Chapitre 7
Lorsqu'Ingwé revint dans la cellule le lendemain, elle lui tournait le dos. Le soldat en fut ravi. Il n'avait pas envie d'affronter son port de tête royal et ses yeux ambrés qui lui faisait toujours un drôle d'effet dans l'estomac.
Pourtant, elle lui lança sans attendre plus longtemps :
- Tu navais pas à faire ça.
- Je ne vois pas de quoi tu parles. Dit-il d'un ton las.
- Tu le sais très bien. Je sais ce que tu as fait. Et je me demande bien pourquoi puisque tu me détestes.
- Je ne te déteste pas.
Pourquoi avait-il dit une chose pareille !? Il était bien le roi des imbéciles. Pourtant, ça la fit se retourner. C'était peut-être ce qu'il voulait en réalité : qu'elle le regarde. Elle arborait des vêtements propres et un visage à la peau claire, laiteuse.
Elle leva son menton et attendit que le soldat précise sa pensée. C'est ce que faisait Aegnor parfois, quand il ne voulait pas comprendre ce qu'il avait entendu juste avant. C'était comme s'il donnait une chance de se rattraper.
- Je ne te connais pas. Je ne peux donc ni te détester ni t'aimer.
Ils s'observèrent quelques instants. Elle fut la première à baisser les yeux. Ingwé se mit à sourire. Il avait gagné cette fois.
- C'est bien cela, le problème dit-elle. Ton frère ne cache pas son animosité à mon égard. Mais toi, je n'arrive pas à te cerner.
Il ne répondit pas. Pas parce qu'il n'avait rien à dire, mais parce que le sujet de sa réfléxion le surprit. Finalement, il décida à la taquiner un peu. Peut-être qu'elle se dévoilerait plus facilement.
- Ça te perturbe, hein ? Répliqua-t-il d'un air taquin.
- Non. Dit-elle hésitante.
Son attitude était délicieuse. Il aimait avoir ce genre de pouvoir sur les gens. Les faire hésiter, douter aussi. Alors qu'il n'avait rien dit de particulier. Ça lui permettait de savoir ce qu'ils pensent, de sonder leur attitude, les gestes qui les trahissent. Ça mettait en lumière leurs intentions. Et surtout, ça l'avait sauvé des dizaines de fois. Poser des questions sur ce qu'ils ressentent, ce quelles pensent sans jamais toutefois y porter grand intérêt. Il avait développé cette tactique, seul, lors de ses différentes missions. Elles lui avaient permis d'en sortir vivant.
- Tu pourrais me manipuler, si tu le voulais. Pour savoir ce que je pense de toi.
- Je ne le ferai pas. Dit-elle sans aucune hésitation.
Voilà qui était intéressant. Une réaction vive de celles qui étaient basées sur l'instinct. Mais quel genre d'instinct cette princesse avait-elle développé ?
- Pourquoi ? Demanda-t-il innocemment.
- Ça ne te regarde pas. Répondit-elle en se tournant à nouveau.
Ça le fit sourire. Finalement, elle avait son caractère. Mais il avait aussi le sien.
- Ou peut-être parce qu'il y a un dysfonctionnement dans ton Don ?
Il la vit se crisper. Il devina également qu'elle retenait sa respiration. Le geôlier avait donc raison. Aucun Larnien ne peut résister longtemps quand il s'agit de manipuler quelqu'un. Cest comme s'ils étaient né avec le besoin de le faire.
- Pourquoi le penses-tu ? Demanda–t-elle prudemment.
C'était bien joué. Ne pas répondre en posant une autre question. Elle semblait plus douée avec les mots qu'avec sa capacité. Il ne voulait pas qu'elle sache qu'il avait fait appel à une infirmière pour le découvrir. Ingwé avait été soulagé de savoir qu'elle avait un semblant d'intimité et c'était lui le premier à l'avoir brisé. Il devait faire preuve davantage de perspicacité.
- Aegnor sait à quel point votre capacité est puissante et ils ne mettraient pas inutilement ses soldats en danger. Nous sommes indispensables à sa conquête. Alors pourquoi t'a-t-il choisie ?
Elle s'était retourné à son explication. Et maintenant, elle fronçait les sourcils.
- Il m'a capturé parce que je suis l'héritière du trône. Tu le sais autant que moi.
- Je n'en suis pas si sûr. J'ai l'impression que tu me caches quelque chose.
- Pourquoi te cacherais-je quelque chose. Tu n'es rien d'autre qu'un geôlier. Dit-elle d'un ton hautain.
- Peut-être, mais je suis le tien. Dit-il en se rapprochant des barreaux de sa cellule. Vas-y manipule moi. Lui ordonna-t-il.
Elle s'avança vers lui comme pour le défier. Il n'y avait plus que les barreaux entre eux et leur fierté qui faisait barrage.
- Je ne le ferai pas. Répliqua-t-elle en serrant les dents.
Ses yeux ambrés n'avaient pas changé de couleur. Pourtant, ils avaient l'air très profonds au point qu'Ingwé sembla se perdre dedans. Elle était peut-être en train de faire exactement le contraire de ce qu'elle disait. Pourtant, il avait l'intime conviction qu'on se sentait différents lorsqu'on se faisait manipuler comme si on se trouvait en dehors de son propre corps.
Le soldat reprit ses esprits et plissa les yeux pour essayer de la percer à jour.
- Parce que tu ne peux pas le faire. Dit-il en chuchotant.
Elle frissonna, surprise par la douceur qu'il avait donné à ses mots. Ça devait changer du ton désagréable qu'il s'évertuait délibérément à prendre pour lui adresser la parole.
- Non. Parce que c'est plus drôle quand l'autre ne s'y attend pas.
Elle lui sourit triomphante et se recula pour ensuite s'asseoir par terre en lui tournant le dos à nouveau. Elle était plus maligne qu'elle n'y paraissait. Et ça ne lui déplaisait pas.
*
Le lendemain, Aegnor le fit appeler dans la salle du trône. Ingwé n'arrêtait pas de regarder la porte derrière son Roi, celle où se trouvait la prisonnière. Il avait échoué dans son interrogatoire. Il devait obtenir des réponses. Il en avait besoin pour une raison qui lui échappait.
- Soldat Ingwé ! Appela le Roi.
Le geôlier s'avança vers lui, mais le souverain ne lui adressa la parole que lorsque son précédent interlocuteur quitta la salle. Il n'y avait plus qu'Aegnor et lui. Il n'aimait décidément pas ça. Il se sentit, soudain, faible en sa présence et avait de plus en plus de mal à tenir sa langue.
- Comment va la prisonnière ? Demanda le Roi dune façon désintéressée.
- Bien, mon Seigneur.
- Calywen m'a dit qu'elle avait changé de vêtements et qu'elle était propre. Est-ce toi qui est à l'origine de cette initiative ?
- Oui, mon Seigneur. Je me suis dit qu'elle pouvait attraper une maladie qui pourrait la rendre faible ou la tuer. Vous nous avez expressément dit qu'elle était plus utile vivante que morte, pour garder nos ennemis à votre merci. J'ai donc demandé à l'infirmière Lyrax de s'en charger.
- Tu as été bien plus perspicace que ton frère. Cette initiative tombe pile au bon moment.
Il attendit que son soldat lui demande pourquoi. Mais Ingwé ne lui fit pas ce plaisir.
- J'organise un banquet nocturne ce soir. C'est l'occasion de montrer au peuple l'objet de notre victoire sur Larn. Elle est à ta charge la nuit. C'est donc toi qui l'accompagneras. Je veux qu'elle soit aussi raffinée que la coutume vilazane. Je veux qu'elle soit l'emblème de la soirée.
Ingwé serra les dents à s'en mordre la langue. Il était hors de question qu'il soit présent à cette mascarade et encore moins qu'il soit son geôlier public. Bien sûr, il serait acclamé, on allait l'admirer pour la mission qu'il accomplit parfaitement. Il recevrait des félicitations teintées de jalousie de la part des autres soldats. Aegnor savait qu'Ingwé détestait ces mondanités. Et il prenait un grand plaisir à l'obliger à y assister. Ingwé soupira en silence. Il n'avait pas le choix.
Il pensa rapidement à ses parents, qu'il n'avait pas revu depuis plus de trois ans. Il pensa aussi à Calywen qui, s'il refusait, allait s'empresser d'accepter de jouer son rôle pour se pavaner aux yeux de tous, avec la princesse à ses côtés. Il lui ferait du mal, il l'humilierait aussi. Et ça, Ingwé ne voulait pas que ça se produise. Alors il répondit exactement ce qu'Aegnor attendait de lui.
- Elle sera aussi flamboyante qu'un nouveau trophée.
- Parfait, je compte sur toi. Rends-toi à ton poste dès le début de la nuit et veille à ce que quelqu'un la prépare.
- Bien, mon Seigneur.
Il rentra directement à la tour de contrôle ou Jared, l'autre Veilleur, l'avait remplacé. Le long escalier en colimaçon à l'intérieur de la tour de pierre, lui sembla infiniment plus long et épuisant à monter. Lorsqu'il ouvrit la porte, ce ne fut pas Jared qui l'accueillit, mais Daerôn. Il était assis sur la chaise tournante en face des caméras et semblait concentré sur un écran en particulier.
- Bonjour Ingwé. Dit-il sans se retourner.
- Bonjour Héritier. Répondit le soldat, bien conscient qu'il allait se retourner à la soudaine politesse qu'il avait employé pour le saluer.
- Pas de ça entre nous. Déclara-t-il en croisant les bras et en se tournant vers lui.
C'était une des choses les plus comiques de ces dernières semaines. Ingwé s'amusait à tutoyer son héritier alors qu'il aurait dû le couvrir de titres pompeux et Daerôn le sermonnait quand il utilisait toutes sortes de termes honorifiques, alors que la princesse prisonnière lui avait gentiment ordonné de la vouvoyer. Quelle blague !
- Qu'est-ce que tu fais là ? Lança Ingwé d'un ton bourru, trahissant sa fatigue.
Il s'affala sur la chaise voisine du prince.
- J'avais besoin de te parler.
- Où est Jared ?
- Je l'ai congédié. Je pouvais très bien effectuer la même tâche que lui en t'attendant.
Le Veilleur soupira. L'héritier pouvait tout faire, évidemment ! Pourtant, c'était la première fois qu'Ingwé le voyait s'octroyer lui-même le droit de faire quelque chose.
- Que lui as-tu dit pour justifier ta présence ici ? L'interrogea-t-il en se servant une nouvelle tasse de café.
- Bien que je sois l'Héritier, comme tu aimes le dire, et que je n'ai pas l'obligation de justifier quoique ce soit, je lui ai simplement dit que j'effectuais ma visite mensuelle des tours de contrôle.
Ingwé faillit s'étouffer et recracha la boisson chaude dans sa tasse. Daerôn sourit en le regardant s'essuyer la bouche d'un revers de main.
- Ta visite mensuelle ?
- Tu vis dans une grotte ou quoi ? Mon père m'a nommé Responsable de la Sécurité, il y a quelques jours déjà. Et j'ai déjà effectué mes visites dans les tours Sud et Ouest.
- Je te signale que je ne dors pas et que je ne vois pas la lumière du jour.
- C'est pour cette raison que je suis venu. Tu ne m'as pas appelé concernant la tâche que je t'ai confiée.
- Si je ne t'ai pas appelé, c'est que je n'ai rien vu. Répondit Ingwé, agacé.
- Je devrai peut-être prendre ton poste le temps que tu te reposes et que tu reprennes tes esprits. Peut-être que je verrais quelque chose, moi.
Qu'est-ce qu'il insinuait ? Qu'il était plus efficace que lui pour surveiller la Barrière ? Une autre mission aurait tué Ingwé d'épuisement. La surveillance lui permettait de se reposer et de se concentrer sur le secret de la prisonnière. En plus, si l'héritier le renvoyait de son poste, Aegnor y verrait une faiblesse et lui confirait une tâche ingrate. Non, ça ne devait pas se produire.
- Je te l'ai déjà dit, si je ne t'ai pas appelé, c'est que je n'ai rien vu.
- D'accord, je te crois. Déclara Daerôn en le regardant dans les yeux. Mais sache que cette tâche est peut-être plus importante que tu ne le penses.
Chercher une héritière légitime qui n'existait pas ? Sérieusement ?! Ingwé se retint de lui rire au nez. Il ne l'avait pas encore interrogé sur ses soi-disant motifs de recherches. Mais le soldat savait déjà, que le prince pouvait attendre. Le plus important, à l'instant T, était ce foutu banquet.
Il soupira en silence, en essayant de se détendre, mais les muscles de ses épaules lui faisaient savoir que la pression n'était pas si légère que cela. Daerôn le remarqua après quelques secondes à l'observer. Qu'est-ce qu'il pouvait détester lorsque le Roi ou son fils l'observaient ainsi ! Comme s'ils avaient conscience d'une chose que lui-même ignorait sur sa propre personne.
- Jared m'a dit que tu revenais de la salle du trône. Que te voulait mon père ?
Il n'aurait pas pu se taire celui-là ? Jared avait la langue bien pendu, comme toujours. Ça n'empêchait pas les deux hommes de s'être lié d'amitié au fil des années.
Cependant, tout ce qu'Ingwé désirait maintenant, c'était se morfondre sur son sort en privé, en essayant de trouver une solution qu'il ne trouverait pas.
- Il organise un banquet nocturne ce soir. Il veut que j'accompagne la prisonnière.
- La princesse Hélisha ? Demanda Daerôn en se relevant vivement.
- Oui. Confirma Ingwé, soudainement surpris à l'entente du nom de la prisonnière.
- C'est une bonne chose. Répondit l'héritier, en réfléchissant tout haut.
Le soldat fut indigné par ses paroles. Comment pouvait-il dire une chose pareille ? Montrer une prisonnière, une princesse qui plus est, comme un objet de victoire était un acte qu'il ne pouvait pas accepter. Daerôn se ressaisit aussitôt.
- Ce n'est pas ce que je voulais dire. Je trouve ce banquet et l'objet de son organisation, stupide. Mais c'est une occasion rêvée pour moi de m'entretenir avec elle.
- Pourquoi ? Demanda Ingwé en soulevant un sourcil interrogateur.
- Mon père me refuse l'accès à la prison royale parce qu'il naime pas le fait que je connaisse Hélisha personnellement. Mais il ne pourra pas me refuser de danser avec elle. Il croira que je ne fais que mon devoir de prince alors qu'en réalité, je ne le fais que pour avoir des réponses.
Ingwé sauta sur l'occasion.
- Des réponses concernant son Don ? Demanda-t-il avec intérêt.
- Non, des questions sur le passé de son peuple. Mais toi, tu t'en poses sur sa capacité, n'est-ce pas ? Tu te demandes si elle peut te contrôler ?
Sa perspicacité lui coupa le souffle pendant une demie seconde. Ingwé réalisa, tout à coup, que le Prince avait participé aux Jeux depuis trois ans. Il avait donc déjà dû combattre la princesse Larnienne. Il savait donc quel était le dérèglement de sa capacité.
- Oui. Répondit simplement Ingwé, il ny avait rien dautre à dire.
- Je peux te le révéler si tu me laisses superviser la Barrière avec toi demain.
Le Veilleur leva les yeux au ciel. Daerôn savait négocier. Il tenait ça de son père.
Mais Ingwé était trop curieux pour s'en soucier alors il s'empressa d'accepter son offre.
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Hello !
Voici le chapitre suivant comme promis. J'espère qu'il vous plaît !
Passez une bonne journée
Holly
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