Chapitre 2

Abygail

La porte du salon se referme et je lâche un long soupir que je retenais depuis que Jayden avais passé l'entrée. Pour une surprise, s'en était une belle ! Je ne m'attendais vraiment pas à le revoir, et encore moins ici ! Quand j'ai repris le carnet de rendez-vous de mon oncle, je n'ai pas vraiment vérifié son fichier client... J'aurais mieux fait de le faire, j'aurais su à quoi m'attendre. 

Mon prochain client attend sagement sur un des fauteuils en cuir de l'entrée, je m'approche vers lui :

-« C'est pour le piercing à la langue ? »

Le jeune sourit de toutes ses dents, il doit tout juste avoir dix-huit ans.

-« Allez si t'es prêt et sûr de toi, on y va. »

Je lui montre ma salle de travail, il hoche la tête et se dirige vers celle-ci. Au même moment Sacha sort de 4h de tattoo portrait couleur intense et le regarde de la tête au pied.

-« Encore un puceau ? » dit-elle un peu trop fort.

Je ris, elle doit avoir raison, vu comme il vient de baisser la tête, les oreilles rouge de honte. Je lui dis de s'installer confortablement sur le siège, et je prépare mon matériel. Une fois prête, je m'approche du petit, et lui fait faire un bain de bouche, trace les deux points qui me serviront de guide, attrape ma pince et lui plante l'aiguille.

-« Voilà, c'est fait. »

Il se regarde dans le miroir tout en tirant ça langue qui commence déjà un peu à gonfler et me sort :

-« Ze vais avoir trop la classe avec za !! Merzi ! »

Encore un qui a fait ça juste pour être classe et faire comme les autres ! Pitoyable...

Les clients s'enchaînent tout au long de la journée, mais ce ne sont que des petites pièces aujourd'hui. Vingt heures arrivent enfin, il est temps de fermer. Le dernier client sort et je referme derrière lui en prenant bien soin de verrouiller la porte et de retourner le panneau du côté "fermé", face à la rue. Je retourne derrière le comptoir, et compte la caisse de la journée, pendant que Mike, Sacha et Liam finissent de nettoyer et de ranger leur salle.

J'en ai presque fini lorsque je sens une main se poser sur mon épaule, lorsque je tourne la tête, je croise le regard pétillant de Liam qui me demande :

-« Aby, chérie, avec Mike et Sacha, on va aller boire un verre au Lock Tavern tu viens avec nous ? »

Je sais qu'ils connaissent déjà ma réponse, depuis six mois, je leur réponds pratiquement tous les soirs la même chose.

-« C'est gentil, mais je vais finir de compter la caisse et ensuite, je vais monter me reposer, je suis complètement naze... »

Liam soupire face à ma même réponse, et Mike et Sacha nous rejoignent devant le comptoir.

-« Écoute Aby, me dit Mike, tu sais que je suis ton ami et tu sais aussi bien que moi que je ne mâche pas mes mots, même si parfois je ferais mieux de me la fermer. Mais depuis six mois, depuis le décès de Phil, tu ne fais que bosser, tu te lèves à l'aube et descends, tu fais ta journée de boulot en adressant à peine la parole aux clients, et hop, tu remontes le soir illico pour te reposer. Les jours s'enchaînent et tu répètes la même chose chaque jour. Ce n'est pas sain ce que tu fais, tu as besoin de te changer les idées, de prendre l'air, de rencontrer de nouvelles personnes, de voir autres choses que le salon et ton appart... »

-« Trois mille, je le coupe, on a fait trois mille livres de recettes aujourd'hui. C'est une bonne petite journée. »

J'entends Mike soupirer.

-« Aby.... ? il souffle encore mais je ne réponds pas. Bien comme tu voudras, si tu changes d'avis, tu sais où on est ! »

Je fais comme si de rien n'était. Comme à leurs habitudes chacun leur tour, ils m'embrassent et finissent par s'en aller. Je m'assure que j'ai bien fermé la porte et me dirige vers l'arrière du salon pour rejoindre l'appartement qui se trouve juste au-dessus. J'emprunte l'escalier en colimaçon et des souvenirs me reviennent.

-« Aiiiie !! »

-« Qu'est-ce qui se passe Poucinette ?! » s'écrie Oncle Phil en arrivant en haut de l'escalier à bout de souffle.

Je renifle bruyamment en essuyant la grosse larme qui coule sur ma joue.

-« J'ai loupé la dernière marche et je suis tombée ! Mon genou est tout écorché... »

Il rit et m'aide à me relever.

-« Abygail, tu es une vraie casse-cou ! Je t'ai déjà répété plusieurs fois de ne pas lire en montant les escaliers... »

-« Mais je... »

Il fronce les sourcils, et ramasse mon livre au sol qui se trouvait juste derrière moi.

-« Je t'ai déjà dit que je n'aime pas que tu me mentes... Fais attention Aby, sinon tu te retrouveras avec un nez tordu comme moi ! »

Je tente de ravaler mes larmes, mais impossible un flot s'échappe de mes yeux, je craque... encore une fois. J'ouvre la porte et allume la lumière du couloir qui se trouve sur ma gauche, je pose mes clefs dans le dépose tout placé sur un petit meuble à ma droite et enlève mes shoes d'un coup de pied en les balançant en vrac sur le côté. Je m'arrête un instant et écoute ce silence pesant qui m'accompagne tous les soirs depuis six mois maintenant. En observant la pièce principale, je me rends compte à quel point il me manque, tout me le rappelle... son vieux siège en bois dans l'angle gauche où il lisait chaque jour son journal, ce vieux canapé au blanc délavé et ses vieux cousins a rayures orange et bleu, toutes les grandes poutres apparentes, en approchant encore et en arrivant dans la cuisine, cette vieille table en bois foncé et ses chaises a l'ancienne où nous prenions tous nos repas, la peinture jaune poussin qui décore l'ensemble de l'appartement.... Bref tout me le rappelle.

Je me sers un verre d'eau que je bois d'une traite et file directement prendre un bain chaud. Le temps que la baignoire se remplisse, je démaquille mes yeux rougis par les larmes, et m'examine dans le miroir. Les traits de mon visage sont tirés et je parais épuisée mais, j'ai de l'énergie à revendre. Enfin juste d'apparence, car mentalement, je n'y suis plus du tout...

Je me plonge lentement dans l'eau chaude, ou je sens chaque millimètre de mon corps s'y détendre immédiatement, je pose ma tête contre le rebord et ferme les yeux en savourant l'instant. Pfff, on dirait une larve... Je n'aime pas rester sans rien faire, j'ouvre les yeux en soufflant, me lave, me rince et ressort presque aussitôt de mon bain. Une fois séché, j'enfile mon bas de survet, et part chercher dans les placards de la cuisine de quoi me consoler devant un bon film.

Je prends mon gros pot de glace Ben&Jerry au Cookie Dough -une tuerie en passant !-, la cuillère qui va avec et une bonne petite bouteille de Hoegaarden rosé. Pourquoi aller au Pub quand on a tout sous la main ? Me voilà paré pour me goinfrer toute la soirée, je vais finir par ne plus pouvoir passer le cadre des portes à ce rythme là !

Je me dirige vers le vieux canapé de Phil, attrape mon plaid bien douillet et me cale confortablement sur celui-ci. Après défilement des divers films dont je dispose sur mon disque dur, mon choix s'arrête sur Dirty Papy, une comédie, histoire de rire pour changer...

Malgré mon confort optimal pour cette soirée en solitaire, je n'arrive pas à me concentrer sur mon film. Mes yeux voient les images, mais mon cerveau, lui, est ailleurs. Je ne fais que de penser à ce matin... à Lui... à Jayden.

Putain, ça m'a fait un sacré coup de le revoir ici après tant d'années. Plein d'émotions se sont entremêlées, en plus de celles que je n'arrive pas à gérer ses temps-ci...

Je me suis revu sept ans en arrière, l'ado coincé, mal dans sa peau, peu sûre d'elle, qui se cachait derrière des fringues dix fois trop grandes pour elle. Qu'est-ce que je déteste cette période de ma vie. J'étais la risée du lycée, et Jayden en a bien profité à cette époque, lui, et sa bande de gros lourdauds...

-« Hey Baggybague ! » me crie Jayden depuis l'autre bout du couloir.

Oh bon sang cachez-moi ! Je cherche une échappatoire, mais trop tard, il est déjà devant mon casier.

-« Alors Miss Baggy, on cherche à m'éviter à ce que je vois... » dit-il de son sourire des plus narquois.

-« Laisse-moi tranquille Jayden... » je dis dans un chuchotement peu audible.

-« De quoi ? Je crois que j'ai mal entendu... Répète un peu.. »

Mais je n'en suis pas capable, ses potes, m'entourant de part et d'autre autour de mon casier.

-« Je le savais, personne ne peut me résister ! ria t-il ses toutous le suivant en rythme. Alors Aby, j'ai appris que tu avais un petit faible pour Louis ? »

Mes joues devenu subitement chaude, et leurs explosions de rire me laisse supposer que je suis complètement rouge de honte. Je baisse la tête, mais pieds devenant soudainement beaucoup plus intéressant.

-« Ecoute moi bien BaggyBague, jamais ce type s'intéressera à toi. Compris ? » et sur ces mots tranchants, il me laisse comme à son habitude en plan, devant la foule curieuse de ce cinéma qui s'est formé autour de nous, n'oubliant pas de me bousculer d'un coup d'épaule au passage et de crier bien fort derrière moi :

-« Louis, mec, tu mérites beaucoup mieux qu'elle... »

Rien que d'y repenser, j'en ai des frissons. Je me fourre une autre grosse cuillère de glace dans la bouche, je me suis déjà enfilé la moitié du pot, bravo Abygail.

Mais en relatant la journée, et ses quelques heures passées avec lui aujourd'hui, j'ai trouvé qu'il était une tout autre personne, différente. En même temps, sept ans sont passés et il a eu le temps de mûrir, autant physiquement... que mentalement. Il a sûrement dû changer depuis toutes ses années, enfin, c'est ce que j'ai ressenti, malgré le fait qu'il m'appelle toujours pas le même surnom pourri et dénigrant ! Putain, il a quand même remarqué que j'avais changé physiquement ? Même moi, je n'en reviens toujours pas de ce changement physique dont j'ai hérité. Je ne me cache pas de le dire, je suis quand même bien foutu, sans me vanter, certaines nanas, n'assument pas leurs petites rondeurs, d'autres d'avoir des fesses volumineuses ou à défaut un peu plate, ou encore d'avoir une petite poitrine ou une trop grosse... Dans le cas contraire, je ne me plains pas, je suis entre les deux pour tout, et j'assume fièrement mon corps. Alors merde, entendre encore ce vieux surnom Baggybague... 

Et puis, qu'est-ce que ça peut lui faire de savoir qui été Phil à mon égard ? J'avais bien raison quand je disais que mon oncle ne parlait pas de moi à n'importe qui, la preuve ! Il n'a jamais mentionné le fait qu'il avait une nièce auprès de Jayden, et tant mieux. Mais je suis gênée qu'il l'apprenne aujourd'hui. Pareil, je ne m'attendais vraiment pas à ce qu'il me demande où reposait Phil maintenant... Quelle relation entretenaient-ils ensemble ? Jayden a eu l'air touché et perdu quand je lui ai sorti de but en blanc que Phil était mort. J'aimerais bien savoir, d'ailleurs Mike doit bien être au courant de quelque chose lui, l'enfoiré ! Il devait bien le savoir que j'aurais rendez-vous avec lui et que j'allais être amenée à le revoir, et il ne m'a rien dit ! Ni une, ni deux, je m'empare de mon portable et lui envoie un sms :

De Aby à Mike :

Ne crois pas que je suis passé à côté ! Enflure ! Tu le savais que j'allais le revoir !

Ça réponse ne se fait pas attendre :

De Mike à Aby

Tiens ? Je croyais que tu étais crevé ? Si ce n'est plus le cas tu peux toujours nous rejoindre... ;)

Je ris nerveusement et balance mon téléphone de l'autre côté du canapé. Sûrement pas... Je suis très bien ici, toute seule... Seule. Ce mot résonne et me rappelle un nouveau cauchemar.

-« Regardez qui voilà les gars... BAGGYBAGUE !! » crie Jayden au moment où je passe le portail du lycée.

C'est sa nouvelle routine, depuis trois jours, il a décidé de ruiné mes journées en commençant à partir de 7h55, heure à laquelle je passe les grilles. Il m'attend avec sa bande d'abrutis, sur le banc situé juste sur le côté de l'entrée, à droite. Trois jours, que j'endure ses nouvelles moqueries, dès le matin...

-« Alors Miss, on dit plus bonjour... »

Alors que j'accélère le pas, il se lève et se précipite devant moi pour me barrer le passage.

-« Laisse-moi passer Jayden ! » j'ose crier, mais c'est peine perdu, je les fais hurler de rire...

-« Il ne faut pas t'énerver de bon matin Abygail... je frisonne à l'entente de mon prénom, il se rapproche de mon oreille pour me chuchoter : Tu es tellement plus mignonne quand tu restes honteuse devant moi. » puis il s'en va, me laissant seule, encore une fois.

Je remarque que je pleure, j'essuie mes larmes rageusement et voit que je suis cette fois, réellement seule dans la cour. Depuis combien de temps la sonnerie à t-elle sonné ? C'est en courant que je me précipite à ma salle de cour, des éclats de rire se faisant entendre des fenêtres justes au-dessus de moi... Je lève la tête et le vois, son sourire diabolique collé au visage, Jayden.

Je reviens à la réalité, il m'a complètement retourné le cerveau en l'espace de deux heures ce matin, faisant remonter à la surface des choses que je préférerais oublier. Je ne veux plus y penser, j'ai assez souffert durant mon adolescence et Jayden en était l'acteur principal. Je décide de me reprendre une bière, puis une deuxième, puis une troisième... Les heures passent et les bouteilles s'accumulent sur la table basse du salon, jusqu'au moment où je sens ma limite atteinte. Je tente tant bien que mal à me lever du canapé, me dirige vers ma chambre en titubant et m'écroule sur mon lit comme une baleine tentant éperdument d'effectuer son magnifique plongeon ! 

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