Chapitre 9

Et voilà. Maintenant tu sais tout...

Le regard de mon mari, pétillant d'espoir, s'assombrit aussitôt.

—En résumé, dit-il, sa main grattant sa barbe, tu n'as rien trouvé...

Il soupire.

—Je m'y attendais...

Il met ses deux mains sur sa tête.

—Je n'ai, en effet, rien trouvé qui pourrait te disculper, mais j'ai trouvé autre chose...

Il relève la tête et me fixe, surpris.

—Vraiment ? Quoi donc ?

—La vérité, dis-je simplement.

—La vérité ?

—C'est exact.

Après ce que je vais lui dire, rien ne sera plus jamais comme avant. Mais à dire vrai, cela me convient parfaitement. Car, avant, les choses étaient bien pires.

—Tu pensais vraiment que je n'allais jamais rien découvrir, n'est-ce pas ?

Il fronce les sourcils.

—Que tu ne découvrirais jamais... quoi ?

Je ferme les yeux.

Tu peux le faire. Ce n'est pas le moment de flancher.

J'ouvre les yeux.

—Ce que tu as fait à Kiara.

Les derniers brins d'incompréhension qui perlaient à ses yeux disparaissent. Tout ce que je vois maintenant c'est la peur. La peur et la honte.

—Lily, je ne vois pas ce que...

—Ce que je veux dire ? dis-je en élevant légèrement la voix. Laisse moi te rafraîchir la mémoire. Je parle du fait que, durant les deux dernières années qui viennent de s'écouler, tu aies baisé ta fille presque tous les jours de la semaine, que tu l'aies forcée à te faire des fellations, que...

—Arrête, je t'en prie...

—Que j'arrête ? Ça te dérange d'entendre ce que tu as fait à ta propre fille ? Comment tu as ruiné sa vie, sali son innocence ? Ou alors ça t'excite ?

—ARRÊTE !

Les gardes aux alentours se rapprochent dangereusement, alertés par son cri. Mais je ne vois pas ce qu'ils craignent. Il y a une vitre en béton qui nous sépare.

Je leur fais un signe de la main pour leur demander de s'éloigner.

—Tout va bien, leur dis-je.

Je me tourne à nouveau vers mon mari. Il tremble d'une manière incontrôlable.

—Je... je suis désolé, Lily... Je suis tellement désolé...

—Ce n'est pas à moi qu'il faut le dire, mais à ta fille. Ta fille que tu devais aimer et protéger.

Dans un flash, je revois l'expression meurtrie de Kiara lorsqu'elle m'a avoué ce que son père lui a fait...

—Mais tu n'en auras plus jamais l'occasion, maintenant. Je m'en suis assurée.

—Tu t'en es... assurée ?

—C'est exact. Je t'ai dit tout à l'heure que je n'ai rien trouvé qui pourrait t'innocenter. Ce n'est pas tout à fait vrai.

—Quoi ? s'exclame-t-il. Qu'est-ce que tu veux dire ? Qu'as-tu découvert ?

En guise de réponse, je lui fais un sourire carnassier.

Pendant un instant, il semble ne pas comprendre. Puis, peu à peu, tout devient clair.

—Non... C'est impossible. C'était... toi ?

Je ne lui réponds pas. Souriant toujours, tout le scénario que j'ai monté, depuis ce jour où Kiara s'est confiée à moi, me revient en mémoire...

On dit souvent que la vengeance est un plat qui se mange froid. C'est vrai. Mais j'ajouterai qu'il se mange aussi lentement.

La plupart des gens, lorsqu'ils désirent se venger, agissent trop rapidement et de manière impulsive. La meilleure vengeance est celle qui se savoure, celle qu'on prend le temps de déguster...

Et en ce qui me concerne, j'ai vraiment pris mon temps.

Au départ, j'ai pensé à confronter Albert, lui faire avouer son crime et ensuite le dénoncer. Mais cela m'a paru trop simple. D'ailleurs, il aurait pu nier. Dans ce cas, cela aurait été sa parole contre celle de sa fille et, lui-même étant un excellent avocat, il avait toutes les chances de s'en sortir.

Bien entendu, le tuer aurait été également trop facile. Ce que je voulais c'était qu'il souffre lentement et que je puisse en être témoin. S'il mourait, comment aurais-je pu l'être ? Toutes ces théories sur une vie après la mort, je les emmerde. Le ciel et l'enfer, ça ne m'intéresse pas. Pour moi, tout se passe ici-bas. Le plaisir comme la souffrance.

Il me fallait donc trouver autre chose. Quelque chose qui le mettrait hors d'état de nuire pendant très longtemps.

C'est là que deux opportunités se sont présentées à moi. Tout d'abord, j'ai aperçu la fillette de nos voisins, jouant dans le parc du quartier. Un plan machiavélique s'est alors formé dans mon esprit. Un plan tellement ténébreux que j'avais du mal à croire qu'il venait de moi.

Pourquoi Emily Powell ? Je n'en ai aucune idée. J'ai estimé à ce moment-là qu'elle faisait office de bon sacrifice, que sa mort servirait à faire revivre ma fille. Une vie pour une vie. N'est-ce pas sur cela que reposent la croyance et l'espérance des chrétiens ? Que Jésus, leur sauveur, se serait sacrifié afin qu'ils aient la vie ? Si Dieu était capable de telles atrocités, pourquoi devais-je me sentir coupable ? Pourquoi devais-je me gêner, surtout lorsqu'il s'agissait du bonheur de ma fille ?

Cependant, il n'était pas question de m'en charger moi-même. Si j'étais d'accord de verser du sang, je n'avais nullement l'intention de le faire directement. Qui le ferait alors ? Un tueur à gages ? Une personne lambda ?

La réponse m'est venue un jour tout à fait ordinaire alors que je faisais des courses dans un supermarché de la ville. Cela s'est passé comme dans les films.

Au rayon charcuterie, alors que je m'apprêtais à prendre de la viande, je me suis cognée contre quelqu'un. En m'excusant, j'ai levé les yeux et là, devant moi, se trouvait une personne que je n'avais pas vu depuis très longtemps.

Jared Clarke.

Nous sommes restés à nous dévisager pendant plusieurs secondes sans rien dire. En effet, nous ne nous étions pas séparés dans les meilleures conditions. Si je l'avais quitté pour me mettre avec Albert ce n'était pas parce que je ne l'aimais plus. Physiquement, il était beaucoup plus attirant et à ses côtés, je me sentais vraiment vivante. Autrement dit, avec lui, la vie était un peu comme une suite ininterrompue de montagnes russes.

Non, si je l'avais quitté, c'était parce qu'il avait abusé de moi. Ironique quand on sait que j'avais justement prévu de me donner à lui une semaine plus tard, durant le bal de fin d'année. S'il avait été un peu plus patient, nous serions probablement encore ensemble aujourd'hui.

Après ça, les choses n'avaient plus jamais été les mêmes entre nous. Il s'était excusé de mille et une manières différentes, mais je n'arrivais plus à lui faire confiance. Chaque fois que mes yeux se posaient sur lui, je revoyais son regard enragé et affamé pendant qu'il me pénétrait et que je criais à l'agonie.

Par la suite, nous avions rompu et je m'étais mise avec Albert qui me faisait la cour depuis plus d'un an déjà. Avec ce dernier, la vie ressemblait plus à un manège et elle manquait cruellement d'adrénaline. Néanmoins, lui, au moins, me traitait bien.

Ainsi, Jared et moi sommes restés courtois et avons discuté quelques minutes de tout et de rien. Il m'a demandé ce que je faisais dans la vie, je lui ai répondu que j'étais psychologue. Il a paru surpris un moment, puis il a fini par dire que c'était un métier qui m'allait bien.

—Et toi ? lui ai-je demandé.

—Flic, a-t-il répondu. Tu peux croire ça ? Je suppose qu'ayant été un méchant pendant une bonne partie de ma jeunesse, j'ai voulu savoir ce que ça faisait de se retrouver de l'autre côté, a-t-il ajouté en souriant.

C'est à ce moment-là que j'ai su que je venais de trouver ma deuxième opportunité, la dernière pièce manquante du puzzle. Le fait qu'il soit un policier était juste la cerise sur le gâteau.

J'ai pris son numéro de téléphone et lui ai donné le mien. Le lendemain, je l'ai appelé.

Mon plan était simple : tuer la petite Emily et laisser des preuves sur la scène de crime qui incrimineraient mon mari.

C'est bien entendu Jared qui s'est chargé du meurtre. Je ne sais pas s'il l'a fait lui-même ou s'il s'est servi de quelqu'un d'autre. Peu m'importait, tant que le méfait était accompli. Au début il n'était pas d'accord, mais ma menace de le dénoncer pour viol a été suffisante pour le faire plier.

En ce qui concerne les preuves laissées sur la scène du crime, c'est moi qui m'en suis chargée. Au prix de ma dignité, j'ai accepté de faire une fellation à Albert. Au moment de sa jouissance, j'ai prélevé un peu de son sperme que j'ai mis dans un flacon, lequel a servi de preuves irréfutables pour établir sa culpabilité dans cette affaire. En effet, comment pouvait-il déclarer ne pas connaître la victime et ne l'avoir jamais touchée, quand son sperme se retrouvait dans son vagin et sur plusieurs parties de son corps ? C'était un argument solide et indéniable.

Ça a été tellement jouissif de le voir plonger sans se douter un instant que c'était moi, sa femme, qui avait tout manigancé, de voir son regard voilé de tristesse et de détresse lorsque j'essayais de le consoler, que je lui parlais de nos enfants...

Et que dire de cette petite comédie que j'ai joué au poste de police avec Jared, lorsque nous nous sommes comportés comme si nous venions de nous rencontrer ? Je sais que pour lui ce n'était pas vraiment amusant, mais pour moi c'était hilarant ! Je prenais enfin ma revanche contre cet homme sans cœur qui avait détruit son propre enfant et moi par la même occasion.

Jared m'avait peut-être violée au lycée, mais je sais qu'il n'aurait jamais fait une chose pareille à sa propre fille. Albert, gentil en apparence, était en fait le pire des deux. Et c'était cela qui m'enrageait le plus, que je me sois fourvoyée à ce point...

Maintenant que je l'observe derrière cette vitre, vaincu et complètement inoffensif, je me demande comment j'ai pu rester mariée à cet homme pendant plus de vingt ans. C'est un peu comme si je ne l'avais jamais vraiment connu.

Mais finalement, n'est-ce pas cela le mariage ? Deux inconnus qui décident de faire leur vie ensemble en espérant se connaître mais qui à la fin se rendent compte que c'est tout bonnement impossible ?

Oui, le mariage est porteur de promesses. De promesses non tenues...

Bref. Cela n'a plus aucune importance. Son compte est bon. Il ne sortira pas d'ici de sitôt. Bien entendu, je ne peux pas lui révéler comment je l'ai piégé. Ce serait stupide avec ces caméras et ces gardes autour de nous. Tout ce que je voulais c'était le confronter au sujet de Kiara et aussi lui faire savoir d'une manière ou d'une autre que j'étais responsable de son arrestation. Maintenant que c'est chose faite, je n'ai plus rien à faire ici.

—C'est bien toi Lily, n'est-ce pas ? répète-t-il.

—Je ne vois pas de quoi tu parles, dis-je, parvenant difficilement à masquer mon sourire.

Je me lève tout doucement.

—Je m'en vais. Nous n'avons plus rien à nous dire.

Je m'apprête à remettre le combiné à sa place, quand, soudain, il dit :

—Tu te trompes.

Je me fige.

—Vraiment ? Et sur quoi exactement ?

Il ferme les yeux un instant. Quand il les rouvre, ils sont brillants, remplis de larmes.

—Je ne l'ai jamais touchée, Lily. Je n'ai jamais touché Kiara.

Quel salaud... Quand va-t-il enfin se décider à avouer ?

—Vraiment ? dis-je d'un ton sarcastique. Alors c'est elle qui ment peut-être ?

—...

—T'as perdu ta langue ?

—Ne t'est-il jamais arrivé de te demander si tu connaissais vraiment ta fille ? N'y a-t-il pas eu des moments où tu as eu une impression bizarre... comme si tu la voyais pour la première fois ?

Je reste bouche bée. Ce qu'il vient de dire me déstabilise complètement. En effet, il y a bien eu des moments où Kiara m'a semblé être une autre personne. Le plus récent est, bien entendu, celui où elle a répondu d'une manière effrontée à la question qu'avait posé son petit frère.

Après l'avoir giflée, j'ai vu dans son regard quelque chose que je n'avais jamais vu : une colère intense, presque de la haine. Mais après ce qu'elle m'avait racontée, j'avais mis ça sur le compte de la douleur, de cette souffrance que lui avait fait endurer son père depuis si longtemps...

Mon mari me dévisage d'un air triste.

—Elle avait dix ans lorsque je me suis rendu compte qu'elle était... différente, dit-il. Ce soir-là, en rentrant du cabinet, je t'ai trouvée endormie dans notre chambre. Je n'avais pas particulièrement sommeil alors je suis allé au salon. J'ai pris un pack de bières au frigo et me suis assis devant la télé. Je ne sais pas combien j'en ai bu, six ou sept peut-être, mais en tout cas, à un moment, je me suis assoupi...

Il marque une pause. Je suis totalement suspendue à ses lèvres.

—Quand j'ai ouvert les yeux, ma braguette était ouverte et quelqu'un d'autre était là...

—Arrête, je ne veux plus rien entendre..., dis-je en secouant la tête, craignant plus que tout ce qu'il s'apprête à me dire, ce qu'il essaie de me dire, ce qu'il est en train de me dire.

— Au début, j'ai cru que c'était toi, vous avez les mêmes cheveux...

—Ça suffit...

—Quand j'ai réalisé qui c'était, je...

—TAIS-TOI ! TAIS-TOI !!!

Je sens les larmes monter, mais je les retiens. J'ai envie de traverser cette vitre et de me servir de ce téléphone pour lui fracasser le crâne, le lui enfoncer dans la bouche, peu importe, tant qu'il ferme sa gueule !

—Non ! Tu voulais la vérité, n'est ce pas ? Eh bien la voilà ! Tu veux savoir ce qu'elle m'a dit ensuite ? Elle a dit : « c'est trop tard Papa, tu as déjà joui. A partir de maintenant, je serai ta deuxième femme. Si tu refuses, je dirai à maman que tu m'as violée ».

Des mensonges. Ce ne sont rien d'autre que des mensonges....

— Si elle s'est confiée à toi, après tout ce temps, c'est uniquement parce que j'en ai eu marre de son petit jeu. Quand je lui ai dit que c'était fini, elle a piqué une crise. Elle m'a dit qu'elle te dirait tout, mais je ne l'ai pas crue. Et puisqu'après ça, je n'ai remarqué aucun changement dans ton comportement vis-à-vis de moi, j'ai pensé qu'elle ne l'avait pas fait. J'ai pensé que nous allions enfin pouvoir reprendre un semblant de vie normale...

Je ne peux pas croire ce qu'il est en train de me raconter. C'est une histoire qu'il a inventé de toutes pièces pour rejeter la faute sur Kiara qu'il a abusée durant de nombreuses années ! Kiara, qui est si innocente... si innocente...

Pourquoi alors ses yeux sont-ils remplis de larmes ? Je connais ce regard. C'est le même qu'il avait lorsqu'il m'a fait sa demande en mariage. Un regard d'une profonde sincérité...

—Au fond de toi, tu sais que j'ai raison. Cette pauvre fillette, Emily Powell... Elle était innocente... Et regarde ce ce que tu lui as fait...ce que tu as fait à ses parents... juste pour me mettre derrière les barreaux... Tout ça pour quoi ?

—Tu n'es qu'un menteur ! m'écriai-je à plein gosier. Je refuse de te croire et je ne te croirai jamais. Tu n'as même pas honte de vouloir mettre ça sur le dos de ta fille ! Tu es encore plus pathétique et cruel que je ne le pensais. Tu...

Je m'arrête de parler, ne sachant plus quoi dire, ne trouvant plus d'insultes assez forte pour me libérer.

—Tu peux tout dire, mais ça ne changera rien à ce qui s'est passé, Lily. Ne t'inquiète pas, je ne te dénoncerai pas. Bien qu'elle fût consentante, j'ai quand même couché avec elle. J'aurais pu refuser ses avances. J'aurais dû...

Il se tait, le regard perdu dans le vide. Il ferme ses yeux, puis les rouvre la seconde d'après. Il soupire.

—Je vais accepter ce châtiment en espérant que là où j'ai échoué, tu puisses réussir. Prends soin de toi, ma chérie... Et prends soin de nos enfants...

Sur ces mots, il se lève et fait signe aux gardes à ses côtés. Ces derniers s'approchent de lui et lui prennent chacun un bras.

Puis, il me lance un dernier regard vide avant de disparaître derrière la porte.

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