Epilogue
«Nous devons être prêts à abandonner la vie que nous avons planifiée, afin de vivre la vie qui nous attend.»
- Joseph Campbell.
Mes parents m'ont appelée Eleanor, comme la chanson des Beatles, Eleanor Rigby, 1966.
Ce prénom a été ma seule constante, mon unique point de chute au cours de cette vie où mes identités se sont entrechoquées :
Eleanor Penn, le mensonge dans lequel j'ai grandi.
Eleanor Rigby, la fille que j'aurais dû être.
Eleanor Coal, la femme que je suis devenue.
Le temps a bien passé depuis l'époque où Clyde et moi vivions dans cette vielle maison du Queens, trafiquions à la recherche du meurtrier que j'avais pourtant eu sous les yeux toute mon enfance.
Aujourd'hui, plus rien n'est pareil. La Sierra nous a offert un nouveau départ, pas forcément évident, mais bien réel. Nous avons décidé de construire quelque chose d'autre, ailleurs, éloignés des démons du passé.
Sauf que le passé n'est jamais aussi loin que l'on veut bien le penser, et je crains chaque jour qu'il nous rattrape. D'un certain point de vu, nous sommes tous les deux hantés ; hantés par la souffrance, par les erreurs commises trop vite, trop tôt, par les meurtres de sang froid, par les souvenirs de ce que nous avons traversé. Il y a encore des fois, tard le soir, où les larmes commencent à couler sans que j'aie la capacité de les retenir, où la peur m'enveloppe, m'enserre, m'étouffe et m'empêche de respirer. Certaines nuits sont plus difficiles que d'autres. Mais dans ces moments-là, les bras de Clyde sont toujours là pour m'enlacer, sa voix chaude me chuchotant à l'oreille que tout va bien, que ce n'était qu'un cauchemar.
J'aurais aimé que cette dernière phrase soit vraie.
Et puis, il y a Thomas. Notre petit rayon de soleil. Maintenant, qu'il vient tout juste d'entrer à l'école, il ne peut pas s'empêcher de parler ; il a une grande bouche ce garçon et nos amis trouvent ça hilarant.
Oui, nous sommes parfois dépassés, comme Clyde l'avait prédit des années plus tôt ; mais on fait au mieux, on l'aime profondément. Ce n'est pas toujours évident, il est intrépide et bravache comme sa mère, mais généreux et bon comme son père, étrange paradoxe entre deux personnalités. Cependant, il est également toujours de bonne humeur, une caractéristique propre à lui. Pour un être si jeune, c'est étonnant de constater à quel point il illumine une pièce dès qu'il y rentre. Son innocence est notre rédemption, sa joie de vivre notre libération.
Presque six ans se sont écoulés depuis le jour où j'ai annoncé à Clyde que j'étais enceinte après l'enterrement de sa mère. J'ai crains toute ma grossesse que Thomas naisse avec la même maladie que moi, que son grand-père, que la malédiction continue à l'infini. Quelqu'un-là haut à dû entendre mes supplications, car notre bébé est né parfaitement normal. C'est le plus beau cadeau que m'ait fait la vie.
Clyde est devenu enseignant de musique à l'école de la ville, ses études au conservatoire, dans sa jeunesse, lui ayant permis d'accéder à ce poste sans problème. J'ai cru mourir de rire le jour où j'ai imaginé ce grand mec baraqué et tatoué devant ces gamins d'une dizaine d'années aux yeux écarquillés. Mais il a bon coeur, et il s'investira toujours pour aider les autres, peu importe son métier. C'est un bon professeur.
Lui aussi a changé. Le voir renouer avec sa passion pour le piano, l'entendre jouer à nouveau avec cette exaltation a exposé une facette de sa personnalité dont je n'avais pas conscience, sensible et authentique. Vraie.
Des fois, tard la nuit, quand Thomas dort, emporté par ses rêves, Clyde me prends par le bras et m'emmène danser sur la terrasse de la maison. Il chantonne, il me fait tourner et ça finit souvent en éclat de rire. Ce sont les meilleurs moments, les rires.
Je l'aime toujours, je l'aime différemment aussi. C'est un amour plus sain que ce que nous avons eu partagé, pas moins fort, mais plus juste. Même si il me fait toujours tourner la tête. Nous n'oublions rien cependant, nous sommes liés par ce que nous avons vécu, à tout jamais.
Ici, la vie est calme, la vie est douce, la vie est banale. Et je n'aurais jamais crû dire ça, mais la normalité est un miracle.
Nous avons encore quelques contacts avec New-York : Jared, Ed, Richard Wilkins même. Nous voyons bien certains Sinners, de temps à autre, mais Clyde souhaite tenir Thomas éloigné, le plus possible, de toutes ces influences, de la vie de gang. Je le comprends, il veut que notre fils devienne ce que lui ne pense plus pouvoir être - même si il se trompe : un homme bien.
Concernant ma maladie, elle n'est toujours pas douloureuse. J'ai vingt-cinq ans aujourd'hui. Mon âge pèse, chaque jour, sur mes épaules, me rappelant à l'orde comme une épée de Damocles au-dessus de la tête. Je sais que les gens dans ma condition ne vivent pas très longtemps. Néanmoins, la science évolue tous les jours, des remèdes sont créés à chaque instant et j'espère que bientôt quelqu'un se penchera sur mon cas. Je veux vivre, c'est presque devenu un problème, j'ai soudain trop de chose à perdre.
Je n'ose pas vraiment en parler à Clyde, je sais qu'y penser le rend trop malheureux. Alors je me tais, je garde mes craintes pour moi : la peur de la mort, la peur de ne pas voir Thomas grandir, de ne plus pouvoir l'emmener à l'école ou le bercer la nuit, de ne plus jamais embrasser Clyde, et toutes ces choses anodines du quotidien.
J'enfouis tout au plus profond de moi-même, mes doutes enfermés à double tour dans un lieu d'où j'ai jeté la clé. C'est mon plus grand secret.
Est-ce que je serais encore là dans dix ans ?
Seul le temps répondra à cette question.
Je m'appelle Eleanor, comme la chanson des Beatles, je suis atteinte d'une des plus rare maladie au monde et mon histoire n'a rien de commun.
C'est une aventure pleine de danger, c'est des mystères sanglants, parfois un thriller monstrueux, un combat intarissable.
Mais c'est aussi une histoire d'amour et de tendresse, d'amitiés et de rencontres incongrues. C'est un espoir, l'espoir d'aller mieux, l'envie d'une vie normale.
Mon histoire est une histoire de survie, une course contre la montre, une âme enfermée dans un corps malade, une lutte pour la liberté.
Une lutte qui continue chaque jour.
***
Wow, on a pu mettre un point final sur cette histoire, après ces trois années d'écriture (oui, j'ai un peu trainé en route).
Je vous avoue que j'ai la petite larme au coin des yeux, ce n'est pas facile de dire adieu à Clyde et Eleanor, même si pour une fois, ils ne se trouvent pas dans une situation désastreuse.
J'aimerai tous vous remercier, pour le soutien, les commentaires qui me font des fois mourir de rire, pour vos lectures tout simplement et pour les conseils aussi. C'était un long travail et savoir que des gens ont aimé cette histoire me touche profondément. Vous êtes si fun.
Je voulais également votre avis. Depuis pas mal de temps, l'histoire de Jared me trotte dans la tête. Je trouve ce personnage souvent hilarant et écrire son histoire m'intéresse. Ça vous plairait ? Le titre serait : «Invisible» (mon idée de couverture se trouve dans l'image toi même tu sais).
Merci pour tout. Merci mille fois.
Vous êtes mes héros.
Nina
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top