Chapitre 3- Révélations et inepties

*Réécrit le 31.03.22*


Tentant de me redresser sur le siège glissant, je relevai la tête et fixai l'homme, abasourdie. J'avais forcément mal entendu ?

— Je peux parfaitement comprendre votre heureuse surprise. Vous devez être naturellement très excité par une telle nouvelle ! Ce doit être tellement exaltant, ent...

Le ton sentencieux et ampoulé de l'homme collait très bien avec son apparence. La quarantaine bedonnante, engoncé dans un costume trois pièces démodé, le cheveux rare compensé par une moustache fournie, il continuait de pérorer sans même s'apercevoir que je n'écoutai plus un mot de ce qu'il disait.

— ... qu'en pensez-vous ?

— De... de quoi ? parvins-je à articuler, le cerveau en ébullition et n'ayant pas la moindre idée de ce à quoi il faisait allusion.

Trois coup légers frappés contre la vitre de séparation me firent sursauter et détournèrent momentanément son attention. Refermant la bouche, il se retourna aussitôt et fit coulisser la glace opaque d'une main boudinée. Une voix grave et indistincte lui murmura quelque chose faisant faner légèrement son sourire alors qu'il repivotait vers moi.

— On vient de me faire remarquer, non sans raison, que je manque à tous mes devoirs, m'expliqua-t-il d'un ton pincé. Avez-vous besoin d'aide pour attacher votre ceinture ? On ne voudrait quand même pas perdre l'un de nos précieux gagnant avant même l'annonce officielle, n'est-ce-pas ?

Gagnant ? Gagnant de quoi ? fut la première chose qui me vint à l'esprit. Très vite suivit par, comment peuvent-ils savoir que je n'ai pas attaché ma ceinture ? Ces questions plus le ton faux et maniéré de l'homme, me sortirent brutalement de la stupeur cotonneuse dans laquelle j'avais sombré depuis mon entrée dans cette voiture. L'agacement qu'il m'inspirait virait peu à peu à l'aversion tandis qu'il continuait à déblatérer ses inepties sans même me regarder, contemplant son propre reflet sur la vitre obscurcie.

— Qui êtes-vous ? le coupai-je dans son monologue.

Je regrettai ma question à la seconde où elle franchit mes lèvres, devant l'air important et le sourire satisfait que cela lui procura.

— Joachim de la Dombes, pour vous servir. Sans vouloir me vanter vous avez de la chance d'être tombée sur moi, se rengorgea-t-il. Je serais votre conseiller, votre mentor et votre ami, je l'espère, durant toute cette palpitante aventure. Je...

— Quelle aventure ? De quoi parlez-vous ? l'interrompis-je encore avec la sensation étrange d'évoluer dans un mauvais rêve.

— Mais de « l'Infinity Game » bien sûr ! Vous faites partie des douze heureux volontaires tirés au sort pour...

— Je n'ai jamais été volontaire ! répliquai-je du tac au tac, sentant l'incompréhension, la panique et la colère mener une lutte acharnée sous mon crâne.

— Bien sûr que si...

— Bien sûr que non ! J'ai donné mon sang comme tout le monde car on ne m'a pas laissé le choix mais je n'ai jamais voulu participer à quoi que ce soit. Je n'ai aucune des compétences requises, je... je ne comprends pas ce que je fais là, il y a dû y avoir une erreur.

Mon soi-disant « mentor » secoua lentement la tête en me fixant avec commisération.

— Ce n'est pas à vous de critiquer le choix qui a été fait. Si vous êtes assise là devant moi, c'est que vous réunissez toutes les caractéristiques requises.

— Je croyais vous avoir entendu dire que c'était un tirage au sort ?! Où le choix entre-t-il en ligne de compte ? Il y a pu y avoir un bug ? Une erreur de résultat ? De nom ? Je ne sais pas moi !

Ma voix grimpait dans les aigus à mesure que la situation se clarifiait dans mon esprit, charriant tout le stress et la peur qui s'accumulaient, menaçant de me submerger à tout moment.

— C'est un ordinateur qui a effectué le choix final mais la présélection a été réalisée par des personnes très qualifiées, me répondit Joachim d'un ton hautain en me lançant un regard agacé.

— Ils ont dû faire une erreur alors, parce...

— Maintenant cela suffit ! me coupa-t-il d'un ton brusque, tout sourire ayant déserté son visage rond et disgracieux. Vous êtes là et s'est pour y rester, alors trêve de bavardages inutiles. La route n'est pas si longue jusqu'au centre d'entrainement et nous avons des formalités à effectuer avant votre arrivé.

Pétrifiée sur mon siège, je n'arrivais pas à accepter la situation. Tout s'était passé trop brutalement, trop vite et puis... je restais persuadé qu'il y avait une erreur. Ce n'était pas possible autrement. Me raccrochant à cette hypothèse, je trouvai la force de repousser l'idée, tentante mais irréaliste, de sauter de la voiture en marche. Au lieu de cela, je levai mon regard temporairement résigné vers monsieur moustachu qui sortait un porte-bloc et un stylo d'une sacoche en cuir.

— Nous avons des choses à vérifier, commença-t-il prenant un air inutilement concentré. Votre nom, tout d'abord, vous vous appelez bien Cléophée ? Vous êtes bien née à Paris le 07 juillet 2137 et vous avez donc bien dix-neuf ans ?

« Ben oui, depuis une semaine, crétin » ! faillis-je lui balancer, avant de finalement me contenter de hocher la tête pour toute réponse.

— Vous êtes étudiante à la fac de géographie en troisième année et résidez bien au...

La suite de sa litanie se dilua tandis que je répondais bêtement oui à chaque question inutile, sans vraiment les écouter.

— Les noms de vos « invités » ?

— Ou... Pardon ?! me repris-je en sortant de ma torpeur. Mes... quoi ?

— Vos invités, insista lourdement Joachim, me regardant comme si j'étais une décérébrée. En tant que membre des douze, vous avez, tout comme vos condisciples, le droit et l'honneur de choisir trois personnes de votre entourage, n'ayant pas la chance d'être présélectionnés, pour faire partie du voyage. Merveilleux, n'est-ce pas ?! Qui seront les heureux élus ? Vos parents, sans doute ?

— Je n'ai jamais connu mes parents, répondis-je sans réfléchir. C'est ma tante qui m'a élevé.

— Votre tante, donc...

— Elle est morte depuis plusieurs années. Ce n'est pas écrit sur votre fiche ? m'énervai-je, alors que de sombres souvenirs remontaient à la surface.

Joachim le moustachu me lança un regard blessé avant de baisser de nouveau les yeux sur ladite fiche, vaguement embarrassé.

— Quelqu'un d'autre ? Un fiancé ? Des amis ?

Les visages de Bianca, Paul et François, s'imposèrent d'eux-mêmes derrière ma rétine. Depuis trois ans, ils étaient ce qui se rapprochait le plus d'une famille pour moi. Mais voudraient-ils être enchainés à moi de cette façon ? Sans compter qu'ils devaient déjà faire partie présélectionnés.

— Alors ?!

— Les seuls auxquels je pense font déjà partie des présélectionné, alors...

— Si vous me donnez leurs noms, ils seront automatiquement affectés à votre groupe.

— Mais ils n'en ont peut-être pas envie ?

— Si vous attendez et qu'ils ne font pas partie des heureux élus... il sera trop tard.

La pression m'embrouillait et l'indécision me donnait le tournis. Je n'avais jamais été très attentive lors des flashs explicatifs et ne parvenais pas à savoir ce que je devais faire. Joachim qui tapotait le rebord de son porte-bloc avec son stylo en soupirant toutes les cinq secondes ne m'aidait pas à me concentrer et à trouver la bonne décision.

— Humm... nous allons peut-être passer à la suite ? dit finalement Joachim en jetant des coups d'œil fébriles à sa montre. Vous avez jusqu'à la révélation publique de vos noms pour faire votre choix de toute façon. Cela vous laissera un jour ou deux de réflexion supplémentaire, ajouta-t-il en feuilletant rapidement le formulaire qu'il venait de remplir.

Il fit mine de le relire en marmonnant, puis dans un grand geste théâtral me tendit papiers et stylo.

— Puisque tout est correct, il ne vous reste plus qu'à signer pour achever le...

— Et si je refuse ?!

Ma réponse était sortie comme un cri du cœur. Une porte de sortie, il venait de m'offrir une porte de sortie, jubilai-je avec espoir, me régalant de son air outré.

— Refuser ?! s'exclama-t-il choqué. Mais cela n'a jamais été une option ! Vous ne pouvez pas ne...

— Pourquoi me demander mon accord, si, de toute façon, je n'ai d'autre choix que d'accepter ? réagis-je d'une voix amer et tremblante, mélange subtile de colère et de déception.

Trois nouveaux coups secs résonnèrent bien judicieusement sur la vitre de séparation, épargnant une réponse à Joachim qui en fut apparemment bien soulagé.

— Nous arrivons dans quelques minutes, minauda-t-il en rangeant maladroitement ses papiers non-signés dans sa sacoche en cuir. Des questions ?

Des questions ? Pour quoi faire ? pensai-je si fort que je crus, un instant, l'avoir dit tout haut. Depuis le début de cette mascarade, il n'avait répondu spontanément à aucune de mes foutus questions !

— Vous devez sans doute être un peu intimidée, ce qui se comprends tout à fait, mais vous n'avez pas à vous en faire. Vous serez très bien entourée et conseillée, par moi, entre-autre et...

La voiture qui ralentit soudain m'évita de dire quelque chose que j'aurais pu regretter, coupant proverbialement la chique au bavard à moustache. Un dos d'âne secoua rudement l'habitacle quelques seconde plus tard, puis le véhicule s'immobilisa pour de bon, envoyant dans mes veines un rush d'adrénaline qui me laissa pantelante et le dos inondé de sueur. Lorsque la portière s'ouvrit, un air lourd et humide s'engouffra dans l'habitacle climatisé, soufflant sur mon visage tel le souffle d'une sorcière.

— Par ici, s'il vous plait ! m'ordonna une voix grave depuis les ténèbres extérieurs. 

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