24-Clyde
«Mon père m'a donné un coeur, mais vous l'avez fait battre.»
-Honoré de Balzac.
Et si son regard sur moi changeait?
Elle devra savoir, un jour, elle finira forcément par l'apprendre, d'une manière ou d'une autre. Les secrets sont éphémères, ils permettent de substituer un peu plus longtemps, d'entretenir une relation, vouée à l'échec. Mais ce n'est pas un moyen d'aller mieux, de survivre peut-être, de guérir non. Je ne veux pas tout avouer, devoir tout lui raconter serait monstrueux, mais lui mentir serait meurtrier.
Elle est devenue mon essentiel, la première personne que j'espère croiser le matin, la dernière que j'aimerais embrasser, avant de tomber dans les bras de Morphée. Je ne sais pas pourquoi, vivre sans elle me paraîtrait si insupportable, je ne comprends pas pourquoi, quand je m'éloigne j'ai l'impression d'étouffer. Ma mère croyait à ce genre d'amour, celui avec un grand A, qui vous capture et vous rend prisonnier, dépendant, qui vous arrache le coeur et vous empêche de respirer. Je pensais ne jamais aimer ainsi, aimer quelqu'un suffisamment, pour sacrifier sa vie et son sang, pour tout donner, son être, son corps, son coeur.
J'ai fini par comprendre, cependant, quoi qu'il arrive, on finira ensemble, même si ce n'est pas pour l'instant, ou tout de suite. Dans de rares moments, tout devient brusquement clair, et on sait, c'est comme une évidence, une révélation, peut-être qu'il y aura d'autres gens, et des souffrances avant cela, et des pleurs, mais le moments venu, ce sera elle, ça a toujours été elle.
Eleanor arrêta sa moto devant la maison, dans un freinage brusque. Je l'attirai vers moi, l'entrainant dans la maison, sans même lui laisser le temps de retirer son casque. Les escaliers gravi en quelques secondes, je cessais ma course, devant une porte, et arrachais les clés de ma poche.
-Qu'est ce qu'il y a, là-dedans, Clyde, m'interrogea-t-elle, d'une voix affreusement calme alors que ses muscles se tendaient.
-Une partie de ma vie, déclarai-je en ouvrant la pièce alors qu'elle écarquillait les yeux.
-Mon dieu, souffla-t-elle en faisant un pas dans la chambre, Il est magnifique, conclu-t-elle en effleurant les touches noires et blanches.
Je lui pris doucement la main et l'incitais à s'asseoir sur le banc, à mes cotés, face à l'instrument. Puis, fermant les yeux, je posais mes mains sur le clavier, frissonnant de plaisir en sentant le contact du marbre froid contre mes doigts. C'était comme de rentrer chez soi après une très longue absence, comme si je n'avais jamais arrêté. J'entreprenais alors de jouer, mes doigts caressant les touches dans un rythme entrainant. La mélodie de la chanson Eleanor Rigby se fit entendre, à mesure que mes mains parcourait le piano. Eleanor écarquilla les yeux en me fixant, puis commença à chanter. Sa voix portant la musique comme si cette chanson avait été écrite pour elle, comme si elle ne lui devait pas seulement son nom, mais également sa vie.
A mesure que les paroles s'accordaient au rythme, je sentais son corps se détendre contre le mien, mon coeur battant à tout rompre, jusqu'à la dernière note.
Nous restâmes, ainsi, dans le silence, savourant le souvenir de la musique qui avait précédemment illuminé la pièce.
-Mon père m'a toujours frappé, et quand ce n'était pas des coups, c'était bien pire, déclarai-je subitement, brisant le calme, Il n'était pas souvent à la maison, il disparaissait des mois entiers parfois, mais c'était mieux ainsi, crois-moi. Ma mère n'a jamais pu échapper à son emprise, elle l'aimait, elle en était raide dingue, elle n'arrivait pas à comprendre, même quand il l'étranglait si fort qu'elle manquait de mourir. Son amour comptait plus à ses yeux, que sa propre vie, et la mienne aussi, à l'évidence. C'est elle qui m'a appris à jouer du piano, c'est ce qui m'a permis de ne pas perdre pied. J'aimais ça plus que tout, c'était ma raison de vivre, d'exister. J'ai grandi dans un quartier pauvre où il est difficile de s'en sortir, la musique m'offrait un échappatoire, une passion et surtout, un avenir. J'ai été accepté à Juilliard, à seize ans, c'était une chance incroyable, une bourse d'étude pour un gamin qui n'avait rien, ça représentait tout. Mais c'était, également trop dangereux, je savais déjà me battre, mais face à mon père, c'était impossible. Il aurait refusé que j'aie dans une université, et Juilliard est à New-York, c'est trop proche, ça ne me permettait pas de fuir, encore moins de me protéger. Alors, je suis parti dans une école militaire, ma mère m'a aidé, c'était l'unique moyen d'assurer ma sécurité. A dix-huit ans, je me suis officiellement engagé dans l'armée, je suis parti à la guerre, j'ai vu des gens crever, j'en ai tué certains, j'ai cru mourir, moi aussi. Je suis devenu un autre homme, plus fort, et pour la première fois, je n'ai plus eu peur de mon père. J'avais trouvé ma place, servir mon pays était mon nouvel échappatoire, ce n'était pas le piano, bien-sûr, mais ça m'a permit de guérir une partie de mon âme, ça m'a permit d'aller mieux. Et puis à vingt ans, tout a basculé, j'ai pris une balle, en Irak, en plein coeur. J'ai failli mourir... Je suis mort, deux fois, sur la table d'opération, mon coeur a cessé de battre. Ils ont pu me sauver, mais j'ai été déclaré inapte à retourner au combat. Ça m'a détruit, ça à laissé de nouvelle cicatrices, et pas uniquement physiques. C'est en rentrant que j'ai revu Jared, il parlait d'un nouveau gang, il voulait un chef et il pensait que ça pourrait être moi. Voilà comment je suis arrivé ici. Il faut que tu saches, Eleanor, que tu te rendes bien compte, que j'ai fait des choses monstrueuses, terrifiantes, certaines que je n'ai jamais racontées, d'autres qui resteront des blessures ouvertes, à jamais. Tu es persuadé que je suis quelqu'un de bien, je n'en crois rien. J'ai tué de sang-froid, et ça ne m'a pas empêché de dormir la nuit, je suis un meurtrier. Certains excusent mes actes par mon passé, c'est des conneries, ou peut-être pas... J'ai réellement essayé de m'en sortir, j'ai quitté ma vie pour l'armée, afin de ne pas devenir un monstre, de ne pas devenir comme mon père, et c'est exactement ce que je suis.
La jeune fille, à ma droite, n'avait pas cillée une seule fois depuis mes révélations, se refusant, peut-être, à interrompre ma longue tirades et mes lamentations. Je lui en était, éternellement, reconnaissant pour cela. Je n'aurais pas eu la force de recommencer, si elle m'avait coupé.
-Eleanor, commençai-je en lui prenant la main, plongeant mon regard dans le sien, Je ne sais pas si un jour, je pourrais tout te dire, tout te raconter, sans craindre que ton regard sur moi change: t'avouer mes crimes, te raconter ce qui est arrivé à ma mère, pourquoi j'ai l'air d'en vouloir au monde entier, pourquoi à ce point. Mais, et c'est une promesse, je te fais confiance, je crois, sincèrement, et profondément en toi, plus qu'en personne d'autre.
Eleanor me dévisageait, impassible, le visage fermé par ma déclaration, puis soudainement, elle attrapa le col de ma chemise et m'attira vers elle, ses lèvres se plaquant durement contre les miennes. La surprise me frappa de plein fouet, alors qu'elle en profitait en forçant l'entrée de ma bouche avec sa langue. Je la laissais faire, effaré, avant de reprendre le contrôle, la serrant d'avantage contre moi, lui mordillant la lèvre. C'était sensuel, étrangement normal, aussi naturel que de respirer, mais également intense, incroyablement frustrant. Je me levais, sans me séparer de sa bouche, alors qu'elle s'accrochait à moi en nouant ses jambes autour de ma taille pendant que je la plaquais brusquement contre la porte close. Ses mains exploraient mon corps, par-dessus le fin tissus de la chemise, s'attardant dans mon dos, à l'emplacement exacte où se situait mon tatouage.
-Coal, cria une voix de l'autre coté de la porte alors que nous nous figions subitement.
-Qu'est ce qu'il y a de si important, Jared, soufflai-je, agacé, en arrachant mes lèvres à celles de mon amante.
-Ed a un problème, il te demande, m'informa-t-il alors que je laissais aller ma tête contre la porte, à quelques centimètres du visage d'Eleanor.
Je soupirais.
-J'arrive, conclus-je avant de planter mes yeux dans ceux de la jeune femme que je serrais encore contre moi, Pourquoi faut-il toujours que l'on soit interrompu?
-On se cachera mieux, la prochaine fois, proposa-t-elle en laissant échapper un petit rire.
Je déposais un chaste baiser sur ses lèvres en souriant doucement.
-Ça, tu peux compter sur moi, m'exclamai-je en lui faisant un clin d'oeil, Je trouverai un endroit où personne ne t'entendra crier.
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