18-Clyde

«Se retirer n'est pas fuir.»

-Miguel de Cervantès.

J'ai fui toute mon existence. Je n'ai jamais arrêter.

J'ai fui ma vie pour l'école militaire. J'ai abandonné la musique parce que le risque était trop important, même pour moi. J'ai quitté l'armée pour une connerie de blessure. Et je n'ai jamais cessé de me cacher de mon père.

J'ai toujours voulu donner l'illusion que tout allait bien, que j'étais quelqu'un de fort et de persévérant. J'ai répété à qui voulait l'entendre qu'abandonner n'était pas une option. J'ai prétendu si longtemps être quelqu'un d'autre que moi-même, que j'ai presque réussi à m'en persuader. J'ai lutté toute ma vie contre ma vraie nature parce que être qui je suis était trop dangereux.

Mais c'est juste un putain de mensonge.

Parce que tard le soir je pleure sous la douche, parce que quand j'entends des notes de piano mon coeur se tord et que quand je vois un homme crier sur un enfant, j'ai envie de le tuer. Fuir ne m'a jamais aidé à guérir mes blessures. Peut-être que si j'avais fais les choses différemment, si j'avais affronté la vérité en face, on aurait pu me soigner. Mais chez moi, les plaies ont juste cicatrisées comme elles le pouvaient, et depuis j'ai des marques qui me rappellent que je ne pourrais pas éternellement cacher qui je suis.

Je ne suis pas Clyde Coal, ce boxeur au talent émérite, ce criminel froid et ambitieux, cet homme charismatique et persuasif. J'ai toujours berné les gens car au fond je reste ce gamin qui était terrifié de ce qui pouvait arriver tard le soir dans sa chambre si son père y entrait.

Fuir ne m'a pas sauvé. Partir ne m'a pas aidé à survivre. Peu importe où vous allez, votre passé vous suivra, on ne peut pas se débarrasser de ce qui est gravé dans notre sang, dans nos gênes.

Je plaçais mes mains autour de ma tasse de thé afin de les réchauffer avant de relever la tête vers Jared.

-J'ai déconné, soufflai-je , décontenancé, comme si je venais seulement de m'en rendre compte.

Il afficha un pauvre sourire à mon adresse alors que Maria, sa mère, rentrait dans la salle à manger avec un plateau de biscuit. 

L'appartement dans lequel je me trouvais, je le connaissais par coeur pour y avoir pratiquement grandi. Situé dans un vieil immeuble sale, miteux et sombre dont la réputation laissait à désirer, Maria avait, malgré tout, tenté d'apporter aux lieux un peu de couleurs en repeignant vainement les murs et en décorant les pièces de lanterne en papier craipons et de photo de magasine. Enfant, je passais mon temps chez eux, c'était le meilleur moyen d'assurer ma protection.

-Bien-sûr que tu as déconné mon coeur, répondit la femme en me tendant un biscuit en forme de citrouille, Tu es un homme.

Maria était une femme forte et indépendante, vivant avec les principes inculqués par ses origines mexicaines. C'était quelqu'un d'aussi sévère que profondément bon, ses conseils étaient toujours sages et réfléchis. Après la mort de son mari, elle avait du se battre pour élever seule les jumeaux dans un quartier où l'éducation était inexistante. Je l'admirais profondément pour tout ce qu'elle avait fait. Et je lui devais également beaucoup, cette femme avait été mon foyer, elle m'avait assurément sauvé la vie.

-Mais alors qu'est ce que je dois faire? m'écriai-je en passant ma main sur mon front, perdu.

-Pourquoi l'as-tu embrassée? me questionna-t-elle en ignorant ma question.

-Parce que Jared m'a dit de le faire.

Elle éclata de rire en repoussant sa longue tresse noire qui virait au gris derrière son épaule.

-Et depuis quand suivre les conseils de mon fils semble être une bonne idée? souligna-t-elle alors que ce dernier protestait jusqu'à ce que sa mère ne recouvre son sérieux.

-Mais quelle est la vraie raison de se baiser? continua-t-elle.

Je méditais sur son interrogation quelques instant en tapant distraitement mes doigts à rythme régulier sur la tasse.

-Je ne sais pas, conclu-je, Quand je l'ai vu, quand j'ai compris qu'elle était saine et sauve, ça a semblé être instinctif. Tu sais, comme quand le héros embrasse la fille à la fin du film... Ça semblait être une évidence.

Un sourire se dessina progressivement sur ses lèvres.

-Une évidence..., répéta-t-elle, Et bien, tu as ta réponse mon coeur.

-Je ne suis pas sûre de pouvoir me contenter de cette réponse, je ne suis pas sûre de pouvoir l'accepter.

Maria prit mes mains entre les siennes. Elles étaient chaudes, douces, rassurantes, comme elles l'avaient toujours étés. C'était affreusement sécurisant de savoir que certaines choses ne changeraient jamais.

-Mon petit Clyde, commença-t-elle doucement, Même si je ne suis plus sûre de pouvoir t'appeler ainsi car tu as sacrement grandi depuis le temps où tu passais ton temps à te bagarrer avec les jumeaux. Je te connais depuis toujours et je sais que tu as passé ta vie à refouler tes sentiments. Personne ne peut t'en vouloir, tu l'as fait pour te protéger. Tu devais survivre et c'est le seul moyen que tu as trouvé. Mais tu dois comprendre, l'amour n'est pas quelque chose de monstrueux. Ô grand jamais je ne dirais que c'est parfait, ça ne l'a pas été pour tes parents. Mais les gens ne font pas toujours le mal et aimer ne détruit pas toujours. Tu n'es pas ton père et cette fille n'est pas ta mère, si tu l'aimes, et d'après ce que Jared m'a dit c'est le cas. Tu dois vous donner une chance à tout les deux, ou tu ne pourras jamais aller mieux. 

-Et maintenant, raconte moi, comment est-elle, s'exclama-t-elle, soudainement excitée.

-Elle a un super c..., intervint Jared quand sa mère l'interrompit d'un signe de la main.

-Je ne parlais pas de son physique, rajouta Maria en intimant à son fils de se taire d'un regard alors que j'esquissais un rire.

-Elle est drôle et forte. C'est le genre de personne trop obstinée pour abandonner même si elle devait en mourir. Elle est aussi incroyablement inconsciente -même si je ne peux pas le lui reprocher car c'est lié à sa maladie. Elle est insolente et autoritaire, débordante d'énergie, pragmatique, organisée... Presque machiavélique dans ses idées. Elle est persuadée d'être quelqu'un de mauvais, mais je crois qu'elle a tort, je crois qu'elle préfère le penser, c'est plus simple de se prétendre le méchant de l'histoire. Mais tu sais, ce n'est encore qu'une enfant. Elle est douce aussi, même si c'est bien caché, elle est naturelle et authentique, honnête... Et très belle. Elle chante incroyablement bien, sa voix est cristalline. Mais surtout, elle est elle-même et c'est ce que j'aime par dessus tout, quand je suis avec elle, j'ai l'impression d'aller mieux, conclu-je avant de relever les yeux vers le deux personnes présentes, Et je crois que je me suis sacrement emporté.

-Comment peux-tu douter de tes sentiments pour elle après ce que tu viens de nous dire, lança Jared les yeux écarquillés.

Maria me fixait également, attendant une réponse de ma part.

-J'ai peur de lui faire du mal. Voilà ce qui me retient, murmurai-je

-Problème réglé alors, s'écria mon meilleur ami en me faisant un clin d'oeil, Elle n'a pas mal.

-Putain, ta gueule Jared, m'énervai-je.

-Ton vocabulaire, jeune homme, s'interposa Maria en me lançant un regard sévère avant de se tourner vers son fils, Et toi? Crois tu vraiment que tes remarques nous sont utiles? Maintenant, pourquoi crains-tu de lui faire du mal?

Je baissais la tête.

-J'ai vu mon père blesser ma mère. J'ai vu ce qu'il lui a fait, il nous a détruit. Si je venais à lui faire du mal moi aussi, si elle se retrouvait dans la même...

-Je t'interdis de dire ça Clyde Coal, me coupa soudainement Jared, Hors de lui, Tu n'es pas ton père, tu n'es pas lui, tu ne le seras jamais. Il ne t'a pas détruit, il n'a pas réussi et, nom de dieu, tu n'es pas un monstre. Tu ne la toucheras jamais, on le sait tous. De toute façon, même si ça arrivait, avant que t'aie le temps d'essayer elle t'aurait déjà cassé les rotules.

Je riais doucement alors que Maria nous couvait d'un regard bienveillant.

-Ah les enfants vous m'avez manqué, nous souffla-t-elle, Jared tu devrais rendre visite à ta vielle mère plus souvent.

-Maman, on vient tout les dimanches, répondit le concerné en levant les yeux au ciel.

Elle soupira.

-C'est vrai, acquiesça-t-elle, Mais la prochaine fois, amenez-moi cette petite Eleanor que je l'a rencontre. Et dîtes à votre copain Edward de venir également, il est si charmant.

J'éclatais de rire suivit de près par Jared.

-Maman, je t'ai déjà dit que Ed n'était pas le diminutif d'Edward.

Maria chassa sa réprimande d'un geste de la main avant de demander à son fils de jeter un coup d'oeil à l'ampoule de la salle de bain qui semblait lui donner du fil à retordre.

-J'ai vu ta mère hier, me chuchota-t-elle alors que mon ami s'éloignait.

La tasse se mit à trembler entre mes mains.

-Je te remercie de lui tenir compagnie, de ne pas l'abandonner, soufflai-je, J'essaie de la voir le plus souvent possible mais...

-Mais c'est compliqué.

-Mais ça fait surtout trop mal.

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