13.
Ce matin, je suis réveillée par la sonnerie de mon téléphone. Mon réveil a déjà sonné, mais je l'ai repoussé le plus tard possible, quitte à risquer rater le premier cours. La soirée d'hier fut rude. J'ai tenté de réfléchir aux "pour" et aux "contre". J'ai établi des listes, cherché des arguments... Mais je n'arrive pas à mettre un mot sur ce qui me fait tant hésiter.
J'attrape mon téléphone et vois le nom de mon père, s'afficher. Le réveil devient brutal, Sam, Jaz, l'indécise, les flammes bleu et jaune.
— Allo papa ?
— Bonjour, je t'appelle pour plusieurs raisons.
— Je t'écoute !
— J'ai eu les... autorités supérieures...
Je comprends qu'il parle des archanges, il ne doit pas être seul et ne veut sans doute pas en dire trop. Très bien.
— Ils m'ont dit que c'était une mauvaise personne comme beaucoup d'autres et qu'il ne mérite pas qu'on s'en approche.
Mon père parle à voix basse, et c'est sans m'en rendre compte, que je fais la même chose en lui chuchotant :
— Un démon donc ?
Je suis seule chez moi, je me sens encore plus bête de murmurer ma réponse. Une journée de plus où mon ego va être mis à rude épreuve.
— Oui, rien d'extraordinaire. Bref, passons ! Nous avons des nouvelles de l'assurance et avec l'argent qu'ils doivent nous envoyer, je t'achète une nouvelle voiture que tu auras la semaine prochaine ! Je suis au travail, je n'ai pas le temps de m'attarder ! Passe une bonne journée Eden, à bientôt.
Puis il raccroche avant que je n'aie le temps de répondre. Je commence à penser que la prochaine fois, je lui laisserai ma messagerie pour dialoguer.
J'ai tellement hâte d'avoir de nouveau une voiture ! Cependant, je n'arrive pas à m'enlever l'image de ces flammes qui dansent devant mes yeux. J'ai du mal à croire qu'il soit un démon comme les autres. Si c'était le cas, son aura ne serait pas si différente. Je reste sceptique.
J'arrive à la fac avec une heure de retard. Je déteste rater les cours, même si pour ce matin, ça me permet de ne pas m'asseoir à côté de Sam. Je ne l'ai pas évité sciemment. Je veux dire, je ne le connais pas depuis longtemps, mais je me sens tout de même proche de lui et je ne veux pas qu'il pense que je le fuis. J'ai juste besoin d'un peu de temps pour être au clair avec ma décision de sortir avec lui.
Je vais à mon deuxième cours et je rejoins Vé. Je lui explique ce qu'il s'est passé hier et cherche des conseils. Elle semble ravie que j'accepte de m'ouvrir aux autres et que je ne repousse pas Sam. Elle me dit qu'elle est étonnée que je ne me sois pas enfuie en courant, et franchement, je suis aussi étonnée qu'elle !
Je laisse Vé partir devant vers le prochain cours, je me détourne pour me diriger vers les toilettes. Je suis tellement préoccupée par tout ce qui se passe dans ma vie en ce moment que j'ai du mal à savoir à quoi penser. On est le 8 octobre et la fin de l'année arrive à grands pas, ce qui rajoute une pression supplémentaire sur ma poitrine. J'entre dans les toilettes et m'asperge le visage d'eau. Je ferme les yeux et fais le point.
Depuis toujours, j'ai tendance à faire des listes en cas de difficulté, je choisis mes priorités. C'est bien ce que je compte faire aujourd'hui, me concentrer sur une étape à la fois, pour ne pas perdre pied.
En premier, je mets ma relation avec Sam, on risque de manger à la même table à midi, faut que je sois cohérente et j'ai accepté qu'on sorte ensemble après tout !
Ensuite, il faut que je découvre ce qu'est Jaz parce que je sais qu'il n'est pas juste un démon comme les autres. Ce qui est dur à suivre, c'est que je ne sais pas comment je peux savoir ça, je n'ai encore croisé aucun démon, mais je sens au fond de moi qu'il est particulier.
Enfin, il faut que je sauve le monde, ou un truc du genre.
Une idée me vient. Je profite d'être face aux miroirs pour basculer en mode aura. J'ai pu voir déjà une multitude d'auras, dont une inédite, j'ai envie de voir la mienne. Je ne sais pas si ça va marcher, mais je me concentre du mieux que je peux, malgré les circonstances. C'était très difficile à faire il y a quelques jours et c'est presque instinctif maintenant.
J'ai l'impression d'avoir découvert une partie de moi dans cette opération, comme lorsqu'on apprend à marcher, une fois que c'est fait on ne désapprend plus, on n'a plus besoin de réfléchir à comment faire.
J'ouvre les yeux, et le regrette aussitôt. La clarté qui émane du miroir est aveuglante. Mon choc se réverbère dans le miroir, mes yeux sont révulsés, mais ce n'est pas ce qui m'importe le plus. Je suis entourée d'une pellicule blanche époustouflante. Le vrai mot est de dire que... je suis flamboyante. Je brille de mille feux... Ce que je pensais magnifique en regardant les nuances des humains me semble bien fade à côté du spectacle qui s'offre à moi. Lorsque je regarde Vé qui est particulièrement lumineuse, je vois quelques centimètres de couleur verte, mais l'aura blanche qui m'entoure semble s'étendre sur plus d'un mètre. Je referme les yeux pour « éteindre » ma vision des auras. J'ai besoin de quelques clignements pour effacer les taches noires qui obscurcissent ma vue.
Je prends une profonde inspiration pour me motiver à sortir de ma torpeur et je quitte les toilettes. Je me dirige vers mon prochain cours et j'avance à grand pas vers l'étape une : trouver un moment pour sortir avec Sam.
La porte des toilettes se ferme derrière moi et j'avance doucement dans le couloir en fixant le sol, en essayant de ne croiser le regard de personne. Je ne suis pas assez sûre de moi, à l'heure qu'il est, pour me promener tête haute. Je suis vêtue d'un jean slim bleu clair qui met en évidence mes formes, dans le bon sens. Mes chaussures de la marque Bensimon sont assorties avec mon t-shirt blanc, sur lequel un motif d'attrape-rêves orne l'ensemble de mon dos. Je me sens bien dans mes vêtements, cependant, mon incertitude m'empêche de me sentir à l'aise dans mon propre corps.
Le couloir est bondé d'étudiants qui se précipitent pour arriver à l'heure en cours. Je prends conscience que ma pause aux toilettes a duré plus longtemps que prévue. J'accélère le pas, j'ai déjà raté un cours ce matin, point trop n'en faut. Mes priorités sont définies, je vais en cours, je vais déjeuner, je prévois un rendez-vous avec Sam.
Les étudiants se bousculent un peu dans le couloir. Je suis presque arrivée dans ma salle, après m'être fait percuter plusieurs fois. Mon souffle se coupe et ma vision se brouille. Je me sens soudainement très sereine. Des milliers de fourmis semblent marcher sur mon avant-bras. Ce picotement sur ma peau pourrait m'inquiéter, mais je me sens étrangement bien. Cette chaleur envahie mon bras et se répand peu à peu. Tout se déroule en une fraction de seconde, pourtant ça me semble durer des minutes longues et entières.
Je tourne la tête pour chercher la source de cette béatitude. Le temps s'écoule au ralenti. Mes yeux se posent sur ce qui semble être deux saphirs du bleu le plus profond que j'ai jamais pu observer. Jaz semble aussi confus que moi. Les secondes filent de nouveau comme d'ordinaire et nous restons plantés dans le couloir à nous regarder.
Sa peau me procure tellement de bien-être et lorsque je me perds dans son regard, j'ai l'impression de me noyer dans le bonheur. Tout me semble insensé. Je sais ce que c'est d'être liée à quelqu'un, puisque c'est ce que j'ai avec Vé, pourtant, je sens que je suis liée à lui, d'une manière ou d'une autre. Cette attraction, qu'elle soit physique ou mystique, me retourne la tête, le cœur, l'estomac. Son regard réussit même à faire monter une pointe d'excitation en moi.
Honteuse, je détourne le regard et romps le contact de nos peaux qui se frôlaient encore jusqu'alors. Pendant une fraction de seconde, j'ai compris pourquoi je n'étais pas sûre d'avoir pris la bonne décision avec Sam. Jamais je ne ressentirais avec lui ce que je viens de ressentir à l'instant. Cette sensation de plénitude... C'est la première fois que je ressens quelque chose d'aussi fort. Ce qui est paradoxal, c'est que c'est la personne qui m'irrite le plus qui me met de si bonne humeur.
Je m'enfuis lamentablement. J'ai trop peur de ce que je pourrais dire, trop peur de ce que je ressens actuellement. C'est peut-être un pouvoir particulier qu'il a. Peut-être que Vé a raison et que c'est un psychopathe, doublé d'un démon, ce n'est pas vraiment un bon mélange. J'arrive en classe et m'assieds à côté de Vé, mais je suis toujours chamboulée.
J'évite les conversations et quand la fin du cours sonne le début de la pause déjeuner, à l'idée de devoir discuter avec Sam, je suis inquiète. Vé sent qu'il y a un souci, mais j'élude ses questions. Nous nous asseyons à la même table que d'habitude. Ma pression redescend peu à peu. Ça fait plus d'une heure que sa peau a frôlé la mienne, pourtant, j'ai l'impression de le sentir encore en moi. Un simple contact permet de toucher l'extérieur d'une personne, pourtant, j'ai l'impression que son contact a effleuré mon âme.
J'aperçois notre groupe d'amis se rapprocher de nous. Sam s'assied à côté de moi. Il me regarde avec un sourire rayonnant. Ses yeux pétillent comme s'il avait attendu ce moment toute la journée. Je me sens coupable et pitoyable, je n'arrive pas à détacher mon esprit de Jaz, tandis que Sam s'émerveille à mon contact. Je lui rends un sourire timide, gênée et détourne le regard vers le reste de nos amis.
Je n'ai pas le cœur à participer aux conversations. Je me ferme un peu aujourd'hui. Ce silence me permet d'observer les autres plus attentivement. Bien sûr, je vois que Vé me jette des coups d'œil, je lui expliquerai plus tard ce qu'il se passe. Cependant, je ne m'attendais pas à voir Lilia regarder Matt en coin. Je n'avais encore pas constaté son intérêt pour ce garçon. Ça me fait plaisir de pouvoir la regarder différemment. Lilia est très jolie, mais elle a cet air inaccessible. Elle sourit et plaisante, mais elle a toujours l'air un peu en retrait. Aux premiers abords, on pourrait la qualifier de froide, moi, je crois juste qu'elle a peur d'aller vers les autres.
Pendant mes observations discrètes, j'essaie d'éviter les regards insistants de Sam qui me fixe sans arrêt. Je me concentre sur un autre membre de notre groupe, Joe. Il est très joyeux, comme toujours, mais je vois qu'il tente surtout de faire rire Vé, ce qui ne me surprend pas beaucoup.
Je me sens tout de même ailleurs. Jaz ne sort pas de mes pensées. Je le sens tout prêt de moi, comme si j'étais happée par lui. Je me retourne et observe le réfectoire, sans parvenir à le trouver. C'est à contre-cœur que je me remets face à mon plateau repas. Je sens pourtant des fourmillements caractéristiques dans mon dos. Je sais qu'il est là, pas loin.
— Tu vas bien Den ?
La voix de Sam me sort de ma torpeur. Mon regard se pose sur le sien, et ses yeux me transpercent, de telle manière que j'en suis mal à l'aise.
— Oui, oui, juste un peu fatiguée, lui dis-je en détournant les yeux.
Je vois bien qu'il n'est pas convaincu, mais il n'insiste pas et continue son repas. Il a l'air de s'intéresser sincèrement aux conversations et chambre même Jen, sur son nouveau petit-ami, qu'elle a rencontré en cours de physique, je crois.
Sans y faire attention, je bascule en mode aura. Des dizaines de lumières vertes scintillent autour de moi. La plus vive est toujours celle de Vé, mais de toute évidence, la rencontre de Jen lui fait du bien, car elle est également flamboyante. Je regarde une nouvelle fois autour de moi, et vois Sam entouré d'un vert terme, une sorte de vert anis qui tend presque vers le jaune. Quelque chose dans cette couleur me fend le cœur, j'y lis son absence, sa résignation peut-être.
Je sens une nouvelle fois des fourmillements sur la peau de mon bras, mais je décide de me frotter par-dessus mon t-shirt et de ne pas regarder autour de moi, je commence à en avoir assez de poursuivre un fantôme.
Au moment de partir de la cafétéria, j'attrape doucement le bras de Sam :
— Sam, est-ce que je peux te parler une minute ?
Il fronce les sourcils, mais acquiesce en laissant nos amis partir devant. Son expression ne trahit aucune émotion. Il m'observe de longues secondes qui paraissent des heures avant que je réussisse à articuler douloureusement :
— Je voulais te voir concernant ce que tu m'as dit hier...
Sam se tend immédiatement, d'une manière presque imperceptible. La pâleur de ses yeux me transperce et me jauge. Soudain, une pointe de tristesse semble s'y refléter.
— Ce n'est pas grave, me dit-il en se détournant instantanément.
— Attend Sam !
Il s'interrompt et me fixe de nouveau. La froideur de son regard me fige. J'aimerais réussir à ne pas tout gâcher.
— Tu vois, c'est pour cette façon que tu as de me regarder que ta proposition m'a mise mal à l'aise.
Après quelques secondes de silence à observer le regard perçant, et presque effrayant de mon ami, je reprends :
— Écoute, je ne refuse pas de te voir, mais je veux juste pas que tu en attendes trop, parce que je ne suis pas sûre de pouvoir te donner ce que tu veux...
C'est ridicule parce qu'on ne se connaît pas depuis longtemps, mais je me force à ne pas pleurer. Si les choses se passent mal entre lui et moi, je perdrais tout ce nouveau groupe d'ami. Je me sens un peu coupable de penser à tout le groupe alors qu'il voudrait que je ne pense qu'à lui. Mais le perdre me ferait de la peine et me sortirait de cette nouvelle « zone de confort ». Et si Vé en fait parti et moi non... Une larme coule malgré moi et je me tourne pour échapper au regard de Sam. Je m'échappe lamentablement suite au silence de mon ami, quand j'entends :
— Rien ne changera, je te l'ai déjà promis. On peut aller boire un verre demain soir, en ami si ça te dis, histoire qu'on parvienne à voir plus clair dans ce qu'on veut tous les deux ?
Je me retourne et croise son sourire. J'ai l'impression que la tension accumulée éclate, comme une bulle. Je me sens si soulagée que je ne trouve pas les mots pour exprimer ce que je ressens à voix haute.
— Merci d'être si compréhensif !
Je fonce dans ses bras et enlace Sam de toutes mes forces, pourtant, je ne me suis pas sentie bouger. Après une brève hésitation, il m'enlace à son tour. La chaleur de sa peau se répand sur la mienne, mais ce n'est en rien comparable au contact que j'ai eu plus tôt dans le couloir. Pourtant, je me sens en sécurité, enveloppée dans ses bras. Il a une odeur rassurante, comme celle d'un vieux livre. Son contact est apaisant, et réconfortant. Je parviens à lui murmurer un nouveau remerciement avant de me dégager de son étreinte pour retourner en cours.
Étape numéro 1 : TERMINÉE.
Sortir avec Sam ressemble à la sérénité, à la stabilité. Pourtant, je pense à Jaz, qui incarne le danger, le frisson... la passion. Je le déteste et pourtant, une simple rencontre en coup de vent à fait changer toutes mes convictions quant à ma relation avec Sam.
Je ne sais pas comment l'expliquer, mais j'ai la sensation que ce n'est pas la seule chose que Jaz changera chez moi.
Repenser à ce moment fait remonter une drôle de sensation en moi. Je revis malgré moi ce picotement, cette chaleur, ce lien entre nous... nous... enfin lui et moi.
Il est l'étape numéro deux. Je vais découvrir qui il est, ou surtout, ce qu'il est.
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