16-Clyde

«Un homme, ça peut être détruit, mais pas vaincu.»

-Ernest Hemingway.

On guérit de tout. Même quand nous croyons pouvoir guérir de rien.

Je l'ai appris en grandissant, je l'ai appris malgré moi, à mes dépends.

Je vous jure que des fois, j'étais persuadé que j'allais mourir, je vous assure qu'il m'est arrivé de penser que les coups ne cesseraient jamais, qu'il n'arrêterait de frapper qu'après que les battements de mon coeur se soient suspendus. Et pourtant, je m'en remettais toujours, à chaque fois, les plaies guérissaient, les coupures cicatrisaient, la douleur s'en allait, pour un temps du moins.

Je vous fais la promesse, de tout mon coeur, de toute mon âme, de tout mon être, que je hais mon père. Non, c'est faux, ce n'est même pas de la haine, ça va au delà. C'est un sentiment indescriptible, inimaginable, j'ai bien peur qu'en pensant à lui je me transforme en monstre à mon tour. Je ne peux même pas m'autoriser à songer à cet homme après tout ce qu'il a fait, à ma mère et à moi.

Le pardon n'est pas envisageable.

Cependant, je dois reconnaître qu'il m'a appris une chose. Il m'a fait comprendre qu'on peut survivre à tout, que rien n'est mortel. Quand je vois tous ce que j'ai enduré, je me demande parfois comment je peux être encore en vie aujourd'hui, quelle intervention divine m'a sauvée?

Je me suis toujours dit qu'après ce que j'avais traversé, je pourrais tout surmonter. Aucunes montagnes ne seraient trop hautes, aucuns océans ne seraient trop profonds, aucunes étoiles ne seraient trop lointaines.

Mais c'est faux.

Parce que je ne peux pas.

Je ne peux pas m'imaginer continuer si un jour elle n'est plus là.

Je ne survivrai pas si je dois vivre sans elle. Parce qu'elle est devenue ma drogue et que je suis irrévocablement dépendant de sa présence. Ce qui est totalement con car j'ai toujours pensé que l'amour était un concept très surfait, que c'était la pire des faiblesses. Ma mère aimait mon père, c'est ce qui a causé sa perte.

Et aujourd'hui, j'ai peur, je commence à avoir peur.

Parce que j'ai fini par comprendre que je ne suis plus tout seul et c'est un sentiment terriblement effrayant.

Je n'ai jamais été deux auparavant.

Marchant rapidement, je tournais en rond dans la cuisine depuis plusieurs heures. Les poings serrés, mes ongles enfoncés dans la paume de ma main jusqu'au sang, je me retenais de crier.

-Coal, tu me donnes le tournis, commenta Jared en éloignant le combiné du téléphone de sa bouche pour me parler.

Je lui jetai un regard haineux lui intimant de se taire alors qu'il reprenait sa conversation en levant les épaules.

-C'est pas possible, c'est pas possible, c'est pas possible, m'écriai-je en prenant ma tête entre mes mains, ayant la sombre impression que cette dernière allait exploser.

-Coal, commença timidement H en relavant la tête de ses écrans, Calme-toi, on va la retrouver.

-La retrouver? La retrouver! explosais-je alors que tout les gars cessaient leur recherches pour me fixer, Ça va faire cinq heures, tu sais ce qu'il peut arriver en cinq heures? Tu sais ce que je pourrais te faire en cinq heures?

Tout le monde se tut, excepté Jared qui continuait sa conversation téléphonique en espagnole, à voix basse.

-Ce sont les Red Storms, annonça-t-il soudainement en raccrochant.

Je fronçais les sourcils en attendant la suite de ses explications.

-Je parlais avec Mason, mon pote chez  les Red. Il m'a annoncé qu'il avait entendu dire qu'on devait enlever la nana de Coal aujourd'hui. Mais il savait que les grandes lignes, ce n'étais pas sa mission.

Je restais quelques instants incrédule devant ces révélation. Pourquoi diable les Red Storms seraient-ils impliqué dans l'enlèvement  d'Eleanor? Où pouvait bien être leur interêt là-dedans.

-Appeler immédiatement Richard Wilkins, je veux lui parler de suite. Les Red agissent sous son commandement, les ordres viennent de lui. Si ton contact dit vrai Jared, c'était sa décision.

Au même instant, Ed et Mercy rentrèrent en courant dans la cuisine, affichant des mines affligées.

-Alors? s'inquiéta H en les dévisageant.

-Rien, nulle part. On a aucunes pistes, nous expliqua Ed, essoufflé, en lançant sa veste sur une chaise.

Jared me mit alors son téléphone sous le nez en m'indiquant de le prendre.

-Richard Wilkins en ligne, souffla-t-il.

-Richard, grinçais-je en portant le combiné à mon oreille.

J'entendis son rire guttural.

-Coal, me répondit sa grosse voix, C'est toujours un plaisir de t'entendre.

-Où est-elle Wilkins, m'énervai-je en m'éloignant de la cuisine pour me soustraire aux regards inquisiteurs de mes hommes.

-Oh tu sais ce qu'on dit, par-ci, par-là. Elle se balade.

Je m'appuyais contre le mur afin de reprendre ma respiration.

-Si tu touches à un seul de ses cheveux, je te promets que...

-C'était donc vrai, m'interrompit-il en prenant un ton plus sérieux, Clyde Coal s'intéresse à quelqu'un d'autre que lui-même.

-Ne sois pas injuste Richard.

-Tu as raison. J'exagère, tu as toujours été exemplaire envers tes hommes. Mais je doute que tu la considère, elle, uniquement comme un de tes gars. Elle représente beaucoup plus n'est-ce pas? Elle est ta rédemption. Je trouve ça incroyable qu'une gamine aie pu te monter ainsi la tête. Mais je peux comprendre, c'est qu'elle a du caractère la petite.

-Où. Est. Elle? Je ne me répéterais pas une troisième fois.

-Elle va bien Coal, je t'assure. Ta douce et précieuse amie te sera bientôt rendue. Cependant, j'ai mené ma petite enquête après son départ et je préfère t'avertir. Arrête-là avant qu'il ne soit trop tard, Coal. Elle ne supportera pas cette mission.

Je cessais de marcher dans le couloir pour me concentrer sur son discours.

-Tu penses que sa mission finira par la tuer? Que Monsieur D. est trop dangereux, même pour elle?

Il soupira dans le combiné.

-Ça va au delà de ça, Coal. Elle ne va pas seulement mourir, elle va être détruite. C'est la vérité qui l'anéantira.

-Qu'est ce que tu insinues Richard?

-Eleanor est bien plus impliquée dans cette histoire que chacun d'entre vous a pu l'imaginer. Si tu peux la protéger, c'est tant mieux. Mais il faudra la protéger de tout, même de son sang, même de sa propre personne.

Puis un bip retentit dans le téléphone, signe qu'il avait raccroché, et je frappais mon poing contre le mur. Les questions s'entassaient dans ma tête alors qu'une frayeur glaciale s'emparait de moi en prenant conscience que je ne savais toujours pas où elle se trouvait.

Je n'étais pas sûre de pouvoir me contenter de la promesse de Richard selon laquelle Eleanor allait bien. Rentrant précipitamment dans la cuisine, je prenais une arme sur la table et la chargeait avec trop d'empressement.

-Où vas-tu, s'alarma Ed en m'arrachant brusquement le flingue des mains, inquiet.

-Chez les Red Storms, je dois retrouver Eleanor.

-Ce ne sera pas nécessaire, m'indiqua Jared en désignant la porte.

Je me retournais précipitamment et clignais les yeux devant la vision qui s'offrait à moi.

Elle était là. 

Eleanor se tenait dans l'embrasure de la porte. Les cheveux emmêlés, le visage sale, ses pieds nus noirs de poussière, elle avait l'air terriblement fatiguée. Pourtant ses yeux brillaient d'une étrange manière, une étincelle brûlait en elle. J'avais toujours pensé que c'était le reflet de cette rage qui l'habitait mais je prenais conscience à présent qu'il y avait autre chose derrière tout ça, il y avait moi.

-Clyde, souffla-t-elle dans un murmure.

Alors sans s'attendre d'avantage, je parcourais la distance qui nous séparait et plaquais mes lèvres sur les siennes, violemment , ardemment, intensément.

J'en avais rien à foutre d'être planté au plein milieu de la cuisine devant la totalité des Sinners. Dans ma tête il n'y avait qu'elle et moi.

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