35 - Eleanor
« Est-ce que le droit de se pardonner à soi-même n'existe pas ? »
–Victor Hugo.
Ça ira mieux.
Pas demain, ni dans deux semaines, peut-être même pas dans un an.
Mais, un jour, je sais que la situation semblera moins dramatique à mes yeux. Le temps à cette faculté magique d'atténuer même les pires souffrances.
Pour être honnête, une part de moi se sent également soulagée. Libérée du poids de la vérité –aussi terrible soit-elle, apaisée de savoir que c'est terminé. Je ne serais plus jamais Eleanor Penn, je ne pourrais plus jamais porter son nom. Une part de moi, cette facette qui a grandi et qui a été élevé par cet homme, que je croyais être mon père, a rendu son dernier souffle, cette nuit-là, en même temps que lui. Je suis devenue quelqu'un d'autre, une personne que je ne connais pas encore très bien, toujours en quête d'identité, mais pour la première fois depuis bien longtemps : en paix.
Monsieur D. ne tuera plus jamais personne. Je sais bien que quelqu'un d'autre prendra très vite sa place, mais en attendant, je peux fermer les yeux en espérant que le monde est un peu moins monstrueux ce soir.
Alors je vais guérir. Je lui prouverai qu'il avait tort, que malgré toutes ses manigances, je vais bien, je suis en vie, je respire encore –contrairement à lui – et c'est déjà beaucoup dans un monde qui s'effondre.
Je m'en sortirai, loin de tout cette amertume et de cette haine.
Oui, ça ira
– Vous ne voulez pas me parler, Eleanor ? demanda mon ancien psychologue en retenant un soupir, assis dans le fauteuil en face de moi, Vous devez comprendre mon scepticisme. Il y a un an, vous avez disparu du jour au lendemain, sans plus donner de nouvelles. Et aujourd'hui, je vous trouve attendant devant la porte de mon cabinet. Alors je vous pose la question : que s'est-il passé ? Vous n'avez jamais cherché mon aide avant, vous n'avez jamais voulu vous confier. Que s'est-il passé durant cette année ? Qu'est-ce qui a changé ?
Je relevais les yeux, pour le fixer. Il semblait sincèrement soucieux, inquiet pour moi.
– Tout. Tout a changé.
Voilà deux mois que j'étais partie, cinquante-deux jours que je ne les avais pas vus, que je n'avais pas pu l'enlacer Clyde, charrier Jared pour ses mauvaises blagues ou remercier Ed pour l'un de ses fameux conseils dont lui seul avait le secret. J'avais pris la décision de m'en aller, de quitter ceux que je considérais presque comme ma famille. Cela n'était pas un choix facile, mais les choix les plus importants, sont rarement les plus simples. De plus, ce n'était pas un départ éternel, je reviendrai peut-être, un jour. Mais pour la première fois de ma vie, j'avais besoin d'être seule face à moi-même. Je me devais de vivre pour moi: non pour une maladie qui me suivait comme mon ombre, pas seulement pour mes parents et une envie de vengeance, pas pour un homme non plus. J'aimais toujours Clyde, le temps ne changerait pas mes sentiments pour lui. Je lui devais énormément, il m'avait sauvé la vie bien des fois, il m'avait fait comprendre que je pouvais aller mieux ; mais j'étais encore bien trop perdue pour l'instant. Depuis cette nuit où j'avais appris son mensonge, la colère avait eu le temps de se calmer. J'avais pu analyser son geste, le décortiquer encore et encore : mais même si je le comprenais, je ne pouvais pas l'accepter, pas tout de suite.
– J'aimerai vous racontez beaucoup de chose, repris-je en mettant ma tête entre mes mains, Tellement. Mais j'ai peur qu'en parler, ça les rendent réelles. Les révélations sont trop récentes, ça ne fait que deux mois. Mes blessures sont encore à vifs; si je parle de tout maintenant, je crains de rouvrir les plaies et de ne pas survivre cette seconde fois.
– Je ne vous demanderai jamais de tout raconter en une heure ou de parler si vous n'en avez pas envie. Votre histoire n'appartient qu'à vous. Mais si la fin est trop difficile à expliquer pour l'instant, commencez par le début. Où avez-vous disparue, il y a un an?
Je fermais les yeux, cherchant les mots justes.
– Je suis partie en quête de vengeance.
L'homme aux cheveux grisonnants retira ses lunettes, visiblement inquiet. Il savait très bien que mes parents avaient été assassinés -enfin que ma mère l'avait été. Il devait imaginer le pire à propos de cette quête de vengeance, et encore, il devait être bien loin de la vérité.
– Oh Eleanor, et l'avez vous menée jusqu'au bout cette quête ?
– En partie. Mais j'ai surtout trouver autre chose.
– Quoi donc ?
– La vérité.
– Et qu'est-ce que cette vérité vous a apportée ?
– Comment ça ? demandai-je, ne comprenant pas ce qu'il sous-entendait avec sa question.
–Quelles ont été les impacts, dans votre vie, de ce que vous avez appris ? On dit souvent que la vérité coûte chère. Quel en a été le prix pour vous ?
Il avait raison, quel avait été le prix de cette vérité cachée, de toutes ces révélations qui m'avaient submergées ?
– La douleur. Cet ironique, je ne peux pas avoir mal et pourtant j'ai souffert terriblement . La solitude aussi, beaucoup d'incompréhension, se reposer mille fois les mêmes questions en se demandant si la situations aurait pu être différente. J'ai surtout du affronter la trahison, je n'y étais pas préparée. On ma menti depuis ma naissance, personne autour de moi n'a jamais été honnête, et j'ai du affronter leurs conneries les une après les autres.
– A vous entendre, cette vérité ne vous a apporté que du malheur. N'y a -t-il donc eu aucun coté positif à retirer ?
– Oh oui, il y a eu des bonnes choses, souris-je alors que des images de cette dernière année me revenait en mémoire, Si ma famille avait été normale, jamais je n'aurai dû partir en quête de la vérité. Et alors, je n'aurais jamais connu tous ces gens, je n'aurais peut-être jamais eu l'impression d'avoir trouvé ma place dans le monde. Je n'aurais jamais été à une fête danser sur Heathens de Twenty one pilots, je n'aurais jamais appris à me battre ou partagé de grands débats politiques autour d'une table. Je n'aurais jamais si bien compris ce qu'est la compassion, tenir à ses amis et être là pour eux, je n'aurais probablement jamais autant rigolé d'ailleurs ou simplement découvrir ce qu'est l'amour. J'ai l'impression d'avoir vécu plus de chose en un an que dans ma vie toute entière.
Un sourire étira ses lèvres à ma dernière parole, suivit d'un froncement de sourcil.
– Je suis véritablement content de l'apprendre. Néanmoins, je peux me permettre de vous demandez pourquoi, malgré tout, vous semblez si malheureuse ?
Je savais l'image que je renvoyais actuellement, n'importe qui avec un minimum de clairvoyance aurait pu voir ce que je reflétais : la peine. Je soupirai en me laissant aller dans le fauteuil.
– Je suis tombée amoureuse d'un homme, expliquai-je difficilement, Je l'aime toujours, mais il m'a menti. Je sais que c'était pour me protéger, parce qu'il ne voulait pas que je souffre ; qu'il n'a jamais voulu me faire du mal. Sauf que, vous voyez, ma vie n'a été que ça : un mensonge. Il était la seule personne en qui je pouvais encore avoir confiance.
– Alors quand lui aussi vous a menti, vous avez vécu ça comme la pire des trahisons, en déduit-il.
– Oui, soufflai-je doucement, les yeux dans le vide, Il était la dernière personne en qui je croyais. J'aimerai l'accepter, me dire que ce n'est pas grave. Peut-être que si son mensonge était bénin, si ça avait été sur un sujet moins grave, je ne lui en aurait pas voulu autant. Mais il m'a dissimulé le seul secret qu'il n'avait pas le droit de cacher. Je sais pas si j' arriverai à lui pardonner. J'aimerai tellement y arriver, passer par-dessus tout. La vérité c'est que je me sens bloquée. Pourquoi est-ce qu'il a fait ?
– Vous savez des fois on peut faire de mauvaises choses pour de bonnes raisons. Vous avez l'air de l'aimez énormément, si c'est pareil de son coté, peut-être a-t-il craint pour votre vie ? Je suis sûr qu'il avait conscience du risque qu'il prenait en vous mentant ; si il vous connaissait si bien, il devait savoir qu'il vous perdrait en vous cachant la vérité. Mais il a choisi de le faire quand même, il a mis en péril votre relation pour essayer de vous protéger. Il a choisi de préserver votre vie, plutôt que de vous garder à ses cotés.
Je réfléchissais aux paroles de l'homme. Je n'avais jamais eu cette perception de l'histoire. Je n'avais que mon point de vu, parce que j'étais partie trop vite pour réellement écouter celui de Clyde. Mais le psychologue avait mis le doigts sur quelque chose de très vrai : Clyde savait parfaitement que je ne supporterai pas son mensonge. Alors si il avait choisi de le faire, c'est qu'à ses yeux, il n'y avait pas d'autre solution. Le soir où il m'avait menti, on venait d'être attaqué, des hommes, des amis étaient morts à cause de Monsieur D. Si j'avais appris à ce moment-là qu'il s'agissait de celui que je croyais être mon père, qu'aurais-je fait sous le coup de la colère et de l'adrénaline ? Me serais-je sentie responsable ? Aurais-je commis l'irréparable ? Clyde avait choisi de risquer notre relation pour que je vive. Ce n'était peut-être pas la meilleure solution. Mais qu'aurais-je fait à sa place ?
– Il a pensé que la vérité aurait été trop dure à avaler après tout ce que j'avais déjà vécu. La seule erreur qu'il a faite, c'est qu'il s'est trompé sur ce dernier point. J'étais prête à affronter la réalité. Pour être honnête, je crois que quelque part, je me doutais que j'étais bien plus liée à cette histoire que ce qu'on pouvait penser Et même si c'est difficile, je suis assez forte pour survivre, plus que ce que j'imaginais.
– Je n'en ai jamais douté un instant, Eleanor. Vous n'êtes pas du genre à abandonner, si vous vouliez le faire, vous l'auriez fait bien avant. Pour être honnête, je n'ai jamais vu quelqu'un prétexter autant détester la vie, et pourtant posséder une telle volonté de vivre.
– J'ai toujours su que j'allais mourir jeune, c'était plus facile de dire que vivre n'avait pas vraiment d'importance. Ainsi, mourir semblait moins grave. Sauf que, le truc c'est que je suis comme tout le monde, au fond, j'ai toujours voulu ce que je n'avais pas : du temps.
Il hocha la tête, le regard brillant d'empathie à cette dernière phrase.
– C'est bien pour cette raison, Eleanor, que vous ne devriez pas perdre un instant. Sortez, voyagez, vivez votre vie. Laissez le passé derrière et regardez en avant, regardez ce qu'il vous reste, pas ce que vous avez perdu. Ça ne signifie pas que vous devez pardonner à l'homme que vous aimez, à votre famille de vous avoir menti ou toutes les horreurs que vous avez vécu, pardonner si vous vous en sentez capable. Par contre, pardonnez-vous à vous-même, pardonnez-vous pour cette maladie contre laquelle vous ne pouvez rien, pardonnez-vous de ne pas avoir assez de temps, pardonnez-vous d'aimer la vie. C'est le meilleur conseil que je puisse vous donnez.
– Je ne sais pas si j'en suis capable.
–Bien-sûr que vous en êtes capable. Vous y arriverez, vous êtes déjà en train de le faire.
Le silence envahit la pièce, nous réduisant au calme et à la réflexion. J'écoutais le tic-tac de l'horloge, le son régulier me réconfortait, me poussant à confier tout ce que j'avais sur le coeur. Tout se bousculait dans ma tête, mes envies, mes peurs, mes choix à faire, Clyde. Je craignais de prendre les mauvaises décisions.
– Il y a autre chose, annonçai-je de but en blanc.
– Vous souhaitez aborder un autre sujet ?
– Oui, j'ai découvert quelque chose : une révélation qui change tout, et je ne sais plus quoi faire.
– Qu'est-ce donc ?
Je sorti l'enveloppe de ma poche et la lui tendait. Il l'ouvrit précautionneusement, l'air curieux. Ses yeux croisèrent les miens au moment où il découvrait son contenu.
– Oh, Eleanor...
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