30-Clyde

«Elle a tout rempli. Elle est la seule raison pour laquelle je suis en vie. Je comprend pourquoi j'ai affronté la neige, les embouteillages, le gel sur la route; pour me rappeler que tous les jours, je dois me reconstruire et, pour la première fois de toute mon existence, accepter que j'aime un être humain, plus que moi-même.»

-Paulo Coelho.


Je ne suis pas né pour être un chef.

On ne m'a jamais appris à l'être, je n'ai pas été élevé dans l'idée de devenir un dominant ou un tirant. Je n'y ai pas vu là une vocation potentielle, diriger n'avait strictement rien d'alléchant à mes yeux. Je n'aurais jamais cru qu'un jour, je devrais prendre les commandes.

Certains homme sont des conquérants, des dirigeants -comme un Alpha dans une meute de loup- c'est gravé dans leurs gènes, une empreinte indélébile dans leur corps. Moi, le pouvoir ne m'a jamais intéressé; gamin, je ne voulais pas être le chef de la bande de mioches qui jouaient dans mon quartier, je n'avais aucun intérêt à tout décider. J'avais le piano, cela me suffisait; j'aimais être seul, la musique était ma meilleure amie parce qu'elle me permettait de m'enfuir. Malgré Jared et Mickael, j'ai toujours été un enfant solitaire, un peu décalé, un peu étrange, je n'étais pas acteur de la réalité dans laquelle on a grandi, j'étais plutôt spectateur de ma propre vie.

Les gens aiment penser que je suis devenu le chef des Sinners pour l'attrait du pouvoir, le désir d'un contrôle absolu. Tout le monde à tort, je ne suis pas le dirigeant d'un gang pour ces raisons là, au même titre que je n'était pas commandant à l'armée dans l'idée de décider. Je ne me suis jamais battu pour le pouvoir, je me bats pour la liberté. La musique me rendait libre, l'armée rendait libre des innocents, diriger un gang -d'une manière différente que la plupart de ses monstres qui en dirigeaient- rendait la liberté à des gens. J'en ai rien à foutre de gouverner le monde, la seule chose que je veuille contrôler: c'est moi-même. Je veux avoir l'occasion de faire mes propres choix, décider par moi-même, sans oppositions, sans résistances.

Eleanor était ma décision. Certains disent que l'amour retire toute liberté de penser, de vivre selon ses propres volontés. Qu'ils aillent au Diable, mon unique volonté, c'est d'avoir le droit d'aimer la femme qui fait battre mon coeur.

Je me battrai toujours pour la liberté, il me semble que c'est une cause juste, la plus honnête qui soit.

Eleanor glissa la clé dans la serrure alors que je m'appuyais contre le mur du couloir en grimaçant; la douleur qui me tiraillait les côtes frôlait l'insupportable.

-Aller Clyde, encore un petit effort, m'informa-t-elle en faisant passer mon bras autour de ses épaules pour me soutenir alors que nous nous engouffrions dans les lieux.

L'appartement était petit, relativement vide à l'exception de quelques meubles restés ici et là et de cadres posés sur les étagères, abandonnés à leur triste sort. Une odeur de renfermé flottait dans la pièce, une effluve écoeurante à vous en soulever le coeur. Je remarquais que chaque coins de ce salon-cuisine semblait avoir été envahit par la poussière, cet endroit avait été, à l'évidence, laissé à l'abandon pendant des années.

Eleanor m'aida à m'asseoir sur une des trois chaises dépareillées avant de commencer à fouiller les placards. A ma plus grande surprise, elle ne sorti pas un kit de secours mais une bouteille de whisky et un verre, qu'elle remplit sans hésitation.

-Bois, indiqua-t-elle en le faisant glisser sur la table, dans ma direction, alors qu'elle s'éloignait pour rentrer dans une pièce adjacente.

Pendant que j'entendais l'eau couler, les événements me revenaient par vagues, violemment -dans le désordre- c'était incohérent et douloureux, comme quand on vient de se prendre un brusque coup sur la tête. Je me souvenais avoir été à terre, j'étais persuadé que j'allais mourir alors qu'on m'assénait des coups à la matraque, et puis la voix d'Eleanor a résonné, il y avait quelque chose d'étrange dans son intonation, une sorte d'impatience, une peur de ne pas y arriver à temps. Puis Richard Wilkins avait soudainement débarqué dans la cuisine, comme sorti de nul part, dès lors tout était devenu confus. Quelqu'un m'avait aidé à me relever et j'avais été entrainé dans les rues de New-York, le corps en sang, les vêtements en lambeaux, sous l'oeil habitué des locaux qui faisait semblant de ne rien voir. Tout ce que j'avais compris de cette intervention; c'est qu'Eleanor avait réussi à contacter Wilkins grâce à un téléphone qu'il lui avait donné le jour où il l'avait kidnappé.

-Jared, m'écriai-je alors qu'Eleanor revenait affublée de serviettes propres, d'un bol d'eau chaude et de désinfectant, Où est-ce qu'il est, est-ce qu'il... qu'il...

-Il va bien, Clyde. Calme-toi, m'intima-t-elle en découpant mon T-shirt pour constater l'importance de mes blessures, Je l'ai appelé. Ils sont allés chez sa mère avec quelques un des autres gars, et nous savons tout les deux qu'ils ne leur courrons pas après; ce n'est pas eux qu'ils cherchent.

Cette situation me tuait: ne pas savoir, ne pas avoir eu l'opportunité des les aider. La bataille avait explosé, j'avais perdu Eleanor et j'avais fait secrètement sortir une partie de mes hommes pour les mettre à l'abri. Mais beaucoup étaient morts ce soir, beaucoup y avaient laissé leur vie. Je n'étais pas un bon chef, si ça avait été le cas, j'aurais pu les sauver, les protéger: c'était mon rôle.

Mon regard se posa sur Eleanor qui me soignait avait un calme effroyable comme à son habitude, à glacer le sang. Dès le jour où j'avais posé mes yeux sur elle, j'avais saisi que cette gamine était bien plus courageuse, bien plus forte, que n'importe quel homme. Cette fille avait une âme de cheffe, elle savait diriger, contrairement à moi, elle connaissait les bonnes décisions.

-J'ai échoué, murmurai-je alors qu'elle stoppait son geste et reposait la serviette pleine de sang sur la table, Ils sont morts. Je n'ai pas pu les sauver.

-On ne peut pas sauver le monde, répondit-elle doucement, On peut seulement essaye, et rien ne nous assure qu'on réussira.

Je serrais les poings pour faire cesser les larmes qui menaçaient de s'enfuir.

-Tu as été blessé, Clyde, tu as le droit de pleurer, souffla-t-elle.

-Ça va aller, c'est superficiel.

-Je ne parlais pas de ces blessures-là, contra-t-elle en posant une main sur mon coeur, Tu vas avoir mal, et tu auras mal encore longtemps. Toi, mieux que personne sait à quel point il est difficile de se remettre de la perte de ceux qu'on aime.

Je laissais aller ma tête en arrière en soupirant. Elle se dirigea vers l'évier pour vider le bol plein de sang et nettoyer les serviettes.

-Où sommes-nous? demandais-je en me levant difficilement pour visiter la pièce, Ce n'est pas ton ancien studio, lui fis-je remarquer.

Elle se retourna pour s'adosser à la cuisinière en croisant les bras sur sa poitrine pour balayer la pièce du regard.

-Bienvenu dans l'appartement où j'ai grandi, je sais, ce n'est pas très grand. Après la mort de mes parents, j'en ai hérité et je ne me voyais pas rester, j'en étais incapable mais j'étais tout aussi incapable de le vendre. Ça fait deux ans que je n'y ai pas mis les pieds, j'avais oublié à quel point cet endroit me faisait penser à eux.

Mon regard s'arrêta sur une vielle photo encadrée et je me figeai. Je ne pouvais pas y croire, c'était purement et simplement impossible. Improbable.

-C'est...

-Incroyable, n'est ce pas? conclu-t-elle en fixant le cadre à son tour, On se ressemble beaucoup.

-Ce n'est pas ça... c'est... Au point que j'ai cru que c'était toi. J'ai du mal à croire que ce soit quelqu'un d'autre, tu es le portrait caché de ta mère.

Mes yeux se posèrent alors sur un vieux tourne-disque sur lequel trônait encore un vinyle couvert de poussière. Marchait-il encore? Le disque se mit à tourner alors que je mettais la première chanson. Une musique familière envahit la pièce pendant que je me tournais vers Eleanor en haussant un sourcil.

-Eleanor Rigby?

-Toujours, acquiesça-t-elle alors que la voix de John Lenon résonnait dans le vieil appartement.

Je me rapprochais d'elle pour lui saisir la main et l'attirer contre moi alors qu'elle éclatait de rire pendant que je la faisais tourner.

-Je croyais que tu détestais danser, répliqua-t-elle, rieuse.

-Je n'ai jamais dis ça.

-Si tu l'as dis, le soir de notre première danse, à cette fête que Jared avait organisé à la maison. Tu ne t'en souviens pas?

-Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, éludai-je en la maintenant contre moi, mes lèvres contre son front.

Nous ne dansions pas vite, je ne suis même pas sûre de pouvoir affirmer que c'était vraiment une danse, mais sentir mon corps contre le sien, sa peau contre la mienne, c'était une sensation galvanisante, de celles qui peuvent vous sauver dans les pires instants. Chaque mouvements étaient une torture pourtant, chaque gestes, plus douloureux que le précédent, rouvraient mes blessures, néanmoins je ne me serais séparé d'elle pour rien au monde.

On dansa longtemps, jusqu'à que ce que la musique s'arrête, jusqu'à ce que le disque cessé de tourner, et peut-être même après. Je restai serré contre elle une éternité, suffisamment pour être persuadé que j'étais bien là, que ce n'était pas qu'un simple rêve, que je n'étais pas mort dans cette cuisine quelques heures plutôt.

-Tu sais Clyde, déclara-t-elle en s'écartant de moi alors que je grognais, Même si je t'aime beaucoup, chéri, tu devrais aller prendre une douche, tu es couvert de sang.

-C'est un détail, la taquinais-je en prenant la direction de la salle de bain avant de m'arrêter, Eleanor, on est d'accord que l'eau sur mes blessures, ça ne va pas être une partie de plaisir?

Elle leva les yeux au ciel.

-Exagère-pas, moi ça m'a jamais fais mal, souligna-t-elle, moqueuse, en me faisant un clin d'oeil.

-Hilarant, Penn, Hilarant.

Elle me lança une serviette que j'attrapais au vol en éclatant de rire.

-Tu veux pas venir avec moi? Les douches à deux c'est plus écologiques, lui fis-je remarquer alors qu'elle ébauchait un sourire.

-C'est ça, j'y penserais, acquiesça-t-elle pendant que je me dirigeai vers la salle de bain en ricanant.

Les lieux étaient presque aussi sale que le séjour. J'allumai la douche pour faire fair dégager la poussière et demeurai surpris que l'eau soie chaude. Mon regard rencontra mon reflet dans le miroir sale sous l'ampoule grésillante de la pièce et je laissai échapper une exclamation de surprise. Eleanor ayant découpé mon t-shirt afin de soigner mes blessures, à torse nu, je pouvais constater les dégâts occasionnés par les Black's Angels. Je n'étais pas beau à voir: mes côtes tournaient au violets, presque noirs, mon oeil droite connaissait le même sort et et ma lèvre inférieur était quasiment détruite. Je retirai mon bas et rentrai dans la douche en serrant les dents, l'eau qui coulait sur mes blessures se révéla cependant moins douloureuse que ce à quoi je m'étais attendu. J'étais épuisé, j'avais mal et j'étais terriblement inquiet pour mes gars, néanmoins je savais que ça irait pour eux, ils se débrouilleraient, ils l'avaient toujours fait, même bien avant mon arrivée. Soudain, j'entendis quelqu'un tirer le rideau et des mains passèrent autour de ma taille pour m'encercler.

-J'ai toujours été écolo dans le fond, me souffla Eleanor dans l'oreille en se mettant sur la pointe des pieds, sa poitrine collée à mon dos.

-T'as raison, l'environnement c'est très important, acquiesçais-je en me retournant.

-Très très important, ajouta-t-elle alors que ses yeux rencontraient les miens.

Elle me lança un sourire amusé, l'air assuré, et n'en pouvant plus, je fondais sur ses lèvres. Attrapant ses mains pour les ramener au dessus de sa tête, je la collais contre le carrelage mouillé et je plaquais mon corps au sien. Le contact de nos deux corps nus m'enflamma, malgré l'eau qui avait tourné au froid, pendant que je faisais glisser mes lèvres sur son cou. Elle ne se laissa pas faire longtemps, arrachant violemment ses poignets que je maintenais fermement, elle promena ses mains sur mon torse avant de m'enlacer et de passer ses jambes autour de ma taille.

-Pas dans la douche, articulai-je difficilement en resserrant notre étreinte.

Eleanor dans les bras, je quittai la salle de bain à la recherche d'une chambre.

-Première porte à droite, indiqua-t-elle, l'air pressé.

Je donnai un coup de pied dans la porte qui céda et, sans prêter attention à ce qui m'entourais, la déposai sur le lit avant de m'allonger sur elle. Mes mains parcouraient sa peau alors que nos corps s'entremêlaient.

-Tu me rend fou, murmurai-je alors qu'elle cherchait mes lèvres pendant que je parcourais sa clavicule puis sa poitrine.

Ce n'était, grand Dieu, pas la première fois que je couchais avec quelqu'un, elle non plus, mais cette fois là, c'était différent. Je ne veux pas paraître con ou avoir l'air niais en disant ça, mais c'était véritablement divergent: c'était comme de le faire pour la première fois.

Je me suis souvent demandé ce qui serait arrivé si la vie nous avait épargnée: si Eleanor n'avait pas été malade, si j'avais eu une vraie bonne famille, si nous avions tout deux été normales, nous serions-nous tout de même rencontrés, et surtout, serions-nous également tombés amoureux? Ça m'effraie de le constater, mais ce sont nos peines qui nous ont rassemblés; c'est la souffrance qui rapproche les gens. Alors dans un autre cadre, si on avait eu une vie indéniablement banal, sans ce passé si encombrant, à l'université ou dans un café de quartier, est-ce que je l'aurais aimé?

Cette nuit-là, dans ses bras, j'ai fini pas comprendre: ça n'a aucune importance. Car la vie est ainsi, si je pouvais tout recommencer, qui sait, peut-être que je le ferais, mais on ne peut pas revenir en arrière, ce n'est pas le cas, on n'échappe pas à son destin. Je suis tombé fou amoureux de cette femme parce que la vie a fait ce que je suis, tout comme j'aime celle qu'elle est, pas ce qu'elle aurait pu être.

-Je t'aime, souffla-t-elle en soupirant, les yeux clos, le visage concentré.

-Eleanor, lui répondis-je en attrapant la tête de lit pour me maintenir pendant qu'elle serrait les draps entre ses poings, Je t'aime.

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