25-Eleanor
«Je pense qu'un de ces jours, il va falloir que tu découvres où tu veux aller. Et alors, il faudra que tu prennes cette direction. Immédiatement. Tu ne peux pas te permettre de perde une minute. Pas toi.»
-J.D. Salinger.
Est-ce un risque que je devrais prendre?
Et si nous deux ça échouait, si il me laissait, survivrai-je, sans lui, dans ma vie?
Je ne peux pas m'abandonner, corps et âme, à quelqu'un avec cette épée de Damocles, au-dessus de la tête. Je ne peux pas tout donner à la personne que j'aime, en craignant qu'il s'en aille.
Depuis que je l'ai rencontré, il m'obnubile, c'est comme une obsession, une pensée qu'on ne peut s'arracher de la tête. Je m'adapte en fonction des ses horaires, afin de le croiser au petit-déjeuner, quand quelque chose me fait rire, il est le premier que je regarde, pour seule raison de le voir s'esclaffer également, si on me demandait de parler de moi, je l'évoquerais forcément lui.
J'aime ce garçon, rien de m'y destinait pourtant, c'est juste arrivé, comme ça. Il a débarqué dans ma vie, comme si quelqu'un avait enfoncé une porte, et tout est devenu aussi évident qu'effrayant. C'est comme quand quelque chose te frappe, et que tout devient brusquement clair, les doutes s'envolent, le chemin semble tout tracé, les destinations à suivre sautent aux yeux.
Il était mon évidence, ma révélation.
Assise sur le tabouret, toujours devant le piano à queue, je regardais autour de moi, perdue. Clyde était partit quelques minutes auparavant, rejoindre Ed, et j'étais restée là, l'air hagard, le regard quelque part dans le vague. Portant ma main à mon visage, je caressais mes lèvres du bout des doigts en frissonnant. Je n'étais pas réellement persuadée que la scène qui s'était produite, quelques instants plus tôt, dans la pièce, soit une bonne idée. Actuellement, je n'étais sûre de rien.
-Donc, ça y'est, lança brusquement une voix alors que je sursautais, Vous avez enfin conclu?
Jared, appuyé contre l'embrasure de la porte, affichait un sourire narquois.
-Disons simplement, que ça aurait pu se produire, si un crétin ne nous avait pas interrompu, commentai-je sarcastiquement en haussant les épaules alors qu'il étouffait un rire.
-Si j'avais su, je vous aurais laissé cinq minutes de plus, rétorqua-t-il en venant s'asseoir à coté de moi, faisant face à l'instrument.
Il posa brièvement ses mains sur le clavier, reproduisant maladroitement la mélodie de «Au clair de la lune».
-Ça a toujours été Coal l'artiste. Il était le meilleur, à chaque fois, commença-t-il doucement sans cesser de jouer la comptine au piano, Il a toujours été doué partout, dans chaque domaine qu'il entreprenait, c'était ainsi, une routine. Il n'a jamais rien fait pour, il ne passait pas des heures à s'exercer, chez lui c'était naturel, inné -et ça n'en était que d'autant plus rageant. Le piano, la boxe, l'école, il réussissait à saisir ce que les autres ne voyaient pas, ce qui le rendait meilleur, unique en son genre. Même en temps que chef de gang, il brille, et pourtant, ça se voit comme le nez au milieu du visage, qu'il n'a pas sa place ici, il est trop bon pour cela. C'est quelqu'un de bien, sa place est ailleurs.
J'avais remarqué, et ce depuis un bout de temps, que Jared et Clyde avaient une façon étrange de se comporter l'un avec l'autre. Ils entretenaient une de ses relations particulièrement intimes, de celles qu'on rencontre rarement et dont on ne peut véritablement saisir la profondeur des liens, mêlant un respect sans-égal et une amitiés hors-norme. Ensemble, ils avaient formé une famille, un peu à leur manière, ils étaient des frères l'un pour l'autre.
-Et toi, Jared, alors, demandai-je en caressant une des touches d'ivoires, Si la place de Clyde est ailleurs, où est la tienne?
Il tourna la tête dans ma direction, les yeux écarquillés, surpris par ma demande.
-Si tu souhaites vraiment le savoir, répondit-il, la voix étonnement grave, Ma place n'existe plus. J'en ai eu une, un jour, et on me l'a retiré. Vois-tu, Eleanor, il arrive parfois, si tu as de la chance, que l'endroit où tu dois être ne soit pas un lieu, mais une personne. Dès lors, ton monde se met à tourner autour d'elle, il n'y a plus qu'elle, c'est ton air pour respirer, ton coeur pour battre, ton sourire pour être heureux.
Il cessa de parler, et posant ses deux mains sur le clavier, il entreprit de jouer une douce mélodie inconnue, qu'il semblait maîtriser à la perfection.
-J'ai eu la chance d'aimer comme ça, reprit-il ensuite, Aimer plus que tout, aimer à mourir. Elle s'appelait Elena.
Je fronçais les sourcils alors qu'il continuait de jouer, les yeux fermés.
-Je n'aurais jamais cru que...
-Que moi, je pouvais avoir été amoureux, ou plus étonnant encore, que je puisse être constamment malheureux. Eh oui, même le gars drôle, au bout de la table, qui semble aussi stupide qu'arrogant et coureur de jupon, a son histoire. Tout le monde a une histoire.
Il accéléra la cadence, semblant se laisser porter par la musique.
-Elle te ressemblait beaucoup, c'est la première chose que j'ai pensé en te voyant, c'est la première chose que je pense, à chaque fois, que je te vois, précisa-t-il en relevant les yeux pour me regarder brièvement, Elena, Eleanor, même vos prénoms étaient ridiculement proches.
-Comment était-elle? demandai-je prudemment.
-Elle était le genre de fille dont on tombe amoureux, c'est assez indescriptible, mais elle avait quelque chose dans le regard de transcendant, quelque chose qui donne envie d'en savoir plus. Drôle, insolente, elle avait, au même titre que toi, un certain mépris pour le règlement, rigola-t-il doucement, Je suis persuadé que tu l'aurais beaucoup apprécié, vous auriez été de grandes amies.
Me laissant envahir par la musique que Jared jouait, je fermais les yeux.
-C'est un jeudi que tout a basculé, reprit-il dans un murmure, C'est étrange, je m'en souviens comme si c'était hier. On avait rendez-vous au parc, mais elle n'est jamais venue. Je l'ai attendue des heures sur ce banc, si tu savais, le même où quatre ans plutôt, je l'avais rencontré. Je la revois encore, elle, lisant «l'attrape coeur» de J.D Salinger, et moi la draguant avec la pire phrase bateau au monde, et pour une raison qui m'est encore obscure aujourd'hui, cela a fonctionné. Mais dés ce jour-là, elle n'a plus jamais lu. J'ai reçu un appel, si tu savais à quel point j'étais en colère qu'elle m'ait foutu un lapin, c'était Clyde, il l'avait trouvé inconsciente dans les escaliers, prise de spasmes. Les médecin ont d'abord pensé à une crise d'épilepsie, ils se trompaient, mais ça aurait été préférable. Tumeur au cerveau, c'était trop tard pour faire quoi que ce soit, excepté souhaiter qu'elle meurt au plus vite pour ne pas ressentir les sensations de son corps se dégradant. J'ai passé des mois à l'hôpital, j'ai passé des mois à la voir crever à petit feu, à lui tenir la main en promettant que tout irait bien. Tu sais ce que c'est que de voir la personne qu'on aime le plus au monde s'éteindre, jour après jour, en sachant pertinemment quand ne peut rien y faire? C'est quelque chose que je ne souhaite à personne, pas même à mon pire ennemi, il n'y a pas de terme pour ce genre de douleur.
Une larme se fraya une chemin sur son visage, le long de sa joue, avant de venir s'écraser sur les touches dans un impact silencieux.
-« Que vais-je faire maintenant que tu es partie? Tu m'as laissé la terre entière, mais la terre entière, sans toi, c'est petit.», cita-t-il de tête avant de reprendre, Ecoute bien ce que je vais te dire Eleanor, je ne le répéterais pas. On croit toujours qu'on a du temps, du temps pour vivre, du temps pour aimer, du temps pour aller mieux. C'est une connerie. Je sais que tu en as conscience, toi plus que tout autre, mais alors, et je t'en supplie, ne le gaspille pas inutilement. Tu rêves de vengeances, il n'y a que cela qui compte, mais venger tes parents ne les ramènera pas, tu n'iras pas mieux pour autant, ça ne comblera pas le vide de l'absence. Clyde est là, et il t'aime, et il te suivrait probablement au bout du monde si tu le lui demandais, mais rien n'assure qu'il le sera toujours demain. Il faut que tu décides quelle direction tu veux prendre, sans perdre une minute, il faut que tu prennes une résolution et que tu t'y tienne. Le temps passe, conclu-t-il en posant une main compatissante sur mon épaule.
Puis il se leva, et quitta silencieusement la pièce, alors que je le regardais s'en aller.
Enfouissant ma tête dans mes mains, je soupirais longuement, désemparée. Je m'éloignais, par la suite, de l'instrument qui occupait une grande partie de la pièce, et déambulais lentement dans le couloir, jusqu'à ma chambre. Mes doigts se crispèrent sur la poignée alors que j'ouvrais la porte et découvrais la vision qui s'offrait à moi.
Clyde, le visage peigné d'horreur, était appuyé sur un vieux meuble en bois, les lettres de Monsieur D. entre les mains.
***
J'aimerais ce soir, et je sais que je ne le fais pas souvent, vous adresser à tous un immense merci pour votre soutien. Je n'y arriverais pas sans vous.
J'en profite, également, pour vous demandez qu'elles sont vos pronostiques concernant l'identité de Monsieur D.?
Merci pour tout.
Vous êtes mes héros.
Nina Quartenoud.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top