Chapitre 10
En deux semaines, je n'avais plus vu l'Institut aussi vide. La plupart des élèves sont partis au village aujourd'hui et ça arrange bien mes affaires que Marianne fasse parti du lot. J'ai bien cru qu'elle me viderait de mon sang hier soir. Enid et Sora sont rentrées très tard, voir tôt ce matin et j'ai fait semblant de dormir quand elles se sont levées pour la visite. Sora m'a vu hier soir, elle je suis sûre qu'elle a beaucoup de questions en tête mais je crois que nous ne sommes plus assez proches pour discuter ragots.
Je n'ai pas encore vu Karla mais je suppose qu'elle n'a pas loupé la scène non plus. Personne d'ailleurs. Les seules personnes qui oseront me parler seront uniquement ceux qui n'étaient pas à la fête, c'est certain. J'aimerai tellement tout lui dire, y compris la scène très obscène avec Ciaran.. Au lieu de ça, je préfère me diriger vers la bibliothèque et me terrer là-bas jusqu'à ce que le groupe rentre du village. Hors de question de croiser Marianne dans son aile de l'Institut, elle prendrait ça pour un affront direct. Essayant d'être la plus discrète possible, je pousse les portes de la bibliothèque et m'apaise tout de suite grâce à l'odeur de vieux livres qui flotte dans les airs. Le temps est particulièrement pluvieux aujourd'hui et l'eau frappe le dôme en verre d'un bruit agréable.
Je lis pendant une bonne heure quand un bruit attire mon attention. Un bruit venant du premier étage, sous moi. Je ferme silencieusement mon bouquin, me penche à la rambarde et frôle la crise cardiaque en découvrant des cheveux bleus.
— Seren ?
— Chuuut, j'essaie de finir ma nuit.
C'est vraiment sa réponse ? Depuis quand est-ce qu'elle est là ? Affalée sans aucune classe dans le canapé en cuir, je ne l'avais même pas vu en montant. Je prends mes affaires et descend à son étage. Seren a de gros cernes et son maquillage a coulé. Vu sa tenue, elle était aussi à la soirée hier, ce qui ne devrait pas m'étonner puisqu'elle est quand même la princesse de son royaume.
— Laisse-moi dormir, sorcière.
— Pas tant que tu ne m'auras pas expliqué ta présence ici, naïade, je continue en prenant le même ton.
Elle relève la tête, plisse des yeux et soupire.
— Marianne a raison, tu es une garce.
Silence.
— Tu ne me laisses même pas dormir, continue la fille aux cheveux bleus.
Je suis sûre que me blesser n'était pas son intention mais ça me replonge directement dans mes souvenirs avec la reine des glaces. Je décide de m'installer dans le fauteuil, près d'elle et de rouvrir mon livre. Qu'elle dorme si elle y tient.
J'ai le temps de finir mon livre et d'en commencer à peine un nouveau quand elle semble se réveiller. Elle a dormi plus de quatre heures, elle a dû avoir une soirée mouvementée. Seren s'étire et se fige quand elle me voit.
— Tu es une psychopathe. Pourquoi tu me fixes quand je dors ?
J'ai envie de rire, en effet, dit comme ça, je suis une vraie perverse.
— Sache que je lisais, mon attention n'était pas portée sur la bave qui coule de ton menton, ne t'inquiète pas.
Elle jure et s'essuie du revers de son bras. Seren se redresse, visiblement encore fatiguée.
— L'hydromel est la pire drogue pour les naïades... Et ce mal de tête...
Dans un réflexe, je lui lance ma bouteille d'eau qu'elle accepte sans rechigner. Un litre plus tard, je n'ai plus rien.
— Quelle soif, je ricane.
— Moque-toi, c'est tellement dur d'être loin de l'eau...
Je fronce des sourcils et je me rappelle alors ce que m'avait dit Ida à la rentrée. Les naïades ont besoin d'eau pour survivre, s'ils n'en ont pas, ils ont besoin de soleil.
— Que se passe-t-il si le temps reste couvert encore quelques jours ? je demande alors, réellement inquiète pour elle cette fois.
Seren me toise quelques instants, ce qui me permet de voir ses yeux se dilater étrangement. Puis un léger sourire nait sur ses lèvres. Le premier qu'elle m'adresse depuis des jours. Pour une raison que j'ignore, elle me fuit.
— Tu t'inquiètes pour moi Lily Blake ?
Je ne réponds pas, c'est ridicule. Je ne peux même pas considérer Seren comme une amie. Elle a pris ma défense et c'est tout.
— Ce n'est pas bien grave, nous sommes habitués... L'Hiver est assez rude pour nous, naïades, mais grâce aux machines à UV des humains, nous avons totalement changé notre façon de vivre. Autrefois, nous devions changer de maison dès que le soleil disparaissait trop longtemps. Aujourd'hui, nous avons des solutions qui nous permettent de vivre décemment, répond alors Seren en m'en disant plus que nécessaire.
— Je vois, c'est cool.
Seren observe la pluie tomber sur le dôme en grimaçant.
— Je déteste la pluie.
— Pourtant c'est de l'eau, je lui fais remarquer.
— Oui mais ce n'est pas paisible. Certains naïades préfère la mer et ses vagues et d'autres, comme moi, préfèrent les lacs tranquilles.
J'aurai juré l'inverse, Seren n'est pas du style à garder sa langue dans sa poche, elle défend ses intérêts avec ferveur. Elle se lève et parcourt la bibliothèque du bout des doigts.
— J'aurai vraiment aimé prendre ta défense hier soir, m'avoue Seren sans me regarder.
Je me tourne à m'en faire mal au cou, surprise par cet aveu. Elle ne me laisse d'ailleurs pas en placer une.
— La vérité Lily Blake, c'est que sans rien faire, tu t'es mis à dos la moitié des élèves de l'Institut. Si certains te détestent sans raison comme Marianne, d'autres ne t'apprécient pas par peur y compris mon clan.
— Par peur ? je demande, incrédule.
— Bien sûr. Les différences peuvent créer chez l'autre une peur si forte qu'ils essaieront de te faire disparaître.
Les différences...
— Marianne a raison, ton peuple ne t'accorde aucun crédit. Si ça ne tenait qu'à moi, je t'aurais intégré au miens. Je trouve que la différence n'est pas un défaut, au contraire. C'est un gage de puissance.
— Mais ton peuple n'est pas du même avis.
— Tu as tout compris, j'ai tenté de te venir en aide mais Borg m'a interdit de faire quoique ce soit et en tant que leader, je me dois de réfléchir aux conséquences. J'espère que tu ne m'en veux pas.
Lui en vouloir ? Depuis le début, Seren est de mon côté même lorsque j'ai été ingrate, elle n'a jamais cillé. Je ne pourrais jamais lui en vouloir. Jamais.
— Il fallait bien que donne une bonne leçon à Marianne seule, je dis avec ironie.
— N'empêche, je ne t'aurai jamais cru capable de la gifler. Elle a un sang-froid à toute épreuve.
Je rigole avec elle et depuis ce matin, je crois que j'oublie enfin cette altercation hier soir.
— Quand tu es partie, la fête a continué et pas forcément de la plus sage des manières. Pour tout te dire, il y a même eu une orgie.
Je rougis violemment en pensant à Ciaran et à la naïade particulièrement volontaire.
— Heron, le vampire débile à la botte de Marianne s'est mis a exposé son anatomie à tout le monde et il a couché avec une fae, celle qui traîne toujours avec ta meilleure amie sans aucune gêne. Forcément avec tout cet hydromel, tout le monde parlait avec le corps.
Minute papillon, Enid ? Enid a couché avec Heron ?
— Mais... on a le droit d'avoir des rapports disons poussés avec d'autres créatures ?
Seren me regarde comme si elle allait expliquer l'anatomie à une enfant. Elle se reproche si près que le bleu de ses cheveux m'aveugle.
— Lily Blake, seriez-vous vierge ?
— Évidemment, on n'est pas sensé franchir cette étape avant le pacte, je me défend alors.
Seren me regarde comme si j'étais folle.
— Mon promis faisait ce qu'il voulait et je faisais ce que je voulais de mon côté Lily. Ton corps t'appartient, si le Haut Conseil nous dicte quoi faire sur la plupart de nos actions, notre sexualité nous est propre.
Silence.
— Je n'en reviens pas... C'est quoi la chose la plus « poussée » que tu es faite ?
Je refuse d'avoir cette conversation et surtout avec Seren. Elle doit avoir la même expérience que ces naïades hier soir.
— Je pari que Wren ne t'a jamais touché entre les cuisses.
Je me retourne, choquée par deux éléments. Par sa supposition et par le fait qu'elle sache que Wren était mon promis. Lorsque nous sommes arrivés à l'Institut, certaines règles étaient très claires, les histoires de promis étant du passé devait rester dans le passé.
— Comment ?
— Wren te regarde comme un chiot apeuré dès que tu rentres dans son champ de vision. Je crois que votre rupture l'a plus atteint lui que toi.
— Ouais, c'est vrai qu'il cache difficilement ses émotions...
— Et du coup ?
Je baisse les armes et décide de lui parler de mon expérience inexpérimentée.
— On s'est caressés quelques fois, mais rien de plus. C'était sympa.
— Sympa ? Heureusement que tu changes de promis Lily. C'est sensé te donner si chaud que tu en transpires de partout, si tu vois ce que je veux dire.
Je toussote, pas vraiment prête à avoir cette discussion.
— Tu as vingt-trois ans Lily, tu devrais apprendre le plaisir avant d'être coincé avec quelqu'un pour le reste de tes jours.
C'est la douche froide. Pendant un instant, j'imagine qu'Heron est mon promis et j'en ai la gerbe. Mon promis était sûrement à cette fête hier soir, il a sûrement sympathiser avec beaucoup de jolies créatures alors que ce n'est pas mon cas. Seren a raison, je n'aurais déjà pas beaucoup de défense pour contrer le pacte alors si je pouvais au moins avoir la contenance de dire que j'avais des rapports sexuels, j'aurai peut-être plus confiance en moi.
— Le problème, c'est que si Wren n'a pas réussi à me donner plus envie que ça alors qu'on se connait depuis des années, je ne vois pas qui pourrait... je lui avoue.
— Pourquoi n'essaies-tu pas avec un élève que tu ne connais pas ?
J'émet un rire nasal, certaine que c'est la pire idée du siècle.
— Je ne vais pas forcer le destin Seren, je suppose que je le saurai quand ça arrivera. Quand j'aurai envie de quelqu'un.
Plus gênée par cette discussion qu'autre chose, je prétexte devoir m'en aller. Seren ne me retient pas, amusée de me voir dans cet état. Lorsque je rentre dans ma chambre, je me rends compte que la visite termine bientôt. Je n'aurai pas été seule longtemps aujourd'hui. Je n'ai même pas vu passer le temps avec Seren.
La pluie s'est arrêtée, je prends le livre emprunté à la bibliothèque et m'installe sur le minuscule balcon. Le calme m'apaise pendant une vingtaine de minutes avant que des voix masculines ne fassent échos entre les murs.
— Tu m'épuises Heron. Coucher avec une fae ? Tu as perdu la tête ? Si je t'avais vu faire, je t'aurais réprimandé.
Je connais cette voix. Je ne l'ai entendu qu'une fois, sur ce même balcon, il y a une semaine. Comme si mes vœux étaient entendus, Ciaran apparaît de l'autre côté de mon balcon. Je fais semblant d'être plongée dans mon livre pour ne pas perdre une miette de leur discussion. Quel culot de reprocher ça à son ami alors qu'il participait à une orgie juste avant.
— Je me suis laissé envoûté par ses seins, Cian. Et puis, je ne vois pas le problème.
La tête d'Heron apparaît et il regarde mon balcon. S'il espérait tomber sur une belle petite fae blonde, c'est raté. Ce n'est que moi.
— Et toi, hurle le vampire en s'appuyant sur la rambarde.
— Laisse-là, gronde son ami le brun alors que je ne savais même pas qu'il m'avait vu.
Heron sourit de toutes ses dents comme si ça me ferait tomber amoureuse de lui.
— T'es la copine de Karla ? hurle Heron et heureusement que les autres fenêtres de balcon sont fermés sinon cette conversation ne serait plus vraiment privée.
— On m'a toujours appris à ne pas parler aux suceurs de sang inconnus, désolée, je dis un peu gravement en gardant la tête dans mon bouquin.
Heron glousse et Ciaran peste en me traitant d'idiote. C'est lui le con.
— Ta copine est rentrée du village ? Faudrait qu'on cause !
— Tu ne vas quand même pas lui proposer d'être ta promise ? s'inquiète son ami vampire en lui jetant un regard noir.
— Pourquoi pas.
La réponse d'Heron est cette fois-ci dénuée de plaisanterie. Il cherche Ciaran et je crois qu'il va le trouver vu la colère qui transforme son visage.
— Ce n'est pas mon amie et elle n'est pas rentrée, je dis simplement ce qui atténue le froid entre les deux vampires.
Consciente que je n'ai pas à écouter cette conversation peut-être trop personnelle, je ramasse mes affaires pour rentrer lire dans le lit mais une accusation de Heron envers Ciaran me fait tiquer.
— Toi t'es tranquille, tu as déjà ta promise. Moi je dois en trouver une. Alors si je décide que c'est plus simple de choisir la première venue, je le fais Ciaran.
Le vampire ne réplique pas et je me tends. Ciaran a déjà une promise ? Pitié, ne me dites pas que c'est lui mon promis...
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