CHAPITRE 12
Le verdict était pénible ; j'étais brûlée au deuxième degré de manière superficielle ce qui à ce second palier était le stade le moins grave. J'aurais cependant besoin de deux à trois semaines, voire plus pour que ma peau se régénère et pendant ce laps de temps, je n'avais pas le droit de trop utiliser mon bras ni de le solliciter, ce qui signifiait que le sport, c'était niet pour les deux semaines à venir. Et sans le sport, j'ignorais si j'allais réussir à canaliser tout ce qui bouillonnait constamment dans ma tête.
Lorsque Kyle et Nate m'avaient rejoint après que le médecin se soit occupé de moi, le petit avait fondu dans mes bras en pleurant et en s'excusant. Sous l'interrogatoire de son papa, il n'avait pas résisté et avait tout avoué. Nate était en colère, Kyle triste et moi... j'étais habité par ces deux sentiments. Mais, j'avais aspiré ses chagrins, ne supportant qu'il soit triste pour moi ou qu'il culpabilise de la sorte pour une bêtise dont il n'était pas coupable, ses larmes et son chagrin d'enfant bien que stupides m'avais touché au plus profond de moi. Je n'aimais pas qu'il pleure ni qu'il se sente triste.
« Au fait, si le chinois tient toujours et que tu te sens mieux, je t'invite au restau ce soir. Sinon, c'est le chinois qui viendra jusqu'à toi !! »
Je souris. Il avait pris de mes nouvelles ce matin pour s'assurer que j'allais mieux. Ça n'était pas franchement le top, mais comparé à ce qu'aurait subi Kyle s'il s'était pris l'huile sur le visage, j'étais bien heureuse d'avoir fait ça. D'ici quelques jours ça irait mieux. Ce que j'espérai surtout, c'était que ma peau ne resterait pas marquée. J'avais passé une nuit horrible, la douleur m'avait empêché de fermer l'œil, du coup, j'avais cogité et j'avais pesté de ne pas pouvoir me défouler et de taper sur mon sac de frappes. Je m'étais endormie au matin dans le fauteuil et c'était finalement Nate et Kyle qui m'avait apporté des croissants qui m'avaient réveillé. J'aurais du paraître froide, sauf que non. Je n'avais réussi qu'à les trouver encore plus mignons. Heureusement, j'avais des cachets et des bandages dans lesquels il y avait déjà une crème nourrissante et hydratante pour m'aider à cicatriser du mieux possible. J'attrapai mon portable pour lui répondre. Hier il avait été assez parfait dans son genre pour aujourd'hui grogner et me comporter comme une chienne.
En gros je n'ai pas le choix. L'un dans l'autre, vous venez ?
Il répondit deux minutes plus tard : Exactement ! C'est à toi de choisir... au restau ou chez toi ?
Je n'avais pas envie de me prendre la tête avec lui ni avec moi-même. Je l'avais déjà dit, mais hier sans Nate ma soirée aurait été encore plus chaotique. Il avait clairement tout géré quand ma tête avait menacé de repeindre en rouge les murs de la salle d'attente. Il m'avait câliné et n'avais pas quitté mes bras, enfin il ne m'avait pas lâché et quelque part je n'avais pas trouvé à y redire. Il était suffisant pour contenir ma douleur. Il avait été cherché mes médicaments et m'avais ramené à la maison. Sans pouvoir frapper ou me défouler, je me sentais clairement vulnérable et j'avais réellement besoin de penser à autre chose parce que ça restait là et que je détestais ça. J'avais besoin de compagnie, de quelque chose à laquelle me raccrocher pour m'éviter de sombrer trop loin dans un chaos sans fond et sans bord. Je tapais ma réponse : Quitte à se faire inviter, autant que ça soit sur place quand même. Histoire que le monstre au bras plein de cloques sorte un coup...
J'avais envoyé des messages à Rynne ce matin, mais elle était occupée apparemment, la maison d'édition qui lui avait envoyé un contrat pour l'avoir comme auteure voulait la rencontrer et elle y allait ce week-end. J'étais bien heureuse, mais très franchement j'avais les foies de ne l'apprendre que par message et uniquement en lui envoyant un pauvre texto parce que je n'avais plus de nouvelles. Elle s'éloignait un peu et merde, ça me touchait cette connerie. Elle était la première personne à qui j'avais ouvert mon cœur en me reprenant en main et aujourd'hui c'était différent. C'était certainement normal. Je secouai la tête et Domino pressa sa patte sur mon bras pour que je le caresse. Il avait grandi un peu lui... je levai les bras et il ne se fit pas prier, il vint à moi et s'installa sur mes cuisses. Je lus la réponse de Nate à laquelle je répondis de suite : Je sors le monstre à cloques quand il veut !!
Bah ça tombe bien, puisque tu viens le chercher ce soir à 19 heures !
J'ignorais pourquoi, mais j'étais certaine qu'il était en train de rire. Je reçu sa réponse rapidement comme toujours : Parfait, à 19 heures, je serais là, Ruby.
Je passais le reste de la matinée à travailler sur mon projet d'étude comme nous l'avait demandé le prof. Je devais construire un dossier sur ma passion, sur ce que je voulais faire et le rendre une fois terminé. J'avais bien avancé, mais il était difficile de recréer une passion avec des mots, j'avais plutôt envie de le montrer. Je sortis de mon classeur une grande feuille blanche sur laquelle, je me mis à dessiner dans un premier temps le croquis de la devanture fleuris du magasin qui me faisait rêver, sur l'enseigne, j'écrivis plus fort « Les mauvaises graines » un nom que je trouvais génial. C'était Granny qui m'appelait comme ça quand je boudais. J'avouais bien volontiers que c'était un surnom qui m'allait bien parfois. Quand je me trouvais satisfaite du résultat rendu, je dessinais ce que je me faisais de l'idée de mon magasin, de l'intérieur tout du moins. Ma grand-mère avait largement éveillé mon esprit avec ses jardins et je savais ce que je voulais. Après avoir fini et une fois satisfaite, je coloriai comme une gosse avec des couleurs pastel avant de scanner le tout sur mon ordinateur pour l'inclure dans mon dossier. Ouais, c'était franchement pas mal avec ça en plus, mais ça manquait un peu. Rajouter des choses que j'aurais faites, genre un bouquet, c'était mieux pour compléter comme il le fallait. J'enregistrai mon avancement pour être certaine de ne rien perdre. Je mis du lait à frais à Domino qui ronronna en guise de remerciements puis, j'attrapai mon sac, mon téléphone, j'enfilai mes chaussures à la porte et je sortis dehors en zappant complètement le repas du midi.
J'arrivais rapidement au fleuriste de la dernière fois. Il y avait quelques personnes, j'entrai en disant bonjour. J'adorais le concept et l'idée de faire son bouquet soit même comme dans les bois avec les fleurs sauvages, c'était tellement plus authentique, plus personnel et romantique. C'était quelque chose que j'allais rajouter dans mon dossier, car être fleuriste c'était aussi de transmettre sa passion et de pousser les gens à la comprendre, ainsi, c'était faisable.
— Vous êtes douée, me complimenta la fleuriste.
Je sursautai, elle sourit. Elle me faisait penser à ma Granny. Elle était le même genre de femme.
— Merci, j'adore les fleurs. C'est une passion...
— Pas besoin de me le dire, ça se voit dans la beauté de votre bouquet.
— Merci.
— Le pouvoir des fleurs est mystérieux, n'est-ce pas ?
J'acquiesçai.
— Vous savez qu'il y a une chanson française qui porte ce titre ? « Le pouvoir des fleurs », lança-t-elle en français. J'ai appris la langue juste pour en connaître la signification et c'est l'une de mes préférées.
— Ma grand-mère est une botaniste et une jardinière hors pair ! Elle m'a transmis tout ça.
— Une femme très sage.
Je souris.
— Quelles sont vos fleurs préférées ? me demanda-t-elle.
— Les anémones et les renoncules. Ensemble dans un bouquet, c'est magnifique, je trouve. Et vous ?
— Mon mari m'a offert des callas, la première fois qu'il m'a invité à sortir. Je dois dire que j'ai une nette préférence pour celles-ci, mais aussi les céanothes.
— J'aime beaucoup l'idée que vous avez lancée. Faire un bouquet soi-même, je trouve ça super !
— C'est en voyant ma petite fille prendre des fleurs dans les pots pour faire un bouquet pour la fête des Mères que j'ai eu cette idée, je l'ai lancée l'année suivante à la même époque et tous les pères de famille qui venaient avec leurs enfants les ont laissé faire, ça a tellement bien marché que ce qui ne devait durer qu'une journée dure encore. Quelque part, c'est vrai que c'est plus authentique, n'est-ce pas ?
— Oui.
— Ces fleurs sont pour vous ?
— Oui, acquiesçai-je. J'ai un projet d'étude à rendre pour mon cours de management et comme je veux ouvrir une boutique de fleur, je voudrais faire un beau dossier.
— À la bonne heure, avec envie et passion, travailler devient agréable. Bien sûr, je ne vous cacherai pas que certains week-ends sont fatigants, mais quand même ! Pour les cours de management, vous n'en avez pas besoin. Enfin, de mon point de vue ce n'est pas à l'école que l'on apprend la passion, elle se fait sur place. Moi, j'ai appris sur le tas, vous auriez plus vite fait de bosser auprès d'un professionnel pour apprendre les ficelles du métier même si votre amour pour ce métier est évident, vous n'aviez rien à envier à certaine personne.
Je souris en la remerciant.
— À vrai dire, je crois que si je suis ces cours c'est pour me conforter. J'ai peur de me lancer dans quelque chose d'aussi fort. Ce n'est pas tous les jours que l'on peut se permettre de se lancer dans une aventure comme celle-ci alors autant ne pas tout foirer.
— Vous avez raison. À mon époque l'école c'était quelque chose d'abstrait surtout pour les femmes. J'ai arrêté à quinze ans et je me suis mise à travailler pour un fleuriste les dimanches sur les marchés. Je travaillais vite et bien, j'adorais ce que je faisais et il m'a confié la gestion d'une boutique quelques années plus tard. C'était celle-ci, il me l'a cédée à sa mort sur son testament. Aujourd'hui, les mœurs sont différentes. On étudie pour gagner beaucoup d'argent, mais on oublie de penser à ce qu'on aime faire et on se retrouve avec de trop gros diplômes à bosser derrière un bureau et à rêver à ce qu'on aimait faire à l'époque. Ceci dit, pour vous je ne me fais aucun souci. Vraiment !
— Merci.
— Si vous avez des questions sur la gestion, sur n'importe quoi. Si vous avez envie de discuter passion, la boutique est ouverte. Je m'appelle Lilas.
— Dylan.
— Ravie Dylan de constater que la nouvelle génération reste rêveuse. Je peux te tutoyer ?
J'acquiesçai.
— Je vais vous prendre ce bouquet, dis-je en me dirigeant à la caisse.
— C'est pour moi ! me lança-t-elle en l'emballant.
— Comment ça ?
— Je te l'offre avec grand plaisir.
— Je... merci !
Je sortis du magasin avec mon bouquet et une impression agréable.
****
Plus tard lorsque quelques coups à la porte m'annoncèrent l'arrivée de Nate, mon ventre se barbouilla. J'ouvris la porte et je tombai sur lui seul. Ah zut, j'avais pensé que le petit serait là en fait. Je trainais paresseusement mes yeux sur lui, me délectant de tout ce qu'il représentait. Nate était un tout tellement délicieux et croquant. Il représentait un tout à lui tout seul. Il me sourit et je remarquais qu'il tenait un bouquet de fleurs. Le gargouillis bizarre qui s'était installé dans mon ventre se transforma en désir.
— Tu es le genre de type à offrir des fleurs ? demandai-je.
— Non, répondit-il. Jamais. Mais je sais que tu es le genre de filles à aimer les fleurs. Alors je me suis dit ; pourquoi pas. En plus, tu as héroïquement protégé, mais idiot de bonhomme, alors c'était peut-être aussi normal.
Je me surpris d'un coup à penser que j'aurais pu plonger ma main au feu pour le protéger si tel avait été le cas. Il me tendit le bouquet nuancé de rose. Il était original, j'aimais beaucoup.
— Il est magnifique, soupirai-je en attrapant les dahlias.
Il l'était vraiment. J'adorais même. Il avait une saveur étrange à mes yeux. C'était la première fois qu'un homme m'offrait des fleurs. En dehors de mon père ou de quelqu'un de ma famille. Ce crétin avait retenu ce que je lui avais dit et voilà que ça me mettait dans un état second. Une vraie midinette.
— Comme j'ignorais qu'elles étaient tes fleurs préférées, je me suis dit que je t'offrirais des fleurs comportant une lettre de ton prénom jusqu'à ce que je trouve.
— Peut-être que si tu me demandais je te répondrais.
— Je suis sûr que non.
Je souris, pas bête... il ricana devant mon absence de réponse et se pencha pour attraper Domino venu contre ses jambes réclamer de l'attention qu'il n'avait pas besoin vu les câlins qu'il avait eu hier avec Kyle.
— Tu es prête ?
Je versai de l'eau dans un vase et le posai sur la table basse. Au départ, j'avais opté pour un jean et un chemisier, mais je m'étais dit que porter une petite robe ne me ferait pas de mal après tout. Elle était rouge, mon gilet était noir comme mes chaussures.
— Je ne sais pas, tu en penses quoi ? demandai-je.
— Que tu dois faire partie des plus beaux montres qui existent sur terre. Tu es très belle.
Je rougis et tentais de dissimuler ma vulnérabilité en mettant ma veste. Je l'avais cherché. Je jouai avec le feu, je le savais, mais je le faisais parce que ça me faisait du bien. Je n'en savais rien, avec Nate, j'avais un sentiment de protection. Il ne m'inspirait pas ce que tous les mecs que j'avais rencontrés depuis cette nuit-là m'inspiraient. Lui c'était différent. Je devais le fuir, j'allais le faire. Demain, après cette soirée ! Pour sûr !
— Kyle n'est pas là au fait ? demandai-je en attrapant mon sac.
— Non, il dort chez son copain.
— Ah...
— Déçue ? grommela-t-il.
— Je ne sais pas encore, la soirée n'est pas finie.
Il rit. Lorsqu'il s'arrêta et gara sa voiture une quinzaine de minutes plus tard aux abords de Chinatown, mon cœur bondit de joie. Je devais y aller avec Rynne, c'était finalement Nate qui m'y emmené.
— À San Francisco, pas question de vouloir bouffer du chinois sans passer par ce quartier.
— J'approuve à 200 %, je n'avais pas encore eu le temps d'y aller.
Il sourit et m'enlaça les épaules avant de commencer à s'aventurer dans la rue. Je relevai le visage pour le regarder dans les yeux. Il arqua un sourcil.
— Un problème ?
— Ton bras, répondis-je.
— Pour la sécurité, lança-t-il en souriant de plus belle.
— Tu veux qu'on s'embrouille de nouveau, Nathaniel ?
— Non et c'est justement pour ça que tu ne vas rien dire.
Il s'arrêta et fit râler les passants derrière nous. Le quartier était populaire, il y avait un mode de fou. J'adorais l'ambiance. Ses yeux captèrent les miens et nos regards se verrouillèrent de cette même façon qu'à chaque fois.
— On gêne...
— Je m'en fou complètement, dit-il d'un air las. Laisse-toi aller, détends-toi, Ruby. Il y a un monde de fou, mais je ne bougerais pas d'ici s'il le faut.
— Juste pour avoir un bras autour de mes épaules ?
— C'est le principe de base quand tu as un rencart avec une fille. Tu es assez grand, sexy et galant pour qu'elle accepte et elle est très jolie pour que l'on ait envie de le faire.
Je plissai les yeux puis je ris. Son regard ne dévia pas de moi.
— C'est ridicule autant que ton égo qui enfle à vue d'œil. Tu risques de finir la soirée à l'hôpital si ça continue.
— Alors, permets-moi de faire ça différemment, soupira-t-il. J'ai envie de te tenir contre moi, car ça frustre tous ces types amateurs de jolis monstres. J'ai envie de te tenir contre moi parce que tu as froid, mais que tu l'ignores encore pour l'instant. J'ai envie de te tenir contre moi, car tu en as terriblement envie, mais que tu ne le sais pas encore ou que tu refuses de te l'avouer. J'ai envie de te tenir dans mes bras, car j'en ai envie simplement, cependant si ça te dérange je me verrais dans l'obligation de le faire quand même, car il y a trop de monde pour te lâcher comme ça dans la nature. Une blanche dans un quartier chinois qui vient pour la première fois, c'est trop repérable et certains voudraient en profiter. Choisis, ce que tu veux, mais je ne retire pas ma main.
Perdue entre peur et fascination, je gloussai. Ses yeux pétillèrent, j'avais déjà remarqué la même expression dans les yeux de Kyle.
— D'accord, t'as gagné si ça m'évite de t'entendre plus, espèce de malade.
— Futur avocat, je préfère. Et ceci était ma plaidoirie.
— Tu n'es pas net !
Il sourit et m'attira à lui en replaçant son bras autour de mon épaule. Une chaleur diffuse se logea dans ma poitrine et s'élargit dans mon ventre.
— T'as choisi quelle option ? demanda-t-il.
— La première était saisissante, les deux du milieu étaient grotesques et la dernière, j'aimais beaucoup la dernière !
Il ne répondit rien, mais il avait un sourire de trois kilomètres de long sur le visage. Je souris comme une gosse tout en regardant autour de moi. C'était dépaysant, il n'y avait pas d'autres mots hormis que c'était ambiancé et magnifique. Dans les films ça semblait gros, inventé, mais c'était bien réel.
— On mange ou tu veux, glissa Nate à mon oreille qui me fit sursauter.
— Comment ça ?
— Tu choisis le restau, je t'emmène où tu veux.
Dans sa bouche ça sonnait tellement sexy et indécent que mon esprit déluré s'imagina tout et n'importe quoi, mais le restaurant ne faisait pas partie du top.
— D'accord, dis-je en souriant.
Avec les restaurants, les magasins divers et variés, les célébrations uniques des musiciens de rue qui mettait l'ambiance, le dépaysement était des plus total. J'étais bien... j'étais vraiment sous le charme qu'il m'ait amené ici. Ça me changeait les idées. Cette pensée me galvanisa. Tout comme toutes cette culture, ces couleurs, j'avais l'impression d'être ailleurs, qu'un autre univers s'était ouvert à nous et nous avait emmenait dans des contrées lointaines ; l'embarquement était immédiat. On s'arrêta quelques minutes plus tard devant l'Empress of China pour en ressortir plus de deux heures plus tard, le ventre plein. On reprit la voiture, mais quand il me demanda si je voulais rentrer je secouai la tête.
— Non, avec ma main et mon bras comme je ne peux pas frapper, je m'ennuie.
Ses yeux menthe à l'eau me scrutèrent et il acquiesça sans un mot. Il alluma le contact et démarra. La circulation était encore très dense, il s'inséra sur la voix et baissa le chauffage. J'adorais sa voiture, car elle n'avait rien d'exceptionnel. Elle respirait Kyle avec les jouets sur la banquette arrière, un pull qui trainait et des bonbons sur le tableau de bord. Il n'y avait rien de prétentieux, rien de tape-à-l'œil comme dans ces nombreux livres bourrés de milliardaires.
— Pourquoi tu as tant envie de frapper ? demanda-t-il.
— Parce que je suis une mauvaise graine et que je suis trop agitée. Ma Granny m'a appris le jardinage pour me canaliser quand j'étais gamine, mais en appartement c'est comment dire... difficile.
— Rien ne t'empêche de monter sur le jardin au toit et d'y mettre toutes les fleurs que tu veux.
Je me mordis la lèvre avant de lâcher un soupir qui se transforma en un sourire. De mon point de vue, la seule chose qui m'empêchait de le faire, c'était lui. Cependant, je me demandais comment c'était là-haut et qu'elle pouvait être la vue.
— C'est comment ?
— Reposant et aussi agréable l'été que beau l'hiver.
D'accord, d'accord, comment me donner encore plus envie d'y aller et de découvrir cet endroit même si techniquement ça ne restait qu'un toit d'immeuble.
— Si tu veux, au lieu de t'emmener voir le pont du Golden Gate, je t'y emmène et je te prépare un chocolat chaud ?
D'accord, d'accord, comment me donner envie d'y aller et de m'y installer par la même occasion.
— Pourquoi pas...
Un sourire taquin sembla le plonger dans un bain de pensées peu recommandable. Je déglutis tout en essayant de reprendre une certaine aisance, mais c'était peine perdue. Mon souffle se coupa quand l'alchimie déjà bien présente ensevelit totalement l'habitacle de la voiture. Nos regards se croisèrent un long, très long moment, durant, lequel je priai pour qu'il ne cherche pas à m'embrasser. Il détourna le regard pour mettre le contact. En silence nous rentrâmes chez lui, la pièce était la même pourtant sans Kyle il manquait quelque chose. Nate ouvrit une petite fenêtre dans son salon et s'y glissa pour sortir et atteindre des escaliers métalliques. Il me tendit la main, mais j'hésitais. Un sourire taquin se dessina sur son visage, je me pinçai les lèvres. Il me fit passer avec précaution avant de m'attirer à lui. Pour le coup, ça me rassurait parce je n'étais pas tellement à l'aise avec l'altitude aussi élevée, surtout sur des escaliers aussi rouillés.
— C'est haut...
Il ricana et m'entraîna vers le haut. Une fois sur le béton, je respirais un peu mieux. Waouh, cet endroit était des plus magiques. D'accord, il n'y avait rien d'exceptionnel, mais c'était ça qui faisait tout le charme de cet endroit. Sur le seul mur du fond, il y avait du lierre qui descendait jusqu'en bas. Il y avait deux chaises longues d'un côté, au fond à gauche, il y avait une table verte avec quatre chaises. La vue de la ville était grandiose, même si l'immeuble n'était pas très haut, on y voyait la baie.
— Mon Dieu, soufflai-je. C'est magnifique. L'été pour regarder les étoiles, ça doit être extra.
— Pour y mettre une petite piscine aussi ou faire des bonshommes de neige, l'hiver. (Je souris aux allusions qu'il faisait de son fils.) C'est pour ça que je n'ai pas hésité à changer d'appartement, en attendant de pouvoir me permettre d'avoir une maison.
— Pour jeter des bombes à eaux, aussi, ça doit être cool ! pouffai-je. Ou traiter les gens de connards sans qu'ils sachent d'où ça vient.
Il laissa échapper un rire grave et rauque qui fit dresser les poils de mes bras.
— Je ne savais pas que tu étais du genre délinquante.
— Genre tu n'y as jamais pensé ? Je crois que c'est le genre de connerie que j'adore faire.
Il avait un air grave et sérieux qui se voulait innocent. Ses yeux étaient tellement intenses, le vert était tellement déroutant.
— Tu l'as déjà fait, hein ?
— Faut avouer que l'endroit est parfait, non ? Surtout si tu te mets ici, me montra-t-il en pointant la gauche du toit. Il y a un millier de passants et tellement de possibilités...
Je me surpris à partir d'un rire grave.
— Tu peux y venir quand tu veux pour y mettre des fleurs à défaut de pouvoir cogner dans ton sac de frappes.
— Tu ne serais pas en train de m'engager subrepticement comme paysagiste pour ton toit ? demandai-je.
— Non, je te dis juste que tu peux venir, que ça ne me dérange absolument pas.
— Merci, répondis-je.
Il sourit.
— Installe-toi où tu veux, je reviens.
J'acquiesçai tout en le regardant s'éloigner de moi puis je me dirigeai vers la balustrade pour regarder en bas. J'étais plus à l'aise ici que sur l'escalier. En bas, un couple était en train de se bécoter, ce qui fit rosir mes joues de pouvoir les regarder comme ça sans qu'eux puissent me voir. Soudainement, je me demandais ce que je faisais là et pourquoi j'y étais encore.
— Tu joues les mateuses en plus, j'ignorais que tu avais autant de vices cachés.
Je sursautai, je ne l'avais entendu revenir. Il avait un air moqueur et particulièrement satisfait qui me donnait envie de le frapper. Je me reculais du bord sans faire de commentaire, il me suivit du regard. Il était tellement intense comme ça sous la lumière de la nuit, il était très beau. C'était la première que je me trouvais réellement charmée par un homme. Il avait remonté les manches de sa chemise, révélant ses bras tatoués. Je le trouvais très sexy comme ça, il avait quelque chose d'attractif, un tout qui me captivait. Qui captivait tout en moi ; aussi bien mes neurones que mes pauvres hormones. Son regard se fit bizarre. Merde... J'allais finir bien poliment la tasse de chocolat qu'il avait pour moi dans les mains puis j'allais rentrer bien sagement avant de faire une très grosse connerie.
— C'est comme ça que tu dragues les filles ? demandai-je.
Il arqua un sourcil et me tendit le gros mug fumant. Je le pris dans les mains en frissonnant de partout.
— Non, répondit-il d'un coup d'un ton las. C'est comme ça que j'élève mon fils. En revanche si ça te plaît à toi aussi, je peux aussi en faire une technique de drague.
Avec Nate j'avais toujours l'impression de flotter au-dessus du sol et d'être sur le point de basculer dans un de ces moments uniques qui ne durait qu'un temps et jamais bien longtemps, mais qui serait plus intense que dix autres. Il me faisait l'effet des bulles de coca dans la bouche, une impression délicieuse et acide. Ce moment était un de ces moments, j'étais en train de basculer vers le chaos, son chaos et il était hors de question que lui s'approche du mien. Je reculai d'un pas et je posai la tasse sur la table.
— Ça te fait mal ? demanda-t-il en désignant mon bras.
Il était là, contre moi. Je ne l'avais pas vu arriver, encore une fois. Je déglutis, ma respiration se bloqua quand je relevai les yeux sur lui. Grand, il était tellement grand et tout que j'avais l'impression d'être toute petite. Le souffle qui fila de mes lèvres laissa échapper un filet blanc qui sembla nous lier comme si nos âmes s'étaient rencontrées. Je secouai la tête et je me retrouvai à la limite d'un trépas aussi virulent que flippant.
— Non. Et toi, tout ça, ça t'a fait mal ? dis-je en pressant mon index sur ses tatouages.
— Oui et non.
— Est-ce que ça raconte une histoire ?
Mes doigts étaient encore sur sa peau et je n'avais aucune envie de les enlever. Ses paupières se fermèrent quelques secondes et nos regards se verrouillèrent illico quand il revint à nous.
— Oui, répondit-il simplement.
— Arrête, soufflai-je d'une voix rauque.
Il enlaça ma taille et m'attira contre lui jusqu'à la limite de non-retour.
— Tu crois que je fais quelque chose ? Tu sens que c'est un de ces moments ? Tu crois vraiment qu'on peut les contrôler, Ruby ? Qu'on peut les contourner et y faire abstraction ? Parce que si c'est le cas, dis-moi comment on peut faire, car à moins d'avoir une solution, ça ne s'arrêtera jamais. Je ne sais pas, à la laverie, c'était la première fois que je ressentais l'envie de poser une femme, toi, sur la machine et de lui, te faire l'amour comme un fou. De profiter de ce moment unique. Tu me prends pour un malade ? Dis-moi que tu n'as pas ressenti ça non plus la première fois et clairement je jurais solennellement que je suis un sale pervers.
Le désir lécha ma peau comme une flamme. Je fermai les yeux et baissai la tête, mais il agrippa mon menton pour m'empêcher de me défiler. J'étais en train de me consumer, de lui succomber.
— Non... (J'ignorais à quoi j'avais répondu. Si c'était à sa question ou si alors je lui avais soufflé un non pour tout ce que cette satanée alchimie, ce fichu faux Dieu miséricordieux, ce salopard de destin et mes salopes d'hormones étaient en train de produire. Son discours était tellement vivace dans ma tête que ça tournait. J'avais une image de nous, très claire dans mon esprit.) Nate, je... et alors ?
— Alors tout, Ruby.
— On fait quoi, on baise et basta ? C'est insensé.
— C'est unique du moment qu'on est sur la même longueur d'onde.
— Ça ne rime à rien...
— Tu y crois ? demanda-t-il. Tu crois vraiment en tout ce que tu me dis ?
Si seulement. J'aurais tellement aimé...
— Pas la bouche, pas mes lèvres. Ne m'embrasse pas... JAMAIS !
Son regard se résigna. Merde...
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