7-Eleanor
«Il voulait savoir comment je voyais cette autre vie. Alors je lui ai crié: ''Une vie où je pourrais me souvenir de celle-ci''.»
L'étranger -Albert Camus.
Quand j'étais gamine, ma mère m'emmenait souvent jouer à Central Park. Là-bas il y avait des tonnes de places de jeux différentes, pour la petite fille que j'étais j'avais l'impression qu'il y en avait des milliard. Sauf que maman me couvait de manière exagérée par peur que je me casse un membre sans même m'en rendre compte. Je devais toujours rester près d'elle. Alors à l'heure du goûter, quand elle s'affairait à sortir les barres de chocolat, je m'éclipsais discrètement et je courais jusqu'à la place la plus proche. Je montais ensuite au somment de la plus haute tour et je descendais ce toboggan qui me semblait gigantesque à cet âge-là. Quand elle me retrouvait enfin, ma mère était folle de rage et elle me passait un savon mémorable. Pourtant toutes ces remontrances étaient inutiles, le lendemain tout recommençait, le lendemain c'était la même histoire.
Cet acte répétitif était ce qu'on appelle plus communément une bêtise, se rebeller contre l'autorité, désobéir. Mon père avait l'habitude de dire que les enfants font plus souvent des bêtises mais quelles sont généralement éphémères, ce sont des petites choses, des minuties dont on se remet facilement. En grandissant on acquiert des responsabilités et dès lors les bêtises deviennent, peut-être, plus rares certes mais aussi plus importantes. Elles deviennent trop souvent des erreurs irréparables.
C'est plus facile d'être un enfant, c'est plus facile de vivre sans se préoccuper des conséquences.
Mais il me semble que papa avais tort, je ne crois pas que les adultes font moins de bêtises, je pense juste qu'avec le temps ils apprennent à mieux les cacher.
Je frappais une nouvelle fois contre le punching ball en gardant les poings serrés, sentant les yeux de Clyde dans ma nuque.
-Eleanor concentre toi, rétorqua-t-il d'une voix rauque, Ta défense, surveille ta défense.
Je fermais les yeux en soupirant avant de donner une nouvelle série de coups, veillant à garder les abdominaux en tension.
Cela devait bien faire un mois que j'étais avec les Sinners, passant tout mon temps dans cette maison de gang. Vivre en colocation avec vingt garçons n'avait rien de dérangeant en soit, probablement dû au fait qu'après mon entraînement, j'était tellement épuisée que je m'endormais presque en un instant. Je ne pouvais même plus compter le nombre de fois où quelqu'un avait dû me porter jusque dans mon lit.
Mais en réalité je ne parlais pas vraiment aux garçons, chaque secondes étaient consacrées à ma formation sous la surveillance intraitable de Clyde. Chaque matin ce dernier me réveillait au aurore puis s'enchainaient les courses à pied à travers New-York, les pompes et toutes ces conneries du même genre, les séances de combat, l'apprentissage du tir. Clyde était un excellent professeur, je devais bien l'admettre, mais il se trouvait également être quelqu'un de véritablement sévère et exigeant.
-Eleanor, Nom de Dieux, cria-t-il, Ta défense!
-Oui chef.
Je le surpris à lever les yeux au ciel.
-Ça suffit. On va utiliser une nouvelle méthode d'entrainement, soupira-t-il alors que je haussais un sourcil, Tu vas arrêter de taper sur des objets, maintenant tu vas te battre, te battre réellement.
-Je te demande pardon? m'exclamai-je, perdue.
-Eleanor tu as toute la technique nécessaire, tout ce que je sais je te l'ai appris. Il te faut de la pratique et rien ne vaut une bonne bagarre.
-Et contre qui?
-Moi, m'indiqua-t-il en se dirigeant vers le centre de la pièce sur les tapis destinés à cette occasion.
-C'est une blague, rigolai-je avant de m'interrompre en remarquant sa mine si déterminée, D'accord, j'ai compris, tu étais sérieux.
Je me plaçais en face de lui et entrepris de refaire mes lacets.
-Première règle, commença Clyde, Ne jamais quitter son ennemi des yeux.
Une seconde plus tard, je sentis ses jambes me faire basculer et je trébuchais en tombant au sol. Je grognai, les fesses à terre, alors qu'il me tendait sa main en souriant, étouffant un rire.
-Deuxième règle, Ne pas faire confiance.
Gardant ma main emprisonnée dans la sienne, il me fit une clé de bras avant d'enchainer sur un croche-patte. Je tombais à genou alors qu'il maintenait mon bras derrière mon dos m'empêchant d'effectuer le moindre geste. J'entendis son rire près de mon oreille, visiblement l'un de nous semblait bien s'amuser.
Quand il se décida enfin à me libérer, je me dégageais avant de me relever souplement. Je tentais de lui asséner un crochet du droit qu'il évita avec une facilité déconcertante. Les coups commencèrent donc à s'enchainer, j'esquivais les siens et il esquivait le miens.
-Finalement Eleanor, m'indiqua-t-il en évitant une droite, Ne baisse pas ta garde. Tu dois faire attention à ta défense.
Avant même que je puisse effectuer un geste, je remarquais que j'avais oublié de veiller à ma défense. Clyde en profita, m'attrapant le bras il me fit tourner brutalement et je me retrouvais plaquée contre lui, mon dos collé à son torse, ses mains enroulant ma taille.
Je sentis son souffle contre ma nuque. Un frisson m'échappa.
-T'es plutôt douée, je t'assure, mais pas encore assez pour moi Gamine, souffla-t-il dans mon cou.
-J'ai eu dix neuf ans, Clyde.
Depuis le jour où je lui avait empêché de se prendre une balle dans la tête il s'était habitué à ce que je l'appelle par son prénom. J'avais très vite remarqué que personne ne le faisait, par manque d'audace peut-être, par réflexe probablement.
-C'est bien ce que je disais, une gamine, rigola-t-il alors que j'étais toujours collée à lui.
Soudainement je me rendis compte que je ne lui avais jamais demandé son âge et qu'il m'était difficile de le déterminer. Il semblait jeune, j'aurais parié qu'il avait moins de trente ans cependant ce n'était plus un adolescent, Clyde était un homme.
-Quel âge as-tu en fait? lui demandai-je en me retournant pour me retrouver face à lui.
-Vingt-cinq ans.
-Sérieusement? m'exclamai-je en mimant la surprise, Je l'aurais pas cru avec ton corps d'ado pré-pubère, le taquinai-je en souriant devant son expression choquée, Bonne nuit Clyde.
Je me dirigeai vers la sortir sans me départir de mon sourire quand je me sentis tirée en arrière. Clyde me plaqua contre le mur le plus proche avant de coller son corps au mien.
-Un ado pré-pubère tu disais, me questionna-t-il alors qu'une lueur d'amusement flottait dans ses yeux, Il va falloir que je te prouve le contraire.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top