15 octobre
L'hiver n'avait jamais été aussi glacial, ni le printemps aussi tardif. Les montagnes encore couvertes de leurs grands manteaux blancs dressaient leurs ombres froides dans des vallées où le soleil n'entrait plus. Même lui semblait avoir abandonné l'idée d'apporter un rayon de chaleur et de vie dans ce monde. Le village restait silencieux, les enfants ne jouaient plus dehors et seul le vent balayait la neige poudreuse entre les maisons closes. On ne se réunissait plus que pour partager de la chaleur humaine et les mauvaises nouvelles : pas de récoltes, les réserves s'amenuisaient et bientôt, il ne resterait plus rien et il leur faudrait mourir de faim. Dans ce village reculé, on connaissait la difficulté de se nourrir, mais on n'avait jamais affronté un tel risque de famine.
Soudain, alors que la matinée soufflait son halène froide au visage des rares assez fous pour s'oser à l'extérieur, un pas feutré se glissa entre les maisons, minuscule mais assuré. Le pas s'approcha de l'auberge où les villageois s'étaient donné rendez-vous. Une mimine impérieuse se leva et frappa au heurtoir. Le bruit se répercuta dans les rues désertes et on entendit la rumeur des conversations s'arrêter net. Les habitués ne toquaient pas.
On ouvrit la porte avec les plus grandes précautions, prenant soin de laisser l'entrebailleur. Quelques secondes plus tard, il était ôté et on faisait pénétrer à l'intérieur une jeune fille frêle que le froid ne semblait pas avoir frigorifié malgré son léger manteau. Elle babillait gaiment de papillons et de fleurs et on s'attendrissait devant cette bouille adorable tout en se questionnant. Elle n'était pas l'une des gamines des fermes voisines. D'ailleurs, personne ne l'aurait laissée sortir par un temps pareil.
On s'interrogeait sans oser la questionner. On lui offrit du pain qu'elle ne mangea pas. C'était la dernière miche. On lui offrit un bol de soupe qu'elle ne but pas. C'étaient les dernières pommes de terre. On lui offrit du thé chaud et elle s'en saisit doucement de ses petites mains. Elle ne cessait de répéter qu'elle venait de voir un champ de fleurs magnifiques, à la fois bleues, violettes et blanches, et qu'il fallait à tout prix aller voir, tant c'était beau. Personne pourtant ne souhaitait l'accompagner malgré ses descriptions vives et solaires. Elle donnait envie de revoir le soleil, la nature verte et de s'échapper de tout ce blanc.
On murmurait qu'il fallait la faire taire, qu'elle n'apporterait que le malheur lorsque tout à coup, un vieillard assis au coin de l'âtre dans laquelle brûlait la dernière des bûches se réveilla. Entendant parler l'enfant, il l'observa un long moment sans rien dire avant d'essayer de se lever. Il s'éclaircit la gorge avec difficulté et tous se turent pour l'écouter. Sa parole avait toujours été respectée et on lisait dans ses yeux une lueur d'espoir qui n'y apparaissait plus depuis longtemps. Pour tous, il ne verrait plus le printemps. On écouta d'autant plus attentivement ses mots :
- L'enfant dit vrai ! Une légende raconte que tous les deux cents ans, après un hiver particulièrement rude, un champ de fleurs telles que cette enfant les décrit apparaît pour annoncer le retour de l'été. Mon grand-père m'a conté cette histoire, il y a de cela bien des lunes et le cycle doit se poursuivre. Cette jeune fille annonce l'arrivée du printemps !
On n'osait y croire. On regardait le vieillard, dubitatif. Son fils, un homme déjà mûr et sage, s'approcha pour l'aider à se rasseoir raisonnablement, mais il se dégagea avec vigueur, les yeux attachés à ceux de la fillette.
- Ouvrez la porte ! Vous verrez !
Il ne coûte rien d'ouvrir la porte, à part de laisser entrer un immense courant d'air glaçant. On meurt déjà de froid de toute façon.
On ouvre la porte. Pas de courant d'air glaçant, on ne meurt pas de froid.
- Vous voyez !
Les villageois sortent à l'extérieur, accueillis par un timide rayon de soleil. La petite les précède, empêtrée dans une couverture dont elle se débarrasse bien vite. Elle les guide en courant de ses petites jambes vers la sortie du village. Tous la suivent désormais. Ils veulent voir ces fleurs.
Dans le champ, la neige a complètement disparu pour laisser la place à l'herbe verte du dessous. Une chaleur printanière semble émaner de ce lieu apaisant. Au milieu des plantes folles, il ne reste déjà qu'une fleur au cœur d'un trou de verdure. On veut l'admirer, mais au moment où l'on se penche, elle disparaît.
On se redresse : la nature et la vie se remettent à battre au rythme de la saison. On cherche la fillette pour la remercier, mais elle reste introuvable. Le vieillard lui, serre dans sa main désormais froide un pétale bleu, violet et blanc que lui a donné une enfant.
Thème : une fleur disparue fleurit pour la première fois depuis 200 ans.
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