33 - Eleanor
«Il est souvent plus difficile, riposta Wilk, de faire admettre la vérité que de faire accepter le mensonge. »
-Levin Meyer.
Sachez que la vérité est la seule arme capable d'anéantir un homme. Quand on dit qu'il n'y a que la vérité qui blesse, il ne faut pas le prendre à la légère ; c'est vrai. Et dans les mains de la mauvaise personne, elle se révèle être une impitoyable bombe. La vérité c'est la réalité, et malheureusement, la réalité peut faire mal.
Quand on nait, rien ne nous prépare à l'idée qu'on nous mente, et nous sommes encore moins préparé à apprendre la vérité cachée derrière ces mensonges. Pour ma part, la chute a été si brutale que rien n'aurait pu amortir l'impact.
Je sais que Ricard Wilkins a dit à Clyde que si ce dernier ne m'empêchait pas de découvrir ce que je cherchais, la vérité me détruirait. Je vous jure, je ne l'ai pas prise aux mots ; et même si je l'avais fait, la réalité à si peu de sens, elle est si grotesque, désarmante, que jamais rien n'aurait pu me préparer à ce qui est survenu.
Il avait raison, je suis détruite, anéantie. Je suis dévastée, je suis en train de sombrer. Il a y des jours anodins, et des jours comme ceux-là : des instants où l'on apprend que tout ce en quoi en croyait, tout ce en quoi on avait foi, n'a plus aucun sens, parce qu'on nous a menti depuis la naissance, parfois même avant. J'ai l'impression qu'on m'a volé une partie de ma vie, on m'a arraché mon enfance, mon nom et mon identité, et je ne peux plus m'y soustraire, parce qu'on ne m'a tout simplement pas laissé le choix.
On m'a enlevé tout ce qui définissait ma propre personne.
Que reste-t-il, maintenant, que le mensonge a tout englouti à l'identique d'un trou noir ?
Rien.
Je n'existe plus.
Ma tête me brûlait, menaçant d'imploser alors que je fixais l'homme en face de moi. Parce que je le détestais tant, et qu'il m'avait tant manquer - étrange paradoxe. De plus, je me détestais également d'avoir pu ressentir le manque d'un homme pareil. Et que quelque part au milieu de tout ça, j'étais rongée par quelque chose de terrible : la peur. J'étais effondrée. Qu'allais-je faire maintenant?
- Ma fille chérie, commença l'homme au tempe grisonnante, Comment vas-tu «depuis le temps», si on peut dire?
Je serrais les poings sans le quitter des yeux, sans ouvrir la bouche, nous étions seuls dans une pièce vide, à l'exception d'un bureau et d'une poignée de chaise. Cela semblait si facile, lui sauter dessus, le rayer de la carte une bonne fois pour toute...
Une minute de silence.
- Je ne suis pas sûre que tu puisses dire: «ta fille», rétorquai-je enfin, N'est-ce pas ?
Il plissa les yeux dans cette expression que j'avais vu tant de fois dans mon enfance quand il réfléchissait sur un problème, mais qui aujourd'hui me semblait étrangère.
- Ainsi, tu as découvert la vérité. Ton idiote de mère n'a jamais su tenir sa langue ! Que t'a-t-elle laissé ? Une lettre?
Il me fixait, curieux, alors que je demeurais impassible.
- Non, non, non... ça doit être autre chose, ce n'était pas son genre, reprit-il avant que son visage ne s'illumine, Le journal, bien-sûr ! Elle le trainait partout avec elle, à y raconter sa vie. Tu as donc toute la vérité ? Sur elle, sur moi... Sur Tom.
Il pris appui contre le bureau, intrigué de mes découvertes, se demandant si -vraiment- je savais «tout».
- Elle, Tom, et toi, vous étiez les meilleurs amis du monde, commençais-je calmement, Ce sont ses termes, pas les miens. Inséparables depuis si petits, inséparables pour la vie, la vie et tout ce qui surviendrait. Néanmoins, il arrive que l'amour s'en mêle, ça complique toujours tout en amitié, surtout quand il s'agit d'un triangle. Ça a été votre cas. Elle était amoureuse de Tom et Tom l'aimait furieusement, mais toi ça t'as brisé, parce que tu l'aimais aussi, plus fort, plus passionnément.
Il sembla surpris par cette dernière phrase.
- C'est ce qu'elle a écrit dans son journal?
-Non, c'est ce que j'en ai déduit. Elle n'a jamais su à quel point tu l'aimais ; elle a toujours pris ton dévouement pour de l'amitié, de la tendresse. Elle n'a pas compris à quel point tu l'obsédais, n'est-ce pas ?
Il cilla mais ne répondis rien.
- Cependant, la suite de l'histoire est encore plus intéressante, non ? Ils avaient prévu de se marier. Qu'auraient-ils pu faire d'autre, après tout ? Ils avaient la vingtaine, ils étaient fous amoureux et rêveurs : la vie devant eux. Et toi, malgré la douleur que cette annonce t'infligeait, tu étais heureux pour eux, parce que tu étais leur ami. Mais voilà, la vie prend parfois des tournants que l'on attend pas - quoi que dans votre cas, vous deviez y être un peu préparé- car Tom était malade, atteint d'une maladie incurable et extrêmement rare... Une insensibilité congénitale à la douleur. C'était terrible, n'est ce pas? Totalement inguérissable, terriblement flippant, trop risqué ! Il est mort d'une blessure interne qu'on avait pas détecté ; à l'époque, la médecine n'était pas aussi développée, les contrôles moins précis, pas aussi régulier. Ça a été horrible pour maman, ça a failli la tuer. Au début, je ne pense pas que tu y a vu là une occasion -ou peut-être que si- mais je crois que tu étais sincèrement affecté par la mort de Tom : c'était ton meilleur ami malgré tout. Sauf qu'un soir, un mois après son enterrement, maman a sonné à ta porte, en pleure. Elle était enceinte de lui, elle ne savait pas quoi faire. Elle venait d'une famille très catholique, ils n'auraient pas supportés qu'elle ait eu des rapports avant le mariage, même si ils étaient fiancés. C'était inconcevable de leur avouer. C'est ainsi que le plan est né. Vous vous êtes mariés et elle a prétendu que l'enfant était de toi. Les gens ce sont doutés de quelque chose au début, mais ils ont fini par croire que c'était la douleur de la mort de Tom qui vous avait rapproché à ce point. Huit mois plus tard, une petite fille est née, une fille avec une maladie terrible : une insensibilité congénitale à la douleur. Vous avez caché ma maladie à vos familles respectives parce que c'était trop évident, tout le monde aurait fait le lien. Vous vous êtes alors promis de ne jamais avouer la vérité, à personne. Ça devait être un secret gardé des Dieux, aucun indice, aucune piste, il fallait effacer toutes traces de l'existence de Tom de vos vies. David Penn devenait mon père. C'est pour cette raison que Maman m'a appelé Eleanor, j'étais la fille de Tom Rigby, mais je ne pouvais pas porter son nom. En m'appelant Eleanor, elle faisait en sorte, d'une certaine façon, que j'associe continuellement mon prénom à cette chanson, toujours Eleanor à Rigby. C'était son dernier hommage à Tom. Tu as accepté, et vous avez alors prétendu que je m'appelais ainsi car vous adoriez cette chanson.
Mon père -bien que je n'étais plus sûre de pouvoir le nommer ainsi- me fixait, stoïque.
- Est-ce que vous avez conscience de ce que vous avez fait ? Avez-vous compris l'ampleur de vos actions ? Vous vous êtes noyés dans les mensonges, et vous m'avez noyé avec vous. Toutes traces de Tom avait été effacées, vous avez été jusqu'à prétendre que c'était ma grand-mère décédée qui avait cette maladie. Vous avez coupé les ponts avec la plupart de ma famille, vous... C'est du grand n'importe quoi ! Pourquoi n'avoir rien dit ? J'aurais pu comprendre, mumurai-je, anéantie, J'aurais essayé. C'est pour cette raison que maman m'a tant protégée, elle avait vu mourir la personne qu'elle aimait le plus au monde à cause de cette maladie, ça ne pouvait pas se reproduire une seconde fois.
Mon père posa sur moi un regard dur, toutes traces de l'homme que j'avais connu enfant semblait s'être volatilisé.
- Si on l'a fait, c'était pour toi, Eleanor.
- Non, c'était uniquement pour vous, rétorquai-je froidement, Parce que vous pensiez que ce serait plus «facile», alors qu'en fait, c'était juste absurde.
Je m'avançai de quelques pas pour le défier du regard.
- Mais l'histoire ne s'arrête pas à ma naissance, n'est-ce pas? Maman raconte dans son carnet que vous avez tous les trois grandi dans un quartier difficile, mais c'était plus dure pour toi, plus que tous les autres, parce que ta famille était spécialement pauvre et ton père en prison. C'est ton frère qui t'a fait rencontrer le gang des Black's Angels quand tu avais douze ans. Quand maman et Tom l'ont su, ils ont tout fait pour t'éloigner de leurs influences : ils ont cru réussir.
Je fis une pause pour reprendre ma respiration.
- Tu m'excuseras, ma mère n'a pas écrit la suite des événements dans son bouquin, crachais-je difficilement, Parce qu'elle n'était au courant de rien ! Donc pour la suite, j'ai du romancer un peu, arrête-moi si je me trompe. La vérité, c'est que tu n'as jamais quitté le gang, tu as mené une double existence : David Penn, le père de famille aimant et respectable d'un coté, et Monsieur D le chef intraitable que tout le monde craint de l'autre. D n'a jamais été pout Dieu comme les gens le prétendent, c'était D pour David.
- Qu'elle est intelligente, ricanna-t-il , Et ensuite...?
- J'imagine que maman a fini par l'apprendre, je sais pas comment , elle a peut-être entendu, vu quelque chose qu'elle n'aurait pas du voir ; mais soudain, le puzzle s'est emboité dans sa tête et elle a tout compris. Elle a décidé de te quitter, parce que cette révélation lui était insupportable, elle a décidé de te dénoncer. Et ça, tu ne pouvais pas le laisser se produire. Tu l'as tuée... Tu l'as tuée, tu as mis le corps d'un inconnu avec elle et tu les as brulés pour te faire passer pour mort. Parce qu'après tout, c'était plus simple, tellement plus facile de disparaître. Rien ne te retenait... Pas moi, surtout pas moi, parce que tu n'as jamais pu m'aimer.
Devant son silence, les révélations étaient assourdissantes.
- Alors c'est vrai ? Tu l'as tuée. Tu l'as tuée, merdre, criai-je, Tu es un meurtrier.
Qu'aurais-je donné pour m'être simplement trompée ?
Mon père semblait peiné, pris entre deux partis, il fit un pas mais je reculais instantanément.
- Oui, Eleanor, je l'ai tuée, parce qu'elle le méritait. Ton histoire est presque juste, néanmoins, tu as fait une erreur: bien-sûr, que je t'ai aimé. J'ai tant fait pour toi, je me suis battu contre moi-même, pour t'aimer, pour être un bon père. Enfant, c'était facile, mais en grandissant tu as commencé à ressembler à ton père -tu lui ressemble tant- pas tant physiquement, mais plutôt dans les mimiques, les gestes, dans cette manière de sourire, de t'exprimer. A chaque regard, c'était Tom que je voyais, et même si j'aimais Tom sincèrement, il m'avait aussi volé ta mère ; une part de moi ne pouvait s'empêcher de le haïr...
-Et donc de me haïr, conclu-je.
Silence.
-Et puis il y avait cette foutue maladie, reprit-il, Si tu savais le nombre de fois où j'ai souhaité qu'elle te tue comme elle avait tué Tom. Enfin j'aurais eu ta mère tout à moi, enfin on aurait été libre de ce poids du passé.
«Si tu savais le nombre de fois où j'ai souhaité qu'elle te tue...»
Ces mots résonnèrent en moi si profondément que je chancelai quelques instants. C'était cet homme qui me préparait des pancakes le dimanche matin, cette homme qui me ramassait à chaque fois que je chutais sur les pistes de ski, qui m'avait appris à faire du vélo et a écrire mon prénom. C'était lui qui venait vérifier qu'il n'y avait pas de monstres sous mon lit et qui avait menacé mon premier petit-ami de ne pas me briser le coeur ; qu'est ce qui avait été vrai dans tous ces souvenirs ? Est-ce que, à chacun de ces moments partagés, il voulait me voir morte ? Espérait-il que je m'étouffe avec mon pancake, que je chute mortellement avec mon vélo ou qu'il y ait vraiment un monstre sous mon lit ?
Pour la première fois, je rencontrais le monstre de mes cauchemars et il ne se cache pas sous les lits : c'était l'homme que j'avais toujours considéré comme mon père et à qui j'avais dit «je t'aime» un bon milliard de fois.
Je réstais muette alors qu'un sourire s'étendait sur son visage. Il avait compris, il avait enfin gagné : j'étais détruite. Il m'avait brisé ; comme il avait tué ma mère, il m'avais assassiné de l'intérieur. Je ne pourrais plus m'en sortir, je sombrais et ce n'était plus qu'une question de minutes.
Il sortit alors une arme à feu et la posa sur la table entre nous.
-Peut-être cela te sera utile. Attention, il n'y a qu'une balle. Fais le bon choix.
J'attrapais instantanément le pistolet et le pointait sur lui, les joues baignées de larme. Pourquoi continuait-il de sourire sadiquement alors que j'étais à un doigt d'appuyer sur la gâchette ?
Puis soudain, je compris, ma main retomba le long de mon corps. Cette balle n'était pas pour lui ; elle était pour moi.
-Tu as saisi ? Toutes ces souffrances, ma chérie, commença-t-il avec cette voix doucereuse qu'il prenait lorsqu'il me racontait une histoire quand j'étais petite, Elles peuvent cesser. Il te suffit de presser la détente. Toutes ces voix dans ta tête, toute cette peine qui t'écrase et te contraint au silence, tout ça peut s'arrêter. Ce monde ne te mérite pas. Va rejoindre ta mère.
J'ai conscience que ces paroles étaient monstrueuses. Mon père me poussait au suicide, c'était délirant. Mais peut-être, n'avait-il pas tort ? Que me restait-il en ce monde? Je n'avais plus de vie, plus d'histoire, plus de nom. Tout ce qui faisait que j'étais moi se dissipait peu à peu, et j'avais beau tenter de le rattraper, c'était comme prendre du sable dans son poing, mon identité me filait entre les doigts.
Je n'ai jamais pensé, avec une vie pareille, ma maladie, le «meurtre» de mes parents, que je pourrais vivre pire. Et voilà aujourd'hui que j'étais confrontée à pire, j'était confrontée à trop, trop pour une seule personne. Je senti, inconsciemment, l'arme se poser contre ma tempe. Je ne rêvais pas, c'était bien ma main qui l'avait conduite ici, c'était bien ma main qui allait appuyer.
-Ça va aller, mon ange, m'encouragea David, Encore quelques instant et tout ira mieux. Tu seras libérée. Il te suffit d'appuyer et tout s'envolera, tu oublieras tout. Tu reverras ta mère, ton vrai père, ton Clyde Coal. Tu verras, ce sera si fac...
«Clyde Coal»
-Qu'est-ce que tu as dit ?! répliquai-je soudainement en stoppant mon geste, sortant de ma torpeur.
-Que ce serait facile, répondit-il doucement, impassible.
-Non, avant. Tu as dit «Clyde», tu as dit que je le retrouverais. Mais c'est faux. Clyde n'est pas mort.
Son sourire s'agrandit.
-Vraiment ? Peut-être était-il vivant ce matin dans notre ancien appartement, mais je doute, qu'à cette heure-ci, ce soit le cas. Tu croyais vraiment que j'allais laisser cet imbécile en vie alors qu'il me complique tant la mienne?
Je tremblai.
-Tu as envoyé des gens le tuer ?
-Oui, il est mort, Eleanor. C'est ton tour maintenant, appuie sur cette détente et termine cette histoire. Enterre les gènes des Rigby et votre putain de maladie, de malédiction. Finissons en une bonne fois pour toute.
Ces mots m'effleurèrent mais ces paroles ne m'atteignirent plus, parce que tout mon être bouillonnait de rage, parce que toutes les infimes forces qu'il me restait étaient tournées vers Clyde. Il était le seul qui avait cru en moi, le seul qui m'avait aimé, le seul qui m'avait tout donné sans concession : sa confiance, son corps, son coeur, son âme. Peut-être méritais-je, moi, de mourir, mais lui certainement pas. Personne ne méritait autant de vivre que lui.
Aucune peine ne demeurera jamais assez grande pour exprimer ma détresse à cet instant. Il fallait venger Clyde.
Je pointais, à nouveau, l'arme sur David alors qu'il faisait de même avec un pistolet accroché à sa ceinture.
- Tu auras probablement le temps de tirer mais j'en aurais le temps aussi, m'avertit-il, Ne complique pas tout ma chérie, cette histoire a causé assez de morts.
- Faute à qui ?
- Tu ne tireras pas, je suis ton père.
Phrase de trop.
- Non, tu as tort sur ces deux points. Tu n'est pas et tu ne seras jamais mon père .
Puis soudain, deux coup résonnèrent presque simultanément dans l'antre des Black's Angels.
***
Note de l'auteur :
Oui, oui, je vous le promets, cette histoire trouvera bien sa fin un jour (une fin qui n'est pas encore arrivée, il me reste quelques chapitres en poche).
Je tiens à sincèrement m'excusez pour cette absence -plus que prolongée. J'ai commencé des études de médecine, et même si j'adore ce que je fais, cela à eu pour conséquence de m'éloigner considérablement de l'écriture.
Mais je me dois d'offrir un vrai final à Clyde et Eleanor, et à vous également.
J'en profite pour vous encouragez pendant ces périodes de troubles. Restez chez vous et prenez soins les uns des autres.
Vous êtes mes héros,
Nina
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