Assesseur...
Pour tout dire, une dizaine de jours, déjà, s'était écoulée. On lui montra les bains, et l'endroit où laver le linge. Elle se battait contre les araignées géantes, et un commis passait de temps en temps récupérer les cadavres. On lui demandait de laisser les nids intacts. Le venin de ces horreurs servait beaucoup aux archers.
Passée cette dizaine de jours, Emilie eut droit à une surprise. Dans l'après-midi. Toujours à la même activité, elle bondit en remarquant deux mecs en armure, armés, qui s'étaient furtivement faufilés dans sa salle de travail et chambre. Ils la regardaient en silence. Ne sachant que faire, elle agit comme si de rien n'était. Ils partirent discrètement au bout d'un moment.
Ce petit jeu recommença les jours suivants. Des soldats, seuls ou par paires, se mettaient dans un coin, la regardaient cuisiner, puis partaient. Presque tous, quand elle les interrogeait du regard, lui souriaient. Aucune drague dans ce petit jeu. Sûrement qu'elle devait être, en plus de celle ayant introduit les pancakes dans leur quotidien, la seule personne à la peau beige. Certainement que venir voir ça brisait un peu leur routine.
Au bout de vingt jours, les araignées abandonnèrent sa cuisine. Victoire ! Elle en profita pour se débarrasser de la poussière. Ses douleurs musculaires s'effaçaient enfin, et elle put noter avec satisfaction la disparition de sa brioche. C'était un bon moment pour revenir. Clément ne l'entendrait plus râler à ce sujet mais frimer. Penser à lui fit très mal à Emilie. Des pensées pour ses proches la paralysèrent un temps. Ce fut un petit type -autant dire types plutôt qu'humanoïdes- qui la sortit de son coup de déprime.
-Tout va bien, damoiselle ?
-Euh... oui, oui, tout va bien. Excusez-moi, j'ai eu une absence.
Elle voulut se remettre à ce qui lui valait tant d'attention, mais fut attrapée par le bras.
-Vous savez, votre venue a grandement contribué à diversifier nos rations...
Emilie se demanda que répondre. Après un silence, le type poursuivit.
-Au nom de ceux vivant entre ces murs, nous vous en remercions. Sachez que nous apprécions cette contribution à la diversité de nos plats. Et nous nous demandions si vous-même désiriez quelque chose, en gage de notre gratitude.
Ah ouais. Ça, elle ne l'avait pas vu venir. Elle pouvait leur demander quoi, à ces chics types ? Des nouvelles fringues, au moins pour pas se trouver à poil chaque fois qu'elle faisait sa lessive ? S'ils connaissaient un moyen pour qu'elle rentre chez elle ? De quelle couleur était le ciel qu'elle n'avait toujours pas vu ? S'ils avaient une idée du pourquoi et surtout du comment elle avait chuté dans cette forteresse ? Emilie haït son besoin de se méfier des on-dit.
-C'est une offre généreuse qui demande réflexion.
Le type insista légèrement, puis lui offrit, toujours au nom de la forteresse, un collier argenté. A l'entendre, ils avaient tous contribué au choix de l'objet. Ça devait en faire, du monde. Elle attacha le collier, et fila empêcher certains de ses pancakes de cramer. Les types parlaient bien mieux que les personnes du commun de son monde. Et leur langage déteignait de plus en plus sur elle. C'était bien. Les cornus passaient pour des simplets, en comparaison aux autres. "Leurs cornes prennent trop de place dans leur crâne". Pas faux. Sûrement.
Les visites se poursuivirent, certains l'assistèrent. La plupart aimaient particulièrement faire comme elle et penser à une personne détestable pour battre les œufs et la pâte. D'autres tenaient, pour la soulager, à s'occuper des gros sacs de farine, des barils de lait, de tout ce qui était lourd pendant qu'elle se reposait sur sa table. Sans y prendre garde, le fait de permettre aux soldats de participer à la cuisine pendant leurs rares temps libres contribua à sa popularité. Sa seule condition était qu'ils se lavent les mains. Certains lui détaillaient comment ils assaisonnaient leur dessert ou leur petit-déjeuner. N'ayant aucune idée de ce que pouvaient signifier les noms qu'ils donnaient, elle les félicitait pour leur imagination, ce qui illuminait leur journée.
Si ça leur faisait plaisir. Emilie appréciait ces visites, ça lui évitait de passer ses moments hors repas toute seule. La plupart venaient en armure -témoignant d'un grand talent pour se déplacer en silence-, de très rares en civil. Quelques gradés la visitèrent, également. Elle ne croisait les cuistots, surchargés, que pour les pauses repas. Elle soupçonna quelques-uns de ses visiteurs d'être des servants. Et se moquait un peu du métier des uns et des autres. Pour résumer, elle faisait à manger, les autres appréciaient.
Grâce à ceci, elle put demander quelques informations à l'une des rares femmes de la forteresse comment faire au moment de ses règles. La servante, d'abord méprisante, finit par lui donner l'information désirée. Les serviettes hygiéniques manquèrent à Emilie...
Un mois après son arrivée, alors qu'elle commençait enfin à obtenir des informations intéressantes sur la possibilité de rencontrer un mec capable d'ouvrir des portails, et soudoyable avec des pancakes, elle reçut la visite d'un type auquel, au départ et par habitude, elle ne prêta pas attention. C'était la fin de journée, plus grand monde ne traînait en cuisine et les derniers terminaient la vaisselle, comme elle. Le visiteur portait des vêtements gris et parlait avec nervosité. Emilie pensait très fort à sa table lui servant de lit.
Le type, humanoïde avec des plumes souples en guise de cheveux, ce qu'elle n'avait pas encore vu jusque-là, lui posa une question bizarre.
-Mademoiselle, seriez-vous prisonnière ?
-Non, pourquoi ?
-Je suis un ami.
Mais bien sûr. Après, si ce mec lui permettait de rencontrer quelqu'un en mesure de la faire retourner chez elle... Emilie décida de tenter sa chance. Elle accepta l'offre sous-entendue du type, et comme ils en convinrent par la suite il la réveilla plus tard dans la nuit. Il la guida vers un passage secret envahi de saloperies d'araignées encore plus grosses que les anciennes résidentes de la cuisine. Au moins ces choses fuyaient la torche de son... sauveur ?
Le passage secret débouchait dans la cour, entre deux bâtiments très proches. Derrière une barrière de liserons mutants aux feuilles noires et avec des épines, ils se glissèrent dans un tunnel où ils tenaient debout. Après quelques mètres, l'espion sortit un parchemin découpé en feuille d'érable, portant des symboles kabbalistiques. Il se piqua le bras près du coude, posa une goutte de sang au centre du symbole, et posa la feuille sur l'entrée du tunnel. La terre se referma. Les deux pressèrent le pas, et l'espion recommença la manœuvre à un rythme régulier. L'odeur de terre remuée était agréable, après les odeurs de cuisines auxquelles elle venait de s'habituer.
Toujours dans le tunnel, ils tombèrent sur un zèbre caparaçonné, sur lequel l'espion bondit, avant d'aider Emilie à y monter. Elle atterrit en croupe, avec l'acier lui cisaillant le derrière. Et les jambes. Elle endura la chose en serrant les dents, et pensa très fort au fait que, après ça, elle augmenterait sa chance de trouver un type capable de la ramener chez elle. Son appartement, son ordinateur, son téléphone, ses potes, Clément, ses parents... Possible qu'elle augmente ses chances de tout retrouver. Et puis, elle aurait de quoi améliorer ses CV, après ce séjour pour le moins surprenant.
Elle saisit l'espion par la taille, et serra les dents tout le temps du trajet. Ils filèrent jusqu'à un campement, assez éloigné. Son premier tour hors des murs lui fit découvrir le monde dans lequel elle avait chuté.
La lune y était bleu pâle, les étoiles dorées. L'herbe bordeaux, de ce qu'elle voyait, les pierres calcaires et blanches. Les pieux de bois entourant le campement étaient violets. Diverses odeurs lui parvinrent. Des odeurs de feux, d'écuries et de viandes grillées. Elle crut reconnaître le symbole sur les oriflammes : une gemme avec des cornes, d'antilope avec des andouillers de cerf. Les Forces Justicières. Elle avait de la chance. Ce camp-là respectait relativement l'honneur... quoi que ça puisse signifier ici.
Le cavalier fila sur le fond du campement, et laissa Emilie descendre la première. Avec le cul et les jambes au supplice, elle descendit en glissant comme sur un toboggan. Déjà quelqu'un prenait le zèbre par la bride, sans se soucier du reste du monde. L'espion conduisit Emilie à un bâtiment en bois, et frappa à la porte. Plusieurs fois. Il profita du temps d'attente pour annoncer la suite du programme à Emilie.
Là, il la présenterait au commissaire du campement, qui déciderait que faire d'elle. Dans tous les cas, elle aurait droit à un examen médical poussé. Elle s'étonna d'ailleurs que les hommes de l'Occultiste n'aient pas pensé à ça. Sûrement que tout avait été aussi soudain pour eux que pour elle. Et si elle avait dû les faire tomber malade, il y aurait déjà eu des conséquences.
Le commissaire finit par se réveiller, voulut d'abord envoyer paître l'espion, puis ordonna l'examen médical des deux face à lui, et leur interdit de revenir le déranger.
Le "médecin" devant ausculter Emilie ne lui inspirait pas confiance. Surtout le filet de bave quand il apprit qu'ils seraient seul à seule. L'espion devait faire son rapport. Elle se laissa prendre la tension, palper le ventre, écouter la respiration et bien d'autres vérifications pour le moment normales, à son sens. Le médecin lui demanda ensuite la raison de sa couleur de peau dérangeante, tout en surveillant régulièrement les petites parcelles de sa propre peau entrées en contact avec celle d'Emilie. Il ne la crut pas un instant quand elle lui raconta qu'elle était normale.
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