Retour...


      Emilie doutait déjà qu'il la croie. Aimerait-il une meurtrière ? Tremblante, elle serra la dague à s'en faire blanchir les jointures. Enfin, elle trouva un escalier montant. Au bout, deux gardes veillaient. En armures. Elle retint un gémissement. Les options pour contourner le problème lui manquaient. Elle errait, pieds nus, ne faisant que peu de bruit. Elle trouva le moyen de glisser d'un coup sec la fine lame dans la gorge du premier, qui mourut sans un son. 

      Son collègue sursauta en voyant la scène, Emilie ne lui laissa pas de l'occasion de se ressaisir, et parvint à lui planter la lame dans la bouche. Étouffé par le sang, il s'effondra bien vite, en silence. Des rembourrages en tissu empêchaient les plaques de l'armure de se frotter. La fugitive jeta un coup d'œil à la cape ensanglantée qu'elle portait à la main. Autant signer ses forfaits. Elle ajouta ainsi deux trophées. Et emprunta la cape la plus propre. Quand elle sortit du fortin, avec cinq nouveaux trophées dans son sac improvisé, elle nota que le soleil venait de se coucher. Elle vola un zèbre nocturne. Cette fois-ci, elle ignorait totalement la direction à prendre, alors elle poussa simplement sa monture au galop, et s'éloigna autant que possible de tous ces détestables insensés. Avant de partir, elle attacha la dague à son pied. Si quelqu'un voulait la jeter au sol, frapper avec serait aisé.

      Quand le soleil se leva, l'animal ferma les yeux, et poursuivit au pas, à tâtons. Emilie se servit des conseils de survie offerts par les hommes de l'Occultiste. Elle attacha l'animal à un arbre, en perfora l'écorce avec la dague pour en boire la sève, et que l'équidé en profite. Elle le laissa brouter, le pansa, puis enfin s'endormit comme une masse. Elle dormit mal. Sa conscience et la peur la tourmentaient. 

      Plus tard dans la journée, son errance avec le zèbre aveugle se poursuivit. Et elle s'endormit avant même la fin du jour. Dans la nuit, après deux nouvelles "pauses", elle trouva que ses trophées exhalaient une odeur méphitique. Elle ne les jeta pas pour autant. Il s'agissait de ses trophées. 

      Plusieurs fois au cours de ses marches, et de ses pauses, elle fondait en larmes. Puis hurlait. Elle espérait, en extériorisant ses sentiments négatifs, s'en débarrasser. Mais la conscience ne la lâchait pas. En son propre esprit résidait un bourreau tenace, assisté d'un tortionnaire efficace. Pas un instant, le souvenir des derniers événements ne la lâchait.

      Durant la nuit, le zèbre mangea plusieurs insectes immenses. Ils croisèrent la route d'un chthonien, errant sans but. Tenaillée par la faim, Emilie décida de manger la même chose que l'équidé. Majoritairement de l'herbe. Elle n'avait pas assez faim pour manger des insectes. 

      Trois jours après sa fuite, elle croisa une patrouille sans emblème. Et ne se sentit plus de joie. Des hommes de l'Occultiste ! Le soleil déjà levé, elle descendit de son zèbre et courut vers la patrouille, son sac de trophées à la main, sa dague toujours attachée au pied. Belle imbécillité d'ailleurs, le tranchant s'enfonçait dans sa plante de pied, mais son soulagement de rejoindre des hommes civilisés effaçait pour le moment la douleur. Quelques archers et arbalétriers la visèrent, mais elle s'en moquait. Des hommes dignes de ce nom ! Polis et respectueux, bon sang !  Des cavaliers vinrent à sa rencontre, et la reconnurent tout de suite. Le chef de ce groupe la salua, heureux lui aussi de la revoir.

-Damoiselle Emilie ! Quel soulagement ! 

      Après les effusions de joie, et la récupération de son zèbre, le chef du groupe délégua ses devoirs à l'un de ses subordonnés, et accompagna Emilie jusqu'au campement. Il ne posa aucune question sur son accoutrement, sa présence en ces lieux ou la cape souillée qu'elle portait à la main. Ni même sur sa dague attachée au pied. Arme, d'ailleurs, qu'elle reprit à la main.

      Son arrivée fit grand bruit, les effusions durèrent quelque peu. Enfin, la fugitive se décida à présenter ses trophées. Bien qu'ils irritassent le nez et la gorge, ses comparses la congratulèrent, sincèrement. Elle avait tué l'arme à la main, elle était des leurs. Quand elle sortit la tête du premier homme qu'elle ai tué, un silence étrange tomba brusquement.

-Est-ce vraiment vous, qui l'avez tué ? demanda enfin un soldat.

-Oui. Cet homme a tenté... de...

      Elle s'interrompit, l'horreur de la situation lui revenait. Ils respectèrent son silence. Le chef lui demanda alors si elle connaissait l'identité de l'infâme.

-Le premier homme que j'ai tué volontairement ?

-Le chef gourou des Gardiens. Vous avez décapité cet ordre fanatisé. De plus, vous avez fait tout ce qu'il fallait pour l'injurier jusque dans la mort. Nous seulement vous êtes une femme, mais de plus vous l'avez tué à main nue. Puis vous avez utilisé sa dague scarificielle pour le décapiter. Puis tuer ses fidèles. Pour finir, vous avez foulé du pied cet objet sacré. Nul ne pouvait mieux provoquer l'ordre. Je vous félicite !

-Une dague sacrificielle ? demanda pensivement Emilie, se demandant si les Gardiens officiaient des sacrifices.

-Non, scarificielle. Pour purifier la chair et le sang. Cela sert également à cautériser, et donc sauver des vies. Cet objet est un symbole de pureté et de préservation pacifique de la vie.

      Ah... elle avait donc blasphémé, et lourdement. Tant pis pour eux, il s'agissait maintenant de son arme. Son couteau. Quant au côté "pacifique"... Enfin. Elle se sentait soulagée d'avoir retrouvé les hommes de l'Occultiste. Après quelques autres remarques et commentaires, elle demanda le chemin pour retourner à la forteresse. Un guide lui fut désigné, et elle put repartir, changeant son zèbre nocturne contre un diurne. 

      Après avoir prévenu son guide, une fois éloignés de témoins, elle reprit ses cris et ses lamentations. Le soldat laissa faire. Chacun affrontait sa conscience à sa façon. Leur périple dura cinq jours, et, à quelques heures de la forteresse, le soldat recommanda à Emilie de se reprendre. Le temps qu'elle reprenne un visage au moins neutre, ils passèrent au pas. 

      Sa cape attirait des légions d'insectes pour la plupart géants, et fort heureusement mangés par les zèbres. Les sentinelles au niveau des divers ponts-levis et portes les saluèrent. Quand elle arriva dans la cours, un caporal vint à sa rencontre. Toujours sur sa monture, elle échangea les courtoisies de mise. Puis elle put montrer ses trophées, gardant le meilleur pour la fin.

      Elle saisit à pleines mains la tête, et la brandit bien haut, prenant garde à ne point éclabousser le caporal avec de la cervelle liquéfiée. Ce geste attira l'attention. Le guide clama alors la grande nouvelle. Des slogans se répondirent graduellement, avant que n'éclate une joyeuse cohue.

-Vive Emilie Pancake !

-Elle est des nôtres !

-Mort aux Gardiens !

-Emilie Pancake ! Emilie Pancake !

      Les hommes de l'Occultiste clamèrent son nouveau nom, le savourant avec elle. Ces huit morts faisaient d'elle une nouvelle personne. Elle ne pouvait plus être Emilie Hué. Le gourou l'avait tuée. Emilie Pancake prenait la place.

      Le plus beau trophée fut placé sur une pique, et partit en direction du toit du donjon. L'héroïne du jour put garder son couteau. Son guide posa pied à terre, accomplit une mission de messager qui avait été ajoutée à sa tâche de guide avant de partir, et put se reposer quelques heures. Les généraux -et l'Occultiste- allaient certainement vouloir profiter de la faiblesse récente des Gardiens pour éliminer cette menace. 

      Les dix hommes la convoquèrent d'ailleurs. Encore sale et transpirante de sa chevauchée, elle suivit en courant presque un nouveau guide. Elle retourna ainsi dans la salle où tout avait débuté. En entrant, elle détailla du regard le plafond de pierre, à la recherche d'un portail, sans vraiment savoir à quoi s'attendre. Peine perdue. Alors elle s'intéressa aux neuf généraux, et à l'Occultiste, portant tous les mêmes tenues que la dernière fois, et se tenant aux mêmes places.

      Elle sourit en remarquant le fourreau du couteau de l'Occultiste. Le sien était plus long, plus fin et plus beau. Mais peut-être moins tranchant, ce qui effaça son sourire. Elle avait eu du mal à récupérer ses huit trophées. Et elle portait deux petites cicatrices au ventre, marques de chacune de ses rencontres avec le propriétaire de la forteresse.

-Ah ! Voici l'héroïne du jour ; la salua l'Occultiste. 

-"Emilie Pancake", hein ? ironisa un Général.

      Elle l'ignora. S'il savait comme les pancakes étaient banals, là d'où elle venait.

-Nous venons d'avoir vent de l'événement ; poursuivit l'Occultiste, imperturbable ; Félicitations pour vos trophées, notamment pour la qualité du premier. Aussi, nous nous interrogions.

      Il insistait lourdement sur le "nous". Des généraux croisèrent les bras, méprisants. Le silence s'installant, Emilie demanda ce qui pouvait bien occuper l'esprit de ces messieurs, la concernant.

-Consentiriez-vous à réitérer ce type d'exploit ?

      Recommencer à se faire enlever, puis presque violer par des sous-hommes ? Tout ça pour les tuer et ne pas savoir comment rentrer ?

-Je suis honorée de la proposition, mais je me dois de refuser, messieurs.

-Ah, vraiment ? gronda un général cornu, qui ne poursuivit pas suite à un geste de l'Occultiste.

-Nous respecterons ce choix. Je vous offre cette journée pour vous délasser.

      Il la congédia, elle fila dormir sur sa table. Cette fois, elle contint ses larmes et ses cris. Il était peut-être temps qu'elle se reprenne. Ne trouvant pas le sommeil, elle erra dans la forteresse, puis goûta avec des gardes en permission d'une journée aux alcools du coin. Ne tenant pas l'alcool, elle se saoula bien vite et s'évanouit, soulagée.

      Dans la nuit, elle s'éveilla dans sa cuisine, et découvrit les joies de la gueule de bois. Après les nausées, la sensation de crâne dans un étau, elle se jura que c'était sa première et dernière gueule de bois. Puis tout reprit son cours habituel.

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