CHAPITRE 10

« Trois ans plus tôt...

La police a appelé. Il était tard dans la matinée, ça faisait plus de dix jours que c'était arrivé... j'avais perdu du poids, je ne mangeais plus rien de solide. Je buvais, beaucoup. Peut-être parce que je pleurais beaucoup et que j'avais peur de m'assécher... Mon père aussi était amaigri. Jusqu'à ce que ça arrive, j'ignorais qu'il était... que j'étais aussi importante à ses yeux. C'était le cas. C'est lui qui a pris l'appel ce midi-là. J'ai vu son regard devenir noir, sa mâchoire s'est crispée d'un coup et son teint a changé de couleur. Il a écouté jusqu'au bout, a raccroché puis il a explosé son téléphone au sol avant de partir aux toilettes pour vomir. Moi, je me suis mise à pleurer encore...

Quand il est revenu, il m'a dit qu'on devait aller au poste, que c'était important... je me suis préparé. Enfin, j'ai mis du déo, j'ai attaché mes cheveux et nous nous sommes mis en route. C'était la première fois que je sortais. J'avais l'impression que tout le monde me regardait. Mon père ne m'a pas dit pourquoi nous allions au poste, je lui en ai voulu. Je n'aurais pas dû, il voulait me protéger.

La brigade des mineurs a pris soin de moi, de nous. On nous a enfermés dans un bureau et un colonel et sa collègue sont venus. Au début, une troisième personne était là, mais elle est partie, car c'était une étudiante qui prenait des notes pour ses cours et un exposé. Je n'ai pas voulu exposer plus encore mon chaos. Je me sentais assez sale et misérable pour que l'on en fasse une thèse.

Le colonel nous a alors expliqué clairement le pourquoi de notre visite :

— Lors de votre viol, la quatrième personne présente dans la salle vous a filmé avec son téléphone portable, a-t-il dit tout de go. Malheureusement, ils ont mis la vidéo en ligne sur des sites pornographiques et des sites du genre pédophiles...

J'ai fondu en larme, j'ai pleuré si fort que mon père est sorti de ses gonds. Jamais je ne l'avais vu si furieux, si hargneux. Il s'est insurgé, a crié si fort que deux autres flics sont venus pour essayer de le contenir. Alors pour qu'il se calme, je me suis calmé et j'ai accusé le contre coup en lui disant que ça irait, que je connaissais les faits, car je les avais vécus.

Puis j'ai regardé la vidéo qui commençait par mes cris, car je devais dire ou non si c'était bien moi. Mon père est sorti du bureau pour aller vomir, au bout de dix secondes, il n'a pas supporté. Le colonel avait une tête à faire peur, comme si lui aussi était prêt à vomir. Sa collègue était près de moi, comme si elle était prête à m'étreindre à la moindre larme. Je l'ai entendu dire à un moment "Oh, mon Dieu", je me suis dit que son Dieu était un fils de pute, car il n'avait rien fait pour moi, mais j'ai gardé mes pensées pour moi. J'ai regardé jusqu'au bout, c'était comme si je me faisais violer une seconde fois, mais je l'ai fait parce que tous ces connards autour de moi avaient des tronches en travaux et que je haïssais leur semblant de compassion à mon égard. Je l'ai fait parce que... parce qu'au stade ou j'en étais, j'étais déjà à l'article de la mort.

Le colonel a ensuite expliqué que toutes les vidéos étaient en cours de traitements et qu'une équipe d'experts étaient en train de travailler pour les supprimer, il nous a ensuite parlé des coupables et du procès. Nous sommes rentrés avec papa. Aucun de nous n'a parlé sur la route, il a essayé, je l'ai vu, mais je n'ai rien fait pour l'aider. En rentrant chacun de nous s'est enfermé dans sa chambre. Je l'ai entendu appeler ma mère puis je l'ai entendu pleurer. J'ai pleuré aussi...

Les jours qui ont suivi n'ont été qu'une longue descente vers l'enfer. Un enfer profondément sombre et sans fin. Je ne faisais que m'assoir dans le salon et je fixais la télé vide, ou alors je montais dans la tour d'astronomie de mon père.

Puis, papa s'est mis à me crier dessus, car je ne bougeais pas, je ne faisais plus rien, je ne riais plus, je ne nourrissais plus, je ne me déshydratais plus non plus... j'ai hurlé en lui disant que j'étais malheureuse, que je n'arrivais pas à penser à autre chose, que je ne voyais que ça quand je fermais les yeux, que j'entendais leurs rires... il s'est calmé, mais je lui aie fait du mal à lui rappeler la vidéo et mon calvaire.

— Je te promets que bientôt, tout ça sera... loin de nous, a murmuré papa.

— Pas la peine de mentir, j'ai répondu.

— Je ne mens pas, ma chérie. Je te promets que bientôt, ça ira mieux.

Quand il avait dit ça, on aurait dit qu'il était prêt à faire un meurtre... D'autres jours sont passés et ils avaient la même saveur que les précédents.

Un matin, mon père a repris le boulot, il m'a dit qu'il m'aimait et m'a laissée seule. Je me suis rendu compte qu'un mois était passé et que je n'étais plus que l'ombre de moi-même. Je suis sortie de la chambre, je suis allé à la salle de bain et je me suis forcé à me regarder. On voyait mes côtes... je me suis pesé.

44 kilos...

Je n'ai pas pleuré, je me suis juste dit qu'aujourd'hui, il fallait que je mange parce que j'avais perdu 11 kilos en un mois... Je me suis lavé en me dépêchant et je suis allé à la cuisine. Sur la table mon père avait laissé mon ordinateur et mon portable... pour la première fois depuis des semaines, j'ai ouvert mon téléphone. J'avais des dizaines de messages, j'ai souri en repensant au fait que mes amis ne m'avaient pas oublié. J'ai souri en allant dans ma messagerie avant de retomber plus bas que les enfers...

C'était des messages d'insultes...

"SALOPE..."

"SALE PUTE..."

"TRAINÉE..."

"Ça suis les mecs dans les chambres du haut et ensuite ça accuse à tords. Sale menteuse. Crève !"

"CATIN, à trop donner ton cul, t'as trouvé ton maître et tu pleures..."

"La putain n'a eu que ce qu'elle méritait !!!!"

Certains messages contenaient des photos de moi, issues de la vidéo, d'autres étaient des montages photo issus d'internet dans des positions de fétichisme et pire encore. Et même si je savais que ce n'était pas vraiment moi sur la photo, que c'était juste mon visage, mon chagrin a explosé. Puis la nausée m'a assailli et j'ai vomi... »

— Comment vas-tu, ma chérie ? demanda papa.

— Tout va bien et toi ?

Je collais mon téléphone contre mon oreille puis je fourrais mes affaires de sport dans mon sac.

— Le boulot, le boulot et encore le boulot. Et toi, raconte-moi un peu San Francisco !

— C'est aussi atypique, que ça l'est dans les films.

Il rigola à l'autre bout de fil.

— Il fait chaud et la ville est quand même très jolie.

J'aimais mon père, il était le premier homme de ma vie et il existait entre nous une souffrance invisible qui nous liait, qui nous lierait toujours.

— Tu as repris les cours ? demanda-t-il.

— Oui, des cours du soir pour mon diplôme, j'ai trouvé un petit boulot aussi et je fais du sport. C'est un petit club, mais les adhérents m'apprenne des trucs, c'est plutôt convivial.

Un petit blanc. Faire du sport était à la base une idée de mon père. Lorsque nous nous étions rendu compte que les séances de psy ne menaient à rien, il m'avait amené au club de sport qui se trouvait à côté de son entreprise. Ce jour-là, j'ai découvert les joies des sports de self défense et je me suis rendu compte qu'une séance intense était plus bénéfique que tous les discours de merde que pourrais me faire un de ces charlatans. J'avais pris goût à l'adrénaline, j'avais pris goût au fait que je pourrais à présent me défendre et que plus jamais je ne laisserais personne me toucher de la sorte.

Cependant, je savais que mon père penserait que ça ne serait qu'une passade. Il l'espérait encore aujourd'hui, car il savait que si je continuais à y aller, c'était que je n'étais pas guérie. Ça n'était jamais parti, aujourd'hui, j'avais besoin de canaliser grâce à ça les souvenirs qui étaient toujours présents. Ils seraient toujours présents, ils me gâcheraient toujours la vie, ils me rendraient toujours coupable, ils hanteraient toujours mon esprit au point de me faire plonger en enfer. Pour m'aider, je n'avais que ça et un futur bancal que je m'efforçais de réaliser.

— C'est bien, c'est bien, tant que tu sens bien. Au fait, Dylan ?

Oh... il avait quelque chose à me dire.

— Oui ?

— J'ai eu ta mère au téléphone hier et on s'est dit qu'on pourrait venir te rendre visite pour Thanksgiving, avec ta grand-mère aussi.

— Tu as appelé, maman pour organiser, ça ? demandai-je perplexe.

— Oui, enfin, non... j'ai appelé ta mère pour lui dire que j'avais rencontré une femme dont je suis amoureux et que je compte épouser. Ta mère est la seule autre femme que j'ai aimée, en dehors de toi bien sûr et je veux lui présenter. Elle a émis l'idée, qu'on pourrait tous se retrouver chez toi pour que tout le monde se rencontre. Je trouve ça sympathique. Qu'en penses-tu ?

— Une femme que tu comptes épouser ? répétai-je. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?

Il ricana nerveusement.

— Oui, je la fréquente depuis deux mois déjà.

— Et tu ne m'as rien dit ? On s'appelle toutes les semaines... épouser en plus ?

— J'avais peur, ma chérie. Elle s'appelle Clara, elle a trente-neuf ans, elle est maman d'un garçon de quinze ans avec qui je m'entends plutôt bien quand j'arrive à déchiffrer son code de jeune. Je l'ai rencontrée au travail et puis une chose en entraînant une autre, nous nous sommes vus en dehors du boulot. Clara est une femme très douce, elle adore rigoler, elle est vraiment... (Oui, papa était mordu !) Bref, je parle tellement de vous qu'elle aimerait vous rencontrer. Elle me rend très heureux et bien sûr comme vous faite partie de moi, pas question de vous écarter de ma vie.

— T'as intérêt ! m'exclamai-je en souriant.

— Est-ce que tu es d'accord ? Pour la rencontrer et aussi pour l'on passe les fêtes tous ensemble ?

— Bien sûr, quelle question !! (Ça me ferait du bien de voir tout le monde.) Bien sûr que oui, mais mon appart ne supporteras pas beaucoup de monde, c'est assez petit.

— On s'arrangera, on s'est toujours arrangés !

Il raccrocha quelques minutes plus tard, après que nous ayons parlé plus en profondeur de mes cours et de mon projet d'ouvrir une boutique de fleur. J'étais heureuse pour lui, j'étais sincèrement contente qu'il refasse sa vie, qu'il repense enfin à lui. Après mon calvaire, il avait été très présent pour moi, il m'avait aidé, soutenue, aimé et il avait perdu foi en beaucoup de choses à ce moment-là. Et enfin aujourd'hui, il avait cessé de penser à moi pour enfin penser à lui.

Plus tard, je me rendis à la salle de sport pour évacuer ma nuit...

Il y avait quelque chose que j'aimais au club, une odeur d'adrénaline, une tension grisante, un décor appréciable. Au mur, il y avait des affiches de boxes, mais aussi des photos. Ce n'était pas la première fois que je les regardais pourtant à chaque fois, j'étais fasciné. L'endroit respirait, la vie, les années qui passent et l'amour. J'étais certaine que la grande photo qui représentait une femme sur un ring était la maman de Marlow. Regarder Marlow s'entraîner avec son père, c'était comme voir un ballet à la télé, c'était quelque chose d'extrêmement précis et absolument incroyable. Elle était faite pour ça. Son corps bougeait parfaitement comme si elle exécutait une chorégraphie, le ring semblait être rempli de mines invisibles qu'elle cherchait à esquiver du mieux possible. Elle était douée, elle m'avait dit qu'elle adoré ça. Elle avait dû s'entraîner dur pour obtenir un tel niveau de talent et de concentration. Son père lui disait d'esquiver à droite, à gauche, de contrer, de frapper autant de fois de chaque côté, de donner autant de coups de pieds, elle ne ratait jamais son coup. Elle était d'une justesse parfaite et impressionnante. Pourtant Mickey ne cessait de lui parler durement, de lui dire qu'elle ne se donnait pas assez et qu'elle était trop molle, trop lente.

— Va souffler quelques minutes et bois ! On reprend dans cinq minutes !

— Okay, chef ! répondit-elle en haletant.

Elle descendit du ring et fila au vestiaire. Mickey vint près de moi.

— Je sais ce que tu vas dire, que je suis un gros salaud... qu'elle est parfaite.

J'ouvris la bouche puis je ris. Ouais, c'était tout à fait ça ! L'amour vache. Il n'y avait rien de pire que de se faire entraîner par quelqu'un de sa famille.

— Elle est incroyable ! dis-je.

— Elle est magnifique, elle est prête et parfaite, je le sais mieux que personne. Mais si je lui dis, alors elle va se relâcher et si c'est le cas c'est à moi qu'elle en voudra et ça, je ne le veux pas pour elle et pour moi.

— Elle se présente quelque part ?

— Oui, aux nationales en janvier prochain.

Je souris, pas étonnant.

****

— J'arrive ! criai-je.

J'ouvris la porte et je découvris un Nate bizarrement mal à l'aise et Kyle à côté de lui, déjà en pyjama, les yeux rouges...

— Oui ? demandai-je en m'inquiétant d'un seul coup. Un problème ?

Il sourit et attrapa son fils dans ses bras qui se pencha pour me réclamer un baiser. J'embrassai sa joue avant de me reculer sans lui proposer d'entrer.

— J'ai un service à te demander. Un très grand service, même.

Je penchai la tête sur le côté pour le fixer dans les yeux. Je me demandais ce qu'il se passait, si ça avait un rapport avec Kyle.

— Je t'écoute.

— J'ai un rendez-vous demain matin pour décrocher un stage et un probablement un boulot aussi si j'ai mon diplôme et que j'assure. C'est une put... une sacrée opportunité pour nous, si j'arrivais à décrocher ce job, se reprit-il pour ne pas jurer devant Kyle. C'est une chaine de gros cabinets d'avocat avec différents départements.

— C'est génial ! dis-je en souriant.

— Le truc c'est que le siège de la société, là où on gère tout, c'est à Sacramento et... c'est arrivé brutalement ce soir. Je dois m'y rendre, mais je ne peux pas m'y rendre avec Kyle. Je dois partir ce soir, pour y être à l'heure demain. J'ai plein d'entretiens et des tests et... je n'ai personne pour le garder. Marnie est partie jusqu'à lundi et je n'ai pas de famille dans le coin. Est-ce que tu pourrais le garder ? (Mes yeux s'ouvrirent en grand.) Je te le revaudrais, je te promets que...

— Je ne sais pas, je...

Il serra Kyle contre lui et fit un pas vers moi. Il était grand, à chaque fois je m'en étonnais comme à chaque fois que je le voyais je m'étonnais de le trouver encore plus beau que la veille.

— Il y a tout ce qu'il faut chez moi.

— Chez toi ? répétai-je en coupant son élan.

— Oui, c'est plus pratique pour ses repères, tu sais. Il y a à manger dans le frigo, à boire. Kyle sait se laver et s'habiller seul, tu n'auras pas besoin de l'amener à l'école demain ni même de t'inquiéter pour tes cours ou ton boulot, je serais rentré à temps pour...

— Je n'ai jamais... tu dois partir quand ? Comment, je...

— J'ai un avion qui décolle dans deux heures, je dormirais un peu à l'hôtel. Tu vas t'en sortir comme un chef. Il est sage, il t'adore et je sais que c'est réciproque. J'ai vraiment besoin de toi, Ruby. Ce n'est pas inespéré, ça tombe comme ça, mais c'est une belle chance. Je ne peux pas la laisser passer, si je n'essaye pas je vais m'en mordre les doigts alors que si j'échoue au moins j'aurais tenté, tu comprends ?

— D'accord, dis-je en acquiesçant.

Mon souffle se coupa quand il m'attira à lui pour me souffler un merci au sommet de mon crâne. Kyle m'embrassa aussi en riant. Il me relâcha, mais ses yeux semblaient dire autre chose.

— De rien, murmurai-je. Il faut que je donne à manger à Domino et que je prenne mes affaires pour ce soir...

Il acquiesça et m'attendit dans le salon avec son « MiniLui » toujours accroché à son cou, je fis mon sac, je préparais des vêtements pour demain, je pris on téléphone portable et mon ordinateur. De toute manière, si je manquais d'un truc, mon appartement était tout près. Je revins au salon tandis que mon cœur battait à cent à l'heure et que le chaos dans ma poitrine se faisait étouffant. Nate m'emmena chez lui, je déposais mes affaires dans le salon et j'épiais un père incroyable dire au revoir à son fils.

— Tu es sage surtout, tu écoutes bien Dylan. C'est une adulte, comme papa, alors si elle te dit quelque chose, tu l'écoutes. Tu ne fais pas de bêtises parce que je saurais.

— Tu reviens ? demanda Kyle.

— Bien sûr que papa revient. Très, très vite. Tu vas être tellement bien avec Dylan que tu ne verras pas le temps passer.

Kyle hocha la tête, mais très vite son petit cœur d'enfant trop petit pour être séparé de son père se serra.

— Je n'aime pas quand tu t'en vas, sanglota-t-il.

— Viens là, mon bonhomme, soupira Nate en le câlinant contre son torse. Qui t'aime comme un fou ?

— Toi.

— Et qui m'aime comme un petit fou ?

— Moi !

— Alors, on est d'accord, personne ne t'aime comme papa, alors je ne vais certainement pas partir.

Mon ventre se serra douloureusement.

— Je serais là, avant le dodo de demain soir. D'accord, bonhomme ?

— Oui, acquiesça Kyle en frottant ses larmes et son nez sur son pyjama.

— Voilà, ça, c'est mon fils !

Il l'embrassa dans le cou et sur le front. Kyle alla s'assoir dans le fauteuil. Nate reporta toute l'attention du monde sur moi.

— Il y a tout ce qu'il faut à la maison, tu peux te servir comme tu veux. J'ai changé les draps de mon lit, tu peux y dormir. (Mon ventre se serra encore. D'une autre manière cependant.) Sur le frigo, il y a le numéro des urgences et de tout ce qu'il faut. Moi en revanche, je peux avoir le tien ? Je veux l'appeler...

Je lui donnais de go sans discuter. Il l'enregistra en me remerciant. J'étais très silencieuse, surtout sur le cul d'être devenu en moins de dix minutes la nounou de Kyle. Je n'avais jamais gardé de gosse, encore moins la nuit ni dans l'appartement de son père.

— Merci encore, Ruby. Je ne sais pas quoi te dire !

Je souris, au moins malgré ses yeux couleur menthe à la limite de l'intense, il avait l'air aussi troublé que moi par cette situation.

— Je veux un chinois et t'as intérêt de revenir avec de bonne nouvelle pour ton fils !

Il rit et fit un pas vers moi. Ses yeux redoublèrent d'intensité, comme s'il était certain que ça irait, comme s'il avait juste douté de moi.

— Je ne suis pas certain que le chinois soit d'accord d'être kidnappé, remarque vu la ravisseuse, faut voir ! Moi, je n'y verrai pas d'inconvénient si, tu veux.

— T'es con ! pouffai-je.

— Un restau chinois et une bonne nouvelle ? Je peux le faire, même si pour ça il me faudrait un porte-bonheur.

— Je ne peux pas t'aider, sur ce coup-là !

— C'est quoi ton porte-bonheur à toi ? demanda-t-il.

— Ma culotte dino, répondis-je de go avant de plaquer ma main sur ma bouche et de secouer la tête.

Mais merde, pourquoi avais-je dit ça ? Quand je vis son visage se résigner, je secouai la tête de plus belle pour essayer de le dissuader dans sa connerie.

— Non, je ne te donnerais pas ma culotte dino. T'es un pervers, tu n'es pas possible, faut te faire soigner. C'est ma culotte et elle ne marche que lorsqu'on la porte.

— Elle marche si on y croit, en plus un porte-bonheur prêté marche deux fois plus. Tu veux compromettre mes chances ?

— T'es gonflé de retourner la situation dans ce sens...

— T'es cruelle, soupira-t-il. Une photo de ta culotte dino, alors ? Ça marche aussi...

— Tu n'y connais rien en porte-bonheur et c'est non, pas question que je t'envoie une photo de ma culotte.

— Ma foi, ça ne sera pas faute d'avoir essayé...

Il sourit.

— Bon, j'y vais. Je dois être à l'embarquement, une heure avant. Un bisou porte-bonheur ? demanda-t-il en souriant de plus belle.

J'ouvris la bouche, mais je me mordis la lèvre comme pour m'empêcher de dire une bêtise puis je levai les pieds pour embrasser sa joue. Il sentait bon, autant qu'il me paraissait immense.

— Bonne chance et défonce tout, murmurai-je contre sa peau.

— Ça, c'est certain, ne t'en fait pas, Ruby. Garde ton téléphone surtout, je t'appelais pour prendre des nouvelles.

J'acquiesçai en souriant de le voir si gaga de son petit bonhomme. Je ne fis aucune réflexion, car il ne me venait que des répliques mignonnes et pas question qu'il sache que je le trouvais trop mignon quand il s'occupait de son fils. Nate attrapa son sac et se dirigea vers son fils qu'il attrapa à bras. Il l'embrassa dans le cou, sur les joues et le front en lui disant encore une fois qu'il devait être sage et qu'il l'aimait. Puis il s'éclipsa, me laissant seule avec Kyle et un chaos bourdonnant dans le ventre.

— Tu vas bien, Dylan ? me demanda Kyle de sa petite voix.

Je me retournai en souriant. Non, ça n'allait pas, mais nous allions faire avec.

— Oui et toi, bonhomme ?

Il acquiesça sans sourciller et me tendit la main pour m'entraîner vers le salon.

Plus tard, lorsque ses yeux avaient du mal à rester ouverts, je l'emmenais dans sa chambre. Je le bordais et je lui racontais une histoire comme ma mère le faisait, avec des voix différentes jusqu'à ce que sa respiration lente et douce ne m'indique qu'il s'était endormi. Je remontais la couette jusque sous son menton et caressai son visage pour retirer les cheveux qui lui tombait devant les yeux. Kyle avait tout de son père, autant la douceur que le côté intense, il était beau. Je souris en le contemplant et je caressai ses joues rondes. Je sortis mon téléphone puis je le pris en photo pour l'envoyer à Nate et lui dire que son « MiniLui » était brave et c'était bien endormi. Et peut-être que je pourrais la garder pour moi. Je l'embrassai sur la joue en me levant puis sur le front. Quand il sourit dans son sommeil, mon cœur vacilla doucement, plus encore quand il agrippa ma main pour glisser la sienne dedans.

— Je t'aime, Dylan, geignit-il d'une voix endormie.

J'embrassai encore son front tandis que mes yeux me brûlaient déjà.

— Moi, aussi, répondis-je doucement avant d'allumer la veilleuse au sol et de sortir de la pièce.

Une fois dans le salon, je me laissai tomber sur le fauteuil, en serrant contre ma poitrine mon sac. Kyle me touchait, il était aussi dangereux que son père, mais d'une manière radicalement différente. Il était innocent, tout petit... il me rappelait sans qu'il ne le fasse exprès un moment de ma vie que je m'efforçais d'oublier. Je me demandais ou était sa maman, si elle était vraiment morte comme je l'avais compris et sous-entendu. Elle ne pouvait pas être en vie, on ne quittait pas un trésor pareil, j'imaginais non sans mal qu'on ne quittait pas non plus un type comme Nate. Il était merveilleux avec son fils. J'ignorais ce qu'il s'était passé dans leur vie à tous les deux et plus ce crétin au ciel me forçait à les côtoyer et plus j'avais envie de savoir... quand la sonnerie de mon portable retentie, je sursautai comme une gosse.

J'espère que tout va bien et que tout se passe bien. Je vais bientôt embarquer.

Je répondis de suite : Oui, opération dodo réussie.

J'accompagnais mon message de la photo de Kyle. Nate m'envoya un second message à la seconde : Tu vois, ça n'est pas sorcier. Une photo de la culotte, ce n'est pas possible ?

J'éclatais de rire tout en reposant mon téléphone sur le fauteuil. Il allait falloir que je trouve comment me débarrasser de lui et de cette impression qu'il me faisait, que je trouve... je n'en savais rien quelque chose pour qu'il arrête de me triturer ainsi les méninges.

Je vais bosser un peu et dormir. Fais attention à toi... si tu veux des nouvelles de Kyle, envoie des messages quand tu veux.

Nate répondit vite à nouveau : Mmh, dire que tu dors dans mon lit et que je n'y suis pas. Je me pensais plus malin que ça, t'as raison, je suis vraiment stupide.

Je ricanai nerveusement en laissant partir ma tête en arrière. Stupide ? Il l'était autant que j'étais chaotique. C'était moi la fille stupide. J'avais l'impression d'être un paradoxe à moi toute seule, un vrai problème mathématique impossible à résoudre. Que pouvais-je bien répondre à un message pareil ? Qu'il ne m'aurait jamais dans son lit et que même seule je n'y dormirais pas ? Le fauteuil m'irait très bien pour une nuit, j'avais déjà l'impression de me perdre dans l'immensité du néant et du chaos alors ça n'était pas pour m'endormir dans son lit, dans son odeur, dans ses draps. Je reçus un autre message qui me sortit de ma léthargie : Bonne nuit, Ruby. Je t'appellerais demain matin. Bisous.

Je répondis à son texto avant de m'allonger dans le fauteuil la boule au ventre, l'estomac dans les talons et le chaos dans la poitrine.


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