18 octobre
Il était un monstre. Il n'y avait pas d'autres mots pour le décrire !
Son fonctionnement le rebutait, la façon dont il était censé vivre le dégoûtait, l'idée même de rencontrer un congénère l'effrayait. Jamais. Jamais il ne devait se confronter à un semblable. Il était certain en tout cas que nul être censé ne se serait avisé de créer cette race maudite à laquelle il appartenait.
Un dieu fou s'y était apparemment amusé. Très drôle.
Il fit jouer les doigts de sa main et admira le mouvement des muscles et des veines sous la peau. Cinq expériences aujourd'hui, aucune cicatrice. Elles disparaissaient avec un douleur gênante, mais supportable, qui ne déconcentrait pas. Quitte à être des machines de guerre, autant fonctionner correctement pendant le processus de guérison pour pouvoir retourner au combat le plus rapidement possible. Pourquoi allier l'utile à l'agréable ?
─ On reprend !
Le jeune homme entra à nouveau dans le laboratoire avec un soupir.
─ Transforme-toi.
Le ton impératif le poussa à ne pas rechigner. De toute façon, il le savait, on avait besoin des résultats pour mieux se défendre des gens comme lui. Ce qu'on comprenait inquiétait moins.
La métamorphose de ses muscles et de ses os s'opéra petit-à-petit. Il se courba vers l'avant et posa des coussinets sur le sol, relevant l'échine et orientant ses oreilles pointues dans toutes les directions. Un loup au pelage épais, noir comme la nuit, et au regard acéré fixa les laborantins avec une fureur toute retrouvée. L'animal prenait le pas sur lui, il le sentait et tentait de lutter contre, à chaque instant. Il devait garder l'esprit humain.
La diffusion des premiers hurlements qu'on lui imposa ne suscita rien en lui. L'animal reconnaissait les simples loups comme inférieurs et ne leur prêtait qu'une attention mineure. Il tournait dans sa cage en claquant des mâchoires, un grognement au fond de la gorge. exprimant la lassitude et la colère de ce mauvais traitement.
Puis, les hurlements animaux se modifièrent et devinrent familiers. Le loup redressa sa lourde tête et écouta. Le grondement enfla. Une présence femelle se trouvait non loin de là, il l'entendait. Il grogna, se jeta sur les barreaux, se blessa et guérit, arracha des copaux de bois, fit teinter le métal, crisser ses griffes. Il devenait comme fou à chercher cet autre individu.
L'infirme partie d'humain encore en lui savait pertinemment que cette attirance irrésistible pour l'autre venait d'une modification génétique de celui qui les avait créés. Une modification qui était intervenue après la guerre et leur éradication. Une modification qui avait voulu que malgré la dizaine d'individus restants, ils devaient survivre, même contre leur gré. Ainsi, quand ils croisaient un congénère, mâle ou femelle, ils ne pouvaient s'empêcher de commencer la procédure de reproduction. Ainsi, en quelques temps, l'espèce aurait dû retrouver son statut d'armée indestructible.
Sauf qu'ils s'étaient fuis les uns les autres, ils avaient fui le monde qui les persécutait, fui les leurs qui les dégoûtaient. La plupart vivaient désormais seuls, sans transformation, attendant la mort comme une délivrance. Le contrôle nécessitait en effet des années de pratique et atteindre la parfaite maîtrise de la transformation et de l'instinct bestial de l'animal pour la mort ou la vie, selon qui il avait en face, semblait complètement impossible. Leur hermaphrodisme sous forme animale n'arrangeait rien.
Il n'y était pas parvenu. L'animal gagnait toujours et se blessait sans discontinuer contre les parois de la cage, de multiples fois reconstituées car il parvenait parfois à les entamer. Ses capacités surhumaines ne venaient jamais à bout du fluide qu'on utilisait contre lui.
─ C'est bon ! clama une voix. C'est assez !
Les hurlements cessèrent, le carnage mélangé des sentiments humains et animaux dans sa tête aussi. En quelques efforts, il se retrouva pour la troisième fois de la journée nu et sanglant sur le sol froid. Il se redressa péniblement et un présence familière et rassurante s'invita dans son espace vital pour l'aider à se relever et le couvrir d'une cape.
─ Mon fils, tu vas bien ?
Il leva les yeux vers sa mère, des larmes au coin des paupières, mais il les retint. Pleurer n'était pas digne.
─ Oui.
─ Mon trésor... souffla-t-elle. Tu en as assez fait pour aujourd'hui. Viens, tu vas te reposer.
─ Mère ?
Elle se tourna vers lui, alors qu'elle allait s'éloigner.
─ Qu'est-ce que tu penses de moi ?
Elle posa un doigt sur son coeur.
─ Je pense que la beauté que tu as là, souffla-t-elle en accentuant la pression sur sa poitrine, ne m'as jamais plus effrayée que la peur de te perdre.
Un goût amer se répandit dans sa bouche.
Thème : "Your beauty never ever scared me." - Mary on a cross
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