15.
Fascinée une nouvelle fois par la couleur de ses yeux, je me secoue intérieurement.
— J'arrive à marcher seule comme tu peux t'en apercevoir.
Il m'adresse un sourire, sincère et moqueur à la fois. Une nouvelle fois, je ne sais pas sur quel pied danser.
— Je dois rentrer, j'ai cours tôt demain.
— Je t'accompagne, c'est sur ma route.
Si j'ai appris quelque chose à son contact, c'est que de lui demander de renoncer à quelque chose, c'est dépenser de l'énergie pour rien. Alors je me remets en marche en silence.
— Tu as passé une bonne soirée Eden ?
Alors là, c'est le pompon. Est-ce que je lui demande avec qui il était ce soir, moi ?
— Qui es-tu ce soir Jason ? Docteur Jekyll ou Mister Hyde ?
Son expression ne laisse rien paraître, il reste en silence. Peut-être qu'il se rend compte qu'il agit comme un taré lui aussi. Comme il réussit à faire sortir ce qu'il y a de pire en moi, je pousse les provocations plus loin :
— Sam te demande encore de me ramener ?
Consciente d'avoir touché la corde sensible, je me félicite intérieurement quand je vois son air renfrogné et quand le silence s'installe une nouvelle fois entre nous. J'ai un peu du mal à analyser la situation, puis c'est tellement étrange ce qui se passe, alors finalement, c'est moi qui romps le silence, une nouvelle fois.
— C'est assez étrange de sortir avec Sam et de rentrer avec son meilleur ami...
Il rit quelques secondes.
— On joue les croqueuses d'homme, princesse ?
Indignée, j'arrête de marcher et le fixe avec toute la colère contenue en moi. Mon énergie bouillonne à l'intérieur de mon corps alors j'essaie de me calmer. J'ai peur de perdre le contrôle et d'ouvrir mes ailes, ou bien de me découvrir un pouvoir nouveau encore. Après m'être stabilisée, j'inspire et lui dit :
— T'es conscient que c'est toi qui me suis ? Je ne t'ai rien demandé !
— Je ne t'ai pas vu lutter pour me tenir à distance...
— Jason arrête ça tout de suite.
Mon ton l'a surpris puisqu'il prend quelques inspirations avant de me répondre enfin.
— On sait tous les deux que ça n'ira jamais plus loin, lui et toi. Si c'était un vrai rencard, c'est lui qui te raccompagnerait, pas moi.
Interdite, j'essaie de chasser ses paroles de mon esprit en reprenant ma route et en accélérant pour arriver plus vite chez moi. Il ment. Ça avancera peut-être avec Sam. Ce n'est pas parce que j'ai préféré rentrer seule que je ne voudrais jamais d'évolution. Ou peut-être que si ? Ses mots s'insinuent dans mon esprit et me prennent de court.
La réalité me percute de plein fouet. Je suis sortie avec Sam pour fuir Jaz. Puis j'ai fui Sam pour réfléchir, et maintenant que je n'ai plus rien à fuir, Jaz me retrouve. Vous savez dans les séries, quand il y a des triangles amoureux ? On se dit toujours "Olala elle croit qu'on va la plaindre d'avoir deux garçons super qui s'intéressent à elle ?". On espère que la fille ira vers l'un, puis on veut qu'elle aille vers l'autre.
En vrai, la situation craint et tout ce que j'aimerai là, tout de suite, c'est que les deux garçons partent ensemble.
La colère de cette révélation me submerge et je sens encore mon énergie s'affoler. J'arrive devant mon immeuble et j'envisage de partir sans me retourner, sans lui adresser la parole. C'est de plus en plus dur de me contenir. Je commence à voir flou et je m'accroche au montant de la porte d'entrée. Le lampadaire devant l'immeuble se réverbère dans la porte vitrée et j'ai l'impression de le voir osciller.
— Ok on se calme miss dynamo, avant de faire sauter toutes les ampoules du quartier.
Il m'attrape par le bras et les fourmillements qui me parcourent m'apaisent lentement. Je reprends une respiration calme et mesurée. La colère ne m'a pas aveuglée au point de ne pas entendre l'inquiétude dans sa voix. Qu'est-ce qui inquiète un démon au juste ?
— Laisse-moi t'accompagner jusqu'à ton appart pour m'assurer que ça ira.
Je brise le contact entre nous et la colère se répand à nouveau en moi comme un tsunami ravage une ville.
— Je t'accompagne et ce n'est plus négociable, dit-il en reposant sa main sur mon épaule. De toute façon, ce n'est pas comme s'il y avait un risque que les choses dérapent entre toi et moi, tu as été claire en disant que je ne t'intéressais pas, je crois bien...
Je suis soulagée d'être planquée dans la pénombre, ça m'évitera de chercher à cacher mes joues rouge pivoine. Néanmoins, je vois son sourire en coin. Ciel, quelle arrogance !
J'accepte silencieusement qu'il m'accompagne. Je ne sais pas si c'est possible que je casse des ampoules, je n'ai jamais ressenti ce que je vis en ce moment, alors, dois-je le prendre au sérieux ? Dans les escaliers, je lui demande :
— J'ai jamais ressenti ça, si je le contrôle pas, il se passera quoi ?
Il reste silencieux quelques secondes en continuant à me suivre avant de répondre :
— Si tu acceptais de me dire ce que tu es, je pourrais te répondre, là je sais juste que tu débordes d'énergie mais je ne sais ni pourquoi ni ce que ça peut engendrer.
Arrivée à la porte de chez moi, je l'ouvre et entre dans mon appartement. Il m'emboîte le pas et ajoute :
— Tout ce que je sais c'est que tu dois relâcher la pression, je ne préfère pas attendre de savoir si ça peut être dangereux pour toi ou quelqu'un d'autre.
Un frisson me parcourt, est-il possible que je puisse être un danger ? La pression remonte à l'intérieur de mon corps, même avec le contact de Jason, je n'arrive pas à me calmer. Je ferme les yeux et me concentre pour "regarder" mon énergie. Bien que ce ne soit pas un phénomène observable à proprement parler, j'arrive à visualiser ce qui m'arrive. La boule blanche que je vois habituellement dans mon corps est totalement difforme et menace de me traverser de part en part. Je la vois bouger à une vitesse folle et ses contours deviennent de plus en plus flou.
J'imagine une cage qui entoure cette boule et ça semble la contenir. Victorieuse, je relâche mon attention. Une seconde après, la cage vole en éclats et je me retrouve au point de départ une nouvelle fois. Encline à la panique, ma respiration devient saccadée. Je suis terrifiée par ce qui va se passer.
Soudain, l'énergie se calme au moment où un autre feu semble me dévorer. En sentant une pression sur mes lèvres, je comprends que Jason m'embrasse. La peau douce de ses lèvres effleure la mienne et je me sens immédiatement apaisée. Je suis instantanément submergée de cette odeur boisée caractéristique. L'odeur de son parfum ne dénote pas avec l'odeur des bougies à la cannelle qui ornent mon appartement. Lorsqu'il s'apprête à rompre son baiser et qu'il éloigne sa bouche de quelques centimètres, je sens son souffle chaud s'abattre sur moi une seconde fois. Ce second baiser n'a rien à voir avec le précédent qui était chaste et doux. À cet instant, il semble vouloir se nourrir de moi jusqu'à la dernière miette. Je reste stoïque un instant puis l'embrasse à mon tour. Mes lèvres suivent les mouvements des siennes et s'entrouvrent pour que ma langue aille à sa rencontre.
Ce baiser qui était alors plein de tendresse se transforme en brasier passionné et nos lèvres s'entrechoquent tandis que nos langues s'explorent. J'ai oublié l'énergie, j'ai oublié mon rendez-vous, à ce moment il n'y a plus rien d'autre que nous deux. Me poussant doucement contre la porte de mon appartement, mon corps est pressé contre le sien. Je suis à sa merci et pourtant, je ne voudrais être nulle part ailleurs. Il mordille mes lèvres et serre ma nuque dans sa main, tout en me pressant de son corps.
La raison finit par me retrouver et je m'arrache à son étreinte. Reprenant ma respiration, je le contourne pendant qu'il reste appuyé contre la porte.
— Écoute, je te remercie de m'avoir aidé à garder le contrôle, mais ça va maintenant tu peux y aller.
Lorsque je finis ma phrase, il se retourne vers moi et essuie le rouge à lèvres qu'il a sur la bouche. Je me sens encore plus honteuse devant cette image. Il affiche ensuite un sourire triomphal, le genre de sourire qui peut déclencher une émeute. Mon cœur rate un battement, comme souvent en sa présence. Je suis totalement désorientée et il semble apprécier le spectacle, puisqu'il sourit de plus belle.
— Ravi de t'être utile Princesse.
— Soit dit en passant, il y avait sans doute des dizaines d'autres choses à faire tout aussi efficace, penses-y la prochaine fois que tu te sentiras altruiste !
Je ne sais pas si mon intonation est aussi bancale que mes propos, mais ça ne semble pas l'impressionner.
— Les autres solutions semblaient... moins drôle. Tu devrais voir ta tête !
Et en plus, il se fiche de moi, j'ai vraiment tiré le gros lot!
— Depuis qu'on s'est rencontré t'arrêtes pas de montrer que tu préférerais sauter d'un pont que de passer une seconde en ma compagnie et là tu m'embrasses, et t'es même pas un peu gêné ?!
— On a tous des faiblesses, princesse.
— Oh tu te la joues héros de comédie romantique maintenant ? Parce que soyons honnête, tu ne colles pas au casting !
Il me fixe et j'ai l'impression que les rôles ont basculé. Est-il sérieux ? Et si oui, pourquoi est-ce que je me donne tant de mal pour le repousser ?
— Je ne sais pas ce qu'il se passe entre nous, mais il y a un lien, et tu ne peux pas le nier. Tu peux continuer à te voiler la face, on peut continuer à jouer au « Qui est-ce » des créatures surnaturelles, mais on est lié d'une manière ou d'une autre. J'étais autant hostile envers toi, mais visiblement, les cartes ont été redistribuées.
Ce qu'il raconte me perturbe, et tout ce que j'arrive à faire, c'est le tourner en dérision. J'ai longuement réfléchi à cette situation et j'ai décidé de le fuir comme la peste, je ne peux pas fléchir maintenant.
Il se tourne pour partir, et juste avant que la porte ne se ferme :
— Jason !
Il s'arrête et attend que j'ajoute quelque chose.
— Je ne suis pas ce genre de fille d'accord ? Ne parle à personne de ce qui s'est passé ce soir.
J'aperçois un voile de colère transparaître sur son visage.
— Tu veux dire « surtout n'en parle pas à Sam » pour garder ton plan A pendant que j'attendrais en plan B ?
— Tu veux dire que tu préfères dire au meilleur ami que tu as depuis 10 ans « oui je savais que tu avais un rencard avec elle, mais je l'ai suivi jusqu'à chez elle pour l'embrasser ! » ? D'après toi, à qui il en voudra le plus ?!
Il me regarde, estomaqué, avant de se ressaisir et d'ajouter :
— Pendant un bon moment je t'ai pris pour un ange, mais pourtant j'ai connu des démons bien moins méchants et agressifs que tu ne l'es.
Pendant qu'il continue à me fixer, des larmes s'échappent de mes yeux. Je suis perdue entre la tristesse et la colère. Je n'ai jamais été méchante, du moins pas avant de savoir que j'étais l'indécise, ou pas avant de connaître Jason. Lorsque je suis avec lui, je ne suis plus moi-même. Il révèle la plus sombre partie de moi, et pourtant, je me sens tellement bien lorsqu'il me touche, lorsqu'il me tient contre lui, lorsqu'il me regarde de ces grands yeux de la couleur des profondeurs de l'océan.
Je suis de nouveau submergée par cette énergie étrange, comme dévorée. Jason s'en rend compte puisqu'il attrape ma main et m'entraîne dans mon appartement en prenant soin de refermer la porte d'entrée.
— Je ne peux visiblement pas te laisser sans surveillance princesse, alors j'ai un marché à te proposer.
Quand on croit que les choses ne peuvent pas empirer...
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