4-Clyde
«Heureusement que le monde va mal, je n'aurais pas supporté d'aller mal dans un monde qui va bien.»
-Georges Wolinski.
Il arrive, parfois, que certaines choses deviennent une obsession, une idée qui ne cesse de nous suivre partout, tout le temps, une pensée dont on ne peut se débarrasser. Elle est toujours accompagnée de cette dérangeante impression d'être hanté, possédé, comme si notre corps lui-même était en train de perdre le contrôle, de nous lâcher.
Il m'a fallu longtemps pour comprendre que ces obsessions, ce genre de pensées addictives n'étaient pas quelque chose de bien, ce n'est pas saint et cela peut se révéler très dangereux, nocif pour la santé.
La fille que j'avais rencontré ce soir là en était très vite devenue une. Le défi qu'elle m'avait lancé, ce masque de froideur qui la collait comme son ombre, cette rage dans son regard, tout en elle me criait de la retrouver. Jamais une personne ne m'avait tant intrigué auparavant, c'était comme un besoin, je devais savoir pourquoi elle avait l'air si triste, pourquoi elle semblait si en colère contre le monde entier.
Il ne m'a fallu que peu de temps pour découvrir son identité, mais beaucoup plus découvrir son histoire. J'ai fini par comprendre cependant; cette fille-là ne laissait pas de traces.
Obtenir son nom a été d'une facilité déconcertante, j'ai très vite appris qu'elle était déjà venue et que son cousin se trouvait être l'amateur que j'avais démonté quelques minutes avant notre rencontre.
Eleanor Penn.
C'est là que les recherches se sont corsées, j'ai du mettre un hacker sur le coup pour trouver qui elle était vraiment. Et plus le temps passait, plus elle semblait être un fantôme. Aucune inscription dans une école, pas de club de sport, d'activités auxquelles elle aurait pu participer, pas inscrites sur les réseaux sociaux. J'ai trouvé son nom cité que deux fois, deux uniques et minuscules fois: Un certificats de naissance et un avis de décès -celui de ses parents. J'aurais dû plus tôt penser à aller fouiner dans les dossiers confidentiels des hôpitaux mais cela ne m'a pour ainsi dire pas traverser l'esprit, pas au début.
Ce rapport médical a tout changé.
Un bébé né avec une maladie très rare, extrêmement rare, si rare que seulement une centaine de personne en sont atteintes sur la planète entière.
Elle avait une chance sur des milliard d'avoir cette maladie, cela aurait été surement plus probable qu'elle gagne au loto ou qu'un piano lui tombe sur la tête.
L'insensibilité congénitale à la douleur... Je ne savais même pas que cela existait avant qu'elle ne débarque dans ma vie, avant qu'elle ne change tout avec sa foutue maladie. J'avais tout compris par la suite et je dois bien admettre que cela m'avait effrayé. Eleanor ne ferait pas seulement un excellent combattant si on l'entrainait, cette fille était une arme. Je ne l'avais pas cru quand elle disait qu'elle ne craignait ni la mort, ni la torture. J'étais persuadé avant elle que tout le monde avait peur de la mort et je ne faisais pas exception à la règle, sauf que elle, sa vie avait été détruite, sauf que elle, elle n'avait plus rien à perdre.
Assis à la table de la cuisine, je repensais à cette façon qu'elle avait eu de gagner cette bagarre contre Red. Il était évident qu'elle ne savait pas se battre, on pouvait facilement le deviner devant ses gestes imprécis et maladroits. Cependant son absence de douleur, de peur et sa force pouvait compenser ses imprécisions. Il était évident que si je venais à l'entrainer, elle deviendrait une boxeuse redoutable, une criminelle hors-du-commun.
-Coal, m'interpella une voix.
Je relevai la tête et remarquai que Jared était planté devant le frigo.
-J'ai acheté chinois pour le diner, continua-t-il en me lançant un sourire.
Je levai les yeux au ciel mais laissai malgré moi échapper un rire. Chacun a une technique bien à lui pour se repentir, pour se faire pardonner, quand Jared déconnait il achetait de la bouffe chinoise, c'était un concept plutôt sympa.
-A table, criai-je sans obtenir de réponse.
Mon meilleur ami soupira en mettant les assiettes avant de se redresser.
-Putain bougez vos culs immédiatement et ramenez vos fesses à table avant que Coal viennent vous bottez le derrière à coup de poings, hurla-t-il alors que sa voix résonnait dans toute la maison.
Soudainement un grand fracas se fit entendre et une dizaine de porte s'ouvrirent en parfaite synchronisation. Je rigolai en en entendant le bruit immense nous venir aux oreilles, quinze gars qui déambulent les escaliers cela fait du bruit.
Ed arriva en premier et se figea en remarquant la nourriture devant lui.
-Qu'est ce que Jared a encore fait, demanda-t-il en s'emparant des nouilles aux poulets.
-Il s'est drogué, lui répondis-je en haussant les épaules avant d'attraper le boeuf au curry.
Jared acquiesça nullement gêné qu'on en parle, c'était d'ailleurs l'une des première règles aux sein des Sinners: Pas de mensonges, pas de secrets, pas de jugements, pas de honte. Cela avait plutôt bien fonctionné jusqu'alors.
-Tiens, on mange chinois ce soir? remarqua H en nous rejoignant, Jared s'est encore drogué? Tu sais la technique de ramener de la bouffe pour qu'on oublie tout ça marchera pas éternellement.
-Ah bon? demanda Ed la bouche pleine de nouille.
Les gars éclatèrent tous de rire et les discussions commencèrent, allons de bon train entre échanges politiques et plaisanteries puérils.
Nous étions vingt et un à vivre dans cette maison, principalement des jeunes entre quinze et trente ans. Ils n'étaient pas les uniques membres des Sinners, certains vivaient seuls, d'autres avaient une famille, vivre dans ces lieux n'étaient pas une obligation. Cette maison était un refuge, l'occasion de vivre en communauté, de s'éloigner de cette solitude incessante qui rongeait la plupart de mes gars, qui me rongeait moi.
J'ai grandi avec Jared et Mickael. Les jumeaux ont toujours été mes meilleurs amis me semble-t-il, je vivais pratiquement chez eux gamin, ils habitaient juste en face de chez moi. Leur mère a été comme une seconde maman pour moi car la mienne devait enchainer deux boulots pour tenter de subvenir à mes besoins. Quant à mon connard de père, il pouvait disparaitre des mois entier avant de se pointer, et honnêtement, je préférais quand il n'était pas là, cela nous évitait la raclée.
Et puis on a grandit, Jared est resté le même; impulsif, violent, insupportable mais terriblement addictif et drôle. C'est Mickael qui a changé, on a vécu dans un quartier pauvre où la guerre des gangs faisait rage, cela a fini par déteindre sur lui, cela a eu raison de lui. Il est tombé dans la drogue à seize ans, dans une addiction si profonde et si dangereuse, que personne n'a pu l'arrêter: il avait fait son choix. Pendant dix ans, on ne l'a presque plus vu, il a rejoint un autre gang, il a refait sa vie. Et puis, il y a eu cette putain d'overdose. Jared a été dévasté après sa mort, c'était son frère, son jumeaux, cette autre partie de lui, celle qui le comblait. Son décès n'a été facile pour personne. Même maintenant je ne suis pas sûre que l'on se soit vraiment remis, même maintenant je ne suis pas sûre que les gens aillent mieux,
Jared attrapa le dossier devant moi et commença à le feuilleter sans demander une quelconque permission.
-Eleanor Penn, voilà la gonzesse qui occupe tes pensées depuis une semaine, bla bla bla cette fille elle était si incroyable, bla bla bla elle a battue Red, bla bla bla j'ai envie de me l'a faire, mima grossièrement mon ami d'une voix stridente alors que Ed qui suivait la conversation rigola également.
-Je suis pratiquement sûre de ne jamais avoir dit cette dernière phrase, rétorquai-je.
-Tu devrais mec, t'as vu sa photo? Elle est super bonne.
Je serrai inconsciemment le poing sur la table, Jared sautait sur tout ce qui bouge c'était bien connu, sa réputation le précédait dans le quartier.
-Ecouter les gars, m'exclamai-je en me levant alors que les conversations se taisaient peu à peu, Bientôt les Sinners vont accueillir un nouveau Membre, une fille. Si j'apprend qu'un de vous n'aie mis ne serai-ce qu'un doigt sur elle et ce même si c'est consenti, je vous casse la gueule. Vous ne l'approchez pas, vous ne la matez pas, vous ne la touchez pas, vous ne l'as regarder même pas. Est-ce clair?
-Oui chef, répondit H en me faisant une salutation comme à l'armée.
Jared et Ed se lancèrent un regard entendu.
-C'est quoi ton truc avec cette fille? Elle t'intéresse c'est ça? me lança finalement Ed.
Je relevais les yeux vers lui.
-Ta gueule.
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