15-Eleanor
«Moi je souriais, mais à l'intérieur j'avais envie de crever. Des fois je sens que la vie c'est pas ça, c'est pas ça du tout.»
-Romain Gary.
Tout le monde a un jour l'impression qu'il va mourir. Ce n'est pas entièrement faux, tout le monde finit par mourir.
Mais chaque personne vivra dans sa vie un instant où il pensera ne pas survivre à ses blessures, où les douleurs à répétition, où les souffrances endurées rendront l'idée de mourir plausible.
Quand mes parents sont morts, j'ai cru... j'ai cru crever. C'était comme si on me donnait un coup de poings en pleine poitrine, comme si un énorme poid m'oppressait les poumons et m'empêchait de respirer. Oui, pendant une seconde, j'ai pensé que la vie ne pouvait pas continuer, j'ai cru que j'allais cesser d'exister.
C'est exactement cette sensation qui est terrifiante avec la perte de ceux qu'on aime, le sentiment qu'ils définissent notre existence et qu'en partant ils importent avec eux une partie de notre âme. Jusqu'au jour où on se réveille et on comprend que malgré leur absence, rien n'a changé, que le monde ne s'est pas arrêté de tourner.
J'ai cru pendant longtemps que jamais cette douleur ne pourrait s'estomper, qu'elle continuerait de me brûler le coeur à chaque souvenirs, de me déchirer en deux à chaque fois que j'entendrais leur prénom.
Mais je me demande si je ne suis pas en train de changer.
Car depuis que je l'ai rencontré, c'est comme si on avait mit de la pommade sur mes cicatrices et qu'une étrange impression de me rétablir hantait mes journées. C'est vrai, il était insupportable, sévère, possessif. Il était le genre d'homme dont ma mère m'avait toujours conseillé de me méfier, ceux qui semblent en vouloir au monde entier, tellement hargneux. Mais bon, je ne peux pas lui reprocher ce défaut, moi aussi j'ai appris à détester le monde qui m'entourait.
Pourtant, malgré cela, il m'a aussi aidé sans se préoccuper des conséquences, il m'a protégé de tout, surtout de moi-même. Je sais qu'il aurait donné sa vie pour sauver la mienne, j'ai fini par comprendre qu'il aurait tout sacrifiée pour moi, et "tout" c'est beaucoup. Il a su voir derrière la gamine inconsciente et malade que j'étais, l'âme brisée que je tentais de noyer à tout prix. Il m'a sauvé.
C'était vers lui que mes pensées étaient tournées quand j'ouvris les yeux, c'était toujours vers lui.
Un râle s'échappa de ma bouche alors que je regardais intriguée autour de moi. Je me trouvais dans une pièce sordide plongée principalement dans la pénombre. En baissant les yeux je remarquais que mes pieds étaient nus et couvert de crasse, noirs. Un bruit agaçant de goutte d'eau qui tombe se répétait régulièrement alors que je tentais de tourner la tête pour discerner un quelconque robinet. J'étais étroitement attachée à une chaise, pieds et mains liés, et mes cheveux poisseux se collaient à ma nuque. Une chaleur assomante émanait de la cellule, un véritable enfer.
Une série de flash-back m'assaillit alors que je tentais de me remémorer les dernières heures. Il y avait eu l'hôpital avec Mercy puis un bruit assourdissant alors que l'infirmière me faisait une prise de sang. Des hommes armés, un mouchoir blanc sentant fortement le chloroforme et enfin le noir complet. Je m'inquiétais fortement de la santé de Mercy et Ed, regardant précipitamment autour de moi, mais il n'y avait pas de doute, je me trouvais être seule dans la pièce.
J'entendis soudainement une musique s'échapper de la porte en métal face à moi. Je haussais un sourcil et retenait un ricanement en entendant la chanson Despacito de Luis Fonsi. J'ignorais qui cherchait à me faire peur, mais il venait de perdre toute crédibilité alors que les paroles espagnoles résonnaient dans les lieux.
Puis la musique cessa et la porte s'ouvrit à la volée. Un homme d'une vingtaine d'année d'origine hispanique couvert de tatouages entra précipitamment, une arme à la ceinture et un couteau dans la main, et marcha d'un pas déterminé dans ma direction.
-Maintenant on arrête de jouer, cracha-t-il en plaquant l'objet tranchant sous ma gorge, Tu vas répondre à mes questions immédiatement.
Je le fixais en fronçant les sourcils.
-Si je connaissais ces fameuses questions, ce serait probablement plus facile d'y répondre, lui indiquai-je avec cette insolence qui n'appartenait qu'à moi avant de hausser les épaules.
-Oh, souffla l'inconnu, visiblement désemparé, Et bien... heu... Pourquoi depuis un an tu cherches des infos sur tout les gangs de New-York? Ça ne plait pas à certaines personnes.
J'éclatais de rire alors que la crédibilité de cet homme frôlait le négatif. Il ressemblait à un petit chiot aussi apeuré qu'egaré.
-Je veux tuer Monsieur D, c'est aussi simple que ça, lui résumais-je, Mais cela ne devrait pas te poser de problème vu que tu fais parti des Red Storms, ajoutai-je en désignant le tatouage qui ornait son cou, Maintenant, à moi de poser les questions: qu'est ce que je fous attachée dans la cave des Red Storms alors que je veux m'en prendre aux Black's Anglel -vos ennemis jurés?
-C'est qu'elle en a du caractère la petite, rigola une voix dans la pénombre alors que je remarquais une forme se dessiner dans la nuit qui semblait être invisible jusqu'à présent, David, détache-la, et mène-la à mon bureau. Je crois que nous devons avoir une petite discussion elle et moi, conclu la voix.
Cinq minutes plus tard, je me retrouvais assise dans un vieux bureau relativement sombre dont la décoration évoquait vaguement les années soixante-dix. Un homme noir d'une soixantaine d'année dont l'allure me rappelait celle de Morgan Freeman en plus enrobée, me fixait en fumant un cigare. Il finit par tendre le bras pour m'en proposer également un que je refusais d'un signe de la main.
-Un verre peut-être? insista-t-il, J'ai du très bon whisky, m'expliqua-t-il en se levant avant d'aller en servir deux verres sans attendre une quelconque réponse de ma part. Je devinais que c'était une question rhétorique.
Il en posa un devant moi et bu le sien d'une traite.
-Qu'est ce que je fais là? déclarai-je.
Il éclata d'un rire gras avant de me dévisager, intrigué.
-Tu es un spécimen rare petite. Les femmes vont rarement droit au but. Je me présente, Richard Wilkins, chef des Red Storms.
-Est-ce que je dois réitérer ma question? soufflai-je, excédée.
-L'impatience est la faiblesse de la jeunesse, commenta-t-il en remplissant à nouveau son verre, pensif, J'ai beaucoup entendu parler de toi Eleanor Penn... La petite protégée de Clyde Coal. C'est un bon gars, un type sympa, non vraiment, et nom de Dieu, c'est un boxeur hors-pair, doté d'un talent hors-du-commun. Qu'est ce que j'en ai gagné de l'argent en pariant sur lui. Alors je te laisse imaginer ma surprise quand j'ai appris que le chef des Sinners avait pris sous son aile une gamine qui depuis un an s'était immiscer dans la vie des gangs à la recherche d'informations. Et puis j'ai fini par comprendre...
Il lança un dossier sur la table, je n'eus même pas besoin de l'ouvrir pour savoir qu'il contenait les photos des corps mutilés de mes parents. Je connaissais par coeur ces pages pour les avoir feuilletées des millier de fois; c'était le résultat de l'autopsie.
-Monsieur D a tué tes parents et tu as promis de te venger. Au début, j'ai trouvé ce projet dingue, absolument fou et simplement inconcevable. Mais après j'ai appris pour ta maladie, ça a tout changé. Une fille qui ne ressent aucunes douleurs... Je me demande si Coal sait qu'il détient dans ses mains une véritable arme.
Richard cessa son bavardage pour me fixer pensivement.
-Que me voulez-vous? finis-je par demander, brisant ainsi le silence.
Il lança un téléphone en plastique noir dans ma direction que je rattrapai au vol.
-Te proposer mon aide. J'admire le but que tu poursuis petite, tu prends des risques inconsidérés et tu t'aventures dans une missions que personne n'aurait tenté jusqu'à présent. Tu auras besoin d'alliés dans ta quête si tu veux réussir. Tout le monde dit que D est intarissable, indétrônable... Prouve à tous ces cons le contraire. Ce téléphone contient un seul numéro pour une seule et unique occasion, je t'offre un cadeau petite, si un jour tu te trouves dans un problème insurmontable: appele-moi. Nous t'aiderons.
-Pourquoi? risquai-je, prudente, en glissant le téléphone dans ma poche.
-Monsieur D a détruit un nombre incalculable de vie mon enfant, tu ne peux même pas t'imaginer. J'ai vu tellement de personnes souffrir à cause de lui, de ses méfaits... cet homme ne mérite pas de vivre. Des centaines de gens ont tenté de l'arrêter en vain. Pourtant j'ai l'impression qu'avec toi les choses peuvent être différentes, j'ai l'intuition que tu peux changer cela.
Une alarme resonna dans la pièce.
-Le vieil homme que je suis dois prendre ces médicaments petite, quant à toi je suis persuadé que tu dois renter chez toi au plus vite avant que Coal ne remue la ville entière pour te retrouver. Je sais qu'il en serait capable.
-Pourquoi toute cette mise en scène pour une discussion de cinq minutes à peine? Pourquoi ne pas me passer un coup de fil à la place, comme tout le monde?
Il éclata de rire une nouvelle fois en portant le cigare à sa bouche.
-Nous sommes les Red Storms petite, nous ne faisons rien comme tout le monde, souligna-t-il en indiquant la porte d'un signe de la main alors que je me levais
-Oh et Eleanor, m'interpella-t-il une dernière fois avant que je ne passe le seuil de la porte, Si après t'être vengée, tu survis et que tu te cherches une place dans ce monde, un refuge. Sache que les Red Storms t'accueilleront à bras ouverts.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top