Chapitre 12- Colocation

*Modifié le 28.04.22*


La sensation passa de presque douloureuse à seulement désagréable durant les quelques minutes nécessaires à la distribution des derniers bracelets. Tout mon bras gauche me picotait comme si je venais de le plonger dans l'eau glacé. D'ailleurs, au toucher, ma peau était froide, constatai-je tandis qu'un drôle de courant remontait vers ma poitrine, m'oppressant désagréablement. Observant les autres, j'en remarquai plusieurs qui se frottaient discrètement le poignet, mais hormis cela rien ne laissait penser qu'ils pouvaient être incommoder plus que cela.

Essayant de ne plus y penser, je suivis, comme les autres, Jenkins et Kate hors de la pièce jusque dans le hall d'entrée. Là nous récupérâmes nos affaires, puis ils nous entraînèrent de l'autre côté de l'atrium où nous franchîmes une nouvelle porte, identique à la précédente. De l'autre côté, en revanche, pas de couloir austère comme dans l'autre aile.

Devant nous s'étalait plusieurs bassins rectangulaires disposés en espalier et reliés entre eux par un jeux de mini-cascades. Le son cristallin et apaisant de l'eau se mariait à merveille avec les fragrances fraiches et fleuries qui embaumaient la pièce, provenant des plantes et des fleurs savamment disposés tout autour. Le sol recouvert de lattes de bois craqua légèrement sous notre poids lorsque nous nous avançâmes et je pus apercevoir les nageoires des poissons rouges évoluant entre les nénuphars.

— Ici, c'est l'oasis, nous précisa Kate avec emphase. L'éclairage donne l'illusion de la lumière naturelle et fluctue en fonction de l'heure et des saisons. Exceptionnellement, pour votre arrivée, nous avons forcé l'éclairage pour que vous puissiez vous repérer mais à partir de demain, ce ne sera plus le cas. C'est à partir d'ici que vous aurez accès à tout le reste du complexe, nous expliqua-t-il alors que nous contournions l'îlot de verdure.

Trois nouvelles portes s'ouvraient, une dans chaque mur. Ils nous guidèrent jusqu'à celle d'en face, qui s'ouvrit dans un chuintement à leur approche.

— C'est ici que se trouve vos chambres, nous expliqua Kate. Pour des raisons de places, elles ne sont pas individuels. Nous vous avons répartis aléatoirement par deux. Si vous n'êtes pas satisfait de votre colocataire n'hésitez pas à venir m'en parler, mais demain, ajouta-t-elle dans un petit rire en nous faisant signe d'avancer.

Tout le côté zen et chaleureux de la pièce précédente disparue instantanément dès que nous franchîmes le seuil. Un long couloir au dallage blanc et aux murs gris, dans lequel s'alignait six portes identiques. Pas de poignée ni de fioriture, seulement deux chiffres rouges séparés par un trait d'union, affichés sur un écran au-dessus du linteau. La première affichait les chiffres 11 et 12 et la porte s'ouvrit dès qu'Arthur passa devant. Surpris le jeune homme recula précipitamment et faillit renverser Aidan qui le rejoignait. Anxieuse, j'avançai dans le couloir, priant de ne pas me retrouver avec Lucia. Lorsque j'aperçus enfin le chiffre 2 à côté du mien, je ne pus m'empêcher de pousser un soupir de soulagement, tandis qu'Ichi poussait un petit cri de joie en se précipitant vers le battant.

— Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter une bonne installation et une bonne nuit, même si elle sera courte. À demain.

Sur ces paroles, Kate nous gratifia d'un petit sourire puis sortit, la porte se refermant automatiquement derrière elle. N'ayant pas plus envie que cela de traîner avec les autres participants je rejoignis Ichi qui pénétrait déjà dans notre chambre. Au moment d'en passer le seuil, je croisai le regard de Jayden qui partageait celle d'en face avec le numéro 8. Le battant se referma sur lui et j'entrai à mon tour.

Environ vingt mètres carrés, murs blancs, lino gris et néons au plafond, on avait vu plus chaleureux, me dis-je en appréciant la pièce d'un seul regard.

— ça ne te dérange pas que je prenne la couchette du haut ? me demanda Ichi. Je n'aime pas trop les espaces confinés.

— Pas de problème lui répondis-je, sincère, en déposant mon sac sur la couchette du bas.

En plus des lits superposés en métal sortis tout droit des surplus de l'armée, le reste de l'ameublement se composait de deux petites armoires métallique, d'un bureau et de deux chaises.

— Un tapis n'aurait pas été de trop, souligna Ichi avec humour en s'approchant de la seule autre porte de la pièce. On pari que c'est la salle de bain ?

— On espère, plutôt, lui répondis-je en la rejoignant. Il ne manquerait plus qu'une salle de bain commune pour ajouter à mon bonheur, commentai-je sarcastiquement.

Même si j'avais dit cela sur le ton de l'humour, je fus tout de même soulagée de découvrir une salle d'eau lorsque le battant pivota. Minuscule et évidemment sans fenêtre, elle contenait une douche, un WC et un lavabo, si près les uns des autres que l'on devait tout inonder à la moindre ablution.

— Ton bracelet est trop serré ? me demanda soudain Ichi, le regard fixé sur mon poignet que j'étais en train de frotter sans même m'en rendre compte.

— Non, mais ce sont ces fourmillements... ils sont moins présents qu'au début mais ça me démange.

— Tu es peut-être allergique ?

La suggestion d'Ichi n'était pas bête, mais j'étais certaine que ce n'était pas cela. La sensation était trop unique, trop indescriptible pour n'être qu'une simple allergie et puis, la réaction n'aurait pas été si immédiate.

— Je ne pense pas, me contentai-je de lui répondre en retournant près des lits. Tu n'as rien senti, toi ?

— Pas vraiment. Peut-être une vague sensation de chaleur au tout début mais j'étais tellement stressée, aussi. Ce doit être pour ça, me répondit-elle gentiment en allant ouvrir l'armoire portant son numéro.

Ne sachant pas vraiment quoi faire d'autre, je l'imitai et son contenu acheva de me déprimer. Un flacon de gel douche, trois en un, à l'odeur d'abricot chimique, une serviette blanche fine et rêche et des vêtements uniformément noir arborant tous un joli chiffre neuf dans le dos ou sur une des manche. Les seuls à en être dépourvu était le tee-shirt et le short sensé nous servir de pyjama, du moins le supposai-je, que je sortis de la pile en soupirant.

— Un peu de couleur, ça les aurait tué ? maugréai-je en m'approchant de la porte de la salle de bain. Je peux me changer ? demandai-je à Ichi qui inspectait ses propres affaires avec une moue dubitative.

— Tu ne prends pas de douche ? me demanda la jeune femme, sa serviette dans les mains.

— Je préfère la prendre le matin, répondis-je sans réfléchir.

Ce qui n'était que la stricte vérité, même si en cet instant je n'aspirais surtout qu'à me glisser sous les draps et dormir. Dormir pour oublier, l'espace de quelques heures, toute cette histoire de fou.

— En parlant de matin, Kate ne nous a pas parler du réveil ou même des horaires... tu crois que ça va se passer comment ?

— Aucune idée, répondis-je.

— Oh, mais attend ! s'écria Ichi en se précipitant vers sa couchette. On est idiote ! s'exclama-t-elle en sortant triomphalement son portable.

J'attrapai le mien, toujours au chaud dans ma poche. Il se déverrouilla dès que je l'approchai de mon visage et je pus constater que j'avais trois messages non lus.

De : Commandement des douze – 00 :15 PM

« Tous les matins, réveil général à 6 AM »

De : Commandement des douze – 00 :17 PM

« Rendez-vous dans la salle à manger pour 6 :30 AM »

De : Commandement des douze – 00 :19 PM

« Sauf raison valable, tout retard sera pénalisé. »

— Quelle chaleur humaine, ne pus-je m'empêcher de commenter.

— Ils ont dû oublier de nous le dire tout à l'heure, commenta Ichi, visiblement remuée par la formulation de robot des messages.

— Tu crois qu'ils nous veulent du mal ? me demanda-t-elle d'une petite voix, l'air perdu.

— Je ne sais pas, mais ce qui est sûr, c'est que nous devons rester sur nos gardes. Va prendre ta douche, ça te fera du bien, lui suggérai-je gentiment. J'irais après.

Pendant que la jeune femme était dans la salle de bain, j'inspectai la pièce de fond en comble, cherchant des caméras ou des micros cachés mais je ne trouvai rien. Pas totalement rassurée pour autant, je pris quand même le risque de ressortir le message froissé de ma poche. Si quelqu'un y faisait la moindre allusion, au moins je saurai que nous étions surveillés.

« Prenez garde à J... » qui pouvait être ce J ? me demandai-je pour la centième fois au moins depuis que j'avais trouvé le message. A présent je me trouvai idiote d'avoir pu penser qu'il s'agissait de Jayden. Un des autres participants avait un prénom qui commençait par J, sans compter Jenkins et certainement des tas d'autres personnes que nous ne connaissions pas encore. La nuée de vapeur qui s'échappa par la porte de la salle de bain lorsqu'Ichi en sortit, me tira de mes réflexions et j'allais prendre mon tour dans la petite pièce étouffante.

Je me couchai enfin environ quinze minutes plus tard, les cheveux humide et la peau tiraillée par le gel douche bon marché. Mes yeux me brulaient tellement que j'avais du mal à les garder ouvert. Pourtant, malgré la fatigue, le silence et l'obscurité, je ne parvenais pas à trouver le sommeil. Dire qu'il y avait quarante-huit heures à peine j'étais en train de boire un verre avec mes amis... je sentis les larmes monter mais les retins férocement. Je ne savais toujours pas ce que je faisais là, mais je ne subirai pas comme une victime, me promis-je en fermant enfin les yeux. Bercée par le ronronnement discret de la climatisation, je commençai à sombrer dans le sommeil, accompagnée de la pulsation sourde et inquiétante du métal froid contre ma peau. 

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