3 octobre : La morgue des cœurs brisés

Un jour paisible se leva sur le monde encore endormi des cœurs.

Aurais-je entendu paisible ? Pas pour tout le monde. De toute façon, un réveil n'est jamais paisible pour tout le monde, mais ce matin-là, il ne l'était particulièrement pas pour le gardien de la morgue.

Dans la nuit, à l'insu de tous, on avait éteint l'alarme, brisé les serrures, modifié les étiquettes... D'abord, Sisy n'avait rien remarqué. Il effectuait d'abord la ronde extérieure, vérifiait que personne n'avait tenté d'entrer. Puis, il rentrait et rendait visite au centre du bâtiment, dans l'immense pièce de stockage. Ce qui l'avait interpelé, avant même d'entrer, c'était le calme anormal, exempt des lamentations et des pleurs usuels. Les cœurs brisés, bien qu'incapables de se laisser encore être aimés, ne s'en plaignaient pas moins de leur triste sort.

Ce matin pourtant, calme plat. Lorsqu'il ouvrit la porte, Sisy n'eut que le temps de constater les dégâts avant qu'une marée de cœurs ne se précipite à l'extérieur. Jeté au sol, piétiné de tous côtés, il ne put ni hurler, ni se défendre. En lieu et place, il observa l'oeuvre de sa vie s'égailler dans la ville, auréolée d'une étrange lueur rouge.

Chaque cœur brisé à toujours une raison de l'être, souvent un autre cœur, un de ceux, heureux, qui parcouraient insouciants la ville depuis des lustres sans se soucier de ceux qu'ils avaient endommagés pour toujours. Quand le temps venait, ce cœur brisé en trouvait d'ordinaire un autre pour le réparer. Ces derniers temps hélas, tant de cœurs brisés circulaient l'âme en peine qu'on avait dû mettre les plus récents dans la morgue, le temps qu'ils se calment. Ils étaient relâchés petit à petit, une fois guéris, en attendant des solutions plus fiables.

Elles n'étaient visiblement pas venues assez vite, puisque les cœurs heureux avaient peu de considération pour les cœurs brisés. Cela changeait aujourd'hui.

Déchaîné, le flot des patients dont il prenait tant soin passa au-dessus de lui sans même le voir et s'en alla enfin, guidé par une seule idée : la vengeance. Quelle ingratitude. Dépassés, les cœurs heureux se réveillèrent au milieu d'une cacophonie de gémissements et de cris. Colère et tristesse se mêlaient, chacune cherchant sa cause et la rouant d'accusations, de larmes et de peine à faire pleurer des cailloux. Il se vengeaient avec une morgue telle qu'à la fin de la journée, il ne resta que des cœurs tristes.

Furent épargnés les cœurs ni joyeux ni tristes, ceux qui n'étaient pas responsables, mais se sentaient quand même coupables, ceux qui apprirent qu'ils n'étaient pas châtiés pour les erreurs des autres. Il serait faux de dire qu'ils devinrent heureux, entourés de cœurs tristes, mais ils travaillèrent d'arrache-pied pour rendre aux autres leur bonheur.

Pour y parvenir... qui sait si la morgue de Sisy ne resservira pas ? Qui a dit que les coeurs apprenaient de leurs erreurs ?

Ne recommencent-ils pas éternellement à aimer, à trahir, à souffrir, à blesser, à guérir ? Quoi qu'ils fassent, ils le feront avec autant de morgue qu'ils se sont vengés, c'est eux qui me l'ont dit.

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