S'il voyait ça...
Après l'attaque, le quotidien reprit. Emilie doutait de plus en plus de la possibilité de rentrer chez elle. Les réserves de nourriture furent reconstituées en quelques jours à peine, suite à divers pillages lancés depuis des portails.
A sa demande, quelques soldats lui montrèrent des mouvements d'auto-défense, puis le chef cuistot lui libéra une heure par jour, pour l'entraînement. Selon les disponibilités des uns et des autres, elle apprenait diverses choses. Effacer ses traces. Manier une dague, un arc, une arbalète. Chevaucher. Différencier les denrées comestibles des denrées toxiques. Monter et défaire un campement de fortune. Faire du feu. Et bien d'autre activités encore. Bien sûr, avec seulement une heure par jour, et pratiquement jamais deux fois la même chose, ces enseignements avaient peu de chance d'aboutir. Néanmoins, elle se plaisait à diversifier ses activités. Et puis, passer du temps non seulement hors de sa cuisine, mais de plus avec des passionnés, heureux de partager leurs connaissances, lui faisait plaisir.
Cinq mois étaient passés, déjà, depuis son arrivée en pyjama dans ce monde. Et vers la moitié de ce cinquième mois, la forteresse subit une nouvelle attaque. Cette fois-ci, nul chthonien. Juste cinq hommes qui investirent dans la nuit les cuisines, et réveillèrent Emilie en laissant échapper un tonneau d'eau. Quand elle comprit la situation, elle espéra sincèrement qu'ils n'entrent pas dans sa chambre. Elle les entendait fouiller de fond en comble la cuisine d'à côté.
Elle espéra trop fort, et attira l'attention d'un télépathe. Comme toujours elle dormait sur la table. Le froid arrivant graduellement, elle portait un pantalon. Sans lui laisser l'occasion de bouger, quelqu'un la saisit à la gorge et l'étrangla. Une faible lueur perça le noir complet de la pièce, et plusieurs personnes fouillèrent les placards. Emilie se débattit et frappa à l'aveuglette. La fouille des placards se révélant infructueuse, les intrus prêtèrent main-forte à leur collègue, et avec la lumière Emilie reconnut des Gardiens.
-Qu'est-ce que tu fabriques ? siffla un homme ; On nous attend, au bout du couloir !
-Ça nous fera un otage, argua l'étrangleur dans un grognement.
Emilie parvint à lui retourner un doigt. Il battit en retraite et étouffa un grognement de douleur, un autre assaillant le remplaça. Celui-là la frappa en pleine poitrine. Il glapit, pendant que la femme se vidait les poumons sous le coup de la douleur.
-La salope ! Elle m'ensorcelle !
Pardon ?
-Elle paiera, maintenant filons, ordonna un autre.
A cinq, ils la maîtrisèrent avec aisance, lui mirent un sac sur la tête, et la ligotèrent. Malgré son bâillon, elle parvenait à émettre des sons indistincts. Comme signalé, un comité d'accueil attendait les voleurs au bout du couloir, et Emilie espéra s'en sortir. Hélas, l'un des malandrins lui bascula la tête en arrière, et menaça de lui trancher la gorge au moindre geste suspect. A la façon dont l'arme s'enfonçait dans son cou, les soldats de l'Occultiste ne se montraient guère impressionnés ou coopératifs.
Les deux soldats moururent. Et les cinq voleurs repartirent. L'ensorcelé demanda aux autres s'il survivrait au mauvais sort lancé par la "salope" qu'ils transportaient, et entendait tout.
-Rassure-toi, frère, tu seras purifié, et elle exorcisée.
Rassurant... maugréa intérieurement Emilie. Plusieurs fois, elle se débattit. A force de recevoir des coups sur la tête, elle s'évanouit.
Elle reprit connaissance dans un cachot. Seule, dans une pièce froide, humide, puante, et éclairée par une unique torche. Libre de ses mouvements. Et nue. Elle n'avait pas l'impression que les sous-hommes constituant l'ordre des Gardiens en aient profité. Il n'empêche qu'elle les haït. C'était quoi, cette manie -c'était tout de même le deuxième camp la mettant dans le plus simple appareil- d'imposer la nudité aux femmes. Et du peu qu'elle avait vu et entendu dire sur les Gardiens, ces derniers se plaignaient ensuite de la tentation.
Elle grelotta longtemps. Et les maudit. Elle ne possédait aucun pouvoir, mais leur souhaiter tout le mal possible lui permettait d'ignorer sa terreur. Frigorifiée, elle s'installa sous la torche. Et continua ses malédictions.
Elle s'endormit plusieurs fois, se résigna à se soulager dans un coin de la cellule, éprouva la faim et la soif. Et surtout le froid. Elle se surprit à parler toute seule. La torche ne s'éteignit jamais.
Elle tournait en rond dans sa cellule, se fredonnant un peu de rock, quand elle entendit quelqu'un approcher. A manger, à boire ? Des vêtements ? L'homme, en plus du tabar des Gardiens, portait des chaînettes agrémentées de petits cadenas. Emilie se planta au centre de sa cellule, et, le regard sombre, le scruta. Elle avait l'estomac noué, la gorge desséchée, et froid. Il l'observa de pied-en-cap, s'attardant à certains endroits. Pour le moment, aucune importance. Avait-il de quoi soulager sa soif, sa faim ?
Il lui fit signe d'approcher. En vain. Il présenta une gourde d'eau, Emilie prit sur elle de ne pas la lui arracher des mains. Presque un litre d'eau, qu'elle but en une fois. L'homme plissa le nez. Elle lui restitua son bien. Elle fit également un sort à un sandwich. Enfin, elle pensa à se couvrir de ses bras.
-Il est un peu tard pour jouer les pudiques, catin, lui signifia l'infâme.
-Il s'avère j'avais d'autres soucis en tête. De plus, je tiens à vous signaler que j'apprécierais grandement l'obtention ne serait-ce que d'une cape.
Il renifla avec dédain. Maintenant que ses besoins primaires étaient momentanément apaisés, elle pouvait mieux estimer son interlocuteur. Un dalleux. Dans toute sa bêtise. Elle le haït.
-Savez-vous ce qui m'amène ?
-Non.
-Vous avez ensorcelé plusieurs de mes soldats, chienne.
Diantre, une armée de dalleux. Elle chercha un coin d'ombre où se fondre au moins partiellement. Elle pressentait un enchaînement d'événements similaires à un jugement pour sorcellerie. Réalisé par des dalleux. Hors de question de vivre ça. Emilie regretta de ne pas savoir cracher. L'autre chercha une clef parmi un trousseau, et se permit d'entrer. Il s'approcha bien trop près. Ses yeux lancèrent des éclairs, il tonna :
-Et à mon tour, vous m'ensorcelez ! Salope !
Il fixait un de ses tétons, durci par le froid. Eh bien quoi, elle n'y pouvait rien. Elle montra les dents, et émit un grondement sourd. La porte était ouverte. Quand bien même elle sortirait en courant, le risque de rencontrer un ou plusieurs gardes lui semblait trop élevé. Et elle n'avait aucune envie d'expérimenter le traitement qu'ils pourraient lui infliger.
Elle remarqua alors un fourreau de métaux précieux, à portée de sa main. La tentation fut grande. Et elle vit le chaînon, qui l'empêcherait de dégainer. Il s'approcha encore, le couteau aussi. Il ne s'agissait pas d'un couteau à pain, mais cela ferait parfaitement l'affaire.
Quand il s'empara d'un de ses seins, elle tenta de lui retourner les doigts. Il la sonna d'un crochet, et en profita largement, se permettant une exploration tactile que seul Clément était autorisé à entreprendre. Elle serra les dents, rassembla ses forces et, hurlante, se débattit comme elle put. Malheureusement, affaiblie par la faim et la soif, cela la desservit. Elle finit face contre terre, et déjà le sous-homme se préparait à passer à l'acte.
Emilie eut comme une illumination. "Salope" possédait un double sens. Elle pensa au ton qu'elle employait avec Clément, parfois, et en fit une pâle et tremblante imitation. A situation désespérée...
-Attendez ! Vous souhaitez que tout se passe au mieux, n'est-ce pas ?
-Je t'écoute, salope... râla le moins-que rien.
-Que diriez-vous, de profiter de quelque savoir-faire de mon domaine d'origine ?
Deux sens à "salope"... l'autre prit son temps pour réfléchir. Lui caressa le corps, ce qui donna à la femme envie de vomir et de pleurer. De le voir tomber raide mort, également.
-Deviendrais-tu raisonnable, femelle ? susurra le violeur, heureux de la voir abandonner et se soumettre aussi vite.
Plus que lui. Il la relâcha prudemment. Elle se retourna lentement, et s'assit. Elle l'invita à s'asseoir entre ses jambe croisées. Elle tremblait, se savait plus crispée que jamais, à la limite de la tétanie. Ce n'était pas le moment ! Déjà, elle avait des fourmis dans les membres. Manquerait plus qu'elle vomisse. Et la crise d'angoisse serait totale.
Elle commença par un petit massage de crâne. Deux significations à "salope". Elle plaça une main à l'arrière du crâne. La seconde se glissa sous le menton. Et elle lui tordit le cou. N'ayant entendu aucun craquement, paniquée, elle affermit précipitamment sa prise et y mit toutes ses forces. Puis d'un bond se jeta dos contre le mur, laissant le cadavre encore chaud s'affaler.
Merde. C'était fait. Elle l'avait fait. Emilie chercha du sang sur ses mains. Elle se permit un temps d'hébétement. Ses larmes coulèrent. Cette fois, elle se tétanisa et pendant un temps perdit la raison. Quand elle reprit pied dans la réalité, elle se trouva en position fœtale, pleurant, hurlant, les muscles douloureux. Deux choses la rassurèrent. Personne ne venait. Et elle pleurait pour elle-même, ses mains salies.
Décidant avoir perdu assez de temps, elle rampa vers l'infâme. Pas un regard pour son visage. Avec des gestes maladroits, elle s'empara du couteau. Une dague fine. Elle la brandit à deux mains, et l'abattit sur la fourchette sternale du premier homme qu'elle tuait volontairement. Après, elle frappa frénétiquement le cou.
Inspirée, elle sépara la tête du reste du corps. Durant l'opération, elle parla. Si jamais l'infâme l'entendait.
-T'avais de l'inspiration pour le viol, j'en ai pour le meurtre, on était fait pour se trouver, hein ? N'est-ce pas ? ... Qui ne dit mot consent ? On dit cela, parfois ?
Et ainsi de suite. Elle se débattit contre les os du cou. Puis changea d'idée. Elle sectionna la tête au raz du cou. Et se servit d'un espace entre deux cervicales pour sectionner parfaitement son premier trophée. Toujours sans un regard pour la tête, Emilie jeta le résidu au loin. De nouveau, elle fixa ses mains. Cette fois, couvertes de sang. Et même de chairs. L'odeur du sang et de la mort de fraîche date s'imprimèrent dans son esprit. Elle goûta, se lécha mécaniquement les doigts. Se les rinça avec force crachats, et les frottant à l'intérieur d'une botte.
De nouveau, elle s'autorisa un moment de panique. Elle saisit les vêtements du cadavre immonde. Elle ne tentait même pas de contenir ses tremblements. Ni ses larmes. Ni ses gémissements. A force d'acharnement, elle parvint à se vêtir, sans trop prêter attention à la charogne. La cape devint un sac, où termina le trophée.
En errant dans les cachots, Emilie se demanda ce que penserait Clément de tout ceci. Et comment lui présenter la chose. "Coucou, j'ai failli me faire violer, et plutôt que de "juste latter les couilles", j'ai un peu coupé une tête... t'as passé un bon week-end ?"
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