé pour mieux filmer la scène.
Félix laissa échapper un grognement irrité.
La fille du Ladyblog. Naturellement.
Toujours à être là où elle pouvait se faire capturer, momifier, envoûter, transformer...
Félix comprenait la nécessité de tenir Paris informé des activités des vilains en vadrouille, ne serait-ce que pour permettre aux citoyens innocents d'éviter une zone de conflit. Mais pour lui, quelqu'un capable de foncer tête baissée dans les ennuis avec autant d'acharnement que le faisait cette jeune blogueuse ne pouvait être que qualifié de gêneur de première catégorie. Il ne comptait plus le nombre de fois où lui et ses partenaires successives avaient dû l'arracher des griffes d'une victime du Papillon, sans que cela ne lui serve visiblement de leçon.
Pourtant, peu importait le pourcentage non négligeable de fois où elle avait couru un grave danger lors d'un de ses reportages, peu importait à combien d'occasions elle n'avait échappé au pire que grâce à l'intervention des héros dont elle narrait les exploits. Cette fille n'en poursuivait pas moins son œuvre, avec une obstination qui n'inspirait qu'incompréhension et agacement à Félix.
Soudain, à sa grande horreur, le jeune homme vit l'adolescente sortir de sa cachette. Manifestement lassée de devoir se contenter de filmer de loin, elle commença à se faufiler entre deux rangées de voitures pour se rapprocher un peu plus de l'action.
Le sang de Félix ne fit qu'un tour.
Hors de question de laisser cette fille distraire inutilement son frère.
Sans perdre une seconde, il s'élança à sa suite, la saisit rudement par le bras et l'entraîna derrière un camion suffisamment imposant pour pouvoir leur offrir un abri acceptable.
« Fait attention », siffla-t-il entre ses dents, le regard étincelant de colère. « Tu vas te faire toucher si tu continues. »
« Je fais attention », riposta Alya d'une voix indignée. « J'ai l'habitude. »
Alors que Félix ouvrait la bouche pour la sermonner vertement, une silouhette sombre atterrit soudainement à leurs côtés.
« Hey ! », s'exclama Chat Noir en posant son bâton sur son épaule d'un air faussement nonchalant. « Est-ce que ça... »
Notant brusquement la présence de Félix, le jeune homme marqua un bref instant de pause. Mais heureusement, il se reprit avec une telle rapidité que seule la légère dilatation de ses pupilles aurait pu trahir sa surprise.
« ...va bien ? », enchaîna-t-il avec un parfait naturel.
« Chat Noir ! », s'écria Alya avec ravissement, visiblement inconsciente du trouble qui avait saisi le jeune homme à la vue de Félix. « Je peux avoir une interview ? ça fait quoi d'être le nouveau héros de Paris ? C'est un remplacement définitif ou provisoire ? Ladybug t'as déjà fait part de ses impressions ? Et est-ce que - »
« Ce n'est pas le moment », la coupa rudement Félix en raffermissant sa prise autour du coude de la jeune fille. « Désolé de t'avoir dérangé, Chat Noir », poursuivit-il à l'attention de son frère. « On s'en va. »
« Quoi ? », protesta Alya en s'arrachant à la poigne de son interlocuteur. « Non. On ne s'en va pas du tout. J'ai un reportage à filmer pour le Ladyblog et il est hors de question que je parte ! »
« Alors on va au moins s'en aller plus loin », rétorqua le jeune homme. « Là où on ne les gênera pas », ajouta-t-il en désignant Chat Noir d'un bref geste du menton.
Alya soutint un instant le regard de Félix, une moue butée sur son visage. Puis ses traits se détendirent lentement à mesure qu'elle réalisait le bien-fondé les arguments du jeune homme.
« D'accord... », soupira-t-elle d'une voix résignée. « Je m'éloigne. »
Soulagé, Félix jeta un bref coup d'œil à son frère. Ce dernier hocha la tête de façon presque imperceptible en signe de remerciement, le salua d'un large sourire, d'un geste de la main, puis se propulsa hors de vue.
Sans perdre une seconde de plus, Chat Noir retourna aux côtés de Ladybug.
Il avait beau savoir sa partenaire pleine de ressources, il répugnait à la laisser lutter seule maintenant qu'elle était privée de son yo-yo. Si ce n'avait été sur la demande de sa Lady, il ne se serait même jamais éloigné d'elle pour tenter de faire reculer Alya. Mais Ladybug avait repéré l'apprentie journaliste dès l'instant où cette dernière s'était avancée dans la rue et avait aussitôt prié son coéquipier de veiller à ce qu'elle ne se mette pas plus en danger qu'elle ne l'était déjà. L'idée de laisser sa partenaire sans soutien avait scandalisé Chat Noir, mais quelques protestations plus tard, le jeune homme avait fini obtempérer et rejoindre l'intruse.
Le souvenir de cette brève intervention laissa Chat Noir songeur.
En lecteur assidu du Ladyblog, il savait que les chances de retrouver Alya au cœur du champ de bataille étaient loin d'être négligeables. Mais de là à s'attendre à y voir aussi son propre frère...
Le jeune homme secoua vivement la tête.
Ce n'était guère le moment de se poser des questions sur la présence de Félix. Il avait un vilain à arrêter et une ville à sauver. Le reste pourrait attendre plus tard.
« Chat Noir ! », l'interpella Ladybug en esquivant gracieusement un rayon de sel. « Viens avec moi, j'ai une idée ! »
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