11-Eleanor
«Vivre ensemble, c'est se meurtrir l'un l'autre.»
-Jacques Chardonne.
Vous avez déjà ressenti cette sensation?
Quand tout arrive tellement vite que vous avez l'impression de voir la scène au ralenti. Comme si le temps suspendait momentanément son cours pour vous permettre d'apprécier chaque détails, de dessiner chaque contours, de situer chaque personnes dans la pièce. Comme si le monde s'était temporairement arrêté de tourner, que les secondes devenaient des heures et que la chute semblait un peu plus lente.
Quand j'avais douze ans, j'ai failli mourir. Ce n'était pas la première fois, je l'admets, mais pourtant cette fois-là, ce fut différent. Quelques secondes avant que la voiture me percute je suis persuadée d'avoir vécu ce genre de ralentis. Pendant un instant, j'ai tout vu: les regards horrifiés des passant, le chauffeur inquiet qui tentait de freiner à temps, la peur dans les yeux de ma mère. J'avais cette impression que mes sens étaient décuplées, je pouvais apercevoir chaque choses et entendais chaque bruits allant de l'oiseau dans le troisième arbre à ma gauche jusqu'aux tintements des pièces du distributeur de tickets. Tout étais plus claire, plus nette, comme quand on passe en haute définition à la télévision.
Je ne suis pas morte ce jour-là.
Le chauffeur oui.
Après m'avoir percuté son freinage d'urgence l'a fait quitter la route et sa voiture a foncé droit dans la barrière. Il est tombé dans le fossé. Fin de l'histoire.
J'ai pleuré pendant des jours après cela, je n'y pouvais rien, tout le monde avait beau me répété que ce n'était pas de ma faute, un sentiment de culpabilité est resté gravé en moi. Il le demeure encore aujourd'hui.
Je me suis promis de ne jamais blessé personne ce jour-là.
A l'évidence, j'ai menti.
Marchant rapidement, je franchissais la porte de la maison, mes chaussures dans les bras.
-Eleanor attend, cria Clyde alors que Jared le soutenait difficilement. Sa main était plaquée sur son ventre dont du sang s'échappait abondamment. Il souffrait en silence, serrant les poings à chaque pas.
-Je n'ai pas envie de te parler Clyde. Tu ferais mieux d'aller te faire soigner, ta plaie n'est pas belle à voire.
-Pardon? Tu ne veux pas me parler?! Je ne te demande pas ton avis Eleanor.
Mon sang ne fit qu'un tour alors que je me retournais précipitamment pour lui faire face.
-Ça suffit, cria Ed en s'interposant entre nous, Allez tous les deux à l'infirmerie, je vais chercher Mercy. Et toi aussi Eleanor, ce n'est pas parce que tu ne ressens pas la douleur que tu n'es pas blessée, conclu-t-il en désignant mon bras couvert de sang.
Jared aida Clyde à marcher jusqu'à une petite pièce blanche et sans fenêtre où se trouvait un brancard et du matériel médicale. J'avais la désagréable impression de me retrouver dans l'infirmerie d'un collège.
-Mercy était en intervention. Elle arrive le plus vite possible, nous indiqua Jared près de la porte avant de nous laisser seul.
Les minutes passèrent dans un silence pesant, uniquement interrompues par les infimes grognement de douleurs de Clyde. Je le soupçonnais de souffrir plus que ce qu'il voulait le laisser paraître.
-Enlève ton T-shirt, m'exclamai-je finalement en me levant alors qu'il haussait un sourcil, Je vais voir si je peux nettoyer ta blessure.
Il obéit, muet, alors que j'imbibais des cotons de Bétadine. La plaie était sale et boursouflée, heureusement que la balle était ressortie. Je passais consciencieusement la compresse sur sa blessure alors qu'il serrait les dents. Je remarquais alors qu'il portait une chaîne avec des plaques militaires autour de son cou, je ne les avais jamais remarquées, probablement pour la simple raison que je n'avais jamais vu Clyde ainsi, torse nu. Plusieurs questions se bousculèrent dans ma tête alors que je le soignais. Comment un militaire pouvait-il finir chef d'un gang? Comment un homme qui se battait pour son pays pouvais en devenir l'ennemi? Pourquoi en était-il arrivé là?
-Eleanor...commença-t-il.
Je savais exactement quel sujet il souhaitait aborder, où il voulait en venir.
-J'ai tué quelqu'un Clyde, le coupai-je, J'ai tué quelqu'un qui n'avait rien demandé. J'ai tué un étranger. Je ne suis pas ce genre de personne, je peux pas juste rester là en faisant comme si rien était arrivé.
-Tu l'as fait pour me sauver.
-Et alors? C'est un meurtre Clyde, peu importe les circonstances, je savais que je le tuerais mais j'ai quand même appuyé sur la détente. Je t'avais demandé de ne pas m'impliquer dans tes histoires de gang. On devait juste retrouver Monsieur D, ensemble, pour que je le tue lui. Point.
Il me regarda froidement alors que j'enroulais une bande de gaz autour de son torse.
-Alors ça te déranges pas de tuer Monsieur D, mais un salopard comme Red qui a tenté de te violer il y a plusieurs mois et qui allait me descendre ce soir, ça te pose un problème.
Je m'écartais soudainement comme si son contact me brulait.
-Je ne tue pas pour le plaisir Clyde. Lui a tué mes parents, Red non.
-Nom de Dieu, S'écria-t-il subitement en se levant pour me faire face. Il allait me tuer Eleanor. Je te remercie de tenir si peu à moi au point de t'en vouloir à ce point.
-Si je ne tenais pas à toi, je n'aurais pas appuyé sur cette détente Clyde, on le sait tous les deux, crachai-je en m'éloignant.
J'appuyais ma tête contre le mur en soupirant.
-Je déteste ça, je déteste tuer, soufflai-je, J'ai l'impression que c'est... je sais ce que je veux, je sais que je suis une meurtrière, que j'ai tué, que je tuerais encore. Mais en tuant j'ai l'impression de perdre une partie de mon âme. Ce n'est pas si facile, je ne suis pas toi.
-Merde Eleanor, s'égosilla-t-il soudainement en se levant, Tu t'imagine que c'est simple, que je tue par plaisir? Tu savais ce qui se passerait si tu rentrais dans un gang, tu savais que tu tuerais des gens, tu le savais et tu as accepté. Tuer était ton but, si tu as changé d'avis; la porte est là, conclu-t-il froidement en désignant la sortie.
Il avait l'air si énervé, si en colère contre le monde entier, si hargneux que je reculais, apeurée. Pour la première fois de ma vie j'avais peur; j'avais peur d'un homme, j'avais peur de lui et de son regard, des ses yeux bleus si glaciales, si dures, si froids. J'avais peur pour nous.
Puis brusquement son expression changea en comprenant ma terreur. Clyde était comme un livre ouvert, ses émotions se dévoilant aux yeux de tous, aux miens. Il semblait perdu, peiné, blessé et tellement fatigué. Comme si il souhait s'endormir pour ne jamais se réveiller. Je connaissais parfaitement cette air, j'avais souvent eu ce regard.
-C'est ce que j'aurais dû faire depuis longtemps, répondis-je d'une voix neutre avant de quitter la pièce.
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