CHAPITRE 17

« Partout, on peut entendre que la mort est difficile, je sais par expérience que c'est faux. La mort est la partie la plus facile. Une fois qu'on est mort, tout est fini, il n'y a plus rien que la tristesse et le désespoir qu'on laisse derrière soi. Vivre, c'est affronter ses peurs, ses douleurs, faire face au monde et respirer. Être vivant c'est avancer malgré les épreuves. Je n'ai jamais aimé les choses compliquées. J'aurais préféré que tout reste facile. J'ai toujours fait partie de celles et ceux qu'une équation mathématique pouvait amener une violente migraine. Mon cerveau a décidé d'arrêter de comprendre après les divisions ainsi que les premières équations qui disaient que : a² + 2ab + b² = (a+ b) ²... Après ça les maths ont été décrétées trop dangereuses pour mon cerveau. Enfin...

Après mon geste, j'ignorais ce qui m'a poussé à ouvrir les yeux, pas l'envie de vivre en tout cas ni l'envie d'affronter le monde, la douleur sans doute, car lorsque j'ai ouvert les yeux alors que je croyais plonger dans les ténèbres pour l'éternité, j'avais mal. Extrêmement mal dans le ventre, à la tête, au cœur aussi. Mes yeux m'ont piqué à cause de la lumière vive et tandis que je refaisais surface, j'entendis que l'on s'affairait dans la pièce tout autour de moi. Je me suis forcé de garder les yeux ouverts, je me suis redressé, mais quelque chose m'a obstrué, un fil que j'avais dans le nez et dans la bouche. J'ai paniqué, mais des voix familières m'ont priée de me calmer. Papa s'est penché le premier vers moi, son visage était méconnaissable et il m'a giflé avec rage. J'ai failli entendre et voir les cloches...

— Refais ça ma fille et je te promets que la prochaine fois je t'aide et on verra si tu veux vraiment mourir. Refais ça et je te jure que...

Il s'est mis à pleurer et a fondu dans mes bras en me serrant très fort contre lui. Maman aussi. Granny a caressé mes cheveux en me murmurant que maintenant ça irait, que je n'avais plus rien à craindre. J'ai vite compris que mon père m'avait trouvée à temps et qu'ils m'empêcheraient tous de sombrer et de les abandonner de nouveau. Quand papa s'est redressé, il est parti chercher le médecin pour le prévenir. Maman m'a caressé le visage et n'a rien dit, alors je me suis excusé d'avoir pris une décision hâtive, égoïste, stupide et minable. Papa est revenu avec le médecin et j'ai vu dans les yeux de celui-ci qui était accompagné de deux femmes en blouse bleue que je n'avais pas fini, que quelque chose n'allait pas...

— Je suis heureux de vous revoir parmi nous, Dylan. On vous a soigné à temps...

Quand il a annoncé la nouvelle, mon père a balancé son poing dans le mur en criant, maman s'est mise à pleurer. Sur l'instant, je n'ai pas compris, j'avais du mal à penser correctement et à mettre de l'ordre dans ma tête... je me sentais un peu groggy. Entre mon passage à tabac et les médocs, j'étais faible.

Quand Granny s'est penché vers moi et qu'elle a posé sa main sur mon ventre, en me murmurant que ça irait, qu'après ça le plus dur serait passé et que je n'aurais plus qu'à taper au sol pour remonter, j'ai acquiescé.

— D'accord...

— Nous allons préparer la salle de travail et je vous y emmène sur le champ.

Je n'avais rien vu, je n'avais pas compris les symptômes, je ne les avais pas interprétés comme il le fallait.

J'étais enceinte depuis mon viol.

Cet enfoiré m'avait mise enceinte. J'avais quelque chose en moi et les coups que j'avais reçus et les médicaments que j'avais ingurgités avaient tué ce... cette...

J'ai secoué la tête en me rendant compte que je ne pouvais pas le nommer ni dire que c'était mon bébé.

Le temps m'a semblé long entre le moment où l'on m'a allongé sur le lit et celui où les sages-femmes ont commencé à sortir de mon ventre un petit prématuré de 4 mois. J'avais mal, extrêmement, mon ventre était douloureux comme les muscles. Je ne ressentais rien, pas d'amour ni la chose que j'aurais dû aimer inconditionnellement. J'éprouvais une tristesse infinie et je sentais dans mon cœur le poids d'un chaos insoutenable.

J'avais mal en moi, mais plus pour les raisons qui m'avaient poussée à faire ça, j'avais mal de subir, mais c'était la dernière fois que ça m'atteindrait.

— Voulez-vous savoir le sexe ?

J'ai hoché la tête en me rendant compte que je m'en foutais. L'un ou l'autre, qu'importe. C'était une fille. Elle était frêle, minuscule, un peu bleue et ensanglantée. Elle était tellement petite qu'elle ressemblait à une poupée. Ses mains, ses pieds, je n'avais jamais vu une chose aussi petite, aussi triste.

— Je peux la tenir ?

La sage-femme a acquiescé et a posé contre moi la petite chose qui me semblait irréelle. Je n'avais pas l'impression qu'elle venait de moi, elle m'était inconnue. J'ignorais qu'elle était en moi et qu'elle avait commencé à vivre et était morte sans amour. Je m'en voulais de lui avoir fait croire que j'allais lui donner la vie, je m'en voulais, car si j'avais su bien plus tôt, je ne l'aurais pas gardée. Je m'en voulais de l'avoir fait souffrir.

J'aurais voulu faire ça alors qu'elle n'était qu'un petit haricot et qu'elle ne pesait rien.

J'aurais voulu ne pas être si insensible et éprouver pour elle des sentiments doux, mais je ne pouvais pas.

J'ai fermé les yeux alors que je savais très bien que tout le monde guettait mes réactions. J'ai plissé les paupières le plus possible pour essayer de pleurer, mais rien n'est venu alors j'ai serré contre moi le bébé, sa chaleur qui venait de moi, m'a réveillé et j'ai alors juré de vivre, je lui ai promis que je vivrais et de prendre ma revanche sur la vie pour l'honorer.

Je ne l'ai pas embrassé quand je l'ai tendu à la sage-femme.

Je n'ai pas pleuré.

J'ai fait face à la putain de réalité qui m'avait infligé ça.

— Voulez-vous lui donner un nom ?

— Non...

Je n'en avais pas la force.

Je n'en avais pas envie.

Je n'avais pas assez d'amour pour ça.

Ce n'était pas mon bébé.

Ce n'était pas un désir, mais la conséquence désastreuse d'un viol.

Je me suis sentie méchante, égoïste, horrible. Je me faisais l'effet de ces horribles bonnes femmes qui faisaient les unes de la presse à sensation dans les horribles affaires de meurtre ou de mœurs. La sage-femme m'a dit que ce n'était pas grave, que l'hôpital s'en chargerait et puis elle l'a enroulé dans une étoffe avant de la déposer dans quelque chose qui ressemblait à une boîte à chaussure.

L'une des sages-femmes est sortie de la pièce avec la boîte, celle qui restait s'est penchée vers moi et m'a dit :

— Parfois la vie est difficile, elle se montre chienne et injuste, mais ce n'est pas une raison pour renoncer à elle. Un de ces quatre, il mettra sur votre route ce qui vous permettra de vous réconcilier avec elle et avec lui.

J'ai répété cette phrase un long moment.

J'espérai... »

Le temps avait des notions très paradoxales. Il pouvait passer excessivement rapidement comme le matin quand on s'accordait 5 minutes de dodos supplémentaire, des minutes qui correspondaient à des secondes et où l'on se rendait compte qu'on avait dormis 30 de plus et pouvait passer excessivement lentement comme au boulot ou vous pensez avoir regardé l'heure 30 minutes auparavant, mais qu'en fait ça ne fait que 2 minutes.

Un peu de temps était passé, un temps qui s'était montré paradoxal. À la fois lent et rapide.

Le boulot au bar avec Celia était cool, je m'y sentais mieux et je m'y sentais bien, elle était ultra sympa et ça me faisais un peu de monnaie pour mes sorties, mes factures et mon loyer sans toucher à l'argent que j'avais de côté. Puis tous les soirs, j'avais un taxi qui m'attendait pour rentrer à la maison envoyée par Nate et s'ensuivaient quelques messages dans lesquels je le remerciais puis pour nous souhaiter bonne nuit. J'allais toujours en cours, j'avais vraiment à cœur d'obtenir ce petit diplôme. Je comprenais bien mieux certaines notions du marketing, mais surtout j'avais un dossier en béton. Je l'avais travaillé comme une folle pour y apporter tout l'amour que je ressentais pour ce boulot. J'avais même appelé ma Granny pour lui demander des conseils. J'avais aussi rendu visite à Lilas et elle m'avait invité à boire le thé. Parler avec elle, c'était comme parler avec Granny. Du coup, je me sentais un peu moins dépaysée.

D'ailleurs en parlant d'elle, j'avais hâte d'être à Thanksgiving pour revoir tout le monde, mais aussi papa et sa nouvelle compagne qu'il voulait nous faire rencontrer. J'étais impatiente de les revoir. En plus les fêtes de famille étaient une période que j'adorais.

Rynne allait bien, je la voyais plus, ont trouvaient le temps de se parler et ça aussi ça me faisait du bien. Il y avait des choses que j'avais besoin de lui dire au sujet de mon passé, mais aussi au sujet de Nate. Elle avait repris les cours, mais avec son nouvel emploi du temps et sa maison d'édition, elle avait dû supprimer quelques heures de cours. Avec sa petite santé, elle devait se ménager.

Mon bras allait mieux, j'étais guéri, ma peau avait cicatrisée pour autant j'avais et j'aurais probablement une marque à vie le long de mon avant-bras, me rappelant un rêveur que j'avais protégé. Mais quitte à en protéger quelqu'un autant que ça soit un rêveur, car c'était ceux qui avaient l'avenir du monde sur les épaules, qui irait le plus loin dans la vie. Les rêveurs faisaient de grandes choses et Kyle était assez mignon et futé pour devenir plus tard un type extra. Cependant en version poche, il était des plus adorables. Plus de deux semaines étaient passées et je devais aussi admettre que j'allais mieux. Enfin ça aussi c'était paradoxal, mais globalement, je ne pensais plus tellement à ça. Les seules fois où ça occultait mon esprit, c'était quand on essayait de trop s'approcher de mon passé.

Quant à Nate, j'avais évité consciencieusement de le voir et de le croiser pour ne pas succomber davantage au chaos que nous créions chaque fois que nous étions seuls dans une même pièce. Cependant étant mon voisin, mais aussi mon camarade de classe, arrêter définitivement de le voir n'était pas chose aisée. Et puis quelque part, je n'en avais pas forcément envie non plus. Nate rendait le temps court et rapide, quand j'étais avec lui, je pensais à tout, mais aussi à rien, il arrivait à faire taire mon esprit bourdonnant et même si nous nous lancions des petits piques de temps en temps nous nous entendions très bien.

Enfin si seulement il n'y avait que ça... parce que sur le plan câlin, c'était le cosmos. À chaque fois il y avait ce feu entre nous, cette alchimie. Ça me troublait, ça me grisait même. J'essayais de comprendre, de mettre des mots sur ce sentiment, mais je n'y parvenais jamais. Force est de croire que c'était ainsi et que l'on n'y pouvait rien du tout. Certaines choses étaient plus fortes que d'autres et mieux valait-il ne pas essayer de savoir pourquoi ni de chercher à les comprendre.

****

— Une revenante ! s'écria Asher lorsque je franchis la porte du club.

Les autres crièrent après lui et Kyle que je voyais pour la première fois ici depuis que je m'étais inscrite sauta dans mes bras. J'esquissai un grand sourire en tournant sur moi-même.

— Heureux ? demandai-je en souriant.

— Toujours en compagnie de jolies filles, me répondit-il avec un clin d'œil.

Il m'embrassa sur la joue en souriant. Les autres me saluèrent aussi, Nate sur le ring avec Mason m'adressa un signe de tête, quant à Marlow, elle n'était pas là au premier regard. Je me penchai pour dire bonjour à mon amoureux de quatre ans quand Asher me lâcha. Il se serra contre moi et garda ses bras solidement accrochés à mon cou quand je me redressai.

— Tu vas te battre ? me demanda-t-il.

— Oui, je vais m'entraîner avec ton papa.

Ses yeux s'ouvrirent en grand. Je glissai mes bras sous ses fesses pour le soutenir. Il avait la mine sérieuse, je souris.

— Je crois que tu ne peux pas le battre, papa est le plus fort.

— Après moi, lança Mason.

— Même pas vrai, c'est papa le plus fort ! répondit-il en aboyant presque.

— Bien, mon fils ! répondit l'intéressé en question.

Je gloussai comme une idiote. Kyle releva fièrement la tête. Mon cœur se mit à battre plus fort. J'adorais voir ce gamin heureux, car ça me rendait heureuse moi-même.

— Marlow n'est pas là ? demandai-je à Asher.

L'air sombre d'un coup, il secoua la tête.

— Elle est malade. Une vilaine grippe, du coup elle est clouée au lit.

J'acquiesçai en hochant la tête. Les températures avaient bien rafraichi durant lors de ces dernières semaines.

— Bon, je vais me changer.

— Je peux venir avec toi ? demanda Kyle.

Tandis que je lui répondis oui en avançant, je sentis tous les regards sur nous. Bande de pervers ! Lorsque j'arrivais à la porte, Asher brisa le silence.

— T'as raison, c'est bien le digne fils de son père. Déjà précoce.

Je secouai la tête et je fermai la porte du vestiaire derrière moi. Kyle se posa sur le banc tout en me regardant. Je me changeai tout en gardant mes sous-vêtements. Les joues de « MiniLui » étaient légèrement rosées, bon sang, ce gamin était déjà aux aguets.

— Il est beau ton dessin dans le dos. On dirait une fleur bizarre...

— Ça s'appelle une rosace.

— C'est beau. (Il avait ce même éclat que son père dans les yeux. La cadence de mon cœur s'accéléra légèrement.) Papa lui il a fait un touage de mes dessins.

Je m'abaissais à son niveau tout en mettant mon tee-shirt.

— Un tatouage de tes dessins, le rectifiai-je. Oui, je sais, il me les a montrés. Ils sont très beaux.

Il hocha la tête. Je me relevais puis je sortis mes bandages de mon sac que je commençai à mettre.

— Ton bras il est assez guéri pour frapper ? me demanda-t-il d'une petite voix.

— Bien sûr, je suis forte, tu sais.

Il esquissa un sourire et accepta ma main quand je la lui tendis pour repartir dans la salle. Je m'avançai jusqu'Asher.

— Tu peux me bander les mains, s'il te plaît ?

— Ouaip.

Il attrapa mon bras mes bandages blancs et scruta ma peau fragile et marquée quand je lui tendis mon bras.

— Tu es bien marqué, quand même. Ça te fait mal encore mal ?

Il appuya son pouce sur ma peau, je ne dis rien, je ne ressentais plus de douleur, en même temps j'avais mis trois bonnes semaines à guérir.

— J'arrive, Dylan. Juste le temps de finir, lança Nate qui nous sortit de notre torpeur.

J'acquiesçai silencieusement. Sur le visage d'Asher se dessina un sourire taquin.

— Jaloux ! murmura-t-il en articulant bien.

Je secouai la tête.

— Ça m'a l'air bien cicatrisé.

— Je n'ai plus mal du tout. Ceci dit, j'avais envie de me faire un nouveau tatouage, du coup, je pense en faire un à cet endroit pour recouvrir un peu la blessure.

— Tu as une idée de ce que tu veux ?

Étonnée qu'il s'intéresse à cela, j'arquais un sourcil. Il sourit de plus belle.

— Je peux peut-être t'aider, dit-il.

— Tu es tatoueur, peut-être, raillai-je.

— Oui, répondit-il en souriant.

J'ouvris la bouche, avant de rougir comme une idiote. Il serra alors le premier bandage puis passa au bras suivant.

— J'ai repris l'affaire de mon père il y a deux ans et sur le ring tu as celui qui m'a fait confiance la première fois et qui depuis vient toujours m'en réclamer.

— Désolée, je l'ignorais. C'est juste que...

— Qu'au premier abord les tatoueurs sont couverts de tatouages ?

Je hochai la tête comme une gosse. Il m'adressa un clin d'œil et sourit. Je rougis un peu plus. Il était troublant à sa manière, sexy. Je comprenais assez que Marlow soit si troublée face à lui, je me demandais aussi s'il s'était déjà passé quelque chose entre eux.

— J'en ai un, reprit-il. Disons qu'il compte pour dix. Je préfère en faire pour les autres plutôt que pour moi. Si jamais tu en veux un, viens me voir, je te le ferais avec plaisir.

J'étais intéressée, énormément. Ça faisait longtemps que l'idée d'en faire un nouveau me trottait dans la tête, plus ces derniers temps à force de toucher ceux de Nate. J'avais envie de rester dans le thème, j'avais déjà des fleurs sur mon corps, mais j'en voulais encore.

— Tu as fait ceux de Nate, alors ?

— Ouais, approuva-t-il. Du premier au dernier, je suis responsable de tous les gribouillages qu'il a sur les bras.

— Tu as du talent, dis-je en regardant Nate se battre. Énormément.

Sur le coup, j'ignorais de qui je parlais. Lui ou Nate.

Les deux. Asher en avait assurément. Nate... il avait du talent aussi. Pour tout. Mais là, je n'avais pas l'impression d'être rationnelle. Kyle qui me tenait toujours silencieusement la main regardait son père s'entraîner.

— Merci, lança Asher en ébouriffant les cheveux de Kyle.

— J'aimerais faire une manchette de fleur tout autour de mon poignet, déclarai-je pour tenter de masquer ce que j'avais l'impression de devoir masquer. Quelque chose de fleuri et d'asymétrique.

— Soit tu as un modèle, soit on en fait un ensemble.

— Ensemble ?

— Oui, si tu veux je passe un soir au bar pendant ton service et on fait ça.

Je souris en acquiesçant. Kyle toujours à côté de moi s'agita quand son père arriva à notre chevet. Nate tendit son bras et sa version poche tapa du poing contre le gant.

— T'as gagné, papa ? demanda-t-il en souriant.

— Je gagne toujours, champion.

Il sourit, les yeux pétillants de fierté et d'admiration. J'adorais ça, cette alchimie, cet amour entre eux. Ça m'émouvait, car moi...

— Ash, t'es prêt ? demanda Mason. Je t'attends, alors range tes vieux plans drague.

— Ouaip ! On se revoit bientôt ? me dit-il en passant devant nous avec un clin d'œil.

Nate le regarda bizarrement. Il n'avait pas l'air d'aimer me voir discuter avec un autre et avec son clin d'œil Asher le savait très bien. Cette manière très rustre de réagir fit bondir mon cœur, comme si le savoir jaloux était une victoire en soi ou était devenu très excitant. Je souris tout de même ce qui fit radoucir ses traits. Il m'embrassa sur le front pour me dire bonjour et attrapa mes bandages pour vérifier qu'ils étaient bien noués autour de mon poignet. Il me sembla insistant, il gardait ses mains autour de mes poignets et ses pouces faisaient des petits cercles.

— On va y aller doucement, comme c'est la première fois que tu reprends.

Son regard était profond, sa couleur menthe à l'eau était folle, je me perdis dedans.

Merde.

Une fois encore nous étions en train de sombrer dans le chaos. J'aurais voulu comprendre pourquoi et comment en un claquement de doigts il était possible que nous nous retrouvions ainsi.

Lorsque Kyle tira sur le pantalon de son père pour attirer notre attention, je me reculais rouge de honte.

— D'accord, acquiesçai-je. De toute manière, c'est une première, j'ai besoin d'y aller doucement.

— Je peux te regarder, papa ?

— Va plutôt terminer tes dessins, mon lapin.

— Je peux en faire un pour Dylan ?

Je souris.

— Tu peux même en faire dix, répondit Nate.

Je me mordis la lèvre. Il partit à cloche-pied, tout guilleret.

Tout allait mieux, oui...

****

J'accrochai sur mon frigo les deux dessins que Kyle m'avait offerts. Sur l'un c'était moi avec des fleurs tout autour, sur l'autre c'était trois bonshommes et un chat assez abstrait. J'avouai que ce dessin me mettait les nerfs en pelote. Surtout lorsqu'il avait demandé à son père de lui faire un modèle de nos prénoms à tous les trois pour pouvoir les mettre sur la feuille. C'était absolument étrange et déroutant de recevoir un tel dessin et de ne pas être capable de déceler dans les yeux et le sourire de celui-ci le moindre sentiment. J'ignorais si c'était juste comme ça ou si je devais y comprendre un message quelconque. J'avais peur maintenant, peur de découvrir les sentiments qu'il nourrissait, peur des miens à son égard. J'arrachai mon regard des dessins quand mon portable sonna.

Bien rentrée ?

Je souris : Oui, merci pour le taxi. Il me répondit aussitôt : De rien. Tu as mangé ce soir ?

Non, pas encore.

J'ai de la pizza tiède et il rediffuse pour la énième fois « Maman j'ai raté l'avion », ça te tente ?

De la pizza tiède et un film culte ? J'arrive dans cinq minutes...

Je mis à manger à Domino qui miaula en guise de remerciements puis je me dirigeai vers la salle de bain. Heureusement, j'avais pris une douche au club avant d'aller bosser. Le miroir me renvoya le reflet d'une fille souriante. Malgré la fatigue, je me sentais très bien. J'avais changé un peu physiquement, j'avais repris du poids, mes cheveux avaient encore poussé, mes traits me paraissaient moins tendus, moins crispés. Je crispai mes poings contre le rebord de l'évier en sentant une douleur bizarre dans ma poitrine. Sans rien changer au final, je sortis de chez moi, l'esprit léger et le cœur vif.

Il ouvrit la porte et en moins de deux secondes, il occupa tout l'espace, devenant un tout. Le mien.

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