Chapitre 5 - Funeste rencontre

*Réécrit le 04.04.22*

Je me réveillai, nauséeuse et déboussolée. Allongée sur un lit, j'ouvris les yeux sur une nouvelle pièce impersonnelle et inconnue. Ici, plus de portes bancales ou de sol bosselé, tout était propre, blanc et aseptisé. L'endroit ne comportait aucune fenêtre et seulement une chaise en plus du lit sur lequel je me trouvais. Durant un instant, je ne compris pas ce que je faisais là, puis les souvenirs me percutèrent brutalement. La poursuite dans le métro, la limousine, l'annonce, le garde, le gaz... Je m'étais bien fait avoir, réalisai-je amèrement en me redressant, la tête bourdonnante.

Une soudaine bouffée de chaleur et un léger étourdissement, me laissèrent fébrile et frissonnante sous la couverture trop fine. Pourtant je ne restai pas une seconde de plus allongée et basculai mes jambes sur le côté du lit. Le froid du carrelage sous mes orteils nus, agit aussi efficacement qu'un électrochoc, emballant mon cœur et effaçant les dernières brumes de narcotique. L'angoisse reprit sa place dans ma poitrine aussi brutalement et facilement que mes souvenirs, tandis que j'enfilais chaussettes et chaussures, rangés sous la chaise.

Une fois chaussées je me levai et fit quelques pas hésitant jusqu'à la porte, évidemment fermée et sans poignée pour faire bonne mesure. Une nouvelle salve de panique me saisit mais je la repoussai aussitôt. Ils n'avaient pas déployé autant d'effort pour m'amener jusqu'ici pour ensuite me laisser moisir dans une cellule. Je devais patienter, il allait forcément se passer quelque chose, me raisonnai-je en retournant m'assoir sur le bord du matelas. Mon sac était posé sur la chaise mais je n'y touchai pas. Je savais déjà ce qu'il y avait dedans et revoir tous ces vestiges du passé ne m'aiderait pas à me sentir mieux.

« Passé », je considérai déjà mon ancienne vie comme obsolète alors qu'il ne s'était écoulé quoi ? Une journée ? Peut-être deux ? Cette constatation étira brièvement mes lèvres en un sourire triste qui n'atteignit pas mes yeux. Puis j'attendis, bêtement, les fesses aux bord du matelas, qu'il se passe quelque chose. Le gaz, bien qu'inodore, m'avait laissé un gout acre et désagréable qui tapissait ma gorge et ma langue d'une pellicule visqueuse, me donnant soif.

Où étais-je ? Combien de temps s'était écoulé depuis ma perte de conscience ? Pourquoi m'avoir gazé ? Qu'attendaient-ils pour venir me chercher ? m'interrogeai-je inlassablement tandis que les secondes s'égrenaient avec une lenteur abominable. Lorsque les secondes se muèrent en minutes puis en dizaine de minutes, je quittai une nouvelle fois mon siège de fortune et commençai à faire les cent pas, espérant évacuer mon stress. Cinq pas me séparait de la porte lisse et je ressentis soudain une irrépressible envie de tambouriner sur le battant en leur hurlant de me laisser sortir.

— Vous attendez quoi ? hurlai-je finalement à la pièce vide.

Ma voix, éraillée par mon silence et le manque d'eau, résonna pathétiquement entre les murs nus me donnant envie de me recroqueviller dans un coin et de me laisser aller aux larmes que je sentais poindre derrière mes cils. Refusant de leur faire ce plaisir, je pris sur moi et continuai à bruler mon désespoir en aller-retour inutiles. J'en étais approximativement au dixième lorsqu'un son déchira le silence.

Les notes électroniques, caractéristique d'une sonnerie de portable, semblaient provenir du sac en toile contenant mes affaires. N'osant y croire, je me ruai sur la chaise, manquant la renverser dans ma précipitation. La sonnerie ne provenait pas de mon propre téléphone, comme je l'avais un instant espéré, mais d'un appareil inconnu se confondant avec le sac sur lequel il était posé. Ce dernier avait glissé lorsque j'avais bousculé la chaise et je le tenais à présent du bout des doigts, le souffle court, après l'avoir rattrapé in-extrémis à quelques centimètres du sol.

Grand, fin et doté d'un design épuré dernier cri, il continuait de sonner et vibrer entre mes doigts sans que je n'aie la moindre idée de comment le déverrouiller. Pourtant, lorsque j'approchai l'écran de mon visage, la sonnerie s'interrompit et la miss chignon de l'entrepôt apparut à l'écran, manquant me faire lâcher le portable.

« Bienvenue au CPLS – le Centre de Préparation et de Lancement Spacial - cher membre des Douze » annonça-t-elle d'une voix plus impersonnelle que jamais. « Dans quelques instants cette porte s'ouvrira et vous rejoindrez les onze autres sélectionnés pour un briefing d'information. Veuillez rassembler vos affaires et vous tenir prêt. Votre aventure commence bientôt. »

La communication s'interrompit et un fond d'écran gris agrémenté d'un 9 noir remplaça le sourire factice de la brune. Je fixai l'écran plusieurs dizaines de secondes. Ce chiffre mouvant semblait me narguer, me rappelant d'une façon cruelle qu'à leurs yeux, nous n'étions tous que des numéros. Je dus me faire violence pour ne pas envoyer le fragile appareil contre le mur. « Votre aventure commence bientôt », non mais franchement ?! pensai-je alors qu'une bouffée de colère me traversait. L'avenir de l'humanité était en jeu et ils semblaient traiter cela comme une vulgaire émission de télé-réalité !

Non mais qu'est-ce que je faisais là ?! me demandai-je inutilement en attrapant le sac d'un geste un peu trop vif. Cette fois-ci la chaise tomba dans un fracas métallique sans que je ne cherche à la rattraper. J'arrachai au dossier le blouson léger allant avec ma tenue et l'enfilai avant de glisser le smartphone argenté dans la poche zippée du vêtement. Ma colère en bandoulière et le sac en main, je retournai m'assoir sur le lit, ma jambe agitée par le stress martelant le sol presque malgré moi.

Tandis que j'attendais, encore, tributaire de leur bon vouloir, mon esprit ressassait les mêmes questions, toujours et encore. Une nouvelle s'insinua, cependant, au milieu de cette litanie lancinante. Qui étaient ces onze autres ? Seraient-ils aussi perdus et révoltés que moi devant cette situation ubuesque ou, au contraire, fiers et excités de participer à « l'aventure » ? C'est alors que le message de miss chignon me revint brutalement. Le CPLS... elle avait dit que nous nous trouvions au CPLS ! réalisai-je, sentant la tête me tourner. Si rien n'avait changé, et il n'y avait aucune raison pour que ce soit le cas, il se trouvait dans les locaux du Space Center de Houston. Cela voulait dire que je me trouvais aux États-Unis, à des milliers de kilomètres de chez moi ! Ce qui expliquait l'emploi du gaz soporifique. Consciente, jamais je n'aurais accepté de monter dans l'avion de mon plein gré !

Avant aujourd'hui, je n'avais jamais quitté la France. Nous en avions parlé avec Bianca, rêvant d'aller visiter New-York pendant qu'elle était encore debout... que des rêves lointains de soirée pizza. Une soudaine tristesse me serra le cœur. Je n'avais peut-être plus de famille, mais toute ma vie, mes souvenirs, mes projets, mes amis, étaient à Paris. Mes amis... ils devaient être morts d'inquiétude à l'heure qu'il était ! réalisai-je alors que ma main effleurait la silhouette du portable rangé dans ma poche. Non mais j'étais idiote ! Mon téléphone personnel était toujours dans le sac, réalisai-je en l'ouvrant aussitôt d'un geste fébrile tout en commençant à farfouiller à l'intérieur. Je pouvais les appeler, les rassurer... mais j'eus beau chercher frénétiquement jusqu'à en vider le contenu sur le lit, mon portable avait disparu.

L'indignation se mêlant au stress, c'est avec un peu trop de vigueur que je tirai sur la fermeture éclair de la poche du blouson, la déchirant au passage. De mes doigts tremblants d'anticipation, je tapotai l'écran, priant silencieusement pour qu'il s'allume, ce qu'il fit presque aussitôt. Momentanément soulagée, j'appuyai sur le petit symbole clavier en bas à gauche de l'écran et m'empressai de composer le numéro de Bianca - le seul que je connaissais par cœur, car le plus simple à retenir. Je pressai ensuite le bouton d'appel avec fébrilité tout en retenant mon souffle mais... rien ne se passa. Convaincue d'avoir fait une erreur, je recommençai plus lentement... pour toujours le même résultat. A ma troisième tentative, un bip strident jaillit du boitier.

« / !\ Attention ! Appel bloqué. Numéro sortant non-autorisé / !\»

Le message, rédigé en grandes lettres agressives rouge sur fond noir, envahit soudain tout l'écran de l'appareil. Mon cœur rata un battement avant d'accélérer brusquement tandis que je lâchai le smartphone dans un cri de rage inarticulé. Non mais c'était une blague ! La porte choisit cet instant précis pour s'ouvrir, calmant aussitôt mon accès de rage et monopolisant toute mon attention. Légèrement anxieuse, les yeux rivés sur le rectangle d'ombre qui s'élargissait, j'attendis, sur mes gardes, que quelqu'un en émerge. Mais hormis un filet d'air à la légère odeur de désinfectant, rien d'autre ne pénétra dans la pièce.

Hésitante, je finis par rassembler mes maigres affaires et m'approchai de la sortie avec prudence. Dès que je passai la tête dans l'embrasure la lumière s'alluma, révélant un couloir blanc éclairé aux néons. Je m'y engageai, n'ayant pas vraiment d'autres options, et tournai à gauche vers la partie éclairée. Seul le claquement de mes baskets sur le carrelage entamait le silence presque surnaturel du lieu. De plus en plus mal à l'aise je continuai à avancer, la sensation d'être observée me collant à la peau comme un mauvais présage. C'était quoi leur problème avec les explications, à la fin ? maugréai-je pour moi-même à l'instant où j'arrivais devant une sorte de sas dont la porte, une fois de plus, s'ouvrit à mon approche.

« Prenez à gauche et ensuite deuxième portes sur la droite », m'indiqua une voix désincarnée mais reconnaissable entre toute, celle de la fille au chignon. Pour une fois soulagée de l'entendre, je suivis les instructions et débouchai dans un nouveau couloir, mais dans une tout autre ambiance. Lino défraichis, murs bicolores à la peinture fade et écaillée, forte odeur de poussière et de renfermé, on se serait cru dans une vieille fac désaffectée. Malgré l'absence de présence humaine, je m'y senti tout de suite mieux. C'était plus humain, plus chaleureux que leur mise en scène froide et impersonnelle qui me laissait l'horrible impression d'être devenue un robot.

Je passais devant la première porte lorsque celle-ci s'ouvrit avec fracas. Un jeune homme rigolard déboula en regardant derrière lui plutôt que devant et me percuta, m'envoyant valdinguer contre le mur d'en face. J'encaissai le choc, tandis que du plâtre me tombait dans les cheveux.

— Oh pardon, excusez-moi ! Je ne pensais pas qu'il y aurait quelqu'un...

— Tu vois, je t'avais dit que c'était une mauvaise idée ! chuchota une voix féminine d'un ton anxieux. Si on se fait prendre, on peut dire adieu à notre stage...

— Rooh, tu t'inquiètes toujours pour rien, Mev...

— Eh, vous deux, qu'est-ce que vous faites là-bas !

Un gémissement sortit des lèvres de la fille tandis que son compagnon la tirait par le bras.

— Viens...

Mais avant qu'ils n'aient eu le temps de faire un pas, deux hommes armés émergèrent d'un des recoins du couloirs, les mettant en joue aussitôt.

Ensuite tout sembla se dérouler au ralentit. Les détonations assourdies, les deux corps qui s'écroulent, l'un des gardes qui me saisit par le bras et m'entraîne derrière lui. Je n'avais eu le temps ni de crier ni même d'ouvrir la bouche. La scène semblait gravée sur mes rétine et l'horreur qui en découlait avait figé mon souffle dans ma poitrine lorsque nous nous arrêtâmes devant une double porte étiquetée « Salle de réunion B ».

— Entrez là-dedans, tout de suite ! m'ordonna l'homme d'un ton rude avant d'ouvrir l'un des deux battants et de me pousser à l'intérieur. 

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