Jour 10 - Os brisé
[ CW : Mort ]
Ce matin-là, Yuuko se fit réveiller par le son de la voix de personnes discutant, non-loin de là. Ses yeux bordeaux s'ouvrirent, lentement, difficilement. Ses paupières se faisaient lourdes. Pourtant, elle n'avait pas vraiment l'impression de ne pas avoir suffisamment dormi. Au contraire, ne s'était-il pas écoulé beaucoup trop de temps depuis la dernière fois où ses yeux s'étaient fermés ? Elle n'arrivait pas vraiment à y réfléchir. Son esprit embrumé ne se trouvait pas dans la capacité de penser.
En revanche, quelque chose la frappa assez rapidement, tandis qu'elle demeurait là, au sol, allongée de tout son long : la douleur lancinante qu'elle ressentait depuis des jours au travers de son corps avait disparu, ne laissant aucune trace de son passage. Etait-ce parce qu'elle se trouvait encore en phase de demi-sommeil ? Yuuko esquissa une grimace, et se servit de ses coudes comme d'un levier pour se redresser. La jeune fille se trouvait toujours au même endroit, encerclée par les ténèbres de ce lieu fermé, emprisonnée dans une petite voûte, sous terre. Elle n'avait donc, malheureusement, pas rêvé. Elle avait bel et bien servi de sacrifice humain, trahie par sa jeune sœur, Yukariko. En y repensant, elle sentit son cœur se voiler d'une noirceur profonde : la tristesse de se dire que la personne à qui elle accordait le plus de confiance s'était servie d'elle, sans scrupule, sous prétexte que, ainsi, la peste prendrait fin. Yuuko ne croyait pas en de telles choses.
Elle soupira. Combien de temps lui restait-il, avait qu'elle ne meure d'épuisement, de faim, de soif ? Elle baissa la tête, ses longs et soyeux cheveux noirs venant recouvrir son visage marqué d'un infini chagrin. Elle devait profiter des forces qui lui restaient, et de cet étrange regain d'énergie, pour tenter de s'en sortir. Peut-être s'agissait-il de la force du désespoir, ou de l'adrénaline de son corps qui s'affolait ?
La demoiselle se releva, afin de s'avancer vers la sortie, bouchée par un ensevelissement, plusieurs roches devant le passage.
... Attendez voir.
Ses iris se baissèrent afin de constater avec surprise qu'elle tenait sur ses deux jambes, sans vaciller, et qu'elle était en mesure de marcher. Force du désespoir ou non, comment pouvait-elle accomplir une telle chose, avec son tibia fracturé ? Elle s'en souvenait bien, du craquement sinistre qu'elle avait entendu en tombant, de la douleur aigue ayant parcouru sa jambe, et de son incapacité à se redresser par la suite. Son os n'avait pas pu miraculeusement se reformer, elle n'avait reçu aucun soin. Au fil des jours, la zone était devenue bleue, violacée, puis noire... Et maintenant, sa peau semblait de nouveau pâle, parfaite, comme si rien ne s'était produit.
Piquée de curiosité et d'incompréhension, elle décida de se concentrer sur les sensations de son corps. Elle n'avait plus mal nulle part. Son insupportable sensation de faim ne semblait être qu'un mauvais souvenir, et la froideur du lieu ne l'atteignait plus. Est-ce qu'elle rêvait, en ce moment-même ? Pourtant, tout autour d'elle lui paraissait bien réel.
« Qu'est-ce que ça veut dire ? » murmura-t-elle pour elle-même.
Elle posa sa main contre l'une des roches lui bouchant le passage, puis l'autre, et entreprit de pousser celle-ci, comme elle l'avait fait sans relâche depuis qu'elle avait atterri ici.
Elle ne comprit pas ce qu'il se passa ensuite.
Son corps, comme mut par la volonté de s'échapper, traversa l'ensevelissement, la faisant trébucher, et atterrir dans la salle se trouvant juste derrière sa prison.
« Aah ?? »
Yuuko se retourna vivement, affolée. Elle venait de traverser un mur, qui, semblait-il, avait été refait depuis la dernière fois, comme si cela était normal. Que se passait-il, enfin ? Elle eut un moment de vide, pendant lequel son cerveau essaya de remettre les choses en place. Plus aucune douleur, plus aucune sensation... La faculté de traverser les choses... Non, ce n'était pas possible...
« Je suis...
- Et voilà qui conclut notre cours. A la semaine prochaine ! »
Elle se fit interrompre dans ses réflexions par le son d'une voix inconnue, suivi par le son de chaises se faisant déplacer, et de personnes se redressant. La jeune fille, confuse, se retourna de nouveau, afin de remarquer qu'elle se trouvait dans une salle de classe. Son incompréhension ne s'en fit que plus grande.
Personne ne semblait la remarquer.
Pas même le professeur qui, pourtant, était tourné en sa direction.
« E-excusez-moi ?? » tenta-t-elle d'appeler.
Personne ne se tourna vers elle. Personne ne lui accordait la moindre attention. Elle se redressa, et s'élança au milieu de la salle, dans l'espoir de se faire voir, mais cela ne changea rien à sa situation, et, lorsqu'elle tentait de toucher quelqu'un, ses membres finissaient par passer au travers, à chaque fois.
« Non... Non... »
Effrayée, elle sortit de la salle, déambulant dans un couloir rempli d'élèves, ayant tous plus ou moins son âge. Puisque personne ne semblait être en capacité de la voir, elle allait rentrer chez elle. Elle allait retrouver sa sœur. Malgré tout, peut-être pourrait-elle l'aider. Peut-être serait-elle en mesure de comprendre ce qui lui était arrivé. Est-ce qu'un sort avait été prononcé, après qu'elle se soit retrouvée enfermée ?
Elle traversa le corridor en courant, aussi vite qu'elle le pouvait, sans perdre son souffle. Atterrissant à l'extérieur, elle ne se préoccupa pas du Soleil caressant sa peau, ni de la petite bise soufflant au gré de l'Automne. Non, non, même si elle était enfin sortie de sa prison, elle n'avait pas le temps pour cela. Il y avait plus important.
Manquant de tomber à plusieurs reprises, elle atteignit la sortie de l'école, et se rua...pour se cogner au niveau du portail, contre une sorte de mur invisible. Comme traversée par un flux électrique, elle fut propulsée, en arrière, à quelques mètres de là.
« Non... »
La jeune femme voulu réitérer. Elle s'approcha de nouveau du portail, plus lentement cette fois-ci. Peut-être le traverserait-elle, si elle y allait doucement, comme avec les roches, un peu plus tôt ? Elle avança une main, qui se posa à plat dans le vide, contre une surface qu'elle ne pouvait voir. Puis, elle fit de même avec l'autre, qui agit de la même manière que sa jumelle. Yuuko tenta de frapper délicatement contre le mur invisible, qui ne bougea pas d'un pouce.
Les autres élèves, eux, semblaient en mesure de passer, sans se poser la moindre question.
« Non... »
Elle se mit à frapper plus fort, ses phalanges se resserrant pour former des poings qui se heurtaient, encore et encore, sans être en mesure de créer une faille.
« Non, non, non !! »
*
La nuit tomba rapidement. Yuuko retourna dans la salle de classe, maintenant déserte, où elle était tombée en sortant de la voûte, errant comme une âme en peine au milieu des tables et chaises vides disposées dans la pièce. Elle avait tenté par tous les moyens de s'échapper de l'établissement, mais semblait-il que la tâche demeurait impossible pour elle.
« Un rêve... Je dois être en train de rêver. »
Lorsqu'elle atteignit le mur, tristement, elle passa de nouveau en son travers, revenant dans ce lieu lugubre où elle s'était réveillée, quelques heures auparavant. Pourquoi ne comprenait-elle pas ce qui lui arrivait ? Elle resta debout, sans bouger, le temps de quelques secondes, avant de finalement s'asseoir, ramenant ses genoux contre sa poitrine. Machinalement, l'une de ses mains effleura le tibia auparavant brisé, qu'elle analysa du regard brièvement.
« Je vais m'endormir... Et quand je me réveillerai, tout ira mieux... »
Yuuko ferma les yeux, dans cette position. Elle sentit son corps se faire plus léger, somnolant toute la nuit sans être en mesure de vraiment s'endormir.
Ce n'est que le lendemain matin qu'elle découvrit, tout au fond de cette prison étouffante, le squelette d'une adolescente adossée contre le mur de terre, s'étant détérioré au fil des années, mais conservant depuis son trépas ce tibia méchamment cassé.
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