22.

Mais comment a-t-il pu me retrouver ?

Je vais au milieu de nulle part, et il est là. Par contre, quand je suis dans le campus où il a cours, il est introuvable. A n'y rien comprendre.

Je le regarde, sous le choc, tandis qu'il me sourit avec ce sempiternel air énigmatique.

Bon sang, qu'il est beau. Mais je m'égare, je crois. Toujours assise par terre, je me racle la gorge :

— Que fais-tu là, Jason ?

— Eh bien... je viens te voir, c'est plutôt clair, non ?

Je fronce les sourcils. Ça y est la colère remonte. Je vais en profiter pour tenter une petite expérience.

Je ferme les yeux et visualise une bulle d'eau de la taille d'une pomme dans la rivière. J'envoie mon énergie dans cette bulle et l'imagine flotter au-dessus de la rivière.

J'ouvre les yeux et vois ce rond d'eau flotter. Jason s'est positionné entre la rivière et moi, il ne comprend donc pas pourquoi je souris tout à coup. Je rigole et il a à peine le temps de se questionner, que j'éclate la bulle sur l'arrière de sa tête.

— Non mais ça va pas ?! T'es malade ! s'écrie-t-il.

Je m'esclaffe de plus belle. Je le vois s'essuyer la tête, et je ris encore plus. Ma respiration s'accélère, je suis prise d'un fou rire que je n'arrive pas à arrêter tandis qu'il continue de râler. Le voir bougon tandis que je me tords de rire est hilarant. J'en pleure littéralement en m'allongeant par terre. Au moins ça a eu le mérite d'atténuer ma colère. Je me calme lorsque je sens toute ma peau me picoter. En lui adressant un regard interrogatif, je vois qu'il me contemple. Les fourmillements se répandent, en regardant mon aura, je vois qu'elle est entourée de la sienne. On dirait que j'ai lancé les hostilités, mais qu'il est prêt à riposter.
Lorsque je le sens contre moi, physiquement ou mystiquement, j'ai envie de lui sauter dessus, et c'est visiblement ce qu'il recherche.

Je me demande si... ? On est d'accord que d'essayer de le jeter à l'eau, à moins de dix degrés, et par la pensée, ça ne se fait pas ? Bon après tout, je suis à moitié démon, non ?

Je le représente dans mon imaginaire et envoie mon énergie vers lui, je veux juste le bousculer un peu, je ne vais quand même pas le jeter à l'eau... je crois. En envoyant mon énergie vers lui, il recule d'un pas et sourit à nouveau.

Son énergie est autour de moi, et la mienne autour de lui. Je voulais l'embêter et au final je nous ai liés encore plus étroitement.

— On enterre la hache de guerre, princesse ?

Après quelques secondes de réflexion, je réponds :

— Bon, OK, mais j'ai des questions.

— Et moi des réponses, c'est pour ça que je suis là.

Il s'assied à côté de moi, son bras contre mon bras. Puis se tourne vers moi :

— Même pas un bisou de bonjour ? me dit-il avec son éternel sourcil redressé.

Je le fixe avec un air mauvais, ce qui le fait rire.

— D'accord, on ne peut pas développer ses pouvoirs et sa politesse en même temps, c'est noté.

Excédée et perdue entre son assurance et sa beauté, je m'allonge et je regarde le ciel paisible. Peut-être pourra-t-il me permettre d'être apaisée à mon tour ?

Jason s'allonge à son tour, attrape ma main et commence son explication :

— Je ne sais pas par où commencer à vrai dire.

L'air gêné qu'il prend ne lui ressemble pas vraiment, je suis assez surprise.

— Déjà... J'ai réellement 23 ans. J'ai été révélé comme un ange assez tôt, j'avais 16 ans. Mon protégé était mon meilleur ami. L'archange m'a expliqué que je devais être là pour lui, l'aiguiller jusqu'à sa mort. J'étais un gosse, je me voyais vivre 50 ans avec mon ami. Et puis il est mort moins d'un an après. Je ne sais pas pour toi, mais je n'ai jamais eu d'autres rapports avec les archanges. Je ne sais pas si c'est normal, si j'ai failli à ma mission. Ce qui est sûr, c'est que je ne veux plus jamais me charger de ce genre de travail. Je suis censé être un ange, non ?! Quel dieu demande à ses anges de vivre une vie de torture à s'attacher à des gens puis à les regarder mourir ?

Il s'interrompt quelques instants et je suis trop abasourdie pour dire quoi que ce soit. Les archanges ont dit à mon père qu'il était un démon, alors qu'il est un ange ?

— Pour te situer dans la chronologie, c'est à ce moment-là que j'ai rencontré Sam mais je n'ai pas envie de parler de "mon rival" pour l'instant. Bref ! Après tout ça, j'ai refusé de prendre connaissance du nouveau protégé qui m'a été assigné, il a été "perdu". C'est ce qu'on dit d'une personne qui finit par se tourner vers le mal. Oui, parce que ça, les archanges n'en parlent pas, mais un humain peut se laisser pervertir et devenir un être maléfique, comme une sorte de démon. Bref, j'ai renié le paradis parce que ça manque de fun, j'ai voulu rallier les enfers en espérant que ce serait plus cool, mais on ne veut pas de moi, non plus. Et au final, voilà le résultat...

Sur ces mots, il se lève. Aveuglée par le soleil derrière lui, je suis soudainement abritée de la lumière lorsque ses ailes me cachent. Après quelques secondes, pour que ma vue s'adapte à nouveau, j'aperçois ses plumes. Des plumes blanches et noires s'entremêlent.

J'ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort. Ses ailes sont magnifiques. Bien plus belles que les miennes qui sont uniformes. Je me lève pour me mettre face à lui et toucher une des plumes.

— Donc voilà, je ne suis ni ange, ni démon, je suis entre les deux, je dirais.

— Qu'est-ce que tu voulais dire quand tu as dit que les enfers ne voulaient pas de toi ?

Je le vois grimacer avant de me répondre :

— Ce n'est pas très important au final. Maintenant, tu sais tout sur moi.

Je sens qu'il me cache encore des choses, mais il m'en a dit bien plus que ce que je m'attendais à apprendre à la base. J'aurai bien le temps de lui poser d'autres questions plus tard. Je n'insiste pas, cela ne doit pas être bien important.

— Tu as des "pouvoirs" autres que voir les auras ?

— Tu veux dire, autre que celui de te faire chavirer à chaque fois que tu me regardes ? dit-il avec un clin d'œil.

J'éclate de rire devant cette tentative d'alléger l'atmosphère. Il reprend son sérieux avant d'ajouter :

— Pas d'autres pouvoirs. J'ai eu quelques blessures depuis, et elles se referment toujours aussi vite, alors je pense que je suis toujours immortel. Et avant que tu demandes, mon aura a commencé à disjoncter en même temps que mes ailes. D'ailleurs, je peux voir les tiennes ?

Je hoche la tête avant de déployer mes larges ailes grises. Il semble estomaqué, tout comme je l'étais quand j'ai vu les siennes. Lorsqu'il effleure mes plumes, je sens sa caresse au plus profond de moi-même. C'est bien plus intime que ce que j'aurai imaginé. Je suppose que c'est parce que nos ailes doivent demeurer cachées que ce contact s'apparente à un geste charnel.

— Je pensais que cette histoire d'indécise était une légende. Je crois pouvoir avouer que, pour une fois, j'ai eu tort.

— Et que dit ta légende ? Parce que tu en sais sans doute plus que moi... dis-je avec tristesse.

Ma lassitude semble attirer son attention. Après avoir rentré mes ailes, il m'enlace tendrement et m'invite à m'asseoir au sol à nouveau.

Il m'attire contre lui et nous nous allongeons entrelacés dans la lumière du soleil. Il approche son visage du mien, mais je tourne la tête avant que nos lèvres ne se touchent. J'ai l'impression d'être allée suffisamment loin dans les rapprochements. Je ne veux pas m'exposer davantage sans savoir où j'en suis.

Comme s'il lisait une fois de plus dans mes pensées, il me demande :

— Tu sors avec Sam ?

— Non, pas vraiment. Tout est si compliqué. Je ne sais même pas ce que je suis, comment pourrais-je me décider quant à celui avec qui je devrais être ? Je sais que ce n'est pas normal, ni juste, d'en parler de cette manière avec toi, mais je ne peux malheureusement pas tout dire à Vé et ça me ronge.

Je garde le silence un instant pendant qu'il continue à me dévisager. Je prends son silence pour une invitation à continuer et je reprends :

— Je suis sortie avec Sam. J'en avais envie, j'ai passé une bonne soirée. J'étais sincère et ça aurait pu continuer. Et tu es arrivé. Tu m'as parlé d'âmes sœurs, tu m'as montré qu'on était liés, même si cette histoire d'âme sœur est trop folle pour être prise telle quelle, nous avons quand même un lien. Si ce n'était pas le cas, je ne te sentirais pas sans te voir. Pourtant, je sais quand tu t'éloignes, je sais quand tu te rapproches. Et je n'y comprends rien. Ni ma mission, ni ce que je vis avec toi, ni ce que je ressens pour vous. Je suis perdue et si ça fait de moi une personne indécise, et bien, disons que j'ai bien choisi mon titre...

Il resserre son étreinte et dépose un doux baiser sur ma tempe. Je ne reconnais pas le Jason avec qui j'ai déjà passé du temps. Il n'est pas moqueur ou agressif. Il est juste là pour moi. Et si ça me fait du bien, ça me perturbe d'autant plus.

— Pas de moqueries ? Pas de réplique sur ton charme auquel je ne peux résister ?

— Pas aujourd'hui. Je recommencerai demain et demain je ferai en sorte de finir une nouvelle fois dans ton lit. Mais aujourd'hui, je vois bien que tu n'as pas besoin de ça, alors je vais tenter d'être ta "Véia" pour une heure ou deux. Si tu racontes à quiconque que je peux être à l'écoute ou émotionnellement atteignable, je ferai de ta vie un enfer, je te préviens.

Je souris en l'entendant. Après tout, quand je le vois ainsi, je me dis qu'il y a bien un ange qui se cache dans ce corps de démon sexy. Je comprends aussi la complexité de ce personnage, après tout, si je suis indécise entre le bien et le mal, lui a gouté aux deux.

Perdue dans mes pensées, j'émets un petit rire. Jaz dresse un sourcil interrogateur.

— J'étais en train de me dire que je ne suis plus la seule bipolaire paranormale.

Ma remarque le fait rire également. Puis il reprend son sérieux et relâche son étreinte. Il attrape ma main pour que nous restions en contact. Voyant qu'il cherche ses mots, je tente de faire bouger une feuille d'un arbre à proximité. Je procède de la même manière qu'avec la bulle d'eau de tout à l'heure. Je visualise la feuille et la force à s'envoler au-dessus de ma tête. Comme j'imagine mon énergie sortir de mes doigts, je n'ai qu'à faire de petits mouvements de la main pour faire onduler la feuille comme bercée par une brise imaginaire.

— La légende que j'ai entendue, évoque une prophétie. L'Indécis devra choisir un camp. Personne ne sait comment, le choix se révèlera de lui-même. Ce qui est sûr, c'est que au premier 31 décembre que vivra l'Indécis, son choix se fera. Si les rumeurs disent vrai... si tu choisis l'enfer, la moitié des gardiens mourra, tandis que si tu choisis le ciel, c'est la moitié des démons qui périra. Quant à toi... J'aimerais te dire que je sais ce qu'il t'arrivera une fois ton choix fait, mais je n'en ai aucune idée. Peut-être que tu deviendras ce que tu as choisi ?

Je laisse retomber la feuille pendant que j'analyse ce qu'il vient de me dire. Tant de vies dépendent de moi. Avoir un tel fardeau sur les bras est une torture. Puis, dans mes craintes, une  nouvelle question s'impose à moi.

— Et quand on fera les comptes entre le bien et le mal, tu seras où, toi ?

N'ayant visiblement pas envisagé cette question, il réfléchit un instant avec un air très sérieux. Il semble ensuite bien plus décontracté en me disant :

— Peut-être que j'ai choisi le bon plan, si je suis ni un ange ni un démon, je passerai à la trappe peu importe ton choix ? Où peut-être que c'est le contraire et que je suis destiné à mourir dans tous les cas.

Une douleur atroce parcourt ma poitrine lorsqu'il évoque sa mort. Comment pourrais-je un jour le perdre. Je suis si proche de lui, je ressens ses émotions fortes au plus profond de moi, si j'apprenais à gérer notre lien, rien ne nous serait impossible.

Après plusieurs minutes à regarder le ciel, à réfléchir à tout ça, nous décidons de nous relever et de partir de cette merveilleuse clairière. Je me tourne une dernière fois pour regarder ce panorama incroyable, et Jason surprend mon expression. Sans dire un mot, j'ai l'impression qu'il a compris qu'il pourra toujours me retrouver ici.

Est-ce que c'est devenu mon endroit, ou le nôtre ? Je ne saurais pas le dire pour l'instant. L'avenir nous le dira, même si une échéance de deux mois ne semble pas être un avenir, mais une bombe à retardement.

Pour le départ, Jaz m'apprend à maitriser ma vitesse, mais comme tout le reste, j'apprends très vite. Il semblerait que ça fasse parti de mes gènes, comme je n'ai que deux mois pour devenir celle qui va changer le monde, il fallait que j'apprenne vite.

Nous rejoignons nos voitures, et nous disons à plus tard, à la soirée de la fraternité. Sans m'en rendre compte, je le laisse m'embrasser pour me dire au revoir et je reste pantoise un instant en le regardant partir.

***

Surprise ! C'est mon dernier week-end, je reprends les cours des mercredi (je sais, c'est pas habituel !) alors j'ai voulu faire un petit cadeau à mes lecteurs et ne pas les laisser sur leur faim, à attendre ce qui allait se passer entre Jason et Eden trop longtemps !
Bisous bisous 😘😘

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