Chapitre 4
Il n'aimait pas ce qu'il disait. Il avait de plus en plus de mal à se supporter lui-même. Pourtant, Ingwé savait pertinemment que ce genre d'attitude lui permettait de survivre sur Kalisto et d'aider sa famille. Il était peut-être trop égoïste, finalement. Ou bien, il était un véritable pantin qu'Aegnor pouvait manipuler à souhait.
La prisonnière arrêta de parler et mangea en silence. Il aurait tout donné pour qu'elle lui adresse à nouveau la parole, comme pour lui pardonner d'avoir été si méchant. Mais Ingwé détestait la voir avec le teint blafard et les joues creuses alors il s'éloigna d'elle pour la laisser tranquille.
Il avait inventé ses mots pour la faire marcher. Elle devait sans doute s'imaginer qu'on attendait de la tuer et qu'on testait sa patience. Aegnor aurait pu le faire. Mais Ingwé « le pantin », le connaissait assez pour savoir que sa version de l'histoire était celle qui lui correspondait le plus. Et il n'en était pas vraiment fier...
Il sortit en tentant de lui jeter un dernier regard. Il ignorait pourquoi, d'ailleurs. Comme si ce regard aurait pu améliorer la situation entre eux ! Il savait qu'il devait la détester, mais il en était incapable pour une raison qui lui échappait.
Son deuxième poste à la tour de contrôle de la Barrière était assez ennuyant pour qu'il s'accorde quelques minutes de repos. Il ne dormait pas, enfin, il ne dormait plus. Son emploi du temps surchargé et ses pensées l'en empêchaient. Parfois, il laissait même son esprit divaguer sur la prisonnière. Ingwé était bien trop fatigué pour se maîtriser.
Il était en train de plonger dans un de ces moments-là, ou il savait qu'il était dangereux de lui accorder trop d'attention. Il s'imagina sa vie sur Larn. Etait-elle une guerrière ou tout simplement une princesse qui se contente de hocher la tête quand on lui demande et de serrer des mains dans un but purement politique ? Il lui inventa des rôles, des répliques...
Il ne la connaissait pas. Et cela lui déplaisait. Il savait qu'il serait inutile de lui poser des questions sur sa vie. Vie qu'elle n'aurait, de toutes façons, plus l'occasion de vivre. Vouloir en savoir plus sur elle, serait cruel. Cela lui évoquerait des souvenirs perdus. Il soupira...
Il était persuadé que ses yeux voulaient lui transmettre un message. Que pouvaient-ils vouloir dire ? Comment décrypter ce qu'elle pensait vraiment ? Elle était une énigme. Et ça le rendais fou de ne pas savoir la résoudre.
Mais un geôlier était-il seulement autorisé à s'intéresser à sa victime ? Il se prit la tête entre ses mains. Le problème n'était pas là. Il ferma les yeux. La considérait-il vraiment comme une victime ou la voyait-il comme une jeune fille en détresse ?
Alors qu'il divaguait encore sur le véritable problème qui hantait ses pensées, une ombre passa sur un écran de surveillance à sa gauche. Un frisson parcourut ses bras nus. Sa combinaison en cuir lui sembla, d'un coup, trop pesante. Il plissa les yeux en se relevant du canapé sur lequel il s'était couché. Il s'approcha des écrans et ne cligna des yeux qu'une seule fois dans la minute qui suivit pour vérifier si un danger approchait. Il ne vit rien.
Peut-être avait-il rêvé ? Après tout, il avait des dizaines d'heures de sommeil en retard. Il avait dû avoir un moment d'absence. Penser à la princesse était réellement dangereux si cela l'empêchait de veiller à la sécurité de son peuple.
Il attrapa un sachet de café soluble en soupirant. Il était temps qu'il reprenne des forces. Il fit l'effort surhumain de prendre une tasse sur l'étagère derrière lui. Une flamme était sculptée sur la porcelaine et une inscription disait : « Le meilleur feu est ici ». Il la regarda d'un air plus que blasé. Il ignorait qui fabriquait ces tasses, mais ce n'était pas le meilleur poète du Cercle.
Il versa l'eau à l'intérieur et posa ses mains de part et d'autre du récipient. L'eau chauffa instantanément. Il avait toujours aimé ses capacités, rien que pour le côté pratique et paresseux qui lui correspondait bien.
Il avala son sixième café de la journée. Il était clair qu'il manquait de sommeil. Malheureusement, il ne pouvait pas faire autrement. Il avait accepté de sacrifier son sommeil au moment ou Aegnor lui avait confié cette mission. Le café était donc nécessaire...
En fin d'après-midi, il reçu une visite plus que surprenante. Daerôn apparut à la porte sans un bruit. Ingwé manqua de sursauter lorsqu'il le vit entrer dans la pièce. Il se jura intérieurement de vite retrouver ses réflexes de surveillance. Le prince ne semblait même pas épuisé de la montée interminable de l'escalier menant à la Tour. Ce dernier observa longuement le lieu et eu exactement la même réaction qu'Ingwé en voyant la tasse. Cela fit sourire le Guetteur.
Ingwé attendit que Daerôn prenne la parole. Pourquoi était-il ici ? Que voulait-il ? Il avala ses questions avec sa dernière gorgée de caféine. Finalement, au bout de quelques minutes de malaise, il décida de l'interroger.
- Que me vaut cette visite surprise, Daerôn ?
Le prince sursauta quand il prononça son prénom sans énoncer aucun titre farfelu devant. Il ny avait aucune caméra ici, personne ne pouvait les observer puisque cétait Ingwé qui surveillait lextérieur. Aegnor nétait pas ici ; ni sa présence, ni son regard acéré.
- Ingwé. Je croyais qu'on t'avait affecté à un poste de nuit.
- Ton père a eu la bonne idée de me garder ici aussi. Répondit-il d'un ton qu'il espérait ni trop rebelle ni trop soumis.
- Tu ne dors donc jamais. Intéressant.
Daerôn le sonda du regard comme s'il attendait une réaction de la part de son interlocuteur. Ingwé lui rendit son regard en brandissant sa tasse d'un air contrit. L'héritier lui adressa un regard compréhensif.
- Je peux faire quelque chose pour toi ? Demanda Ingwé d'un ton las.
- Je suis venu pour te demander d'oublier ce que j'ai dit l'autre jour.
Ingwé lui sourit en le défiant du regard. Il savait pertinemment à quoi, il faisait allusion.
- Et dans le cas contraire, je te demande de m'aider. Ajouta Daerôn.
Cette fois, Ingwé déglutit. Lors de leur entrevue, Daerôn avait clairement dit qu'il devrait tuer quelqu'un. Ingwé s'en rappelait comme s'il venait de l'entendre. Mais il se rendit compte que l'Héritier l'avait probablement dit de sorte qu'Ingwé soit le seul à l'avoir entendu.
- Tu veux que je tue quelqu'un pour toi ?
Il l'avait peut-être dit trop abruptement, car le prince eut un mouvement de recul. Il l'avait demandé comme s'il s'agissait d'une tâche quelconque. Et cette pensée le fit grimacer. Ingwé avait déjà tué. Plusieurs fois. Pour le compte d'Aegnor, évidemment.
Mais le fait de ne rien ressentir à l'idée de l'avoir fait, lui hérissait les poils de dégoût. Il n'était pas mieux que son jumeau, Calywen, qui cherchait n'importe quelle occasion d'ôter la vie.
Ingwé tuait parce qu'on le lui ordonnait, mais il n'éprouvait plus de remords. Comme si une vie ne valait rien du tout. C'était obéir ou laisser sa famille souffrir atrocement. Il n'avait pas le choix.
- Non ! Je veux que tu trouves quelqu'un. Reprit Daerôn
Le regard du prince se fit plus sombre. Comme s'il culpabilisait de demander quelque chose. Ou alors, la mission qu'il s'apprêtait à confier au soldat le rendait nerveux.
- Et pourquoi mas-tu choisi pour réaliser cette tâche ?
Ingwé se rendit compte qu'il avait sans doute besoin de ses écrans de surveillance plutôt que ses capacités d'assassin royal.
- Parce que cette personne se trouve sûrement aux abords de la barrière extérieure. Si tu vois quelque chose d'étrange, enregistre la vidéo et appelle moi. Il y a un bouton d'intercom de cette tour à ma chambre. Je l'ai fait installé dans la nuit.
Ingwé ne s'en était même pas aperçu. La fatigue lui jouait déjà des tours.
- Qui dois-je chercher ? Demanda Ingwé de plus en plus intrigué
- Ce nest pas une mission ordinaire. Répondit-il en changeant habilement de sujet. Mon père ne doit pas être au courant.
Il releva la tête et défia le guetteur du regard. Ingwé vit dans ses yeux, une lueur étrange. Une sorte despoir mêlé à une crainte profonde qui se transformait en quelque chose de bien plus dangereux. Une étincelle de rébellion.
- Tu sais que je pourrais te dénoncer ? Dit-il en riant.
Ce jeune héritier était de plus en plus intéressant. Cacher quelque chose au roi était un acte de trahison, peut importait sil était le fils ou un simple soldat.
- Tu ne le feras pas. Rétorqua-t-il en souriant.
- Qu'est-ce qui te fais dire ça ?
Ingwé fut tout d'un coup très alerte et ne ressentit plus du tout la fatigue. L'héritier l'intrigua. Mais ce qui avait piquer sa curiosité, fut la confiance aveugle que ce dernier semblait lui accorder.
- Tu es comme moi. Tu le détestes. Finit-il par déclarer.
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