21.
Les questions, les gages et les verres se sont enchaînés. J'ai accepté d'embrasser Jason. J'ai accepté de parler de mon attirance pour lui et pour Sam. Mais lorsqu'on m'a demandé en guise de vérité de raconter ma soirée de la veille, j'ai soigneusement passé. Je n'ai heureusement pas oublié que mon titre d'ivrogne de la semaine précédente m'a valu un passe-droit. Prétextant que la soirée avec Sam était privée, j'ai pu passer cette vérité sans attirer l'attention. Bien sûr, quand la question s'est posée, Jaz n'a pas hésité à surenchérir avec un :
— Eh bien, oui, Eden, dis-nous ce que tu as fait hier soir ?
Il ne doit pas exister un seul homme aussi agaçant que lui, et chanceuse que je suis, c'est moi qui l'ai trouvé !
Véia est restée dormir à la maison, j'ai ainsi pu répondre à ses questions.
Je lui ai dit que j'étais sortie avec Sam, qu'il me plaisait, que je l'appréciais, qu'il me perturbait un peu aussi par ses changements d'humeurs aussi soudains qu'imprévus. Que j'avais besoin de réfléchir à la soirée, que je suis rentrée à pied et que j'ai croisé Jaz.
Je lui ai dit qu'il m'avait raccompagnée et que j'ai eu une baisse de tension, que c'est pour cela qu'il m'a suivie jusqu'à la maison. Bien sûr, je ne pouvais pas dire que j'ai failli mettre le réseau électrique de la ville hors tension. J'ai ajouté qu'une chose en entrainant une autre, il a passé la nuit avec moi, qu'on a couché ensemble et qu'il est parti avant mon réveil, que je sais que ça ne me ressemble pas, mais que je ne sais pas ce qui m'a pris ni ce que je ressens maintenant.
Elle me pose la question fatidique : et si l'un deux veut officialiser une relation, qu'est-ce que je vais faire ? Et bien la réponse est simple, j'en ai foutrement aucune idée.
***
La journée du vendredi sans croiser Jason a succédé au week-end, puis à une nouvelle semaine.
Je ne suis pas ressortie avec Sam, il ne m'en a pas reparlé et moi non plus. Je n'ai pas envoyé de SMS à Jason, et je n'ai rien reçu non plus. Je fais une pause en matière d'homme, c'est bien plus sûr.
Mes journées recommencent à être comme avant : je passe tout mon temps avec Véia. Il n'y a pas eu de nouvelles soirées, la fraternité a eu besoin de quelques jours de travaux suite à l'inondation. Seuls les déjeuners se passent avec nos amis.
Je suis rentrée chez moi lessivée après la fac. Je m'occupe à outrance ces derniers jours : je lis, je vais au travail, je révise, je fais tout pour ne pas penser. J'ai récupéré une nouvelle voiture que mon père m'a laissée devant la maison. C'est un plaisir d'être de nouveau mobile, de savoir que je peux partir, que je peux m'enfuir si la situation l'exige. Pourtant, je suis encore là, même si mon esprit semble m'avoir quittée.
Je ne pense qu'à Jason, qu'à Sam, qu'à ce que je suis, qu'à ce qu'il peut être. J'ai même fait des recherches. C'est surprenant de ne pas y avoir pensé avant, mais chercher "caractéristiques démon" dans un moteur de recherche vous expose à beaucoup de résultats plus abracadabrants les uns que les autres. J'ai réussi à trouver quelques articles plus ou moins sérieux ; certains parlaient de la lecture des auras, je les ai donc pris "relativement" en considération.
D'après cette enquête, certains démons seraient capables de modifier leur aura ou encore de changer certains traits physiques. Je ne suis pas convaincue par cette information, mais je la note dans un coin de ma tête, après tout... pourquoi pas. J'ai cherché également les autres créatures surnaturelles qui pouvaient exister, mais après le trentième article relatant l'arrivée prochaine des extraterrestres, je me suis fait une raison, je ne saurais pas ce qu'est Jaz. Inutile de dire qu'il n'y a aucune information sur l'indécise.
Pourquoi faire simple quand ma vie peut être une torture.
En attrapant mon agenda pour voir sur quoi je peux travailler ce soir, je repense à Sam. À son expression ces derniers jours, il semble froid, il a parfois un visage très dur. Cette facette de lui continue de me surprendre quand je vois la gentillesse qui s'échappe de ce garçon. Pourtant, je n'ai plus tant de mal à l'imaginer de glace.
Ouvrant mon agenda, je lance un soupir en voyant la date d'aujourd'hui : mercredi 30 octobre.
Le mois d'octobre est bientôt terminé, et je ne sais toujours pas ce que je suis censée faire de ma mission. Par chance, je n'ai pas provoqué de catastrophe, les ampoules n'ont pas explosé sur mon passage, aucun exorciste n'a été envoyé chez moi. Ça pourrait être pire, il faut croire...
Je me souviens rapidement qu'un séminaire a lieu à l'université demain. La journée ayant été banalisée, il n'y a pas un seul cours. Je compte en profiter pour m'échapper dans la nature, me ressourcer et peut-être en profiter pour essayer d'agir sur mes nouveaux pouvoirs. Faire le point sur ma solitude. J'en ai besoin.
Je sens qu'il faut que je m'éloigne de la ville, j'ai besoin de ne plus sentir tout le monde. J'aime Vé, mais ses pensées, ses sentiments me parasitent de plus en plus et ça s'accentue lorsque je m'approche d'elle. Quant à mon lien avec Jason, je continue de le sentir. J'ai beau ne pas l'avoir vu depuis cette soirée, je le sens près de moi quasiment tout le temps.
M'éloigner totalement me permettra peut-être de remettre mes idées en place. D'autant plus qu'il y aura une soirée de réouverture de la fraternité pour Halloween, alors je vais sans doute les retrouver dès demain soir.
Le lendemain, j'ai pris la voiture et j'ai conduit plus d'une heure pour arriver sur les hauteurs les plus proches de ma ville. Le temps est radieux, et même si novembre arrive à grands pas, il ne fait pas si froid. Je marche au moins une heure de plus pour partir loin des sentiers empruntés par le commun des mortels. J'aperçois un panneau qui indique une interdiction d'aller plus loin. : c'est donc là que je vais. Je continue à monter de plus en plus haut. Espérons que j'évite de me casser la figure ici, j'aurai l'air maligne, inconsciente dans un endroit interdit !
Je finis par arriver dans un coin de paradis. À force de basculer en "mode aura" j'ai appris à repérer la présence d'autres personnes autours de moi. Une simple vérification me permet de m'assurer que je suis bien seule dans cet endroit idyllique.
Je n'en reviens pas qu'il existe un si bel endroit loin de tout et pourtant si proche. Je mets donc les pieds dans une vaste clairière bordée d'arbres. Un bruit de ruissellement me parvient. Après quelques pas, j'aperçois une petite rivière. Le soleil fait étinceler l'eau tandis que la verdure qui m'entoure m'offre un spectacle incroyable. Cet endroit est désormais MON endroit. Je sens que je vais avoir besoin de réfléchir souvent ces prochains jours et cet endroit est parfait.
L'odeur des arbres mêlée au bruit de l'eau me détend instantanément. On ne se sent jamais autant enfermé dans la ville que lorsqu'on s'en échappe. Si j'arrive à maitriser cette vitesse surnaturelle que je suis censée avoir, je pourrais venir ici en un clin d'œil. Cette pensée me met du baume au cœur. Qui aurait cru qu'un petit coin de nature aurait le pouvoir d'effacer mes doutes pendant un instant ?
En plus, de nuit, je pourrais même venir en... volant. Après tout, je suis là pour apprendre à maitriser mes pouvoirs et mes ailes en font partie ! Et je suppose que si j'ai des ailes... ce n'est pas juste pour la décoration ! Du moins, je l'espère. Je pose mon sac à dos au milieu de la clairière. Ne sachant pas vraiment où j'irais, j'ai pris quelques affaires de randonnée.
Je sors de mon sac une lampe torche. Je sais que ce n'est pas trop le moment, étant donné qu'il y a un soleil radieux, mais la première fois que les choses sont parties en vrille, ce sont les lumières qui ont vacillé. C'est pourquoi, à défaut d'un accès électrique, je me suis tournée vers une lampe à pile.
Je m'assois au soleil, retire ma veste et me retrouve seulement avec un pull blanc. Pendant quelques instants, je me sens nue sans ma veste, mais le soleil me réchauffe rapidement. Je suis face à la rivière et je profite du spectacle avant de m'aventurer sur le terrain inconnu de mes pouvoirs.
Après une grande inspiration, j'allume la lampe. J'essaie de me souvenir de ce que j'ai ressenti la dernière fois que j'ai failli faire sauter le quartier. Excessive ? Moi ?
La colère. C'est la colère qui m'a fait perdre les pédales. Je laisse échapper un soupir... moi qui était contente d'être enfin apaisée, je dois rappeler cette colère.
Je pense à Sam, Sam qui est si beau, si gentil et à mon incapacité de faire ce qui est juste pour lui. Je pense à Jason, Jason qui est si insupportable et mon opposé en tout point et qui me fuit depuis qu'il sait ce que je suis. Je pense à moi, ma mission inconnue, mes débordements avec les deux garçons qui me plaisent, le fait de sentir que je mets Véia de côté à cause de tout ce que j'ai dans la tête. Le fait de ne pas arriver à faire de choix entre les garçons et dans ma vie. Le fait que cette stupide destinée s'impose à moi.
La colère monte petit à petit. Elle gonfle à l'intérieur de moi. Comment pourrait-elle ne pas m'atteindre, je ne contrôle plus rien à ma vie. Est-ce qu'après avoir réalisé ma mission, je ferais toujours partie de ce monde ? Après tout personne n'en sait rien ! Je déteste être moi, je déteste être l'Indécise !
Je dirige cette colère sur la lampe, mais rien ne se passe. Je la fixe, mais elle ne vacille pas. Je me sens tellement stupide. Comment peut-on comparer une lampe torche à pile avec un lampadaire branché sur le réseau électrique de la ville ?
Ploc.
Un bruit d'eau me sort de mes pensées. Je redresse la tête pour regarder la rivière et le spectacle est ahurissant.
Des dizaines de cailloux flottent dans les airs au-dessus de l'eau. Que se passe-t-il ? Ce n'est quand même pas moi qui ait pu faire ça, si ?
Je me ressaisis. Je me concentre sur un caillou en particulier et essaie de le faire bouger. Je lui ordonne de bouger.
- Bouge, bon sang !
Après Blanche-neige qui parle aux animaux, voici Eden, qui parle aux minéraux...
Évidemment, le caillou ne semble pas s'en formaliser et il ne bouge pas.
Je me sens nulle et j'en ai ras le bol. La colère continue de monter en moi, tandis que je me focalise toujours sur cette même pierre. Excédée de n'être, encore une fois, qu'une bonne à rien, je hurle de colère. Le caillou est alors projeté à une vitesse folle contre un arbre.
Estomaquée par ce que je viens de faire, la pression se relâche, et j'aperçois toutes les pierres retomber mollement dans l'eau.
Qu'est-ce qui vient de se passer encore ?
Je prends une minute pour réaliser ce qui vient de se passer. Je ne me sens pas de me remettre en colère tout de suite pour essayer de contrôler le monde, je me dresse donc sur mes jambes et fais sortir mes ailes. C'est tellement simple à faire maintenant.
Je caresse une plume et une sensation de bien-être s'empare de moi. C'est beaucoup mieux que la colère.
J'essaie de contracter mes ailes, et j'y arrive comme si je contractais n'importe quel muscle. Elles font partie de moi, je peux les contrôler comme je contrôle mes jambes et mes bras.
Après les avoir fait bouger plusieurs fois, je m'élève à une dizaine de centimètres du sol. J'arrive enfin à faire quelque chose d'instinct ? Il était temps !
Je me pose à nouveau sur le sol et reprends mes mouvements pour m'élever plus haut, à environ un mètre de hauteur cette fois. J'y arrive du premier coup, alors j'essaie de me déplacer horizontalement maintenant, aller vers la rivière, reculer. Je suis surprise de voir combien c'est instinctif.
Peut-être que c'est le fait de savoir tout simplement. Savoir que ça fait partie de moi. Comment pourrais-je contrôler mes autres pouvoirs si j'ignore ce qu'ils sont ?
Je me pose face à la rivière et rentre mes ailes. Je reste sous le coup de l'émotion tout de même, je ne m'attendais pas à ce que ce soit si simple et cette fois, c'est la joie qui m'envahit.
Je sens que je suis moralement instable ces derniers temps, je m'énerve et me fustige à chaque contrariété et je peux rire aux larmes quand je suis contente. Adieu la bipolarité, bonjour la schizophrénie, j'arrive à grands pas...
Je reprends une inspiration et me prépare à la suite.
On va tenter autre chose, ma part démon a envie de libérer ma colère, mais je ne contrôle rien quand je suis pleine de fureur alors il faut une autre approche. Je ferme les yeux, et visualise la pierre que j'ai jetée dans le tronc d'arbre tout à l'heure. Je la vois comme je la voyais il y a quelques minutes. Je l'imagine flotter devant moi. J'ouvre les yeux et cette pierre n'est toujours pas devant moi...
Bon, dernier essai. Je referme une nouvelle fois mes yeux, je visualise une nouvelle fois la pierre. Cette fois, je vois mon énergie blanche à l'intérieur de moi, et je projette un peu de cette énergie sur l'image que je me fais de la pierre. Comme je le fais pour visualiser une aura. J'ouvre les yeux.
Stupéfaite, j'ouvre la bouche, mais aucun son ne s'en échappe. La pierre est face à moi et elle flotte au-dessus de la rivière.
Je sens soudain une sensation étrange en moi, mais elle est loin d'être inconnue. Je laisse retomber la pierre machinalement.
Il arrive.
Je n'ai pas le temps de comprendre ce qu'il se passe que Jason est déjà là, devant moi.
***
Et voilà, nouveau chapitre !
Pas de grandes avancées avec Jason, ni avec Sam, mais on en sait plus sur Eden ! Il était temps qu'elle se sortent un peu les garçons de la tête et s'intéresse un peu à elle, non ?
Comme d'habitude, n'hésitez pas à mettre un petit vote si l'histoire vous plait et à me dire ce que vous en pensez ! Je suis toujours ravie de lire vos avis ou critiques pour m'améliorer.
Bisous bisous, et à la semaine prochaine pour la suite !
ps: C'est fou ce Jaz qui arrive toujours quand on ne l'attend pas, je me demande bien ce qu'il veut... ;)
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