13-Eleanor

«Elle ne savait pas que l'Enfer, c'est l'absence.»

-Paul Verlaine.

J'ai grandi isolée du monde.

Je n'ai jamais été comme les autres enfants, j'aurais voulu l'être, par dessus-tout, j'aurais tout sacrifié pour une vie normale. Mais quand on est malade, on doit rester à la maison pour se soigner, attendre la guérison. Et si malheureusement votre maladie est inguérissable, alors vous vous retrouvez condamné à une vie d'enfermement. Dans mon cas, j'ai pris perpétuité.

Les parties de cache-cache, les examens ratés, les amoureux transis, les soirées alcoolisées, les blagues de mauvais goût, les couvres feux dépassés, toutes ces choses qui dictent l'adolescence ordinaire de tout un chacun... Et bien je n'ai jamais su ce que c'était.

Mes parents me protégeaient de tout. Ils l'ont fait parce qu'ils m'aimaient et qu'on a toujours la crainte de perdre ceux que l'on aime. Je peux les comprendre, j'aurais peut-être fait pareil. Mais à force de vivre enfermé, on risque surtout de ne pas vivre.

Et quand je revois ces dernières années, cette maladie qui m'a toujours maintenue prisonnière, j'en viens à me demander parfois comment j'ai pu finir ainsi, dans la maison d'un gang à chercher des informations sur la mort de mes parents avec leur chef.

-Personne ne sait qui est Monsieur D, m'expliqua Clyde, Excepté peut-être quelques Black Angel's. Mais ce type... Ce type est un fantôme. Il a toujours fait en sorte de protéger son identité, la moitié de New-York craint un homme qu'elle ne connaît même pas.

Assise en tailleur sur mon lit, j'écoutais attentivement les explications de Clyde appuyé contre le rebord de la fenêtre. Plus rien n'était pareil depuis la dispute et la nuit que nous avions passé ensemble. Au réveil, nous avions convenu de faire comme si cet incident n'était pas arrivé, comme si il ne m'avait pas réconfortée ce soir-là, comme si il ne m'avait jamais vue pleurer. Cela faisait un mois maintenant, mais on s'était menti à l'évidence, tout avait changé. Cette nuit nous avait rapprochée d'une étrange manière, plus que ce que nous voulions l'admettre.

-Pourquoi Monsieur D? Pourquoi ce pseudonyme? l'interrogeai-je, curieuse.

Clyde éclata de rire.

-D pour Dieu, gamine. Ce gars incroyablement présomptueux.

Je rigolais à mon tour quand brusquement la porte s'ouvrit et qu'un couple à moitié déshabillé cessait de s'embrasser pour nous regarder.

-Oh pardon, on ne savait pas que cette chambre était déjà occupée, s'excusa la fille en reboutonnant son chemisier.

-Dégagez, leur ordonna froidement Clyde alors qu'ils détalaient, Je déteste quand Jared organise des fêtes, continua-t-il ensuite à mon adresse, C'est toujours la misère. Bon aller, on a du travail, j'ai promis de t'aider à trouver des informations.

-Et si on disait qu'on avait finit de travailler pour aujourd'hui?

Il me regarda en levant un sourcil alors que je sautais sur mes pieds.

-Allons mettre un peu d'ambiance dans cette fête, lui proposai-je en le tirant par le bras alors qu'il grognait.

-Eleanor, je déteste ce genre de fête, souffla-t-il, A moins que...

-Que quoi?

-Tu danseras avec moi?

Je laisser échapper un soupir de mécontentement. Clyde savait pertinemment que je détestais tout ce qui touchait à remuer son corps sur une musique. Son stratagème était simple, il espérait que je refuse afin de ne pas se rendre à cette soirée qu'il méprisait tant.

-Très bien, je danserai avec toi, acceptai-je  en souriant alors qu'il me regardait, surpris et agacé, Allons-y, m'exclamais-je en lui prenant la main pour sortir de la chambre et rejoindre le rez-de-chaussée.

La musique augmentait à mesure que nous descendions les escaliers. Le salon s'était transformé en une piste de danse provisoire où des corps se trémoussaient de manière plus ou moins sensuelles, en rythme. Des gobelets rouges trainaient un peu partout dans la pièce, accompagnés de bouteille de bière et de carton de pizza. Ed, assis sur le canapé, Mercy sur ses genoux, nous adressa un signe de tête en nous apercevant. Je remarquai que H discutait timidement avec une jolie blonde alors que Jared, pas loin, roulait une pelle à une rousse à la poitrine relativement abondante.

-On peut encore remonter, ce n'est pas trop tard, me proposa Clyde dans une dernière tentative.

-Hors de question, tu dois m'emmener danser, le taquinai-je en lui tapant l'épaule.

-Très bien, déclara-t-il en me prenant la main pour me guider vers le centre de la pièce où la chanson Heathens de Twenty-One pilots débutait, Tu l'auras voulu.

-J'adore cette chanson, ajouta-t-il, ses lèvres frôlant mon oreille, avant de passer ses mains sur ma taille pour me coller à lui.

«All my friends are heathens, take it slow

Tous mes amis sont des barbares, vas-y doucement



Wait for them to ask you who you know

Attends un peu qu'ils te demandent qui tu connais



Please don't make any sudden moves

S'il te plaît, ne fais aucuns mouvements brusques



You don't know the half of the abused»

Tu sais pas la moitié de ceux  qu'ils ont abusés

Clyde menait la danse. Il ne se contentait pas de se coller à moi et de remuer son bassin, non, lui me faisait tourner, exécutait de réels pas, me guidait en m'indiquant les gestes. Il était véritablement doué et je devinais que cette manière de danser avait dû lui demander des années de pratique.

-Où as-tu appris à danser ainsi? lui demandai-je alors que ses yeux ne quittaient pas les miens.

-Ma mère était professeur de danse... et de piano. Elle jouait pendant que ses élèves dansaient. C'est elle qui m'a appris ces pas, elle ne voulait pas que je sois ridicule en invitant une fille à danser.

Clyde évoquait rarement sa famille ou son passé. C'était un sujet tabou, je l'avais bien compris. Je savais qu'il cachait quelque chose, et je savais que c'était terrible, mais je ne le forcerai jamais. J'enregistrai mieux que personne le fait que certaines choses doivent restées secrètes.

-Elle t'a également appris à jouer du piano? continuais-je, sincèrement intéressée.

-Non, c'est compl... commença-t-il quand Jared qui débarquait de nul part se plaça entre nous pour nous prendre par les épaules.

-Mais bien-sûr que tu sais jouer du piano Coal, cria-t-il  ivre-mort, Il en joue comme une Dieu. Déjà gamin, il avait un réel talent. Il aurait dû aller à Juilliard, on lui avait accordé une bourse.

Je haussais un sourcil alors que Jared s'éloignait déjà et que Clyde m'attirait en dehors de la piste de danse.

-Tu allais me mentir, l'accusais-je.

-Pas vraiment. Je ne joue plus. J'ai arrêté il y a plusieurs années.

-Si tu étais doué au point d'intégrer l'une des meilleurs universités de musique au monde, pourquoi avoir arrêté? Pourquoi avoir tout abandonné? l'interrogeai-je alors que ses yeux se posaient sur les miens.

Je pu déceler dans son regard une infinie tristesse, peut-être un élan de nostalgie aussi, quelque chose d'absolument tragique.

-La vie ne suit pas toujours les chemins que l'on souhaite Eleanor, m'expliqua-t-il simplement, On a pas toujours le choix.

-Tu jouerais pour moi un jour, Clyde?

Son regard se couvrit de bienveillance.

-Peut-être. Un jour.

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