Liberté ! et pancakes


      La solution survint en fin de sa douzième journée parmi les Forces Justicières. En quinze secondes, apparut tout d'abord une forme humanoïde brumeuse et bleutée. Et à partir de ceci, se forma l'Obscurantiste. Cette fois-ci il portait une veste en cuir bordée de fourrure, ouverte, offrant à la vue son physique de combattant. Il sourit à Emilie, pétrifiée,  portant encore une fourche pleine de fumier au-dessus de sa brouette, comme s'il s'agissait d'une amie perdue de vue depuis longtemps. Bien que l'odeur d'écurie semblait le gêner. 

-Quel plaisir de vous revoir, damoiselle.

-Sentiment partagé... parvint à répondre cette dernière.

-Votre soudaine disparition a laissé pantois plusieurs de mes hommes. C'est à grands cris qu'ils demandent votre retour.

      Emilie ne garda que difficilement un air sérieux. Sauvée par des pancakes ! Personne chez elle ne la croirait ! Et elle commençait à s'attacher aux hommes de l'Occultiste. Surtout maintenant qu'elle en savait plus sur les Forces Justicières. Il lui fit signe d'approcher, et sortit d'une poche intérieure une fiole minuscule. 

-Une goutte par abreuvoir... lui glissa-t-il à l'oreille ; et elle sentit comme la première fois la pointe d'une arme sur son ventre... puis prenez une monture. Vous me rendrez ceci quand bon vous semblera. 

      Elle acquiesça. L'Occultiste se recula, et c'est avec une posture bien plus prédatrice qu'il lui tendit deux rubans transparents.

-Pour vous, et votre monture ; conclut-il lorsqu'elle se saisit des présents.

      Il redevint bien vite brumeux, puis disparut. Emilie versa aussitôt une goutte du produit dans chaque abreuvoir, commençant par les zèbres diurnes. Elle se prépara un nocturne, le mit à l'écart, près d'un tonnelet, et "abreuva" les autres. Elle attacha le premier ruban sur le filet de l'animal, et ce dernier, ainsi que son équipement, disparurent à sa vue. Mirifique. Heureusement qu'elle avait gardé la main sur le ruban. Le second fut pour son poignet, et, après plusieurs essais infructueux, elle parvint à monter sur la bête, redevenue visible pour elle. Monter sans faire tourner la selle n'était pas si facile. Dès le deuxième essai, l'animal tenta de la mordre.

      Après plusieurs coups de talons infructueux, la bête se décida à avancer au ralenti. Les deux sortirent du campement à cette allure. A quelques centaines de mètres du campement, elle tenta de passer à la vitesse supérieure. Les coups de talons se révélant inutiles, elle passa aux cris. Un seul fit partir le zèbre au galop.

-YYYYYIIIIIIIIIIIIII !!! HOOOOOUUUUUU !!!

      La soudaine accélération la fit tomber, et le zèbre la traîna sur plusieurs mètres avant de s'arrêter. Tremblante, Emilie remonta en selle. Cette fois, elle tenta d'imiter la position des jockeys. L'accélération, cette fois, ne la renversa pas. Trouvant tout de même l'équilibre précaire, elle tenta diverses variantes, jusqu'à se mettre debout sur ses étriers. Trouvant ceci viable, elle poursuivit sa chevauchée ainsi. Quand même, tomber d'un zèbre au galop et se faire traîner sur plusieurs mètres, dans de l'herbe et des bouts de cailloux... elle aurait préféré s'en passer. 

      Sachant être partie dans la bonne direction, elle laissa son zèbre relativement libre. Pour le moment, il partait en ligne droite. Au bout de ce qui lui parut une éternité, elle repéra une forteresse immense, dotée de plusieurs douves, ponts-levis, tours et ainsi de suite. Après une longue lutte, Emilie parvint à contrôler relativement la direction. 

      Le zèbre ralentit spontanément près de l'entrée, et c'est à pieds que la jeune femme acheva son retour. En boitant. Entre les ecchymoses, dues à son voyage en croupe, les courbatures issues de sa position debout pour le moins branlante sur la selle, et la peur qui lui tordait encore les entrailles, elle ne se sentait guère vaillante. Une fois descendue, elle retira les rubans. Les hommes du premier pont-levis la reconnurent à l'instant, et l'un d'entre eux guida l'accorte damoiselle jusqu'à la salle de douches qu'elle connaissait. Les témoins de son retour devenaient euphoriques. La magie des pancakes, de toute évidence.

      Après un bain chaud, le premier depuis presque deux mois, l'un des lieutenants lui offrit sa chambre. Au matin, elle découvrit des vêtements propres, et son pyjama. Ainsi qu'un matelas certes fin, mais qui améliorerait grandement sa qualité de sommeil dans la cuisine. Ses courbatures disparaîtraient certainement plus vite.

      Le tout en main, elle se fit guider jusqu'aux appartements de l'Occultiste. Et lui rendit sa fiole et ses rubans. Après quoi, elle retourna à ses pancakes. Aux premiers jours, elle raconta en boucle son "enlèvement" dont elle modifia quelques détails. Puis l'événement appartint au passé, et seules de rares personnes s'y intéressèrent encore.

      Beaucoup soulignèrent sa chance d'être tombée aux mains des Forces Justicières, plutôt qu'aux mains des Gardiens, ou de certains locaux. Elle préféra ne pas en savoir plus. Ce qui ne l'empêcha pas d'entendre un certain nombre de rumeurs. 

      Très peu de rumeurs couraient à son sujet. Le fait qu'un lieutenant lui ait offert sa chambre ne fit pas jaser, ce qui la soulagea. Personne n'ignorait que l'Occultiste en personne était venu lui offrir sa liberté. Elle seule, s'en étonnait. Un soldat lui raconta les événements. 

-Nous nous sommes rapidement rendu compte de votre disparition. Personne ne vous ayant vu quitter votre pièce attitrée, nous savions qu'il s'agissait d'un enlèvement. Les premiers à demander votre prompt retour furent les sous-officiers. Depuis votre venue, ils avaient remarqué un effet positif sur le moral général, ainsi qu'une meilleure concentration des recrues lors des entraînements. Votre présence et vos actes ont des répercussions positives à tous les échelons, sur tous les corps de métiers. 

      Il lui fit un clin d'œil.

-Quelques cuisiniers ont tenté de palier à votre absence, mais il manquait quelque chose.

      Il poursuivit ses louanges encore un certain temps. Au repas suivant, Emilie enquêta sur ces tentatives. La raison de l'échec se révéla fort simple : ils oubliaient le sucre dans la pâte. Elle se garda bien de le leur signaler. Leur erreur l'avait sortie d'une situation délicate, et lui garantissait un prompt secours si cette situation devait se répéter. Ce qu'elle ne souhaitait pas. 

      Quelques temps après un retour à sa situation de départ parmi les hommes de l'Occultiste, l'un des généraux lui imposa une entrevue, dans ses appartements. Il désirait les moindres détails de cette péripétie. Et les obtint. Il semblait que les défenseurs aient sous-estimé la magie des Forces Justicières : personne n'avait pensé à des parchemins usant de magie du sang. Le sort utilisé par le "médecin" s'avérait classique. Et la mort du sous-homme enchanta le général. Un de moins dans le camp ennemi. Sans compter l'extermination des montures. Les Forces Justicières possédant d'excellents cavaliers, la perte de ces animaux les affaiblissaient. 

      Quand le Général lui proposa de réitérer tout ceci, volontairement, Emilie se déroba. Elle préférait rester en cuisine. Elle y craignait moins pour sa vie, et son intégrité physique. L'autre acquiesça. Ils trouveraient d'autres moyens de saper les armées adverses. Sur ce, il la congédia. La jeune femme s'étonna tout de même de l'absence d'insistance, et le Général lui répliqua qu'il s'agissait de missions importantes. Mieux valait une personne volontaire.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top