Chapitre 10 - Dîner... tendu

*Réécrit le 14.04.22*


Carrelage étincelant, chandeliers et couverts en argents, j'avais l'étrange impression d'être passée dans une autre dimension. Les regards qui m'entouraient étaient soit ébahis, soit sceptiques mais pour le moment tout le monde restait dans l'expectative n'osant pas s'avancer plus que cela. Les tables, carrées, étaient au nombre de trois et disposées à équidistance d'un buffet débordant de plats plus appétissant les uns que les autres.

— Ne soyez pas timide et installez-vous, nous dit Kate de sa plus belle voix de représentante touristique. Répartissez-vous comme vous voulez, il n'y a pas de plan de table ! ajouta-t-elle avec légèreté voyant que personne ne bougeait.

Déconcertés, nous nous dévisagions. Malgré les bonnes odeurs et les estomacs qui gargouillaient, personne ne se lançait, chacun espérant que l'autre ferait le premier pas.

Le regard braqué sur une salade coloré des plus appétissante, j'allais me décider, quand Jayden me devança dans un grognement agacé. Soulagée, je le suivi, aussitôt imitée par le reste du groupe. Certains se dirigèrent directement vers le buffet tandis que d'autre s'attribuaient une place à l'une des tables avant d'aller se servir. Sans hésitation, j'allais poser le blouson que je n'avais pas encore enlevé, sur le dossier de la chaise adjacente à celle de Jayden sans qu'il ne m'accorde un regard. Assis, le regard perdu au loin, il semblait sur une autre planète. Comme je l'avais supposé, Ichi vint nous rejoindre quelques secondes plus tard, suivit par Arthur, la démarche gauche et le regard interrogatif.

— ça ne vous dérange pas qu'il s'installe avec nous ? demanda la jeune fille à sa place, s'adressant plus à Jayden qu'à moi.

Ce dernier braqua son regard redevenu limpide sur le jeune homme qui frissonna des pieds à la tête et acquiesça d'un simple signe sans même daigner ouvrir la bouche. Ichi s'installa et Arthur allait en faire autant lorsque Lucia débarqua soudain et l'écarta de la table d'un geste brusque.

— Dégage le neuneu, cette place est déjà prise, annonça-t-elle en déposant son sac, qu'elle avait été la seule à garder, sur la dernière chaise disponible.

— Oui... par lui, il était là le premier, annonça posément Jayden en relevant lentement la tête.

— Attends, pardon ?! Je rêve où tu viens de prendre sa défense !

— Comme j'aurais pris la tienne si tu étais arrivée en premier. Maintenant, laisse-lui la place, ajouta-t-il toujours très calme, son regard ombrageux démentant son attitude affable.

— Sinon quoi ? ricana Lucia en faisant mine de s'assoir. Tu vas m'en empêcher peut-être ?

Un sourire étira les lèvres de Jayden tandis qu'il posait calmement ses deux mains sur la table.

— A ton avis... ?

— Arr... arrêtez, je ne voulais pas créer d'ennui, bredouilla Arthur. Je vais aller m'installer ailleurs, il n'y a aucun...

— Il n'en est pas question, l'interrompit sèchement Jayden. Lucia, libère cette place. C'est la dernière fois que je te le demande poliment.

La jeune femme s'apprêtait à répliquer lorsque Kate, démarche assurée et sourire professionnel, apparut soudain à nos côtés.

— Un problème ? demanda-t-elle innocemment bien que la tension soit évidente pour toutes les personnes présentes. Se disputer ne vous mènera à rien, il y a de la place pour tout le monde et vous aurez tout le temps de faire connaissance plus tard, ajouta-t-elle en souriant à Lucia.

La grimace dégouté de cette dernière n'était pas discrète, pourtant Kate continua de la fixer calmement jusqu'à ce qu'elle reprenne ses affaires et se dirige d'un pas rageur vers la dernière place libre qui ne paraissait pas être à son goût.

— Viens Arthur, allons-nous chercher à manger ! dit alors Jayden au jeune garçon tremblant qui faillit se prendre les pieds dans sa chaise en partant vers le buffet d'un pas précipité.

Nous les imitâmes quelques secondes plus tard et bientôt nous fûmes tous les quatre attablés, le nez dans nos assiettes, trop occupés à manger pour parler. Un brouhaha discret et agréable commençait à se répandre dans la salle à présent que la fringale était apaisée. La salade de crudité avait tenue toutes ses promesses et je m'apprêtais à entamer la tranche de rôti juteuse posée dans mon assiette lorsque Kate s'approcha de nouveau de notre table.

— Vous étiez affamés, on dirait ! Vous êtes les seuls que l'on n'entend pas discuter. Un problème ?

Jayden grogna avant d'avaler une fourchette de purée, bercé par le brouhaha des conversations des autres tables.

— On nous a bien fait comprendre, en venant ici, que nos discussions n'étaient pas appréciées, répondit-il tout en s'essuyant la bouche avec la serviette en lin mise à disposition à coté de chaque assiette.

Kate resta interdite, son sourire se flétrissant légèrement sur les bords. Sur le point de dire quelque chose, elle se retint, fronça les sourcils et repartie à pas rapide sans un mot.

— Combien on parie qu'elle est partie demander de quoi il retourne ? ricana Jayden en posant sa serviette bouchonnée sur la nappe.

— Pourquoi le lui apprendre dans ce cas ? demanda Ichi, bravant sa timidité avant de replonger son regard vers la table.

— Pour voir et analyser sa réaction. Comme ça, la prochaine fois, je saurais si elle ment ou dissimule quelque chose. Tout ce... tralala n'est que de la poudre aux yeux pour baisser nos défenses, ajouta-t-il un ton plus bas. Ils surveillent et écoutent tous ce que nous disons.

L'envie de lui demander qui il était vraiment me traversa l'esprit tandis qu'Ichi et Arthur le gratifiaient d'un bref regard admiratif.

— Tu t'appelles Jayden, c'est ça ? demanda Arthur dans un souffle apeuré quelques secondes plus tard.

— Jay, je préfère que l'on m'appelle Jay, répondit-il en posant ses couverts en travers de son assiette.

— Jayden c'est plus original, murmura Ichi.

— Je n'aime pas être original, bougonna-t-il tandis que son visage se fermait.

— Pourtant il a l'air de te correspondre plutôt bien... quand on sait ce qu'il signifie.

— Le protecteur, lança précipitamment Arthur. Ça signifie... le protecteur.

Jayden lui lança un regard surpris avant de se renfrogner de nouveau.

— La signification d'un prénom ne veut rien dire. Cela ne nous définit pas. Tu n'as pas toujours été numéro un, je suppose ? demanda-t-il à Ichi d'un ton peu aimable.

— Oh, tu parles Japonais ? Ichi signifie « un » dans ma langue, expliqua-t-elle voyant qu'Arthur et moi avions du mal à suivre. Mais cela veut seulement dire que je suis la première née et en ce qui me concerne ça me définit, car ça ne changera jamais.

— Vous avez l'intention de philosopher longtemps ? Car dans ce cas, je préfère encore le silence, grogna Jayden alors que des serveurs entraient dans la salle pour débarrasser buffet et assiettes et nous apporter le dessert, une grosse part de cheesecake disparaissant presque entièrement sous un coulis de fruit rouge.

— Vous... vous savez pourquoi vous êtes là ? demanda Arthur une poignée de minutes plus tard. Ils ont dit que nous avions tous été choisi pour une raison mais... Je croyais qu'ils prendraient des militaires, des étudiants en astronomie ou... pas moi en tout cas, termina-t-il dans un souffle.

— Ne te dénigre pas comme ça, lui répondit Jayden du tac-au-tac. Je ne sais pas plus que toi pourquoi nous sommes là, mais une chose est sûre, vous allez devoir vous affirmer, si vous ne voulez pas vous faire piétiner par les petits caïds du genre de Lucia, ajouta-t-il en les fixant à tour de rôle, avant de terminer par moi.

Il me fixa durant de longues secondes, son regard scrutateur semblant me transpercer, chercher à comprendre ou à saisir quelque chose.

— Pourquoi tu me fixes comme ça ? J'ai un bouton sur le nez ? finis-je pas lui demander, irrité par son comportement singulier.

— Je n'arrive pas à te cerner, contrairement aux autres, me répondit-il à ma grande surprise. Ton comportement est... intriguant.

— Lui, au moins, on sait tout de suite pourquoi il est là, pouffa Ichi avant d'enfourner une nouvelle bouchée de gâteau, m'évitant d'avoir à répondre.

Mon comportement ? Quel comportement ? ruminai-je tandis que nous terminions nos assiettes dans un silence tendu. Le ronronnement des conversations s'étiolait petit à petit maintenant que les estomacs étaient remplis et que la fatigue commençait à se faire sentir. Kate revint dans la pièce au moment où l'on débarrassait les dernières assiettes. Son expression avait changé et le regard qu'elle nous lança me paru beaucoup moins amical, à moins que ce ne soit moi qui me fasse des idées.

— Puisque tout le monde a terminé, je vous invite à passer au salon, j'ai encore une ou deux petites choses à vous expliquer.

— Pourquoi on est là, par exemple ? l'interrompit la jeune femme qui était déjà intervenue lors de l'appel.

Kate ne répondit pas et se contenta d'aller pousser les deux battants de la porte menant au salon que nous avions déjà visité. Les chaises raclèrent sur le sol dans un bel ensemble tandis que nous nous levions et passions les portes en chuchotant. Sur les tables basses, café, thé et assortiment de petits gâteaux nous attendaient, alors qu'un air de jazz sortait d'enceinte invisibles certainement dissimulées dans les murs. Nous nous installâmes sur les canapés et les poufs moelleux sous le regard de Kate, mais quand nos visages se tournèrent vers elle, ils n'étaient ni souriants, ni détendus. 

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