Ô Joie, et pancakes...


      Emilie apprécia relativement l'idée de passer d'une situation pourrie -mais temporaire- à ... ça. Un monde fantastique, en guerre, avec des cailloux vivants, au moins quatre armées d'excités... Et au milieu de tout ça, de ce qu'elle comprenait elle se trouvait chez l'ennemi commun de trois des groupes d'excités, en pyjama.

      Une fois le premier pancake prêt, elle laissa le soin au marmiton d'en goûter un morceau, nature. Il kiffa. Elle lui suggéra de mettre un truc sucré, il dégaina du sucre en poudre et se lécha les doigts après ce nouveau test. Pour finir, elle demanda si un fruit au jus acide existait. Le citron du coin était bleu roi, avec un air de poire. L'essai fut de nouveau validé, le marmiton fila prévenir son chef cuistot. Le second pancake à la constitution estimée à vue de nez -Emilie n'était pas familière avec les unités de mesures locales- fut donc pour ce chef cuistot. Il donna son aval pour qu'elle poursuive, dans cette cuisine, et ne s'arrête que quand on le lui dirait. Le marmiton lui montra où laver ses ustensiles, où trouver ses ingrédients... et elle se trouva seule face aux fourneaux. 

      Emilie obéit. Elle fit des pancakes. A la pelle. Elle passait d'un maximum de cinq personnes invitées, à toute une forteresse. Déjà, elle trouvait que nourrir cinq estomacs sur pattes demandait du travail. Elle se retroussa mentalement les manches, espéra que quelqu'un pense à lui montrer où trouver une tenue plus couvrante, et prépara ce qui, certainement, lui évitait de croupir en cachot ou pire. Avec toutes ces histoires en milieu moyen-âgeux qu'elle avait vues ou lues, il n'était pas difficile d'imaginer bien pire que de faire des pancakes. 

      Elle pouvait allumer jusqu'à quinze feux. Et ne s'en priva pas. Pendant que des pâtes reposaient, elle versait de la pâte dans les poêles libres, jusqu'à ce que la première versée soit prête à se faire retourner. Très vite, elle oublia sa tenue trop légère, sa chair de poule pas seulement due au froid, et le temps. Elle pensait pancakes.

      Les fourneaux ne se manipulant pas comme des cuisinières, elle mangea ses créations ratées, et s'offrit aussi pour son petit-déjeuner du lait. L'assaisonnement ne la concernait pas, d'après le chef cuistot. 

      Plusieurs heures plus tard, un humanoïde se glissa discrètement dans "sa" cuisine. Il l'observa travailler en silence. Devinant qu'elle se concentrait sur sa tâche au point de ne pas le remarquer, il l'attrapa par le poignet alors qu'elle s'apprêtait à se ravitailler en ingrédients. Des piles de pancakes s'alignaient déjà sur une bonne partie du plan de travail. Elle sursauta en sentant cette poigne d'acier se refermer. Heureusement qu'elle ne transportait rien.

-Vous voudrez certainement vous vêtir... plus décemment ; suggéra l'humanoïde.

-Oui...

      Elle le savait, même pour eux son pyjama était tendancieux. Il goûta et apprécia sa cuisine, et c'est tout content qu'il l'amena jusqu'à un autre bipède. Il lui jeta un bref coup d'œil, et disparut dans une pièce attenante. Il en revint avec un pantalon, deux T-Shirts et chemises, ainsi que des chaussettes. Et des chaussures, des sortes de sabots en cuir craquelé.

      Ils la laissèrent se changer dans la réserve de vêtements. Ensuite, elle fut ramenée à l'intendant en chef, qui, en bon administratif, lui posa beaucoup de questions et nota chaque réponse sur une feuille désormais dédiée à son cas. Elle jura, sur l'honneur, de ne pas empoisonner les résidents de la forteresse et leurs alliés. Ces... banalités administratives achevées, elle put manger avec d'autres cuisiniers.

      De toute évidence, elle était la seule humaine du coin. Elle répéta une bonne cinquantaine de fois son arrivée involontaire en leur domaine. Ils voulaient tout savoir de leurs généraux, et surtout de leur Seigneur Occultiste. Les azurés furent très heureux de se faire confirmer qu'ils avaient la même couleur de peau que lui. Ils mangeaient des galettes de légumes et buvaient de la bière. Il y avait beaucoup de pain, aussi. Et ses pancakes plurent à la majorité, même natures. Elle récita volontiers la recette, mais ne pouvant donner de mesures, elle en conserva le monopole. 

      Sa journée de travail reprit, et ne s'interrompit qu'en soirée. On lui offrit de dormir sur la table au milieu de la pièce, avec un drap pour s'allonger, et un autre pour servir de couette. Elle possédait déjà son pyjama pour dormir. Quelques marmitons l'aidèrent à chasser quelques araignées géantes, et lui montrèrent comment les décapiter d'un coup de couteau à pain. Elle détesta particulièrement cet apprentissage, lui imposant de faire face à ces saloperies ignobles et atrocement moches. Une fois qu'elle eu saisit le coup de couteau, ils la plantèrent là. Elle s'endormit comme une masse, sans même se changer.

      Un seau d'eau froide la réveilla le lendemain, et elle reprit sa cuisine industrielle. Piquant encore ses ratés et du lait pour tenir le matin. Après une seule journée debout, et une nuit sur du bois, elle avait mal partout. Craignant quand même un peu pour sa peau, après l'accueil que le Seigneur Occultiste lui avait offert -d'accord, ça se comprenait, mais quand même- elle préférait ne pas prendre de risque. 

      Déjà plus en pilotage automatique, elle réfléchit vaguement aux derniers événements. Donc, pour X raison, elle avait disparu de chez elle. Ses parents et Clément devaient être morts d'inquiétude. Ses potes ne tarderaient pas à s'inquiéter aussi. Mais comment ils pourraient se douter qu'elle faisait découvrir les pancakes à des non-humains chelous et guerriers ? A la façon dont ils parlaient de l'Occultiste, ça ressemblait à une secte. Plus la persécution par les autres belligérants. 

      Rien de tout ceci n'arrangerait ses problèmes administratifs. Sa mutuelle, ses petits boulots auxquels elle avait postulé... ça la décrédibiliserait. De pas être disponible pour les recruteurs. C'était encore moins le moment que d'habitude, de disparaître. Comment pourrait-elle rentrer chez elle ? Au plus tôt ? La magie existait, dans le coin ? Que faire ? En plus de survivre s'entend. 

      Toute à ses réflexions, elle ne vit pas la journée passer. Les trois jours suivants passèrent eux aussi, elle se faisait réveiller par un seau d'eau balancé à la tronche, mangeait ses pancakes ratés, piquait du lait, et faisait deux repas brefs et bavards avec les autres cuistots. Ils se faisaient un devoir de lui raconter en long en large et en travers le succès de son "invention culinaire" auprès de la majorité. Très peu lui demandaient d'où elle venait. En échange du récital sur son succès, on lui demandait de parler du Seigneur Occultiste et de ses généraux. 

      Au détour d'une de ces conversations, elle apprit que non seulement la magie existait, mais le mec prêt à l'éviscérer était un maître en la matière. Et les portails ne surprenaient personne. 

      L'avantage de sa fatigue due à l'activité physique, était qu'elle s'endormait d'un coup, sans pouvoir se lamenter ou paniquer sur sa situation. L'inconvénient, résidait dans son impossibilité, à première vue, de demander à voir un connaisseur en portail pour rentrer chez elle. Et puis, une fois le portail ouvert, pourquoi ils ne s'en serviraient pas ? De lieu de retraite, par exemple ? Ou de réserve, ou les deux ? Quelle autre raison pousserait un gars du Seigneur Occultiste à l'aider à rentrer chez elle, si une personne acceptait ?

      Ô joie, si ça trouvait elle était coincée là, condamnée à cuisiner jusqu'à crever.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top