Chapitre 6 - Les douze
*Réécrit le 06.04.22*
Toutes les têtes des personnes présentes se tournèrent brusquement vers moi lorsque la porte se referma avec fracas, en faisant même sursauter certains. Tremblante et choquée, je me tenais les bras ballant, fixant tour à tour ces inconnus sans vraiment les voir. Mon esprit rejouait l'horrible scène encore et encore, cherchant le moment où j'aurais pu intervenir ou ce que j'aurais pu faire pour empêcher cela. Rien, me serinait ma conscience mais cela ne me consolait pas le moins du monde.
Certainement lassés de me voir planter là comme un piquet, les regards se détournèrent petit à petit, excepté celui d'un jeune homme assis quelques rangs en contrebas. Il me fixait en fronçant les sourcils d'un air préoccupé. Lorsque sont regard croisa le miens, je crus y déceler une inquiétude qui me bouleversa et m'aida à m'ancrer dans l'instant présent. Gênée de ce contact presque « intime », je détournai les yeux la première, préférant m'intéresser à la pièce plutôt qu'à ce jeune homme déroutant.
Je me trouvai tout en haut d'un ancien amphi. L'endroit, vieillot et décrépit, dégageait une odeur de poussière et de tabac froid qui flottait dans l'air comme un vieux souvenir. Une dizaine de gradins en contreplaqué marron, séparés en trois rangées par deux volées de marches, descendaient jusqu'à un bureau en formica posé sur une estrade d'un autre âge et encadré de deux portes identiques. Malgré les huit autres personnes déjà présentes dans la pièce, il y régnait un silence pesant et irréel que j'avais presque peur de briser.
Ne pouvant pas m'installer au dernier rang, dont tous les sièges avaient disparu, je du bien me résoudre à avancer. La première marche craqua lorsque je posai le pied dessus, m'attirant une nouvelle fois toute l'attention des autres participants. Une jeune fille aux cheveux noir, assise deux rangs plus bas, tourna la tête dans ma direction, me détaillant des pieds à la tête comme si elle me jaugeait. Son regard sombre s'attarda quelques secondes sur ma silhouette, avant qu'elle ne se détourne, un petit sourire moqueur et suffisant étirant ses lèvres pleines.
Je n'avais jamais fait grand cas du regard des autres, plus habituée à être ignorée qu'autre chose. J'avais un physique banal et je le savais. Des cheveux et des yeux bruns, ni grosse ni maigre, il n'y avait chez moi, rien de remarquable et je cultivai cet anonymat à dessein. Pourtant, le jugement dédaigneux contenu dans cette simple moue, m'avait blessé. Retenir que le numéro 7 ne se prend pas pour de la merde ! pensai-je amèrement en avisant le chiffre sur sa manche tandis que je la dépassais sans lui faire l'honneur d'un regard.
Refroidie par cet accueil, je continuai à descendre, fixant les marches et recherchant un rang vide où m'installer. Je constatai très vite que tout le monde avait eu la même idée, si bien que les seules rangées exemptes de monde étaient celle des premiers rangs. Je croisai deux garçons, les seuls assis côte à côte et discutant à voix basse, qui m'ignorèrent superbement. Deux rangs plus bas, le jeune homme qui m'avait fixé si longuement à mon arrivée, releva la tête à mon approche. Il paraissait aussi austère de près que de loin, en revanche ses yeux se révélèrent gris au lieu de bruns sous la lumière crue des néons. Mal à l'aise sous son évaluation silencieuse, je baissai la tête et braquai mon regard sur la moquette élimée recouvrant les marches.
— Ce n'est pas en fixant tes chaussures que tu vas te faire respecter ! me lança-t-il lorsque je passai devant lui.
La colère colora mes joues et me fit relever la tête si brusquement que je faillis en perdre l'équilibre. Le foudroyant d'un regard que j'espérais intimidant, je poursuivis ma descente essayant d'ignorer son demi-sourire entendu et l'humiliation qui me chauffait la nuque.
— Il y a de la place, là, si tu veux ? prononça une petite voix timide dans un anglais teinté d'un fort accent.
Surprise par la proposition, la réplique que je m'apprêtais à proférer resta coincée dans ma gorge. Je profitai de cette diversion bienvenue pour relever la tête et me tourner vers la source de la voix. Une très jolie jeune fille d'origine asiatique me souriait timidement en faisant un petit signe de la main. Elle paraissait jeune, déboussolée et aussi perdue que moi, ce qui m'incita à accepter sa proposition. Cela et la perspective très peu alléchante de me retrouver seule au premier rang.
Je me faufilai entre les sièges rabattus veillant à laisser une place libre entre nous, puis je m'installai en posant mon sac sur la tablette devant moi.
— Merci, lui murmurai-je avec un sourire.
— Ne fais pas attention à lui, il dévisage tout le monde depuis qu'il est arrivé.
— Il leur a foutu la honte, aussi ? ne pus-je m'empêcher de maugréer, encore vexée par sa réflexion.
— Il n'y a qu'à toi qu'il a parlé.
Quelle chance ! ne pus-je m'empêcher d'ironiser silencieusement, devant le petit sourire d'excuse de ma voisine. Notre discussion, bien que discrète, ayant attisé l'intérêt de la moitié de la salle, nous nous tûmes et je m'abîmai dans la contemplation morose du vieux tableau taché occupant une grande partie du mur face à nous. Le choc, la peur dans ses yeux, la détonation... mes pensées ne me laissant pas en paix, je changeai d'option et décidai de passer discrètement en revue les derniers occupants de la salle, afin de m'occuper l'esprit.
Deux silhouettes se découpaient, deux rangs devant nous, chacune à une extrémité de la rangée. Regardant chacune dans une direction opposée, elles semblaient absorbées dans leurs pensées. Leurs profils, bien que différents, étrangement semblable dans cette introspection forcée. Les chiffres 4 et 6 se découpaient sur le dos de leurs blousons. Le dernier, quant à lui, se tenait debout, adossé au mur à côté de l'estrade et fixait le sol d'un air morose.
Alors que j'avisais le chiffre 1 sur son blouson, la porte à côté de laquelle il se tenait s'ouvrit soudain, livrant passage à une jeune fille brune qui entra d'un pas tranquille. Impassible, elle rejeta ses épais cheveux long en arrière d'un geste naturel, parcourut la salle du regard, puis alla s'assoir au premier rang sans dire un mot. Comprenant que nous arrivions tous par ordre chronologique, j'attendis comme les autres que le numéro 11 se présente, ce qu'il fit une poignée de minutes plus tard.
Cheveux blond-roux coupé court, regard vert, il pénétra dans l'amphi et s'installa sans regarder personne. Hormis la respiration légèrement saccadée de ma voisine, aucun son ne filtrait, la tension semblant augmenter à chaque nouvel arrivant. Surtout qu'il n'en restait plus qu'un ! A l'instant où cette pensée m'effleura l'esprit, la porte du bas s'ouvrit de nouveau sur un garçon au visage rond et à la démarche emprunté. Visiblement apeuré, il trébucha au bout de deux pas, sous les ricanements moqueur de la brune de l'entrée.
— Au moins, on est sûr de ne pas avoir grand-chose à craindre de celui-là ! balança-t-elle méchamment.
Plus qu'excédée par son comportement, je m'apprêtai à me lever et à prendre la défense du pauvre garçon mortifié, lorsque la porte s'ouvrit de nouveau.
Cette fois-ci plus de jeunes gens terrifiés ou paumés, mais un homme d'âge mûr. Visage fermé, coupe militaire et uniforme austère, il imposait le respect par sa simple présence et n'avait pas l'air d'être là pour rigoler. Il était suivit d'une femme qui était presque son exact opposé. Petite et menue, perchée sur des talons aiguilles d'au moins dix centimètres, j'aurais reconnu ce chignon et ce sourire entre mille. Et vu les moues et les grimaces de certains participants, je ne n'étais pas la seule. Elle rejoignit l'homme d'une démarche souple et déliée malgré ses échasses et se plaça à ses côtés derrière le bureau. Ce dernier déposa le dossier qu'il tenait à la main devant lui, l'ouvrit et commença à en feuilleter le contenu comme si nous n'étions pas là.
— Bonsoir et bienvenue à toutes et à tous, commença-t-il en s'éclaircissant la gorge. Comme cela vous a déjà été expliqué vous vous trouvez au C.P.LS, le centre de préparation et de lancement spatiale...
« Pourquoi le répéter alors ? »
« On ne nous a rien expliqué ?! »
« Pourquoi avons-nous été choisi ? »
Les questions avaient fusé de partout, se télescopant et empêchant de déterminer qui les avait posées. L'homme leva le nez de ses papiers et nous jeta un regard irrité sans répondre.
— Je suis le capitaine Davis, membre des forces armées détaché à la N.A.S.A, reprit-il comme si de rien n'était. Je serais l'un de vos instructeurs missions durant les semaines à venir, mais nous y reviendrons plus tard. Jessica, continua-t-il en désignant miss chignon d'un signe de tête, est là pour gérer les relations publiques et pourra répondre à toutes vos questions dès que ce débriefing sera terminé. Mais avant nous allons procéder au...
— Pourquoi ne pas répondre à nos questions tout de suite ? le coupa yeux gris en se levant lentement de son siège.
— Asseyez-vous, numéro 3 ! lui ordonna-t-il d'un ton sans réplique.
Le regard de yeux gris se durcit tandis qu'un vilain sourire étirait ses lèvres.
— Et si je refuse ?!
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